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mardi 3 août 2021

Neil Young : Are you passionate

 


Onze septembre 2001, les images défilent sur les télévisons du monde entier. On se souvient tous de cette scène horrible, de ce double attentat mettant fin aux illusions de l’occident. Les Etats Unis pensait qu’une guerre ne pouvait éclater sur leur sol, que leur superpuissance économique et militaire rendaient leur sol inatteignable, Ben Laden venait de leur prouver le contraire. Ce qui marqua moins les esprits en ce jour tragique, c’est le courage des passagers du quatrième avion détourné. Quand ceux-ci comprirent que leur véhicule allait s’écraser sur la maison blanche, ils luttèrent désespérément pour empêcher un tel drame. Résultat, ce qui devait être le point d’orgue de l’opération terroriste termina sa course dans un champ de Pennsylvanie.

C’est à ces hommes au courage exceptionnel que Neil Young voulut rendre hommage sur Are you passionate. Pour se faire, il fit appel au groupe Booker T and the MG’s , pointure du rythm n blues ayant fait ses classes auprès d’Albert King et d’Otis Reading. Sur le papier, cette collaboration ne parut pas choquante. Neil a déjà joué le rythm n blues sur l’excellent « A notes for you », on put donc s’attendre à un retour de ce qu’il fit avec le groupe Blue note. On oubliait que le rythm n blues de Booker T and the MG’s est plus mélancolique, plus sophistiqué. C’est un décor grandiloquent fait pour des voix aussi charismatiques que celles d’Albert King et Otis Reading , pas pour un poète à la voix gémissante comme le loner.

D’ailleurs, le canadien n’est pas à l’aise dans ce décor grandiloquent, son chuchotement semble se cacher derrière le swing de ses musiciens. Booker T and the MG’s sont les fiers descendants de BB king, leur énergie sur des titres comme You’re my girl ou Let’s roll sortent un peu cet album de l’apathie dans lequel le chant marmonné de Neil Young l’enfonce. On ne peut que constater que Neil et son nouveau groupe ne parviennent pas à s’harmoniser, leurs parties semblent isolées sur deux rails parallèles.

Le fossé qui sépare ces musiciens est flagrant sur des ballades comme Say you love me. Toujours impeccable, Booker T and the MG déploie une mélodie groovy à souhait, le genre de rampe sur laquelle les grands crooners aimaient s’élancer. Sauf que Neil est le contraire d’un grand crooner, c’est un solitaire mélancolique, un paria au chant plus contemplatif que grandiloquent. Il parait donc en permanent décalage, ses larmoiements ralentissent les rythmes comme des boulets de plomb. 

Pour apprécier ce Are you passionate, il faut oublier Neil Young. On peut alors apprécier le feeling d’un groupe ayant servi les plus grands, s’enthousiasmer sur les rythm n blues les plus purs. Les fans, eux, se consoleront avec le titre Going home, petit morceau de bravoure où le Crazy horse sauve son cavalier de la débâcle le temps d’un titre.  

lundi 2 août 2021

Le magazine d'août

En couverture cette semaine : un dossier de plus de 60 pages sur le loner. 
Vous trouverez aussi un excellent article sur la musique amérindienne signé JeHanne. 
De son coté , Nico a fouillé dans sa bibliothèque pour en sortir l'excellent hippie hippie shake de Richard Neville. 

Cliquez sur l'image pour découvrir ce vingtième numéro:




Neil Young : Greendale

 


Après un échec tel que Are you passionate , Neil Young se rassure auprès de son fidèle Crazy horse. Le projet qu’il lui propose, en cette année 2003, n’est autre qu’un album concept racontant l’histoire d’une petite ville secouée par le meurtre d’un de ses habitants. Avec une telle ambition, l’auditeur pouvait s’attendre à une musique plus soignée et spectaculaire, mais Neil Young n’est pas Pete Townshend. Dans le studio , le Crazy horse laisse tourner les bandes pendant qu’il construit le décor de sa grande pièce de théâtre musicale. Les riffs sont gras, les mélodies épiques , le boogie blues et le folk rock célèbrent leur retrouvailles dans un décor rustique. Les titres ne sont presque pas retravaillés , Neil privilégiant une nouvelle fois la spontanéité au détriment de la technique.

Sa capricieuse muse l’ayant de nouveau visité, ce qui fit l’échec de Broken arrow fonctionne parfaitement sur ce Greendale. Plus bluesy que jamais, le Crazy horse prend de nouveau le temps d’étirer son mojo lors de grandes joutes épiques. Un merveilleux contraste se crée entre la puissance crasseuse des riffs et le feeling classieux de ces musiciens, entre l’énergie primaire de ces rythmes et l’inventivité de ces grandes improvisations. Ce que Neil Young exprime ici, c’est sa mélancolie et sa colère face au déclin d’un monde dont il fut le porte-parole.

Ce monde, c’est celui des petites villes dévorées par les grandes métropoles, c’est un monde où l’on pouvait vivre en citadin tout en restant proche de la nature, celui où les hommes n’étaient pas indifférents au sort de leurs voisins. Citadin amoureux des campagnes, rocker nourri aux mamelles du folk et de la country , Neil exprime avec ses notes ce que Steinbeck racontait avec ses mots , les joies et les peines d’une Amérique profonde de plus en plus marginalisée.

Neil met juste assez d’empathie dans son chant pour que l’auditeur s’attache à ses personnages, prend soin de prendre assez de recul pour ne pas tomber dans un pathos ridicule. On ressent la colère de cet ouvrier pestant contre une société injuste, on est touché par le désespoir de ce père harcelé par une meute de journalistes. L’histoire que nous conte le loner ici est la métaphore d’une humanité qui se déshumanise, d’un monde qui se meurt.

Dans ce cadre, les instrumentaux du Crazy horse apportent un peu de chaleur à ce constat glacial. Tant qu’un tel groupe prendra ses instruments comme on prend les armes, tant qu’une énergie comme celle-ci ruera dans les brancards de l’époque, le combat culturel contre une modernité destructrice ne sera pas perdu. Avec Greendale , Neil Young se retrouve dans la situation de ces indiens d’Amérique dont il chanta le destin tragique. Il est un des derniers mohicans d’un rock refusant de devenir une musique purement récréative, le porte-parole d’une Amérique que l’on préfère ignorer. Seul Mellenchamp engagera un tel combat pour porter la parole de cette Amérique qui sue dans les usines ou souffre dans les campagnes. 

C’est à elle que le Crazy horse dédie ce qui restera parmi les plus beaux instrumentaux de sa grande carrière, c’est son courage qui est glorifié à travers ce folk rock lyrique. Mis au service d’une telle cause, le Crazy horse transcende l’énergie épique de Ragged glory, la plonge dans le bain vivifiant du blues. Artiste que les caprices du temps ne parviennent pas à enterrer, Neil sort le grand album que plus personne n’attendait, montre que son éternelle jeunesse n’a pas disparu.

Tant qu’il restera des hommes capables de frissonner à l’écoute d’une grande mélodie transcendée par de tels poètes sauvages , Greendale restera un grand album que l’on se passera de génération en génération.      

mercredi 28 juillet 2021

Neil Young : Mirror Ball

 


C’est un temple sacré, un lieu de mémoire où l’on célèbre le génie du rock. Le rock n roll hall of fame permet de raconter la légende du rock , de préserver cette culture frôlant le demi siècle. Ses cérémonies d’introduction sont aussi le théâtre du passage de témoin entre une arrière garde honorée et la jeune génération. Green day vint rendre hommage aux Ramones , Steven Tyler reprit un tube de Paul Mccartney , alors que Pearl Jam introduisit Neil Young dans ce grand mausolée.  Lors de son discours , Neil rendit bien sûr hommage à Kurt Cobain , qu’il considérait comme un des plus grands artistes de tous les temps. Alors qu’il prévoyait de commencer l’enregistrement d’un nouvel album avec REM , Neil changea totalement ses plans.   

Eddie Vedder lui a proposé de jouer avec son groupe dans le cadre d’un concert en faveur de l’avortement. Pour l’occasion , Neil composa le titre Act of love , qu’il joue avec l’un des derniers survivants de l’ère grunge. Poussé par la puissance abrasive d’un Pearl Jam au sommet de sa forme, le loner redevient la brute fascinante de l’album Weld , le vieux lion imposant le respect à une jeunesse agitée. Galvanisé par cette prestation , Neil embarque Pearl Jam en studio pour graver Act of love. La force des jeunes loups qui l’accompagnent réveille sa muse , il est comme un prophète possédé écrivant les nouvelles tables de la loi. En quatre jours, Neil et son backing band de luxe enregistrent ce qui devient l’album Mirror Ball. Si cet album est un des meilleurs auquel le groupe d’Eddie Vedder ait participé , c’est en grande partie parce qu’il se contenta d’être le serviteur appliqué de son prestigieux leader.

