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dimanche 27 septembre 2020

Warren Hayne 6 bis 2 ( parenthèse album solos)



Nous sommes sur une plaine du Tennessee , en 2004 , et le soleil éclaire une scène qui semble perdue au milieu du désert. En face des quelques curieux venus assister au début de sa prestation, Warren Hayne a les traits tirés de celui qui a passé une nuit agitée.

Le cadre du Bonaroo a des airs de nouveau Woodstock, et ne l’encourage pas à balancer le blues abrasif qui fit la grandeur de son ancien groupe. On se croirait plutôt au milieu d’un camp hippie, où l’on s’attend presque à voir Country Joe se pointer sur scène, pour scander son fameux « fuck ».

Alors Hayne va tenter un exercice inédit, et débarque sur scène tel Dylan au festival de Newport, seul avec sa guitare sèche. Dès les premières notes de Lucky , la petite assemblée se fait silencieuse , comme hypnotisée par ses notes mélodieuses.

Ce son , c’est celui de la Californie avant que l’acide ne vienne déformer ses mélodies, un folk de hippie céleste. Devenu barde, Warren Hayne laisse son public suspendu à sa voix habitée. Le lyrisme a remplacé la puissance électrique, et tous semblent s’en réjouir.

La guitare se contente désormais de ponctuer le chant, lui donnant l’écrin capable de rendre ses paroles universelles. Johnny Cash lui-même n’aurait pas renié la puissance épurée de « the real thing », alors que la version acoustique de « I’ve got a dream to remember » renoue avec ce charisme musical, qu’on n'a plus entendu depuis le passage de l’homme en noir à la prison de folssom. 

 Cash avait fait de one un folk désespéré soutenu par sa voix trempée dans le blues. Hayne , lui, transforme le tube de U2 en poème folk digne des grandes heures des hootenanies. Et voilà justement la force de cette prestation, elle renoue avec la ferveur commune aux pionniers de la musique américaine. La voix plaintive flirte avec le son du Mississipi, et les arpèges sont dotés du mysticisme folk rendu célèbre par Joan Baez. 

La prestation ayant démarré à 12 h 30, le public se limite à une centaine de personnes lors des premières minutes. Mais la foule gonfle progressivement, comme si ces arpèges jouaient une homélie irrésistible. Ils sont déjà plusieurs milliers quand Hayne entame fallen down.

Fallen down creuse le sillon théâtral que Springsteen avait si bien exploré sur Nebraska, la scène donnant à cette grandeur acoustique une puissance inédite. Si la musique est surtout un moyen de communier sur autre chose que des textes rétrogrades, alors ce live at bonaroo est un des plus grands disques jamais enregistrés.

Pour clôturer la performance, Soulshine fait revivre les mélodies africaines que Paul Simon sublima sur « graceland ». Rappelant que la musique américaine trouve ses origines en Afrique , soulshine est une folk voodoo dont les dernières notes résonneront longtemps dans le cœur de la foule réunie ce soir-là.   

Warren Hayne représente la tradition musicale de son pays , dans ce qu’elle a de plus intemporelle et poignante. Et Live at bonaroo le fait passer de l’autre côté du miroir, la pochette de ce disque s’ajoutant aux symboles mythiques jalonnant l’histoire du rock.    

 Il a redonné à l’Allman brothers band un éclat qu’il avait perdu depuis le trépas de Duane Allman, avant de s’appliquer à quitter le purisme sudiste. Gov’t mule fut créé pour ça, et la transformation fut encore plus radicale après le trépas de son bassiste. A ses débuts, la mule était limitée par sa formation en power trio, qui la condamnait à reprendre le groove sudiste avec une puissance digne deCream.

Adepte des jams sans filet, la mule était une curiosité coincée entre la virtuosité des frères Allman , et le blues anglophile de Lynyrd Skynyrd. C’était aussi ce qu’il fallait au rock sudiste de cette époque, et l’urgence de poudrières tels que « gov’t mule » et « dose » ont fait autant pour la résurrection sudiste que les grands disques des Black crowes. 

Et puis le temps a passé, l’engouement s’est amenuisé, et la mule a radicalisé sa maturation. On a dit beaucoup de mal de déjà vodoo, la cicatrice laissée par le départ tragique d’Allen Woody était encore à vif. Le public rock est sentimental, et s’attache rapidement à ses formations préférées. Tout changement est alors pris comme une trahison, elle empêche l’objet de sa fascination de rester figé dans le marbre.

