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jeudi 7 octobre 2021

Rabattre les cartes : Steve Hackett - Voyage of the Acolyte (1975)

 



Etrange année 1975.

Cette année là, Peter Gabriel quitte le navire Genesis, éreinté par des (dé)pressions de toutes sortes, notamment du point de vue personnel où il faillit perdre sa fille et que l'on peut voir l'énorme et fabuleux (c'est mon point de vue perso) double album The Lamb lies down on Broadway comme une sorte d'exutoire personnel de l'archange noir de la Génèse. C'est aussi cette année alors qu'on ne donne plus trop cher de la bande à Gabriel & Cie que paraît le premier album de Steve Hackett, artisan consciencieux du son du groupe qu'on a alors à l'époque souvent oublié ou relégué aux oubliettes.

Pourtant Steve compose. 

Il a souvent composé, depuis qu'il est arrivé dans le groupe sur le second album, Nursery Cryme (1971 - En fait le troisième mais bon, le premier album de Genesis est franchement inexistant et oubliable, un faux départ on dira). Et quand bien même, on lui doit un son de guitare qui à ce moment là donne une sacrée fougue au groupe. Ah The return of the giant Hogweed. Mais surtout le solo fabuleux d'un Firth of Fifth sur Selling England by the pound (1973), mamma mia. Et à côté donc de ce travail mélodique comme je l'écrivais, Steve compose de petites bricoles pleines de chaleur et de mélancolie mêlées qui reflètent tout aussi bien l'âme de la Génèse que celle de son créateur guitariste : Horizons (sur Foxtrot - 1972), After the ordeal (sur Selling...)....

Le hic c'est qu'à l'époque, à l'instar de Gabriel, Hackett se sent déjà à l'étroit. Tony Banks a alors commencé sa mainmise sur le groupe pendant plusieurs albums. Ce qui en soit n'est pas forcément une mauvaise chose tant ces derniers s'avéreront faire coïncider pleinement le besoin de poésie musicale en dehors de l'esthétique jugée par trop théâtrale de Peter Gabriel par les critiques. Exit donc les costumes compliqués, place à quelque chose de plus simple et proche du public avec un Phil Collins jovial qui raconte des contes en musiques un poil moins alambiqués mais tous aussi passionnants.

Inutile de refaire la Génèse donc, d'autres théologiens de la musique s'en sont déjà bien donné à coeur joie. On remarquera toutefois que A Trick of the Tail et Wind and Wuthering (tous deux de 1976, c'est ce qui s'appelle battre le fer pendant qu'il est chaud) dans leur genre n'ont nullement à rougir face aux albums de la période Gabriel. Genesis accepte pleinement sa mutation face à une époque qui change trop vite (et s'empressera de la nommer chef de file des "dinosaures du prog", mais ça c'est une autre histoire). Je considère même personnellement Wind and Wuthering comme le second grand disque du groupe après The Lamb..., c'est vous dire.

Et puis il y a le premier disque solo de Steve Hackett donc, au moment où le groupe séparé de son chanteur initial rentre dans son cocon pour muer. Si on devait nommer une trilogie de cette période, voilà le chaînon manquant qu'on oublie régulièrement, le troisième album qui n'a lui aussi pas à rougir face à A trick et Wind and... mais aussi face aux albums de Genesis qui lui ont précédé.

Pourquoi ? Parce que tout bonnement Hackett s'y livre pleinement avec une sincérité et un savoir-faire touchant qui en font plus que le simple "album solo d'un guitariste". Et si certaines pistes sortent du lot et s'avèrent des expérimentations avant-gardistes plus ou moins sympathiques, le reste est dans la droite lignée de ce son éthéré de guitare, ce romantisme noir vénéneux déjà développé et infusé avec Genesis. 

D'ailleurs, histoire de le rattacher encore plus à la Génèse, Phil Collins et Mike Rutherford, pas chiens, viennent jouer dessus, basse, batterie et un peu de chant pour le Phil. On notera qu'il n'y a pas Tony Banks, le même Banks qui écartait un peu les compositions du guitariste au profit des siennes ou du travail collectif du groupe. Petite vengeance donc.