Contrairement à son prédécesseur, Mirror ball ne révolutionne pas la musique de Neil , il permet juste de retrouver une énergie digne des premières heures. Trop enraciné dans sa tradition musicale pour jouer les sauveur du grunge, Neil Young se nourrit de l’agressivité de ses derniers survivants , la galvanise dans de grandes chevauchées épiques , la sublime dans des power ballades envoutantes. Mirror Ball est l’album d’un vieux rocker bien décider à faire trembler les murs tant qu’il le peut encore. Alors il ouvre le bal en s’amusant à chanter une chanson de marin plongée dans un déluge de guitares sursaturées. Placé derrière cette ouverture impressionnante , Act of love fait le lien entre la légèreté du boogie blues et la puissance du grunge. Ce riff sautillant comme un gnome obèse annonce une partie de l’œuvre de Ty Segall , dernier génie solitaire que le rock ait connu. 

La puissance de ces riffs gras montrent que , si le grunge est bien mort , son fantome n’a pas fini de hanter le rock. Malgré leur relative discrétion , les musiciens de Pearl Jam décuplent la puissance de chaque titre à grands coups de riffs sursaturés. Plus bruitiste que le Crazy horse , Pearl Jam fait gronder ses solos comme des orages au dessus des montagnes que Neil élève à chaque à chaque mélodie.

Au bout du compte, même si ce Mirror ball n’invente pas la poudre , c’est un sympatique festival de boogie destroy, un brasier post grunge rajeunissant la puissance épique inventée par le Crazy horse. La jeunesse , attirée par l’agressivité bruitiste du gang d’Eddie Vedder , propulsa rapidement l’album au sommet des charts. Mirror n’est pas un grand album , juste un disque honnête joué par des musiciens à l’enthousiasme communicatif.

En prenant ainsi son pied, Neil Young redevient le gamin jammant dans son garage de Winnipeg. A plus de cinquante ans , il a toujours le même enthousiasme , la même énergie. Continuer à envoyer la purée malgré les stigmates du temps, dire merde à la vieillesse le temps d’un accord, d’un riff, d’une improvisation , c’est exactement la définition de ce que le rock doit être.

A son âge , Neil n’a plus rien à prouver et l’on peut se réjouir qu’il parvienne encore à sortir un tel album.

mardi 27 juillet 2021

Neil Young : Broken Arrow

 


Johnny Depp est assis dans le train qui le mène dans une petite ville de l’ouest. Dans le wagon, aucun mot n’est échangé, pourtant le spectateur comprend. Il comprend la gêne de cet homme ayant toujours vécu en ville, le mépris instinctif de passagers reconnaissant un homme qui n’est pas de leur monde. Dead man fait partie de ces films qu’il faut avoir vu une fois dans sa vie. Habité par son personnage, Johnny Depp y joue le plus grand rôle de sa carrière. Les images superbes participent largement au charme de ce western mystique, alors que Robert Mitchum joue un de ses derniers rôles.

Pour la bande son de son chef d’œuvre, Jim Jarmush sélectionna quelques titres de Neil Young, qu’il contacta pour obtenir les droits. Ravi que son nom apparaisse au générique d’un tel film, il propose au réalisateur de lui préparer une bande son inédite. Le loner s’enferme donc dans une pièce où défilent les images du film, et improvise à partir de ces scènes fabuleuses. Il connaît bien ce monde de hors la loi et de derniers indiens perdus au milieu de colonisateurs cherchant à les exterminer. Il a souvent rêvé de ces villes et forêts où il vaut mieux ne pas trop s’attarder. Une bonne partie de son œuvre ressemble à un grand western, certaines de ces plus belles chansons trouvent leurs racines dans les temps troublés des pionniers et des derniers indiens d’Amérique.

Devant ces images , il produit une bande son rêveuse et puissante , un univers fascinant fait de distorsions et d’accords rêveurs. Ravi de ce travail d’orfèvre, Jim Jarmush remercie son bienfaiteur en s’occupant du clip de « Big time », le premier titre extrait du prochain album du Crazy horse. Sorti en 1996 , Broken arrow fut enregistré en quelques jours dans le ranch qui lui donne son nom. Ce qui faisait le charme de Mirror ball montre ici ses limites, la vitesse est devenue précipitation.

Succession de thèmes bâclés et de riffs un peu lourdauds, Broken arrow semble assurer le service minimum. Neil Young l’affirma lui-même, les instants qu’il peut encore passer en compagnie de son fidèle Crazy horse sont précieux, trop précieux pour passer des heures enfermé en studio. Heureusement pour lui, c’est aussi cette urgence qui sauve un album globalement moyen de la débâcle. Vexé par son aventure avec Pearl jam , le Crazy horse met le paquet pour rappeler à son leader où est sa place. A travers les riffs agressifs de Big time ou Loose change , le Crazy horse crie sa joie de pouvoir encore galoper en compagnie d’un si fier cavalier. Alors oui, les titres sont trop limités pour rivaliser avec la puissance rêveuse de Zuma , ce cheval fou galope comme un canasson ivre de sa liberté retrouvée , le dernier titre du disque est aussi mal enregistré qu’un mauvais bootleg.

Mais l’important n’est pas là, c’est Jim Jarmush qui montra magnifiquement pourquoi ce disque est une bénédiction. Dans le documentaire Years of the horse , il suivit le groupe et son leader de l’enregistrement de Broken arrow à la fin de sa tournée de promotion. Le film montre que le Crazy horse est une unité indivisible, pas une réunion de musiciens interchangeables. Avec eux, Neil Young n’est plus le légendaire barde, le génial songwritter changeant de groupe comme de chemise à carreaux, il est l’humble membre du seul groupe où il se sente réellement à sa place.     

Malgré les limites techniques de ses musiciens, le swing du Crazy horse a forgé une des plus grandes œuvres de l’histoire du folk rock , un son puissant et rêveur qui n’a pas d’équivalent. Alors oui, Broken arrow est un peu un album de Jean Foutre , mais on ne peut que se réjouir que ces fringants quinquagénaires soient encore capables de faire trembler les murs, que leur musique n’ait pas l’âge de leurs artères. L’album ne fut pas un classique, mais le public fut encore nombreux à chaque concert de la tournée qui suivit. Alors que le monde du rock mainstream s’effondre rapidement, Neil Young fait partie de ces derniers combattants s’agitant pour sauver ce qui peut encore l’être.

Après la mort du grunge, le rock se fera de plus en plus conservateur. Dans ce cadre, Broken arrow est la première œuvre d’une époque où le loner va régulièrement entretenir ses vieux totems.       

lundi 26 juillet 2021

Neil Young : Sleeps with angels

 


Ils sont tous là pour rendre hommage au plus grand poète du rock. Dans les coulisses du Madison Square Garden, on croise ce qu’il reste du Band, Tom Petty , Lou Reed , Eric Clapton et autres gloires des sixties seventies. Le temps a quelques peu terni leurs légendes. Roger Mcguin ne s’est jamais remis de la fin des Byrds , alors que Clapton s’est définitivement enfermé dans son traditionalisme blues. Lou Reed a encore quelques fulgurances , comme les grandioses New York et Song for Drella , mais il n’est plus cet animal rock n roll qui fit rougir les soldats du heavy blues.

Parmi cette assemblée venue rendre hommage au grand Bob, seul Neil Young semble avoir gardé l’enthousiasme de ses jeunes années. Une bonne partie du public s’est d’ailleurs déplacé pour saluer « le père spirituel de Kurt Cobain ». Dernière grande icône du rock, Kurt Cobain n’a jamais caché son admiration pour le loner. Le blondinet est le John Lennon de la nouvelle génération, celui qui réunit toute une jeunesse autour de ses hurlements désespérés. Si Smell like teen spirit fut le titre à travers lequel toute une jeunesse exorcisa son mal être, c’est aussi le tube qui poussa son auteur vers l’abime.

Plaçant son intégrité artistique au-dessus de tout, Kurt Cobain supportait mal cette notoriété démesurée. Il tenait à sa liberté d’artiste maudit, il se sentait plus proche des Melvins que des grandes machines commerciales de son époque. Pour retrouver sa tranquillité, il enregistra le très rugueux In utero. Malheureusement pour lui, son génie permettait à certains de ces titres agressifs de devenir des tubes, et ce qui devait éloigner de lui ce grand public qu’il ne supportait plus ne fit que le rendre encore plus accro.

Alors que Cobain s’enfonçait dans une dépression de plus en plus profonde, la popularité de son groupe ruisselait sur son modèle. Les enfants du grunge ne regrettèrent pas leur passage au Madison Square Garden, Neil leur montrant d’où venait la puissance de leur musique torturée. Dans ce contexte, sa version de All Along the watchtower devint la célébration de la rencontre entre deux générations , un moment aussi historique que la reprise du grand Hendrix.

Pendant quelques mois, on crut encore que le rock venait enfin de renaitre de ses cendres, que le grunge n’était que la première vague d’une déferlante durable et mondiale. Des groupes aussi prometteurs que Stone temple pilot ou Pearl Jam s’engouffrèrent dans la brèche ouverte par Nirvana. Neil Young ne manqua pas de soutenir ce renouveau en invitant ces deux groupes à faire sa première partie, la fête fut malheureusement de courte durée. Il a suffit d’un tir de carabine pour éteindre une flamme que l’on croyait déjà immortelle. En se suicidant, Kurt Cobain mit fin au grunge, le mouvement ne pouvait survivre à la mort d’un leader aussi emblématique.