Si on prend déjà voodoo avec le recul que nous autorise le temps, on se rend compte qu’il ne fait qu’exacerber ce que le groupe initiait timidement auparavant. La palette de ses musiciens était, dès le départ, extrêmement large. Il la déployait sur scène, à grands coups de reprises déchaînées. Black Sabbath , Hendrix , Neil Young , Fleetwood mac , une bonne partie de la mythologie rock est passée entre leurs mains dévotes.

En studio , life before insanity montrait déjà un groupe plus appliqué , soignant ses arrangements et ménageant ses effets. Je l’ai dit au début de cette chronique, la mule était le vaisseau permettant à Hayne de revisiter son héritage , ses multiples virages étaient prévus dès le départ.

Il ne faut pas mettre de frontière entre son œuvre et celle de son groupe, les deux se complètent. C’est d’ailleurs sur « tales of ordinary madness », sorti en 1993 , que Hayne annonçait les débuts sulfureux de la mule.

Il n’y a donc pas eu, comme certains l’ont écrit, plus de dix ans de blanc entre « man in motion » et le précèdent album de Hayne. Man in motion est la suite de « shout » , « dark side of the mule » , « stone side of the mule » et « sco mule » , il s’inscrit à la suite de ces explorations sonores.

Pour Man in motion, Hayne veut atteindre les terres de la motown , et la soul irrésistible promue par le label stax.  Pour toucher son but, il s’est entouré de pointures ayant côtoyé Keith Richards au sein des X pensive winos , et de grandes figures du Jazz et du funk. On ne s’étonnera donc pas d’entendre un monstre de groove, une chaleur dansante et orgiaque digne de James Brown ou Marvin Gaye.

Warren Hayne se hisse littéralement au niveau de ces chanteurs iconiques , mesurant sa voix pour ne pas brusquer son groove cuivré. Il y’a un peu du band of gypsys dans le riff dansant d’on a real lonely night, une part de Sly and the family stones dans les chœurs enjoués qui composent cette chaleur groovy.  Mais les groovies children tel que funkadelique ne disposaient pas de ces cuivres jazzy pour réchauffer leurs fiestas.  Alors, bien sûr, sur des titres comme man in motion, les enfants du funk peuvent remuer du popotin, en pensant à leurs jeunes années, mais là n’est pas le seul charme de ce disque.

Warren Hayne reste avant tout un bluesman, et ses couleurs funk jazzy vont raviver la splendeur du spleen venu du Mississipi. Hatesburg Husle va encore plus loin, c’est la fusion parfaite de la musicalité soul et de la sensibilité blues. C’est aussi cette union qui fait la grandeur de « a friend to you » , « river gonna rise » ou « your wildest dream ». 

La guitare y oublie toute agressivité, elle se fait délicate pour se fondre dans ses mélodies venues de Memphis. Même quand Hayne revient aux rythmes enjoués qui ouvrent le disque , les interventions solistes de Hayne restent mesurées. Le guitariste attend patiemment son tour, et débarrasse la virtuosité hendrixienne de ses distorsions stridentes.

Le voyage se termine sur une gravité plus sobre, « save me » se contentant d’un orgue et d’un piano pour soutenir la ferveur de Warren Hayne. On retrouve alors la splendeur éternelle du gospel blues, une homélie musicale qui semble enregistrée au milieu d’une église.

Au final, en explorant une nouvelle parcelle de l’histoire musical américaine , Hayne produit un disque sur lequel le temps n’a pas prise. Ses mélodies cuivrées et rythmes funky forment une patine qui lui donne le charme de ces vieux meubles en bois , auxquels l’artisan semble avoir insufflé une partie de son âme.

Man In Motion aurait pu être produit il y a trente ans, et on pourra encore l’écouter dans trente ans avec le même émerveillement.

Warren Hayne semble porteur d’une certaine classe disparue. Qu’il ait régénéré le Allman Brother Band ne lui suffisait pas, il fallait qu’il trace sa voie en solo. « Eatin the note » , « shade of two word , et live at beacon theater » doivent beaucoup au toucher langoureux de celui qui fut le seul capable de reprendre le flambeau de Duane Allman.

