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samedi 23 mai 2020

Amon Dull II : Live In London

Amon Düül II Live in London: Amon Düül II: Amazon.fr: Musique

Des hordes de chevelus débraillés envahissent les rues, des clochards célestes priant pour la paix sur fond d’arpèges voluptueux. Dans les communautés formées par ces idéalistes, on imagine une nouvelle société, on maudit la guerre du Vietnam, et on ouvre son esprit à grand coups de psychotropes.

Non, vous n’êtes pas à San Francisco, mais en Allemagne. Là plus qu’ailleurs, le flower power a sonné comme un hymne  salvateur. Les jeunes ne veulent pas revivre le cauchemar qu’ont connu leurs ainés, et exorcisent ce traumatisme dans une musique ultra moderne ou hallucinée. Sous le regard amusé des anglo saxon, la scène teutonne s’épanouit en deux camps.

Le premier, fasciné par les possibilités des studios et gadgets éléctroniques modernes , crée une musique froide et ultra moderne. C’est la naissance de la musique électronique, qui permet à Kraftwerk de dépeindre un urbanisme ultramoderne. Tangerine dream préfère se servir de l’électronique pour tisser des décors sonores fascinants, des ambiances froides et rêveuses. La scène qu’il représente n’a plus grand-chose à voir avec le rock, ses musiciens refusant d’être rapprochés de ce symbole du passé.

Heureusement, une autre tendance se dessine, plus proche des essais space rock de Pink Floyd. Amon Dull est le plus grand symbole de cette tendance. Le groupe fait partie de ces réunions d’idéalistes qui envahissent le pays, et passe des heures à jouer sous l’influence de la pillule des merry prankers.

La communauté est surtout tiraillée entre les convictions de ses gauchistes les plus violents, et les ambitions artistiques qu’elle porte. Dans cette réunion d’idéalistes, on veut prôner la mort du grand capital, et une union des peuples pour mettre fin aux conflits étatiques. Une part de ces musiciens s’en va donc mettre son talent au service de Frank Zappa. 

A l’époque, le moustachu est vu par certains comme un leader révolutionnaire, ces textes servant de poil à gratter pour une société américaine bigote et consumériste. Mais Zappa méprise ces activistes de salon, cette « peace corps » , comme il l’appelle dans un de ses titres phare. Pour lui, le mouvement hippie n’est qu’une mode que sa génération suit aveuglément, un nouvel obscurantisme. Rejetés par leur héros , les musiciens déserteurs produiront une série de disques ignorés , pendant que ceux qu’ils ont abandonnés forment Amon Dull II.

De ses origines hippie , Amon Dull II a gardé son goût pour la débrouille, qui le mène à produire ses premiers disques seul. Sorti en 1969 , Phallus Dei souffre d’une production brouillonne, mais laisse tout de même deviner une inventivité, qui ferait passer Pink Floyd pour un mauvais groupe de blues.

Les allemands apprennent vite et, à peine un an après leur premier essai, ils sortent le délirant Yeti. Ce disque rend littéralement le rock progressif au peuple. Alors que les anglais sont partis dans des démonstrations virtuoses un peu pompeuses , Amon Dull se contente de jammer jusqu’à atteindre des contrées délirantes. Cette spontanéité hypnotique n’atteint son apogée que sur l’album suivant , tanz der lemming , où la production parfaite restitue magnifiquement le grand trip musical du collectif.

C’est cette spontanéité mystique qui est célébrée sur ce « live in london ». A une époque où le hard rock est roi, les allemands s’imposent sur une première partie lourde et puissante. Cette rage électrique rivalise avec les heures les plus sulfureuses de led zeppelin, s’offrant ainsi les faveurs des amoureux de puissance corrosive. 

Ces riffs accrocheurs semblent toutefois plongés dans un bain d’acide, ils forment une spirale hypnotique qui vous ouvre les portes de la perception. La simplicité trompeuse de ses improvisations, les rythmes répétitifs de ses incantations, cachent la vraie finesse d’amon dull II.

A chaque nouvelle écoute, c’est une nouvelle parcelle de ce décor onirique qui s’ouvre à l’auditeur. Une bonne partie du stoner rock s’apparente à une tentative désespérée de renouer avec cette simplicité trompeuse, elle ne fera que caricaturer sa formule. Certains se contentent de marteler un rythme destructeur, gommant toute trace de psychédelisme pour partir dans un boogie boosté aux hormones. D’autres, au contraire, jouent à fond la carte de la spirale hypnotique, pour masquer leur incapacité de faire évoluer un rythme désespérément monotone. Les seuls cas intéressant se mêlent au renouveau du hard rock , et personne ne saura reproduire les décors menaçants de « improvisation ».