Bizarrement, ce furent d’abord les vieux briscards qui se pressèrent pour rendre hommage à l’ange blond du grunge. Iggy Pop avoua son admiration pour celui qui s’est tant inspiré de la fureur stoogieene, Patti Smith l’intégra aux fantômes habitant les titres de son excellent Gone again , alors que Neil Young immortalisa le deuil de son fils spirituel sur l’album Sleep with angel. Comme Tonight the night avant lui, Sleep with angel est un album sombre, une œuvre où la nostalgie partage le devant de la scène avec la culpabilité. Neil tenta de contacter Kurt Cobain quelques jours avant sa mort, il était persuadé de pouvoir le sauver de ses démons.

Si la tristesse se fait largement entendre à travers ses mélodies, Sleep with angel est tout de même un album moins étouffant que Tonight the night. Ce qui émerveille, sur des ballades comme my heart , c’est cet équilibre entre l’acoustique et l’électrique , la nostalgie vis-à-vis de ce qui fut et la tristesse vis-à-vis de ce qui n’est plus. Alors le loner hurle comme un vieux loup un soir de pleine lune, chuchote presque sous une pluie d’accords cristallins. Vient ensuite le superbe blues Appache dream of life , son riff tout en retenu portant un mojo à mi-chemin entre Redbones et les Stones.

Cette mélancolie tendre, ce feeling nonchalant sans être apathique, tout cela annonce les ballades engagées qu’il écrira bientôt en compagnie du groupe Promise of the real. Driveby poursuit cette promenade mélancolique sur une mélodie plus folk. Dylan fut le barde posant ses mots sur les troubles des sixties, Neil Young donne un son à cette époque de mort du rock. La guitare gémit timidement derrière un piano majestueux, les chœurs rappellent la beauté éternelle de « Déjà vu ».

Après la tristesse vient la colère contre la violence du destin , Neil ressortant sa bonne vieille old black pour raviver la puissance d’un grunge déjà condamné à mort. La batterie résonne comme le gargouillement d’une machine infernale, la guitare gronde comme un monstre en pleine agonie. Dans ce décor Dantesque, les chœurs rappellent le refrain de Smell like teen spirit, tube qui fit naître un espoir trop vite disparu. Sur Western hero , ce qui était un grondement colérique devient un gémissement au milieu d’un requiem country.

Les grands hommes comme les grandes œuvres sont souvent le produit de circonstances tragiques, c’est l’époque qui les façonne comme une lueur d’espoir au milieu des ténèbres. Avec Sleep with angel , Neil Young n’a pas seulement enregistré un  de ses plus grands albums , il a pansé les plaies d’une génération meurtrie.

Après la mort de Kurt Cobain, la presse ne cessera de se demander s’il fut « le dernier rocker ». Il y aura encore quelques gloires éphémères comme Jack White, Green Day ou les Libertines. Mais aucun ne parviendra à inventer un nouveau son entrainant toute une scène derrière lui , une musique fascinant toute une génération.

Neil Young ne retrouvera d’ailleurs que rarement le génie de ce Sleep with angel, le rock entre dans l’underground et il se terre progressivement dans le même trou.        

Neil Young : Harvest Moon

 


Dans un immense stade, la foule crie sa reconnaissance, les amplis inondent le public sous un torrent électrique. Neil Young est plus vivant que jamais, il déclenche des séismes à chaque accord. Nous sommes encore dans une époque où personne n’eut l’idée stupide de limiter le volume d’un concert de rock. Ces évènements furent donc encore de grandes cérémonies sauvages, des séismes assourdissants faisant vaciller les murs. Alors oui, le rocker pouvait sans doute se retrouver sourd après quelques années de ce traitement de choc, mais qu’importe l’hygiénisme quand ce risque permet de se remplir la tête de splendeurs sonores. Le rocker à qui on limiterait la puissance sonore est comme un boxer auquel on interdirait de mettre son adversaire KO, c’est une aberration comme seul ce foutu 21e siècle peut en imaginer.

Mais, aussi fringuant soit-il, Neil Young a l’âge de ses artères, ses précieux tympans n’échappant pas aux vicissitudes du temps. Lors des derniers concerts de la tournée raged glory, il subit un bourdonnement de plus en plus gênant, comme si un énorme bourdon avait élu domicile dans son canal auditif. Le verdict de son médecin fut sans appel : s'il continuait à martyriser ainsi ses escalopes, il risquait la surdité à vie. Neil Young mit donc sa bonne vieille old black de côté pour retrouver son costume de troubadour country folk. Après quelques concerts acoustiques, le loner contacta les Stray gator pour enregistrer l’album que tant de fans attendent depuis de nombreuses années. Le public savait depuis sa sortie que Harvest ne pouvait être reproduit à l’identique, ses mélodies étaient bien trop personnelles pour que la copie soit trop proche de l’original. Cependant, il espérait retrouver un peu de cette chaleur réconfortante, apercevoir quelques ombres familières à travers de nouvelles mélodies.

Harvest fut l’album d’un jeune homme ayant trouvé sa voie, il exprimait l’insouciance d’un âge où la vie ressemble à une fête sans fin. Sorti en 1992, Harvest moon est plutôt le disque d’un père de famille épanoui, d’un homme regardant ce qu’il a accompli avec fierté et émerveillement. Du côté de la presse, tout le monde est ravi par ce virage radical, même si le loner s’obstine à affirmer que ses virages sont « prévisibles comme le lever et le coucher du soleil ». Si cette déclaration semble exprimer une nouvelle volonté de brouiller les pistes, Harvest Moon montre bien un tiraillement qui le poursuit depuis le début de sa carrière.

Tel un paysan dans la ville , Neil lance ses berceuses bucoliques sur des rythmes binaires dignes des grands bluesmen de Chicago. Le bluegrass de Old king est ainsi propulsé par un batteur bucheron, pendant que la guitare développe un feeling que n’aurait pas renié les pionniers du blues acoustique. Par-dessus cette symphonie bucolique et urbaine, les chœurs s’élèvent comme ceux d’une fête paysanne. Un peu plus loin, une guitare slide familière dessine des mélodies nuageuses, rehaussées par un chant qui se fait presque chuchotement. Cet album convoque les grandes heures de la carrière de son auteur, renoue avec ses grands éclats acoustiques.

La mélodie de Natural beauty rappelle d’ailleurs la sérénité rêveuse de Hitchiker , disque qui serait devenu un classique si il n’avait pas été publié aussi tard. Comme à l’époque où il enregistra cet album, Harvest moon exprime le besoin de quitter un peu le bruit assourdissant du monde pour retrouver un peu de sérénité. Chacune de ces mélodies se savoure comme un souvenir que l’on croyait perdu. Revenu à la production, Jack Nietzsh ne reproduit pas l’erreur qu’il commit sur le premier album de son protégé. Le son qu’il offre au canadien est clair comme l’eau d’une rivière, léger comme les mélodies doucereuses composant l’album. Notre ex producteur de pop anglaise aura tout de même droit à son passage symphonique avec Such a woman.

Il ne s’agira pourtant pas d’un crescendo aussi intense que A man need a maid , mais plutôt d’une berceuse de Paul Mccartney de la folk. La grandiloquence dramatique des violons côtoie une voix qui semble presque chuchoter , un harmonica nostagique ramène cette symphonie dans les grandes prairies américaine. En dehors de cette splendide exception, Harvest moon est fait de mélodies légères et pures comme Unknow legend ou Harvest moon. Harvest moon se permet même de faire un clin d’œil à Lay lady lay de Bob Dylan, le temps d’une introduction douce comme un coucher de soleil.

Comme Bob Dylan , Neil Young fait déjà partie de ces figures dont le génie éternel est comme un décor immuable. Il est vrai que la jeunesse est désormais plus intéressée par ses fils spirituels que par la monumentale carrière du loner. Mais les gloires des nineties s’éteindront bien vite et Harvest Moon brille comme un phare au milieu de cette époque incertaine. Les modes vont et viennent, les héros d’une époque s’éteignent aussi vite qu’ils sont venus mais Harvest moon montre qu’il existe des monuments que le temps ne peut renverser.                 

Neil Young : Reactor

 


C’est fini ! Terminé ! Mort !a

C’était trop beau, vingt années de feu d’artifice permanent, un bombardement de merveilles. La seule faute du rock des années 60-70 , c’est d’avoir tué le jazz. A partir du moment où le rock se mit à vampiriser ses ainés et ses contemporains, il devint trop énorme pour permettre aux jazzmen de survivre. Pour survivre, le grand Miles inventa le rock fusion, sorte de free jazz funky et électrique qui culmine sur le bouillant Dark magus. Le public des années 60-70 eut une telle ouverture que Zappa et Beefheart purent s’épanouir en même temps que Miles Davis , que John Coltrane put innover autant que les Beatles. Innover, voilà la règle d’or de cette époque. Il fallait trouver le coin musical le plus désertique, le pic qu’aucun autre ne pourra atteindre.