L’arrière garde s’empressa de lui tresser des lauriers, criant à la résurrection du blues comme d’autres croient être proche de la résurrection de Jésus. Le blues dont cette arrière garde parlait, n’a existé qu’entre les mains des pionniers, et ressuscite parfois le temps de reprises plus ou moins réussies.                                                     

Les premiers disques de Hayne n’ont jamais creusé le sillon de la nostalgie , et c’est justement cette fraîcheur qui sauva sa carrière. Tonitruant pavé dans la marre , les deux premiers albums de Gov’t mule furent son cri libérateur. Ecoutez « Mullenium » et « live with a little help » , et vous comprendrez qu’à travers ses décibels , le guitariste se libérait du statut de gardien du temple qu’on lui avait collé.

Hayne ne copie pas , il réinvente , labourant les sentiers trop visités du classique rock, pour lui redonner une certaine fraîcheur. Voilà pourquoi je ne ferais pas de séparation entre Gov’t mule et sa carrière solo, ce ne sont que les deux actes d’un processus libérateur. La mort d’Allen Woody n’a d’ailleurs fait que souligner ce constat, Gov’t mule est le fabuleux jouet de son imposant guitariste.  Jazz , reggae , soul , et bien sûr blues , Hayne a exploré toutes ses passions.

La réussite n’étaient pas toujours au rendez-vous , shout est un peu mou , the tell star session manque de verve , mais tous ses disques montrent une certaine classe, qui les place systématiquement au-dessus de la mêlée.   

 Voilà  pourquoi « ashes and dust » représente le cœur de son charisme un peu rustique, mais toujours inventif. Notre homme était fait pour le bluesgrass, cette musique popularisée par le band, et donnant une certaine synthèse de la musique américaine.

 «  Nous nous rebellions contre la rébellion. » Voilà comment Robertson résumait cette musique, qui rendit au jeune peuple une tradition musicale détruite par le progressisme hippie. Le Band fut toujours à côté de la plaque, et c’est bien ça qui rendait ses premiers disques mythiques.

Aujourd’hui, les musiciens reconnus sont plus libres que jamais, les modes musicales ayant disparu en même temps que l’amour que les jeunes leur portaient. Le bluegrass serait donc, d’une certaine façon, dans le coup. 

C’est la musique d’un homme qui sait qu’il n’atteindra jamais la même popularité que ses modèles , mais a renoncé à courir après , pour construire son œuvre. La pochette résume d’ailleurs tout, Hayne paraissant exposé sur le mur un peu austère de la grande tradition musicale américaine. Austère, le bluegrass ne l’est que pour les non-initiés. 

Il est à l’image de l’homme sur cette pochette, sa grâce est juste assez éclairée pour attirer l’œil avide de ceux qui comprennent encore que la beauté est aussi dans la modestie. Les rythmes campagnards de Hayne prennent le temps de laisser les mélodies s’épanouir, l’exubérance électrique de Gov’t mule a fait place à une sobriété d’artisan appliqué.

It’s me or you ouvre le bal sur un violon qui semble sorti d’une grange texane, doté d’une douceur terreuse et nostalgique, blues de paysans chassés de leurs terres. Devant une telle solennité, la guitare s’incline, et se contente de souligner le décor imposé par l’instrumentation acoustique.

Hayne est un des derniers hommes à considérer le guitariste comme un messager au service de la mélodie, vision assassinée par les solos bavards des enfants d’Hendrix.

C’est pour ça que « cold tatoo » sonne comme Mellenchamp période « sad clown and hibillies », ce sont les œuvres de brillants artisans du son. Ce genre de disque n’a pas d’âge, il s’impose au-dessus des vaines préoccupations des temps modernes. C’est une fresque intemporelle, dont la grâce ne fait que monter au fil des titres, ses notes tricotant un tableau glorieux.

Si il est dur d’extraire un titre de ce monument discographique, la reprise de gold dust woman est à ashes and dust ce que sur la route est à Kerouac, un passage prodigieux plaçant la légende au-dessus de la masse bêlante.

C’est une nouvelle mystique que Hayne donne au titre de Fleetwood Mac , la beauté chaleureuse d’une soirée autour d’un feu de camp. Heureusement que Grâce Potter n’a pas tenté d’imiter la voix hypnotique de Grace Slick , lui préférant un lyrisme proche de Joan Baez au milieu de la rollin thunder revue.

