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lundi 18 janvier 2021

Tangerine Dream : Tangram

 Le 31 janvier 1980 est une date historique, c’est le jour où le rock allemand traversa le rideau de fer. Plongé dans une grande lutte pour l’hégémonie mondiale contre les Etats unis, l’URSS a longtemps vu le rock comme un suppôt de l’impérialisme américain. Grâce à la magie d’internet, on peut aujourd’hui consulter les listes des groupes interdits chez les soviets. Cela n’empêchera pas Che Guevara d’écouter les Beatles entre deux guérillas, mais le petit peuple ne trouvera ses albums des Stones que sur les marchés noirs.

Avant son concert à Berlin-est, Tangerine dream passa plusieurs semaines à chercher un nouveau claviériste. Un ingénieur du son leur recommande finalement Johannes Shmoelling , qui vient de produire la musique de la pièce « play death , destruction , and Détroit », du compositeur d’avant-garde Robert Wilson. Froese a vu cette pièce, et a apprécié le travail sonore de Shmoelling. De son coté, celui qui aurait pu continuer une carrière tranquille pour le théâtre souhaite se concentrer sur sa carrière musicale, il ne tarde donc pas à rejoindre Tangerine dream. La nouvelle formation embarque pour le « palast del republik » , théâtre de sa première percée à Berlin-est.

Au fond de la scène, le groupe diffuse des images inspirées par le Don Quichotte de Cervantes. Le piano caresse délicatement la sensibilité des trois mille spectateurs présents ce soir-là , pendant que Shmoeling dessine ce qui restera la plus belle intro de sa carrière. Le piano et le synthé s’unissent dans une rêverie mélodieuse , la basse ponctuant furtivement leur songe harmonieux. Dans ce Don Quichotte part one , l’incohérence des notes forment une harmonie schizophrène.

La rythmique charge comme le chevalier fou lancé à l’assaut des moulins à vent. Pour structurer ce récit hallucinant, le séquenceur impose sa lourde ponctuation robotique. Soutenues par une structure aussi solide, les harmonies virevoltent autour de ces piliers, comme des lucioles excités. La seconde partie de ce concert tricote un electro rock puissant , un progressisme froid aussi tripant que Tago mago.

Contrairement à Can , Tangerine dream ne doit pas ses mélodies hypnotiques à quelques notes primaires répétées dans un tourbillon hypnotique. Le groupe d’Edgard Froese fait oublier le réel en construisant d’imposantes cathédrales sonores. C’est cette architecture complexe qui fait planer le public berlinois, qui en oublie la prison dans laquelle il étouffe.

Ce 31 janvier 1980, trois mille âmes se sont évadées de leur ghetto soviétique. Si la révolution démarre dans les esprits , alors la superbe prestation de Tangerine Dream est un grand coup porté au mur de Berlin.

Galvanisé par cette prestation historique, Tangerine dream fonce en studio, pour enregistrer l’album célébrant ses dix ans d’explorations sonores. Sorti en 1980, Tangram doit son nom à un célèbre casse-tête chinois .Ce titre illustre la plus grande complexité de la musique composant cet album. La première surprise vient pourtant de ces synthés, dont Tangerine dream s’était rendu maitre. Si l’on pouvait s’attendre à ce que les synthétiseurs modernes accentuent la richesse de la musique, ces machines omniprésentes irritent vite l’auditeur. Ces infâmes claviers sifflent avec une grandiloquence surjouée , qui semble parfois évoquer Van Halen , ce qui est loin d’être un compliment pour un groupe d’avant-garde.

Passé ce premier à priori, on découvre que le plus gros problème vient de la plus grande complexité de cette musique. En voulant revenir à une musique plus construite, Edgard Froese a imposé une technique d’enregistrement moins improvisée. Les musiciens devaient désormais se contenter de suivre des partitions écrites en amont. Le résultat est si incohérent, que chacune des parties composant les deux longues suites de Tangram semblent avoir été écrites séparément. Si cette technique d’écriture visait à combler le vide laissé par le départ de Baumann, elle obtient l’effet contraire.

Soudé par des années de création, Tangerine Dream avait atteint une cohésion parfaite, une symbiose télépathique que le groupe ne peut plus retrouver. A la place, ses séances d’écriture ont fait de Tangram une compilation disparate, où le gênant côtoie le sublime, laissant l’auditeur choisir son bonheur dans ce grand bazar sonore. Les ventes seront pourtant au rendez-vous, et Tangram devient vite un des disques les plus vendus de Tangerine Dream. Ce succès donne une seconde chance au groupe, libre à lui de laver son honneur sali par un tel échec artistique. Une chose est sûre, avec Tangram Tangerine dream vient de tourner une nouvelle page de son histoire.        

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