En ce début d’eighties , tout cela est bel et bien terminé. Certains placeront le début de la décadence à la sortie d’Easter , disque qui popularisa la production très pop de Jimmy Lovine. Il est vrai que la production soignée de Lovine a quelque peu gommé la révolte agressive de la papesse du punk, mais elle parvint tout de même à garder son énergie révoltée. Cette façon d’arrondir les angles marquait le début d’une nouvelle vision de l’album rock. Energique sans être agressif , rapide sans être trop puissant , cette nouvelle version du rock va s’affirmer avec les blockbusters radiophoniques de Tom Petty. Oui Petty est l’enfant des Byrds et du garage rock, c’est flagrant sur son premier album. Mais Damn the torpedoes canalise cette fougue, la nappe d’un vernis séduisant. 

Plus tard , cette aseptisation du rock se radicalisera , au point que des disques comme Let’s dance , Born in the Usa , ou Brother in arms semblent tous sortis du même moule sirupeux. Bowie mettra des années à retrouver ses dons d’explorateur pop, Springsteen ne s’en relèvera jamais totalement, mais entre-temps ils seront devenus riches et adulés. C’est bien le paradoxe des eighties, la musique se vidait de sa substance et pourtant on n’a jamais vendu autant d’albums. Face à cette pop aseptisée, une partie de la jeunesse se réfugie dans la violence vulgaire du heavy metal. Les eighties représentent l’âge d’or d’Iron maiden , la naissance du thrash metal avec l’horripilant Kill em all. Le metal tuait le rock comme le rock tua le jazz.                                                

La musique fut donc ballottée entre ces deux extrêmes stériles, deux bourbiers sonores sans consistance. Cette catastrophe couve lorsque, en 1981, Neil Young se met lui aussi à standardiser ses méthodes de travail. Son fils handicapé subit alors de lourdes séances de rééducation, qui oblige son père à programmer son temps d’enregistrement pour être avec lui. Les séances commencent donc à 10 heures , et le loner ne reste que quelques minutes. Enregistré à la va vite, Reactor est mis en boite en quelques jours. A défaut d’être un grand disque, Reactor est tout de même un album intéressant.

Plus de dix ans après avoir accouplé le hard rock et le folk rock , le canadien et son fidèle cheval fou essaie une nouvelle fois de décupler la puissance de la musique de Bob Dylan. Ce qui frappe d’abord sur Reactor , c’est ce son puissant , massif , mais trop propre. En nettoyant les riffs crasseux de son fier destrier, Neil Young tente d’accorder deux camps qui ne peuvent que s’éloigner. La puissance d’un Crazy horse lourd comme un hippopotame ivre fait du pied au barbare chevelu du heavy metal , les sifflements de synthé tentant de transformer cette puissance balourde en tube power pop. Mais les riffs binaires sont trop simplets, la production proprette ne faisant que souligner le manque d’inspiration des musiciens. Dans les meilleurs moments, cette hargne juvénile rappelle presque les décharges heavy blues de Blackfoot un peu fatigué.

On perd ici la poésie de Zuma sans retrouver la spontanéité de Rust never sleep , la modernité des synthés ne parvenant pas à masquer le manque de personnalité de ces instrumentaux. Moins intéressé par son œuvre, le loner ne parvient qu’à reproduire les travers d’une époque maudite. Si , jusque-là , il était l’artiste de sa génération ayant le mieux survécu aux caprices du temps , Reactor annonce le début d’une longue traversée du désert artistique.       

   

dimanche 25 juillet 2021

Neil Young : Weld

 


En ouverture , les groupes Social distorsion et Sonic youth préparent les tympans des spectateurs à l’assaut à venir. Dans la foule, les fans les plus puristes sifflent ces bourrins sans finesse, cette soupe industrielle cacophonique. Neil répondra à ces réactionnaires en enregistrant Arc , un amas de sons stridents envoyés comme un bras d’honneur musical. Mais pour l’heure, la puissance des groupes qu’il choisit en ouverture le pousse dans ses derniers retranchements, l’oblige à jouer comme si sa carrière en dépendait. Alors il sortit la grosse artillerie, le mur d’amplis placé au fond de la scène s’avérant encore plus impressionnant que celui de l’époque Rust never sleep. Au pied du canadien est disposée une pédale d’effets permettant d’alterner secousses sismiques et moments de grâce mélodique. Souffler le chaud et le froid, alterner chevauchés guerrières et ballades rêveuses, voilà le génie du Crazy horse.

Influencé par ses disciples , le loner ouvre le concert sur un Hey hey my my particulièrement agressif. Chaos métallique flirtant avec le bruitisme d’un Sonic youth , cette déflagration donne le ton d’une prestation assourdissante. Neil est au sommet de sa puissance heavy rock , chacun de ses riffs est une détonation repoussant tout ceux qui aimeraient le pousser vers la retraite. Puis, pour rappeler qu’il reste le plus grand barde du rock après Dylan , il pose sa rageuse old black sur l’hymne Blowin in the wind. Lancée sur un riff somptueux, cette reprise dépoussière l’héritage des sixties. Derrière l’intensité de sa bonne vieille six cordes, des chœurs majestueux rappellent l’insouciance d’une époque où tout semblait possible. La beauté de cette poésie éternelle pénètre dans les esprits les plus jeunes grâce à un groupe ayant abandonné toute agressivité sans perdre en intensité.

Mais le Crazy horse ne laissa pas les spectateurs s’attendrir trop longtemps. Welfare mother a toujours été une des principaux chevaux de bataille scénique de Neil, il fut pourtant rarement aussi agressif qu’ici. Torturé à grands coups de distorsion, défiguré par la violence de riffs sursaturés, ce boogie sanglant est transcendé à grand coups de riffs proto grunge. Le loner semble enfin avoir absorbé la puissance de ses contemporains , il se nourrit de leur énergie bruitiste. Ce que le Crazy horse n’a pas réussi sur Reactor , il le réussit brillamment sur Weld. Alors que le reste de la scène folk rock exploite tranquillement son fonds de commerce, Neil Young botte les fesses de tous ces traditionalistes fainéants. Un musicien ne peut marquer l’histoire que s'il se sent au bord de l’abime, chacune de ses notes doit être jouée comme  c’était la dernière.

A la sortie de ce Weld, on vante la modernité de la prestation , on annonce que son auteur est définitivement entré dans l’époque contemporaine. Lorsque les journalistes viennent demander à Neil Young où il a trouvé un tel son, le loner répond qu’il s’est inspiré du jeu de John Coltrane. Aussi surprenante soit elle, cette déclaration n’est pas un nouveau mensonge fait pour brouiller les pistes. John Coltrane se fit connaître grâce à un jeu si rapide qu’il tissait de véritables tapis de sons. Il ne jouait plus, comme Miles Davis, sur les espaces laissés entre les notes, mais cherchait au contraire à les colmater. C’est exactement ce que fit Neil Young sur Weld , la distorsion et les solos agressifs du canadien remplaçant la transe mystique de l’auteur de A love suprem.

Weld est l’œuvre d’un artiste encore curieux, d’un homme sensible aux évolutions de son époque et assez habile pour se les approprier. Alors que l’on cherche dans les derniers albums de Springsteen ou Tom Petty les traces d’un âge d’or perdu, Weld dessine une nouvelle voie pour le folk rock. Ce live montre un groupe ayant retrouvé toute sa jeunesse explorer des horizons inconnus dans de grandes chevauchées électriques. Parmi les musiciens de sa génération, un seul homme a réussi une telle renaissance, il s’agit bien sûr de Bob Dylan. Alors que Neil se déchaine dans de grandes parades heavy rock , le Zim s’apprête à réexplorer son héritage blues.

Si l’on voulait filer la métaphore jazz, on pourrait dire que pendant que le canadien développe sa verve Coltranienne, son rival américain se rapproche du feeling plus cool de Miles Davis. une chose est sûre , Weld fait partie de ces live historiques qui donnent au rock une nouvelle jeunesse.         

vendredi 23 juillet 2021

Neil Young : Ragged glory

 


C’est une nouvelle vague qui déferle sur le monde, une nouvelle génération reprenant la révolte rock là où le punk l’avait laissé. Il se trouve que cette génération a en commun son admiration pour Neil Young. C’est ainsi que, alors que le grunge s’apprête à conquérir le monde, les Pixies et Dinosaur jr enregistrent l’album the Bridge, dont tous les bénéfices seront reversés à la bridge school de Neil. Flatté par cet hommage, le loner comprend que c’est son refus de devenir un symbole de Woodstock qui lui vaut de tels honneurs. Restés bloqués dans les sixties seventies, Crosby Still et Nash sont en plein naufrage commercial. Neil n’hésite pas à se moquer de cette bande de vieillards nostalgiques , il ira jusqu’à renommer leur dernier album « geriatric revenge ».

Neil est le roi de l’époque et il le sait, même lors de de la sortie de Harvest son influence ne fut pas comparable. Il est surtout conscient que, ce que la nouvelle génération admire, c’est avant tout la puissance saturée qu’il déploie avec le Crazy horse. S'il ne fait par rapidement parler la poudre, cette génération qui pour l’instant le célèbre risque vite de le pousser vers la sortie. Alors, plus de vingt ans après la sortie de Rust never sleep , le loner convoque un Crazy horse revitalisé. Dans le studio d’enregistrement, on laisse les bandes tourner pendant que le groupe feraille comme à la grande époque.