Elle sublime ainsi une œuvre qui fait partie des repères définissant un genre, sans s’y conformer totalement. On appelle ça un chef d’œuvre.      

Le passé est un boulet, qui finira par entrainer ce bon vieux rock n roll dans le fossé. C’est un culte morbide qui empêche de voir la beauté quand elle dévoile ses mélodies sensuelles. Cette musique, messieurs, est progressiste, comme tous les groupes de rock devraient l’être.

Je ne parle pas ici du progressisme mondain des critiques rock embourgeoisés, qui achètent leurs vinyles numériques à la Fnac. Non, ceux-là voudraient une révolution à la mai 68. Une jacquerie musicale balayant tout sur son passage. Ils voient la musique comme une série d’explosions, un serpent qui se mord la queue, et pensent qu’aujourd’hui le reptile c’est suicidé.

 Il ne parlèrent du King que pour saluer sa mort, le rocker devant selon eux passer de la gloire au trépas, sans rien laisser derrière lui. Et bien non, le rock ce n’est pas cela, c’est une culture qui s’est érigée par étapes, le passé nourrissant les exploits futurs. Réadapter le blues, voilà la seule chose que firent les rockers, et ce peu importe leur proximité avec la source originelle.

 Alors , maintenant que la chaîne est cassée , que le monument s’est tellement éloigné du socle qu’il semble branlant, le blues revient sur le devant de la scène. Je ne suis pas en train de dire que le hard rock, le psyché, le prog , n’ont servi à rien , au contraire. Ils ont mené à une impasse, nourris de classiques en apparence indépassables, et qui ont engendrés une sève plus pure.  

Régulièrement, certains ont vu le cul de sac venir, et donnèrent naissance au nihilisme punk , au purisme cartoonesque de ZZ top , ou à la pop de prolos de Creedence. 3 minutes , quelques riffs , et un retour à la simplicité de Cochran ou Muddy Waters. Chassez le rock n roll et il revient flirter avec le blues.

Aujourd’hui plus qu’hier, ce virage est éclatant. Gary Clark Jr a gagné un grammy , et Bonamassa , Joanne Shaw Taylord et Keannie Wayne Shepperd se bousculent pour lui ravir sa couronne. Warren Hayne lui, est encore au-dessus de tout ça, c’est un monument historique.

Avec Gov’t Mule , il a participé à la dernière charge glorieuse des sudistes, et l’a un peu prolongé quand les Black crowes ont commencé à lâcher la rampe,  en 1996. Le problème, c’est que cet homme révélé par les frères Allman était bien trop fin pour se laisser enfermer dans un genre.

Alors , au décès d’Allen Woody , la mule est devenue son jouet , qu’il emportait dans des expérimentations plus jazz. A ce titre , « sco mule » renoue avec une somptuosité cool qu’on croyait morte depuis la fin du Mashavishnu orchestra. Par la suite , la mule a navigué sur les chemins tortueux du reggae , et des autres fétiches musicaux de son leader. 

Les ingrédients étaient là, épars, et ils donnèrent leurs premiers savoureux fruits sur son premier disque solo « tales of ordinnary madness ». L’enfant est le père de l’homme, et chaque musicien reste toujours ce gosse écoutant religieusement ses disques de rythm n blues , et de soul.

C’est en tous cas cet enfant qui a influencé man in motion, disque foisonnant et gracieux, que Hayne vient promouvoir sur la scène du Moody theater.  Les cuivres reprennent une place qu’ils n’ont plus eu depuis les belles heures de Sly et sa famille stone, groupe dont «  take a bullet » ressuscite les cuivres dansant autours de solos sensuels.

Sur les ballades comme « sick of my shadow » , ces cuivres soulignent la mélodie , créent un spleen somptueux de vieux baroudeur mystique. Le rythm n blues est à la fête, et copule joyeusement avec ses glorieux contemporains soul et funk. Warren Hayne a ça dans le sang , c’est un Johnny Cash qui aurait troqué son country blues pour un rythm n blues d’une richesse impressionnante.

Contrairement à la plupart de ses contemporains, il ne cherche pas à prendre toute la place, sa guitare est très présente sans être bavarde. Ne s’étiolant pas dans des solos superflus, son phrasé ponctue, sublime, et fait décoller une instrumentation d’une finesse rare.