Ne parlons même pas de « synthelman’s march of the seventies » ou « restless Skylight », le feu voodoo qui les nourrit s’est éteint avec les seventies. Live in London , c’est le sommet d’un groupe incarnant la puissance rêveuse du LSD, et la célébrant devant une foule médusée. Le trip se corse rapidement, laissant se développer une force de plus en plus menaçante, une dangerosité fascinante.

Cette sensation est d’autant plus unique que, lorsque le disque sort enfin, en 1974 , Amon Dull commence déjà à partir vers des chemins plus balisés. « live in london » devient ainsi le dernier témoin de cette aventure acide, la dernière fois qu’un trip semblera gravé sur le sillon.     




jeudi 4 juillet 2019

Amon Dull : Tanz Der Lemming


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Si les amateurs de rock voyaient le psychédélisme comme une substance musicale censée vider les cerveaux angoissés, pour les amener vers des délires libérateurs, alors l’Allemagne fut le pays du psychédélisme. De Can à Tangerine Dream , le pays était une terre d’exil pour les cerveaux angoissés par une réalité de plus en plus absurde et violente. Kensey disait qu’il n’y avait pas de fous , pas dans le sens où les films bas de gamme, et les séries débiles, nous les présentent . Pour lui il ne s’agissait que de personnes ayant décidé de couper les liens avec la réalité pour cesser de souffrir. Cette définition de la folie, en plus de donner un nouvel éclairage sur son chef d’œuvre littéraire, « vol au-dessus d’un nid de coucou », montre que le rock allemand est la musique la plus apte à sauver nos esprits souillés.

Yeti faisait déjà partie des disques donnant une nouvelle couleur au psychédélisme progressif, mais c’était encore l’œuvre d’un groupe mal organisé, ouvrant une nouvelle porte sans en être réellement conscient. Pour laisser cette porte ouverte, et mettre un pied dans le monde hypnotique qu’il avait inventé, il fallait qu’amon dull maîtrise sa formule .

Pour cela, le line up a changé, le groupe accueillant ainsi un joueur de sitar et un musicien jazz qui lui permettront de mieux maîtriser ses délires acidulés. Le résultat sort sous le nom de « tanz der lemming » en 1973 , et tranche radicalement avec la folle insouciance de Yeti. Les titres ne sont plus improvisés , ils sont travaillés en studio et dotés d’une production beaucoup plus soignée. Résultat, si Yeti vous embarquait dans un délire aux contours flous , au milieu d’un bad trip saisissant mais aux paysages mal définis, l’image est beaucoup plus nette ici.

L’ambiance angoissante est un peu mise de coté, même si elle reste présente sur certains passages, comme la guitare psychotique qui parcourt la première grande suite. Là où Yeti ne contenait que deux grandes pièces délirante, tanz der lemming s’articule autour de quatre pièces maîtresses.

Ces pièces sont comme les étapes d’un voyage intérieur, qui provoquerait une succession d’hallucinations fascinantes, angoissantes, ou transcendantes. Chaque phase se succède parfaitement, le chaos sonore pouvant faire place à des riffs corrosifs, dont le stoner ne réussira jamais à reproduire la puissance hypnotique. Et puis le solo monte crescendo, accompagnant le clavier dans une ascension menant à un chaos sonore s’apparentant à une apothéose mystique.

La guitare acoustique peut ainsi côtoyer les délires expérimentaux propulsés à grand coup de sitar et d’électricité, pour construire un album unique, fruit d’expérimentations parfaitement maîtrisées. Et puis la voix vous arrive avec une lenteur fascinante, comme un impressionnant mirage au milieu du désert.  
                                                          
Ces instrumentaux ne nous agressent plus , ils nous bercent, caressant nos oreilles dans le sens du poil pour mieux nous emmener dans leur univers délirant. L’auditeur entre d’ailleurs dans la folie la plus pure, c’est-à-dire qu’il rompt progressivement les liens avec le monde qui l’entoure, pour mieux profiter des merveilles illusoires qu’on lui propose.   

« Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront : « Il est l'heure de s'enivrer ! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. » Merci Baudelaire. 