S’imposant depuis quelques jours un programme sportif strict, Neil a désormais le physique d’un bucheron sudiste, ce qui colle parfaitement avec son jeu musclé. Si sur Zuma il semblait déjà soulever des montagnes à chaque riff , ce sont de véritables séismes que sa old black déclenche ici. Saturés par la puissance de ces charges, les amplis semblent au bord de l’implosion, ils n’ont plus connu de telles outrages depuis l’enregistrement de la seconde face de Rust never sleep.

Si l’on en vient souvent à comparer les grands disques du loner avec ce chef d’œuvre , cette comparaison ne fut jamais aussi justifiée qu’ici. Rust never sleep et Ragged glory furent créés pour la même raison, tenir en respect une nouvelle génération particulièrement sauvage. La puissance de Rust never sleep rendait déjà le punk dépassé, la révolte nihiliste des contemporains de Johnny Rotten semblait bien polie à côté d’une telle décharge. Si la supériorité sonore du Crazy horse n’est plus aussi flagrante à une époque où les Pixies annoncent les hurlements de Nirvana, il développe un feeling qui fait résonner chaque note avec une force prodigieuse.

Country home fait renaitre la force rêveuse de Zuma, Farmer john est un boogie blues dopé aux hormones , alors que des joyaux comme Fukin up ou Mansion on the hill réactualisent la folk heavy de Everybody know this is nowhere. Les musiciens retrouvent le plaisir d’une musique simple et sans calcul , la joie de brancher les guitares et d’aller où la muse les conduit. Neil Young n’a pas haussé le ton pour plaire à ses nouveaux disciples, ce son il s’est battu pour l’imposer. Pendant des années, la presse se demanda ce qu’il faisait avec ces bouseux tout juste capables d’aligner trois accords. Beaucoup aurait voulu qu’il reste le génie stonien du Buffalo Springfield ou le poète torturé de Crosby Still and Nash.

Et puis on se mit à se demander ce qu’il était vraiment, avant que cet album ne finisse enfin par répondre à cette question. Aussi versatile soit-il, aussi géniales que furent ses expérimentations, le canadien est avant tout un rocker et le Crazy horse reste son groupe emblématique. D’ailleurs, dès qu’il s’est éloigné de son cheval fou, il s’est aussi éloigné du rock. Il le quittait pour se rapprocher de la country , du blues , de la folk , mais jamais pour trouver mieux ailleurs.

Se connaissant par cœur ,  les musiciens célèbrent l’hommage que leur rend l’époque dans de grandes improvisations. Particulièrement brillante sur Love and only love , ces passes d’armes sont des Vésuves dont les solos constituent les éruptions. La parade glorieuse se termine sur Mother earth ,  puissante ballade dotée d’un riff que n’aurait pas renié Hendrix. Voilà le génie de Neil quand il rejoint son fier destrier : la mélodie. 

Les amplis ont beau être saturés par la puissance de ses accords, les murs ont beau être secoués par de telles décharges, cette puissance garde une grâce que les contemporains des Pixies sont incapables de reproduire. 

Neil Young : Freedom

 


C’est un hymne annonçant un nouvel âge d’or, une chanson contestataire digne des glorieuses sixties. Neil Young a vraiment cru que ce cowboy Tatcherophile de Reagan était le candidat du peuple, qu’il pouvait construire une Amérique fière et solidaire. Il ne comprit pas que cette politique ultra libérale allait précipiter toute une partie du petit peuple dans un abime de misère. On pouvait bien lui bourrer le mou avec «  la grandeur de l’Amérique éternelle » , l’abrutir à coup de films chauvins , lui chanter l’éloge du mérite et faire passer sa misère pour une liberté, la tête de la masse n’adhère plus aux grands principes quand son ventre est vide.

« Il y a des couleurs dans la rue

Rouge blanche et bleu

Les gens trainent les pieds

Les gens dorment dans leurs chaussures

Mais il y a des panneaux d’avertissement devant nous

Je ne me sens pas comme satan

Alors j’essaie d’oublier de toutes les manières possibles »

 

Rockin in the free word s’ouvre ainsi sur cette déclaration, le Canadien veut oublier que c’est en partie lui qui a précipité le peuple entre les griffes du grand méchant loup libéral.

«  Je vous le dis , petits bonshommes , couillons de la vie , battus , rançonnés , transpirant de toujours , je vous préviens , quand les grands de ce monde se mettent à vous aimer , c’est qu’il vont vous tourner en saucisson de bataille… C’est le signe … Il est infaillible. ». C’est signé Louis Ferdinand Céline dans son fameux Voyage au bout de la nuit, ça résume surtout bien ce que le peuple américain a vécu.

La désillusion eut au moins le mérite de régénérer la muse de Neil Young. Sorti en 1989, Freedom est si bon qu’il rappelle les grandes charges heavy folk de Rust never sleep. Comme ce classique de 1979, Freedom s’ouvre et se referme sur une version acoustique et électrique du même titre, le rageur rockin in the free word. Les mélodies les plus apaisées renouent avec les sommets mélancoliques de Times fade away , la guitare retrouve la vélocité de ses jeunes années. Cette résurrection n’est pas parfaite, les errements du passé ont encore laissé quelques traces , mais elles sont assez rares pour ne pas briser l’harmonie de ce grand album.

Oui, le refrain de The way of love est encore un peu niais, oui Someday fait un peu penser aux simagrées pompeuses dans lesquelles Springsteen a tendance à se perdre. Mais, à côté de ça , On broadway rappelle aux futurs héros du grunge qui est le patron, Hangin on a limb nous ramène dans ces salles où le loner atteignit le sommet de son charisme acoustique. Freedom est le disque d’un vieux combattant faisant l’inventaire de ses armes avant de se lancer dans une nouvelle bataille. Nostalgie folk , rêverie country , swing stonien ou crasseux , toute la palette du loner est présente ici.

Il entre ainsi dans cette armée de revenants que l’on croyait étouffer par la guimauve des eighties. Dans la même période, Dylan posa les bases de sa renaissance avec Oh mercy , Lou Reed réinventa sa poésie urbaine sur New York et Neil Young se réconcilia avec sa muse sur ce vibrant Freedom.

Rocker révolté, riffeur génial , countryman fascinant , Neil apparait ici comme si les années précédentes ne furent qu’un mauvais rêve. Quand, pour boucler ce retour glorieux, la guitare électrique transforme Rockin in the free word en cri de rage , un seul constat s’impose : Neil Young est de retour.       

Neil Young : This note's for you

 


Le rock n’est plus le son de la révolte , ses vieilles idoles sont rentrées dans le rang et leurs rares remplaçants ne rêvent plus que de gloire. Eric Clapton et Steve Winwood sont sponsorisés par de grandes marques, Dire Strait chante qu’il « veut son MTV ». Le capitalisme a fait du rock un outil servant ses intérêts, il l’utilise pour vendre ses sodas, ses assurances, bref pour grossir toujours plus. Porte-drapeau de cette marchandisation du rock, MTV est devenu un média essentiel pour tout artiste souhaitant conquérir le monde. Alors tous se mirent à enregistrer des clips censés passer en boucle sur cette chaine. En voyant cette évolution, Keith Richards annonça sur un ton péremptoire « le vidéo clip a tué le rock ». Les rockers se préoccupaient désormais plus de sortir « la vidéo de l’année » que de produire le disque le plus abouti depuis Sergent pepper.

Cette tendance commençait déjà lorsque Bowie produisit le mini film de promotion de Let’s dance. Il y eut aussi la fameuse voiture rouge de ZZ top , le coming out de Freddy Mercury sur I want to break free etc…

La plupart des vieilles gloires produisant ces clips étaient en plein déclin artistique , mais la puissance de la machine commerciale leur permettait de vendre plus d’albums qu’ils n’en ont jamais vendu. C’est dans cette époque, où l’image semble avoir remplacé la musique, que Neil Young retrouve un peu de sa superbe. Nous sommes alors en 1988, et le chanteur monte sur scène accompagné par un nouveau groupe. Derrière lui, une section de cuivres ressuscite les grandes heures de Chicago, quand bluesmen et jazzmen se succédaient devant un public fait de gangsters et de maquereaux. Pour porter ce blues cuivré , la section rythmique swingue comme les musiciens de Duke Ellington perdus au milieu du big bang de BB King.

Pour immortaliser cette nouvelle énergie, Neil Young embarque son big bang en studio pour enregistrer This note’s for you. Dans la foulée, il décide de se payer la tête d’une chaine qui fait désormais les grandes carrières musicales. C’est ainsi que , pendant quelques jours , MTV diffuse régulièrement un clip où l’on peut entendre : « I don’t work for pepsi . I don’t work for coke ». Pendant que cette phrase est scandée par le chanteur, on peut voir un Michael Jackson en feu se faire arroser par une canette de la fameuse marque de soda. MTV finira par censurer le clip, avant de le nommer « meilleur clip musical de l’année ». This note's for you sort peu de temps après ce coup d’éclat.

Beaucoup ne virent dans ce disque qu’un sympathique exercice de style , une façon pour son auteur de retrouver un peu de vitalité en voyageant dans le berceau du rock n roll. C’est vite oublier que le blues fit toujours partie de l’œuvre du loner , qui le jouait déjà avec brio à l’époque de Tonight the night. Contrairement à cette époque, This note's for you ne déploie pas un blues froid et austère, mais un mojo grandiloquent et chaleureux. Ce swing, c’est celui de BB King , éternel parrain d’un blues spectaculaire. La rythmique reste basique, presque boogie sur des titres comme Ten men workin, où cette union entre la chaleur jazzy des cuivres et l’énergie du blues flirte avec les grandes heures de l’Allman brother band.