Hayne est de la vieille école, celle qui voyait la guitare comme un instrument au service d’un groove qui la dépasse, et pas comme le monument autour duquel tout doit tourner. Si il reprend Hendrix sur un « soulshine » tout en finesse , ce n’est que pour saluer cette force mystique qui lui inspira ses débuts en trio.

Hayne fait partie d’une race de musiciens en voie d’extinction, celle qui savait que la beauté de leur jeu dépendait autant des notes qu’ils jouaient que des silences qu’ils entretenaient. A ce titre, « live at moody theatre » mérite bien sa place à coté de «  get yer ya ya’s out » des stones, « live at regal » de BB Kings , et autres monuments vénérés.

Cette bonne vieille tradition vient encore de se réinventer pour un nouveau public.


Warren Hayne 6



Comme je le disais précédemment, Gov’t mule fait partie de ces groupes qui ont besoin de temps pour produire un album. Chacun de ses disques fut le fruit d’un accouchement laborieux, un parcours du combattant où toutes ses influences s’imbriquaient progressivement, comme les pièces d’un grand puzzle musical. Brusquez ce genre d’artiste, et vous obtenez des œuvres mutilées, des canards sans tête aussi affligeants que Human Tuch et Lucky Town de Springsteen.

Mais voilà , la peur d’être oublié poussent régulièrement les groupes à sortir quelques albums bâclés, comme si une nouvelle sortie foireuse allait les maintenir à flot. Mighty Hight fait partie de ces bouche-trous un peu honteux, de ces œuvres balancées comme du fast food musical. Le problème est déjà dans le choix des influences , Gov’t mule ayant décidé de produire tout un album reggae.

Or le reggae est une mode putride, une vibration abrutissante inventée par des jamaicains aux cerveaux ravagés par leurs pétards. Comparer ce ramassis de battements amorphes au jazz , au blues ou au rock , c’est comme comparer les délires névrotiques d’Amélie Nothomb à la « gerbe d’or » de Marc Edouard Nabe. A une époque,  le reggae fut la maladie honteuse du rock, ses battements lourdauds étant néanmoins un peu réveillés par le groupe Police. Seuls les Clash ont réellement donné une allure à cette musique, mais ce n’était plus vraiment du reggae.

Warren Hayne est trop respectueux de ses influences, c’est un moteur qui modèle le carburant qu’il a à sa disposition. Donnez-lui les chants prétentieux de Bob Marley et ses ouailles , et il sonne comme les enceintes des disquaires reggae.

Mighty Hight , est l’incarnation de ce vide qui se prend au sérieux , de ces prêtres rasta à la philosophie de beauf. Toute énergie est tuée dans l’œuf par des rythmes léthargiques , la voie de Hayne perd toutes profondeurs et ses solos semblent hors sujet. Et quand les rythmes s’alourdissent, toujours dans une cadence ralentie, les élucubrations pseudo mystiques d’un illuminé permettent au disque de définitivement toucher le fond.

Comble de l’horreur, le play with fire des Stones est le premier à subir les « Oyoyo ! » débiles d’un zouave décérébré. Le titre a au moins le mérite de prouver que, si Keith Richard était aussi un amateur de ce genre d’étron, son groupe n’a jamais réussi à en tirer quoi que ce soit d’intéressant.

Mighty Hight devait en réalité jouer le rôle autrefois tenu par les albums live , c’est pour cela qu’il est majoritairement composé de reprises. On pourra donc se rassurer en se disant que cette horreur n’est qu’un album de reprises ratées, et que la prochaine création de ce groupe ne souffrira pas de ses égarements.

La basse gronde comme les premières détonations d’un cratère volcanique, elle lave Gov’t mule de sa boue reggae. Down by the brazos est une introduction jouissive, le retour à la fureur heavy blues des débuts.  Avec une telle ouverture, By a thread honore le fantôme d’Allen Woody, montre qu’il n’a pas perdu en intensité ce qu’il a gagné en maturité.

Prévu pour juillet , cet album fut longtemps mis de côté pour permettre à Warren Hayne d’honorer ses engagements auprès du Grateful Dead et de l’ABB. Résultat, quand le disque sort enfin en octobre, c’est un véritable déchaînement, comme si cet album était nourri de toute la frustration cumulée pendant ces mois d’absences. La production est crue, et le clavier autrefois si fringuant se fait très discret face au heavy blues du groupe.