L’ivresse n’étant qu’une folie momentanée , ce disque pourrait être un bon début dans cette quête perpétuelle d’oubli de soi.

vendredi 17 mai 2019

Amon Dull II : Yeti


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Lorsqu’on demandait au groupe guru guru pourquoi les musiciens allemands avaient tendance à propager leurs idées d’extrême gauche, il répondait que c’était sans doute lié au chaos laissé par Hitler. Quand le krautrock émerge, à la fin des année 60, la guerre s’est achevée il y a à peine vingt ans , autant dire hier. Ne voulant pas porter le deuil d’un événement qu’elle n’a pas vécu , les musiciens krautrock  vont naturellement se tourner vers un rock libertaire.

Amon Dull I et II font partis de ceux là, et regroupent d’abord une communauté de fans de Coltrane et Hendrix , célébrant leurs passions dans de longues jams sous LSD. Les deux groupes se séparent en 1968 et, alors que la partie la plus politisée du groupe veut s’allier aux mothers de Zappa , Amon Dull II finit par être signé sur un label munichois. Ne prenant pas au sérieux cette bande d’anarchistes défoncés, la maison de disque ne leur accorde que deux jours pour enregistrer leur premier disque.

Contre toute attente , le pari est tout de même réussi , et le succès de « phallus dei » permet au groupe d’enregistrer son second disque en toute liberté. Il faut dire qu’Amon Dull a pu travailler son art , forgeant ses jams hallucinées lors de l’année de tournée qui a précédé la sortie du premier album.

Mais c’est avec « Yeti » que le groupe atteint les sommets de l’acid rock.

La première partie , à l’origine contenue sur un premier vinyle, voit le groupe voyager entre son côté le plus hypnotique, et une sauvagerie électrique à faire rougir led zeppelin. Ouvrant le disque, Soap shock rock est déjà un monument d’instrumentation défoncé. Le groupe montre déjà toute son excentricité, les rythmiques s’emballent progressivement , avant de s’évanouir dans les fascinantes sonorités orientales de « flesh colour anti aircraft alarm ».

Vient ensuite la partie la plus « pop » du monument, avec ses cinq pièces montrant un groupe plus discipliné, capable d’une douceur inattendue. A ce titre « she came throught the shimey » développe une mélodie envoûtante, à grand renfort de violon plaintif et de clavier harmonieux. Cette veine mélodique est accentuée par un « the return of the rubezahl » aux sonorités orientales , dans la tradition d’un psychédélisme fasciné par les ambiances musicales du pays de Shéhérazade.

La violence revient progressivement sur « archangel thunderbird », où Renate garde sa voix claire, alors que les guitares qui l’accompagnent s’alourdissent.   Le trip paranoïaque refait ainsi surface, la guitare ridiculisant la violence des hard rockers le temps d’un « cerberus » tonitruant. Symbolisant le passage à un psychédélisme libéré de toutes limites , le titre démarre dans une tendre douceur acoustique , avant que les guitares n’envoient des notes qui semblent vouloir broyer votre cerveau.

A partir de là, la voix se fait plus lointaine , plus inquiétante .

La seconde partie est une pilule hallucinogène aux effets beaucoup plus puissants.  Contenue sur un second vinyle, cette seconde partie déploie trois improvisations sans filet , où le groupe semble toucher une sorte de perfection expérimentale.

Le principe est un pied de nez à tous ces groupes anglais, embarqués dans des calculs savants visant à rendre le rock plus « intellectuel ». Via ses improvisations , Amon Dull rend le rock au peuple , ce qui ne l’empêche pas d’atteindre un niveau de symbiose impressionnant. Le LSD a t’il permis à ces esprits fertiles de former une conscience supérieure, qui guident leurs accords comme si leurs corps était devenu de simples marionnettes ?

Certes , je m’égare dans les mythes proférés par Huxley , mais cette symbiose emmène le psychédélisme à un niveau de perfection hypnotique que peu de groupes peuvent égaler. Amon Dull II semble même abolir le temps , étirant ses improvisation pendant de longues minutes, en nous donnant l’impression de pouvoir assister à ce spectacle pendant une éternité.

Inutile de préciser que cet exploit ne sera jamais renouvelé. Faisant de Yeti (l’album) , le monument d’une génération souhaitant éclater toutes les barrières. La pochette délirante qui contient le disque fut d’ailleurs imaginée par le groupe, faisant de ce disque une œuvre complète.