Dans cette cérémonie enjouée , Neil retrouve le gout des riffs binaires, se laisse parfois aller à quelques solos Claptoniens. On retrouve ici la chaleur bluesy inventée par les frères Allman , on flirte avec ce rock sudiste que Warren Hayne ne tardera pas à ressusciter. Ranger cet album dans le rang des exercices de style honorables sous pretexte qu’il s’éloigne de ce que Neil fit jusque-là, c’est considérer que sa carrière n’est qu’une succession d’exercices de styles plus ou moins brillants. Neil Young a toujours été un artiste cleptomane pillant cette magnifique caverne d’ali baba qu’est le patrimoine musical américain, un conquistador rock s’appropriant les contrées qu’il explorait.

Hier il disait qu’il considérait la country comme sa seule voie , aujourd’hui il joue le blues comme BB King ou Mike Bloomfield , demain il aura déjà changé de lubie. Il fallait toute la grandiloquence de This note's for you pour le ramener dans le rang des grands artistes. Dans son genre comme dans la carrière de son auteur, This note's for you est avant tout un grand album.          

mercredi 21 juillet 2021

Neil Young : Life

 


Dans la lignée de ce qu’il fit pour les fermiers, Neil Young inaugure en cette année 1985 la bridge school , un institut dédié aux soins des handicapés souffrants de graves problèmes d’expression. Pour la financer, il organise un nouveau concert réunissant Jeff Beck, David Bowie , Simon and Garfunkel et Elvis Costello. Aussi honorables que soient ses engagements , ils ne peuvent cacher le déclin de sa carrière. C’est ainsi que, quand Neil effectua une nouvelle tournée européenne, il dut jouer dans des salles à moitié vides. Il n’était plus retourné sur le vieux continent depuis la tournée de promotion de Trans et le public n’avait pas digéré cette cacophonie électronique. Pour se refaire une santé, le loner rappelle son fidèle Crazy horse, mais la magie des belles années semble bien morte.

Rongé par l’alcool, le bassiste peine à retrouver la vélocité de ses grandes années. Ce groupe, qui fut un pur sang fougueux, ressemble désormais à un vieux canasson bon pour la boucherie. En répétition, les conflits s’enchainent entre ces musiciens en pleine crise de la quarantaine. Cette attelage bancale parvient pourtant à terminer l’enregistrement de Life, qui n’en sera pas moins le disque le plus faible de son histoire.

Difficile de trouver des qualité à un album qui , par sa production boursouflée et la faiblesse de ses titres , semble coulé dans le même moule infâme que Landing on water. Embourbé dans une mélasse pop, tenu en bride par des synthétiseurs toujours aussi bavards, notre vieux cheval fatigué rue désespérément dans ses sordides brancards. Force est de constater que les sursauts d’orgueil de musiciens qui ne demandent qu’à faire parler la poudre ne parviennent pas à sauver un tel navet. Au bout de quelques minutes mielleuses, l’auditeur trouve enfin un peu d’énergie dans le boogie de Too lonely. Son regain d’enthousiasme est vite déçu par une batterie sonnant comme une boite à rythme, un cœur synthétique qui remet dans le coma une formation qui semblait enfin retrouver la vie. Quand quelques solos osent enfin sortir de ce cadre très pop, leur tranchant est émoussé par une production gommant toute distorsion, aseptisant toute envolée un peu trop spontanée.

Et, quand cette camisole ne suffit plus, on cache cette violence derrière des chœurs mielleux digne de Queen. Life est le disque de musiciens perdus, le succès s’éloigne de notre canadien, qui semble pour la première fois prêt à toutes les compromissions pour le récupérer. On trouvera tout de même quelques rapides instants où nos musiciens fatigués parviennent à se libérer du carcan qui se sont eux mêmes imposé. Mais ces instants sont trop courts,  au point que l’on ne retient que ces refrains simplets, ces solos sans saveur, ces chœurs gluants.

Si Neil Young avait besoin de toucher le fond pour remonter à la surface, c’est désormais chose faite. Life est finalement une sorte de Landing on water II , le témoin d’une fragilité qui va heureusement prendre fin. Dans l’ombre de dinosaures fatigués , une nouvelle génération s’apprête à redonner aux jeunes rockers le gout de la spontanéité. Cette fin d’eighties verra la sortie de Electric de the Cult , du premier album des Guns n roses , sans oublier quelques grands disques de Mellenchamps.

C’est toute une musique qui souhaite oublier ses errements pop, comme s'il fallait reprendre les choses là où les seventies les avaient laissés. Cette tendance ne ressuscitera jamais totalement la grandeur des sixties seventies, mais elle permit à une génération que l’on croyait enterré de se régénérer. Les fans se consolèrent donc en se disant que Life ferme une page qu’il ne reste plus qu’à oublier.         

mardi 20 juillet 2021

Neil Young : Landing on Water

 


C’est un nouveau Woodstock , une nouvelle façon d’affirmer que le rock peut et doit changer le monde. Bob Geldolf est un ex punk , son Live aid s’inscrit pourtant dans la lignée des grands idéalistes hippies. Alors bien sûr, les visages des rockers se sont ridés, ceux du public aussi , nombre d’entre eux vivent des eighties compliqués et la relève se fait rare. Il n’empêche que, quand vous inscrivez les noms de Keith Richard , Bob Dylan , Led Zeppelin , Neil Young et autres vieilles icônes , c’est encore une foule immense qui se presse pour assister à l’événement. Ce soir, tous ces ténors joueront gratuitement, les bénéfices de la soirée devant servir à lutter contre la famine en Ethiopie. Ce soir-là , il y eut de cruelles déceptions , comme la reformation calamiteuse de Led Zeppelin , mais aussi et surtout beaucoup de moments merveilleux. Bowie fut encore au sommet de son charisme spectaculaire, Status Quo livra un set éblouissant, et je ne parle pas de la prestation légendaire de U2.

Après un set plus que correct, Neil Young remarque le visage contrarié de Bob Dylan. Quand son regard croise celui du Zim , celui-ci déclare sur un ton désabusé « C’est bien beau de venir en aide aux pays pauvres . Mais que fait-on pour nos fermiers qui croulent sous les charges ? » Neil décida alors de devenir le porte-voix de l’Amérique rurale, il se mit à défendre la cause des fermiers américains auprès des puissants dès que l’occasion lui en était donné. Il chargea surtout John Mellenchamp et Willie Nelson de trouver des artistes acceptant de jouer lors d’un concert dont les profits seront reversés à ces damnés de la terre. Le premier Farm aid réunit donc Johnny Mitchell , Tom Petty et Lou Reed . Avec cet événement il paie d’une certaine façon sa dette vis-à-vis de ce peuple qui lui apporta tant. Paradoxalement, alors que cette engagement aurait pu l’inciter à creuser de nouveau le sillon rustique d’Old ways , il sortit son album le plus moderniste.

Landing on water est le disque que tous les fans du loner voudraient oublier, le premier fiasco d’une carrière qui fut jusque-là exemplaire. Pour masquer la faiblesse de son inspiration, Neil abusa des claviers grandiloquents dignes de Van Halen. Sur Weight of the word , leurs sifflements horripilants parviennent à rendre la guitare inaudible, la rythmique robotique est morne comme une journée de travail à l’usine. Cette ouverture donne le ton d’un album boursouflé, comme si une production aussi grandiloquente pouvait transformer ces étrons synthétiques en tube. Sur violent side, les chœurs enfantins sont ridicules, le solo de guitare incongru, Neil imitant Roger Daltrey au milieu d’une guimauve digne de Who are you.

Landing on water est trop lisse, il donne l’impression que le loner court après un public qu’il ne comprend plus. Ce disque s'inscrit dans la ligné de Human Touch , Down in the groove et autres mascarades de has been tentant désespérément de rester dans le coup. Landing on water s’inscrit dans une tendance pop qui va presque tuer une bonne partie de sa génération. Il faudra encore quelques années pour que Springsteen, Dylan, et notre canadien comprennent qu’ils ne pourront survivre qu’en restant fidèles à eux même. Ce n’est pas au public de dicter sa loi aux artistes, mais aux artistes de créer des œuvres que le public doit faire l’effort de comprendre.

Avec landing on water, Neil tentait de rajeunir son public, de prendre sa part de l’immense gâteau que constitue le business de la musique. Springsteen parvint à le faire avec Born in the USA , David Bowie toucha le gros lot avec Let’s dance, mais le loner n’était pas fait pour devenir une superstar.