La pochette peinte par Kim Poor (alors compagne de Hackett) à l'aquarelle est une invitation au voyage, de même pour les titres des compositions qui s'inspirent quasiment toutes des cartes du tarot de Rider-Waite (à la fois proche et différent du Tarot de Marseille car ici les cartes des arcanes mineures sont beaucoup moins abstraites à décrypter). 

Petite parenthèse pour ceux qui ne connaissent pas le tarot, il s'agit d'un jeu de 78 cartes spécifiques avec 22 cartes surnommées Arcanes Majeures et 56 cartes de différentes "couleurs" nommées Arcanes Mineures (qui n'en sont pas moins aussi importantes que les arcanes majeures à mon sens). 

Ce qu'on appelle "couleurs" peut s'apparenter aux figures classiques des cartes telles que le trèfle, coeur, carreau et pique. Sauf qu'en fait les cartes sont illustrées tout comme les Majeures par des personnages et situations (des archétypes) qui correspondent à quelque chose sur plusieurs plans et que les symboles sont différents. La coupe se substitue au coeur mais lui est en fait similaire car elle parle des sentiments. L'épée se substitue à la pique et symbolise la raison (qui peut parfois piquer, voire éviter tout sentimentalisme pour littéralement trancher donc), le carreau est remplacé par le denier ou pentacle qui symbolise l'aspect matériel. Enfin le trèfle est remplacé par le bâton et symbolise le désir et la créativité. 

Les arcanes mineures évoquent le rapport du "consultant" (celui qui vient pour qu'on lui tire les cartes, donc qui consulte) face au monde là où les arcanes majeures parlent de psyché et d'intériorisation. Les 22 cartes "majeures" bout à bout peuvent d'ailleurs prendre la forme narrative d'un profond voyage tandis que les 56 cartes "mineures" peuvent clarifier le parcours en lui-même. Cette idée de voyage intérieur est toujours au fond ce qui sous-tend l'utilisation du tarot, qu'il soit utilisé à des fins divinatoires ou méditatives pour le bien-être (on doit à Alejandro Jodorowsky l'utilisation du "Tarot psychologique" comme méthode de développement personnel depuis une vingtaine d'années même si ce dernier ne se base que sur le tarot de Marseille).

Si on se penche sur le disque de Steve Hackett et qu'on transpose le tarot à ses compositions, cela donne ça:


  • L'Ermite (the hermit) carte 9 des Arcanes Majeurs, ici piste 5 du disque. 
  • La Tour (A tower stuck down) Référence évidente à la carte 16 des Arcanes Majeurs du Tarot donc, ici piste 3. 
  • Les Amants (The lovers. "L'amoureux" ou "Les amants"), carte 6, piste 7.... 


Plus tôt j'avais évoqué l'idée de voyage. Eh bien, quel beau voyage musical du coup !

Ace of wands (L'as de bâton ! Ici la carte du tarot, symbolise le puissant potentiel en germe de la créativité. Une bonne métaphore d'une longue carrière assez intéressante et ce n'est donc pas étonnant que comme un as, cette composition soit placée en tout début) en ouverture frappe d'emblée au recul par le fait qu'il n'est pas dans la même tonalité que le reste de l'album. Le titre s'avère une synthèse de tout ce que peut faire Hackett à la guitare, en mode "Jeff Beck". Le titre varie à chaque fois constamment les aller-retours, les changements de style mais reste intriguant et passionnant.

Hands of the priestress (La prêtresse dans les arcanes majeurs du tarot) introduit pleinement cette mélancolie tenace qui va cumuler sur tout l'album, notamment deux sommets que sont le poignant The Hermit et le "bipolaire" Star of Sirius. Sur ce dernier c'est Phil Collins qui chante tandis que la chanson plane entre la joie pure et une certaine inquiétude théâtrale (vers 3mn) avant de redécouvrir la féerie et la joie. Sacrés bijoux !

Et puis il y a les 11mn de Shadow of the Hierophant (le Hierophant correspondant au Pape dans le tarot, carte 5 en Arcane Majeur), pièce rock-prog purement majestueuse où Sally Oldfield (soeur de vous savez-qui...) est invitée au chant dans un premier temps alors que lentement la tempête gronde et menace. Un morceau magique comme aurait pu l'écrire le King Crimson des débuts, assurément.

Au final un album fin, sensible et facile d'accès que n'importe qui peut écouter et apprécier sans problème, même les réfractaires au rock progressif, c'est vous dire.



dimanche 5 mai 2019

GENESIS Trespass (1970)

Formation

Peter Gabriel : chant, flûte
Tony Banks : piano, orgue, mellotron
Anthony Philips : guitare acoustique et électrique
Mike Rutherford : basse, guitare acoustique

John Mayhew : batterie


Quel est le meilleur album de Genesis ? Certains fans diront "The lamb lies down...", d'autres "Foxtrot" et encore d'autres "Nursery Cryme" ou bien « Selling  England by the pound». Difficile de trancher mais rares sont ceux qui vont citer « Trespass ».
En ce qui me concerne j'ai toujours eu un véritable coup de cœur et beaucoup de tendresse pour "Trespass" (même si je pense qu'objectivement « Nursery Cryme » est supérieur). Je place « Foxtrot » et « Selling… » juste derrière puis un ton en dessous « The Lamb lies down on Broadway » qui m’accroche moins.

Néanmoins "Trespass" reste un peu sous estimé :
Parce que les compositions (au demeurant très bonnes) sont moins fouillées et travaillées que celles des albums suivants ?
Parce que Steve Hackett et Phil Collins ne sont pas encore là ?
En tout cas un album plein de qualités et qui ne cesse, écoute après écoute, de me charmer encore et encore ! Tout simplement magique !
Après un premier album pas très convaincant "From Genesis to Révélation" on assiste avec ce second opus à une véritable métamorphose.

Comme déjà mentionné Phil Collins et Steve Hackett ne sont pas encore arrivés et si ces deux musiciens apporteront un plus il ne faut pas sous-estimer le travail d’Anthony Philips à la guitare, excellent musicien mais qui détestait la scène tant celle-ci le faisait stresser, d’où son départ du groupe (avec lequel il restera en bon terme) ; toutefois c’est certain que Steve Hackett dès l’album suivant montrera ses qualités, idem pour Phil Collins mais John Mayhew était clairement le maillon faible du Genesis 1970.

Trespass »
comporte six pièces magnifiques, une atmosphère et une ambiance assez spéciales, presque "bucolique", champêtre (voir également la pochette, domaine où Genesis a toujours excellé, notamment dans sa période prog’).
Certes musicalement « Trespass » a quelques imperfections et approximations techniques (qu'on pardonne volontiers) mais cela lui
donne étrangement un charme supplémentaire, avec une naïveté presque touchante.
Sur certains morceaux une impression de féérie et de nostalgie (ou des deux à la fois) vous envahit pour ne plus vous lâcher.
Avec "Visions of angels" et "White mountains" on atteint la sérénité, la grâce, un moment de quiétude et d'harmonie avec déjà la voix si singulière et particulière de Peter Gabriel. Mais une voix que je trouve plus épurée, moins théâtrale que sur les productions qui vont suivre.
« Dusk » est une superbe balade où guitare acoustique, flûte et voix se marient à merveille.
Mon titre préféré est "Stagnation", un moment de pur bonheur, l'impression
de flotter dans les airs, hors du temps, des passages musicaux sublimes qui transportent l'auditeur, notamment lorsque le mellotron de Banks rentre en scène. Là encore une plénitude se dégage de ce morceau. Une lévitation sonore en quelque sorte !
On finit par "The Knife " plus énergique avec son excellent riff de guitare, plus rock, presque hard et où Peter Gabriel devient presque menaçant.
En fait seul « Looking for someone » le morceau qui ouvre le disque parait un peu faible, inabouti, mais tout le reste encore une fois est féérique et grandiose.
Dans l'ensemble « Trespass » est un disque aérien et aéré (davantage que les albums suivant, nettement moins épurés et parfois un peu trop "chargé" à mon goût).
Un album de Genesis trop méconnu par rapport à ses classiques et qui mérite de retrouver la place qu'il mérite. Un album qui me tenait à cœur de défendre.

On connait la suite de l'histoire : Steve Hackett et de Phil Collins vont arriver et Genesis va sortir plusieurs (très) bons albums de 1971 et 1975, plus sophistiqués et plus travaillés que Trespass, jusqu’au départ du charismatique Peter Gabriel.
Quant à Anthony Philips il a produit une longue discographie solo à laquelle des membres ou ex membres de Genesis ont plusieurs fois participé (notamment sur son premier album) , lui même participant à un album solo de Mike Rutheford.