Comme Bowie et Springsteen , il mettra des mois à se remettre de son dérapage commercial , tout en ayant raté le coup qu’il a tenté.      

lundi 19 juillet 2021

Neil Young : Old Ways

 


Banane et costume rose, Neil Young est devenu un musicien rockabilly plus vrai que nature. Alors que son groupe swingue comme le Elvis des débuts, Geffen interrompt l’enregistrement de son prochain album. Neil avait encore deux titres à mettre en boîte, mais sa maison de disque n’accepta pas qu’il se paie ouvertement sa tête. Après la sortie de Everybody’s rockin , disque qui n’a de valeur que grâce à la révolte qu’il représente , Geffen décide d’attaquer Neil en justice pour « non-respect du style Neil Young ». Parle-t-elle du Neil Young torturé et bluesy de Tonight the night ? Du Neil Young épanoui et country de Harvest ? A moins qu’elle ne préfère le rocker tonitruant de Rust never sleep.

Comme beaucoup d’artistes libres, Neil n’est pas stable, il existe presque autant de « style Neil Young » que d'albums du loner. Après sa maison de disque, c’est au tour de son public de ne plus comprendre ses soudains changements de styles. Nous sommes au milieu des années 80 et le public de la Nouvelle Orleans attend impatiemment son héros. Lorsqu’il arrive sur scène, Neil prend le micro avec la gravité d’un tribun montant à la tribune. Celui qui vomissait la politique de Nixon livra un discours maudissant le désarmement des Etats Unis, justifia le fiasco du Vietnam en affirmant que l’Amérique voulait juste « donner un coup de main », et finit sa diatribe sur un vibrant plaidoyer patriotique. Ce discours, au-delà de ce que l’on peut en penser sur le fond, montre que Neil Young est aussi libre politiquement qu’artistiquement.

Après cette prestation, il affirme à qui veut l’entendre qu’il abandonne le rock pour la country. On peut donc lire dans plusieurs journaux que le loner considère que la musique de Johnny Cash fut toujours sa véritable musique, son véritable style. En lisant ça, Geffen enrage. Si le loner affirme désormais que la country est son véritable style, qu’elle l’a toujours été et qu’il n’en déviera plus, le procès que lui a intenté la maison de disque devient absurde. Geffen se résigna donc et retira sa plainte.

C’est dans ce contexte que sort Old Ways, disque qui ne fait que confirmer la voie que Neil traça lors de ses dernières déclarations. Persécuté par son label, notre canadien a laissé sa old black au vestiaire pour creuser le sillon d’une country traditionaliste. Ne vous attendez pas à trouver ici un riff irrésistible à la Heart of gold ou une symphonie campagnarde aussi majestueuse que A man need a maid. Ces splendeurs sont des raffinements de citadin, et Neil ne veut plus s’éloigner de sa chère campagne. La rythmique de Old way est aussi nonchalente que celle des Tennessee tree, violons et pianos résonnent sur de douces berceuses campagnardes. Quand la guitare électrique entre dans la danse, elle ronronne comme un gros chat au soleil.

Old ways n’est pas un album révolutionnaire, encore moins un classique. Ses mélodies, plus rustiques et légères que celles d’un Mellenchamp , sont trop pures pour marquer durablement les esprits. On se laisse néanmoins facilement emporter par la douceur de the Wayward wind , l’énergie de Get back to the country nous régénère comme un week-end à la campagne. Contenant son lot de bons moments, Old ways est un exercice de style agréable.

Alors bien sûr , certains virent dans cette légèreté les signes du déclin à venir. Il n’allait en effet pas tarder. On évitera pour autant de classer ce Old ways parmi les album honteux du Canadien. Parcourir ces mélodie, c’est se promener dans un village dont on connait chaque mur, chaque paysage , et qui parvient pourtant toujours à nous émerveiller.

Non la country n’est pas « le style Neil Young » , elle n’en reste pas moins un élément essentiel de sa légende. Alors ne boudons pas notre plaisir lors de cette petite récréation, le pire est encore à venir et ce Old ways a au moins le mérite d’honorer une racine de son auteur.   

   

dimanche 18 juillet 2021

Neil Young : Trans

 


Le handicap de son fils tracassa Neil Young jour et nuit. Il tentait de comprendre, comprendre ce que pouvait ressentir ce garçon incapable de s’exprimer. Dans sa quête de dialogue, il fait l’acquisition d’un vocoder. On ne sait pas si ce petit gadget électronique eut un quelconque effet sur sa progéniture, il eut en revanche un effet désastreux sur sa musique. Fasciné par cet objet il écrivit ainsi une poignée de titres censés mettre en valeur sa découverte. Peu de temps après, il forma le trans band , prestigieux conglomérat regroupant d’ex membres du Buffalo Springfield et des Stray gators, auxquels viennent s’ajouter quelques fidèles du Crazy horse.

Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des monde , Neil venant de signer un nouveau contrat avec le jeune label Geffen. Pourtant, la tournée qu’il s’apprête à effectuer restera dans les mémoires comme l’une des pires séries de concerts de sa carrière. Le public fut ainsi obligé de subir une série d’expérimentations dignes de Kraftwerk. Au bout de quelques minutes, la foule demande grâce, supplie son héros de ressortir ses vieux classiques. Trop plongé dans son délire pour prêter attention à ce désespoir, le loner persiste à jouer sa sous techno assourdissante. Dépités, une bonne part des spectateurs commencent à quitter la salle. Ils ne sont plus qu’une poignée quand le chanteur accepte enfin de récompenser les plus patients.

Cet événement fit dire à de nombreux observateurs que le canadien préparait son Metal machine music. Sorti quelques années plus tôt, Metal machine music fut un crachat que Lou Reed envoya à la figure d’un public qui refusa de reconnaître Berlin comme son plus grand chef d’œuvre. Lorsque Mister Young sortit Trans , en 1983, on vomit donc la faiblesse de cet œuvre médiocre tout en saluant la déclaration d’indépendance qu’elle devait soit disant représenter. Pourtant, malgré le fait que Geffen ait promis à son troubadour une liberté de créer totale, c’est bien elle qui insista pour qu’il sorte ce Trans.

A la place , Neil Young souhaitait publier un disque acoustique fait de contes de marins. Mais sa maison de disque pensait que ce projet ne pouvait séduire que quelques vieux nostalgiques, alors que la mélasse synthétique de Trans le ferait rentrer dans l’ère moderne. A cette époque, la musique électronique allemande avait encore pignon sur rue, ses bruitages servant de bandes-sons à quelques blockbusters et séries télévisées. Il n’y a donc pas grand-chose à sauver dans ce Trans , qui n’est qu’un disque au rabais promu par une maison de disque rendue sourde par l’appât du gain.

Le désastre commence en douceur, little thing call love étant une bluette agréable malgré son refrain cucul. On entre ensuite dans un univers glacé, un mouroir sans émotions, une prison sonore aux mélodies stériles. La boite à rythme palpite machinalement, triste cœur mécanique faisant se mouvoir une affreuse machine. Les claviers fredonnent leurs chants sirupeux, le vocodeur parvenant à rendre la voix du loner méconnaissable sur quelques titres.

Pour sauver ce qui peut encore l’être, Neil finit par jouer la carte de la nostalgie. Mais, plongé dans ce bain glacé, Mr soul est castré par une production qui gomme le tranchant de son riff. Incas road ressuscite ensuite les chœurs de Crosby Still and Nash , le geek redevient un poète chantant la grandeur des peuples libres. Mais ce riff stonien est trop basique pour réellement séduire , c’est le genre de rock à peine potable que ce bon vieux Keith produit à la chaine depuis Some girls.

Au bout du compte seul Geffen a pris ce disque pour ce qu’il était, c’est-à-dire un petit étron synthétique comme l’époque en défèque des kilos. Elle ne comprit malheureusement pas que le grand public avait déjà lâché son poulain, et les vieux fidèles refusèrent de devenir les dindons d’une telle farce.

Trans est à Neil Young ce que Human touch est à Springsteen, ou ce que Down in the groove est à Dylan, un mauvais souvenir que l’on cherche vite à oublier.               

samedi 17 juillet 2021

Neil Young : Hawks and Doves

 


Mais quelle mouche a bien pu piquer Bob Dylan en cette fin d’année 1979 ? Il est vrai que, depuis self portrait , les auto-sabordages et virages artistiques incompréhensibles du Zim ne cessèrent d’agacer la critique. Mais, avec ce slow train coming , le barde américain a commis l’impardonnable : installer la religion dans le rock. Il parait déjà si loin le poète libertaire, celui qui annonçait que les temps allaient changer, tout en se moquant des réactionnaires à travers le pitoyable Mr Jones. Dylan n’était pas seulement le représentant d’un certain idéalisme, il en était la figure de proue. La critique n’a jamais fait le deuil de ce poète kerouakien , de ce héros libertaire disciple de Woody Guthrie.

Si seulement il n’avait pas rencontré Johnny Cash, peut-être serait-il encore en train de guider une génération sur fond d’accords électriques ou acoustiques. Toute la partie la plus idéaliste du public maudissait l’homme en noir, qui fut déjà à l’origine du virage country du Zim. La country, cette musique qu’il voyait comme le swing des rednecks réactionnaires. Il fallut que Hendrix repris « All along the watchtower » pour que la critique finisse par avaler la pilule. Mais, non content d’avoir rapproché celui qui devint malgré lui le porte-parole des utopies sixties du petit peuple réactionnaire, Cash prêta à son ami une bible.

La lecture des aventures du petit Jésus eut un effet fulgurant sur le grand Bob, et voilà que sa prose se faisait prosélyte, que son rock s’agenouillait devant « son seigneur ». Il s’identifiait désormais au martyr de Nazareth ? Et bien la critique lui prépara un calvaire sur mesure. Le lynchage de slow train comin est un symbole parmi d'autres d’une certaine critique, qui vit dans le rock un outil de propagande plus qu’une simple musique. On moquait ces refrains dévots, ces paroles de born again illuminé, il fallait tuer cette fièvre mystique dans l’œuf avant qu’elle ne contamine d’autres musiciens. De cette manière, on oubliait de dire que Mark Knopfer sonna rarement aussi bien que sur ce disque, que cette ferveur apportait une nouvelle dimension au gospel rock initié sur street legal.

Toujours dans le sillage de son rival, Neil Young va vanter un autre totem de ce que certains voient comme l’Amérique rance, le patriotisme. La pochette en elle-même fut déjà vue comme une provocation, le loner osa sortir un album emballé dans le drapeau américain. La protestation foutait décidément le camp, l’auteur d’Ohio chantant désormais la grandeur de l’Amérique du nord et la douceur de son mode de vie. Alors on lui chercha des excuses, on voulut voir du second degré dans cette prose patriotique. Malheureusement, la musique était à l’image de ces paroles , le plus américain des canadiens déployant toute la palette du « blues de blanc ».

Le premier titre aurait pu rassurer les auditeurs les plus frileux, Little Wings pouvant entrer dans le rang de ces plus belles mélodies folk acoustiques. On retrouvait le barde chantant dans la pénombre, le hippie fredonnant des refrains doucereux. Aussi gracieuse soit elle, cette introduction n’était qu’une mise en bouche, une petite friandise avant d’entamer les choses sérieuses.  Avec « the old homestead » le loner enfile le costume de John Wayne country folk qu’il ne quittera plus tout au long de l’album. Ressuscitant l’image du vieux cow boy solitaire, il chante cette « attraction » pour l’Amérique légendaire, celle dont son personnage s’éloigna sur son « cheval fou ». Derrière ce conte, la guitare swingue comme une complainte de Blind Willie Jefferson. Un sifflement fantomatique se fait entendre derrière la mélodie, chant des grands hommes enfouis dans cette terre que le chanteur célèbre.

Après avoir entendu un tel titre, reprocher à Neil Young son patriotisme américain parait ridicule. L’histoire américaine a toujours inspiré ses textes et nourri ses mélodies et , qu’il rêve de dormir avec Pocahontas ou qu’il célèbre le courage des pionniers , c’est la même histoire qu’il met en scène. Preuve de cette constance, le bluegrass de captain Kennedy date de 1975 et est issu des mêmes sessions que Pocahontas. 

Toute une partie du public nostalgique des idéaux hippie, voulait que Neil Young reste le moraliste hargneux d’Alabama, l’idéaliste blessé par les violences policières décrites sur Ohio. Mais, si Neil Young exprima sa révolte contre les dérives américaines avec tant de force, c’est qu’il aimait profondément cette terre qui lui a tout donné, cette tradition musicale qui coule dans ses veines. Comme tout grand artiste, le loner n’est pas le porte-parole d’un camp contre l’autre, sa muse est le seul guide qu’il accepte de suivre.

Si la musique est plus importante que la politique, alors Hawk and Doves est un grand album. Si les paroles, qui ne sont pourtant pas dignes du pire redneck , gênent les oreilles les plus endoctrinées , qu’elles se contentent de ce swing de bouge texan , de cette country festive digne des pionniers, de cette folk entêtante qui restera longtemps gravée dans les mémoires. Non, Neil Young n’est pas devenu chauvin, sa muse a juste changé de décor.                                                                                                                                                          

Neil Young : Live Rust

 


Au fond d’une grande scène, une imposante pile d’amplificateurs semble annoncer un concert particulièrement bruyant. On remarque que des caméras et du matériel d’enregistrement sont positionnés un peu partout près de cette montagne. Neil Young sait qu’il vit un des plus grands moments de sa carrière, il est devenu le conteur d’une époque et souhaite immortaliser cet état de grâce. Pourtant, malgré son impressionnant dispositif, le loner arriva seul armé de son harmonica et d’une guitare acoustique. Le public connaît ce vieux gimmick , il a déjà juré plusieurs fois qu’on ne le séduirait plus avec des moyens aussi basiques. Pourtant, par la seule force de sa prose et de quelques accords gracieux , Neil fit taire cette foule hystérique.

L’ouverture acoustique eut des airs de rite païen, elle ressemble à une procession mystique, le mage Young hypnotisant ses adeptes en quelques formules fascinantes. La beauté des civilisations amérindiennes laissa place au spleen des chercheurs d’or , le passé plus ou moins proche défila à travers cette poésie passionnante. Sugar mountain ramenait tout le monde sur les rives de l’enfance, époque bénie où le monde était à découvrir. Les accords bercèrent la foule, rares sont ceux qui osèrent briser cette communion de leurs cris admiratifs.

Dylan rêvait d’être Elvis , il ne comprenait pas que toute une partie de ces descendants rêvaient désormais de devenir Dylan. Ce soir-là plus qu’aucun autre , ce nouveau Dylan fut Neil Young. Chantant comme un poète au seuil de l’abime il espaça ses accords pour permettre à ses mots de s’imprimer dans les esprits. Sur comes a time , l’harmonica a remplacé le mellotron de la version studio, les accords plus dépouillés ne firent qu’accentuer la somptueuse légèreté de la mélodie. Vint ensuite le fameux piano de After the goldrush , qui eut ici le charisme d’un orchestre et la pureté des grandes ballades folk.

On ne put rêver plus belle introduction pour le « the time they are changin » de cette nouvelle époque. J’ai déjà largement décortiqué « hey hey my my » sur la chronique de Rust never sleep , c’est pourtant dans ce stade que cet hymne prit toute son ampleur. Après avoir affirmé que « le rock n roll ne peut pas mourir », Neil s’apprête à en faire la démonstration.

Derrière lui , les musiciens du Crazy horses prirent place affublés des costumes du Ku Klux Klan. Ne voyez pas dans ces déguisements une apologie du mouvement raciste de Nathan Bedford Forest , il s’agit juste d’une façon de se moquer des mises en scène pompeuses des dinosaures de stades. Avec ce nouveau geste d’insoumission, les punks purent encore constater que Neil était des leurs. Les musiciens branchèrent donc leurs guitares à l’impressionnant mur d’amplis et après le calme vint le déluge.

When you dance I can really love ne fait pas dans la dentelle. Son riff d’introduction gronda comme une avalanche, les accords gras dévalèrent la pente d’un rythme binaire, l’écho des guitares grinça comme des arbres emportés par le déluge. Le refrain culmine sur un boogie déchiré par des accords agressifs, s’éteint au terme d’un solo cataclysmique. Neil profite de cette énergie pour débarrasser « the loner » de son attirail psychédélique.

La puissance du Crazy horse est un bain acide qui n’épargna que la moelle de ce classique, c’est-à-dire ce rythme boogie autour duquel les guitares bourdonnèrent comme une armée de frelons. Pour calmer un peu le jeu, the needle and the damage done permet à Neil d’enfiler de nouveau le costume du troubadour folk. Les arpèges chantent paisiblement, avant que lotta love ne prolonge cet intermède mélodieux sur un texte plus léger. Sur ce lotta love , c’est le hippie de Crosby Still and Nash qui s’exprima , les chœurs évoquant les harmonies vocales de ses ex partenaires.

Il fut ensuite temps de « jouer un peu de rock n roll », cette déclaration annonçant le riff tonitruant de sedan delivery. Dans une chronique sortie quelques années auparavant , un journaliste qualifia le Crazy horse de « savant mélange de folk rock et de hard rock ». C’est exactement ce que fut sedan delivery et les titres qui le suivirent. Les riffs binaires , lourds comme des zeppelins de plombs , explosèrent dans des solos lyriques. Même si la guitare semble presque chanter la mélodie de powderfinger, le riff est parcouru de notes grondant comme un ciel d’orage. De cet équilibre entre la beauté d’une mélodie rêveuse et la puissance d’un groupe trépignant comme un pur-sang maintenu au trot naît un son unique. Ce lyrisme culmine bien sûr sur Like an hurricane, titre qui est au folk rock ce que Whole lotta love est au hard blues , un horizon indépassable.*

Il faut entendre la puissance de son introduction, ce sont de véritables montagnes sonores qui s’élevèrent devant le public. Le mellotron souffla comme un doux blizzard entre ces pics , arrondit les passages les plus tranchants. Débarrassée de sa violence, la guitare atteignit une puissance émotionnelle bouleversante, ce n’est plus une six cordes c’est une lyre amplifiée. Après une telle ascension, les musiciens firent redescendre le public de son nuage à grands coups de blues gras. La violence proto grunge de hey hey my my (into the black) laissa ainsi place à la rage de tonight the night.

Quand les dernières notes saturées s’éteignirent, le public sut qu’il venait d’assister à quelque chose de grand. Ce sont des prestations de cette intensité qui donnent encore un sens au vieux culte du rock n roll. Après avoir assisté à une prestation pareille, on ne peut qu’être convaincu par cette déclaration historique : Rock n roll can never die.