Cette force, c’est l’énergie que l’on croyait enterrée avec Allen Woody, la reprise en main d’une force oubliée. Puissance reste le maître mot de by a thread , et même l’introduction majestueuse de railroad boy est guidée par des accords de basse qui claquent comme des coups de fouet. Le blues introspectif tourne vite à l’assaut groovy, et ZZ top n’aurait pas renié la plupart de ces riffs.

By a thread est le premier album s’inspirant des premiers pas de Gov’t Mule , il est le premier grain de nostalgie dans la grande fuite en avant de Warren Hayne. Les ballades menaçantes rappellent la virtuosité anglophile de dose , le groupe réinvente ses premiers cris dans une orgie bluesy.

Il est certain qu’un tel album n’invente pas la poudre, et que ce n’est pas avec lui que la mule va esquisser le chemin d’une nouvelle exploration. By a thread fait plutôt partie de ces échos agréables qui permettent à un grand groupe d’entrer dans la légende. En s’auto célébrant, Gov’t mule impose définitivement son nom dans la légende du rock sudiste. Ces grondements rappellent l’époque où, après avoir initié le renouveau du hard blues, la mule botta le cul des Black crowes et autres prétendants au trône.

Et même dans un tel déchaînement, le groupe parvient à placer une lumineuse fresque électrique. « gordon jams » voit la mule danser au carrefour du blues et du bluegrass, mélangeant une nouvelle fois les genres dans une envolée, dont les sudistes ont le secret depuis que Lynyrd a joué son free bird. C’est ce qui s’appelle assommer la concurrence avec classe.                

Warren Hayne 5



Voilà notre trio transformé en quatuor, et accueillant dans ses rangs un ex membre des Black crowes. Le message lancé est clair, Allen Woody ne sera jamais remplacé, et cette formation annonce plus une seconde partie de carrière qu’une poursuite d’un chemin entamé dans les années 90. Nouveau venu, le clavier de David Luis montre une volonté de varier les sons et les influences. Issu de ce besoin de se renouveler, Déjà voodoo sort en 2003 , et met fin à 3 années de silence créatif.

Le besoin de se réinventer est affirmée dès le premier titre, où le groove de parliament danse sur un riff gras digne de ZZ top. Là-dessus, les solos s’élèvent, puissante lame de fond chaude comme le soleil du Texas. Les décors synthétiques de David Luis apportent un vrai plus au groupe, il est le cadre qui lui évite de se perdre dans des déchaînements instrumentaux. Guidé par ce décor, Hayne économise ses effets, il ne cherche plus la note la plus percutante mais la note juste.

Les riffs ont acquis la profondeur de sa voix de vieux sage sudiste, les échos de chaque note colorent les formes dessinées par les claviers. Cette économie de moyens n’empêche pas le quatuor de hausser le ton, les sifflements argentés du clavier accentuant encore la puissance de son hard blues. Dans cette optique, perfect shelter est un rock acide réveillant le fantôme d’Hendrix dans une série de solos déchirants. Lola leave the light on fait ensuite penser à AC/DC singeant Deep Purple , sans compter l’orgie musicale qui clôture « silent scream ».

Plus harmonieux, le groupe varie les décors, le clavier de David Luis faisant le lien ses rythmes funky, ses envolées hard blues, et ses mélodies planantes. Une telle osmose permet surtout au groupe de faire décoller ses spleens dans le cosmos.

C’est exactement ce qui se produit sur « little toy brain », ce groove nuageux , blues floydien beau à pleurer. Oui, on parle encore de blues, c’est toujours lui qui dicte le rythme de ce crescendo céleste. Uni dans une lente montée en puissance, Gov’t mule fait exploser sa grâce psyché blues dans un véritable feu d’artifice émotionnel. Un étau bienveillant plonge alors votre esprit dans un coton bienfaisant, voluptueux nuage où l’âme se nettoie de ses peines.

Après une telle envolée, le boogie de slawjack jewel vous fait lentement redescendre sur terre. Derrière la justesse de son riff enjoué  se cache des oasis mélodieux, break rêveur rappelant le paradis sonore que l’on vient de quitter. Déjà voodoo est illuminé par ses passages très aériens, ces lumières gracieuses qui accentuent la variété de ses décors.

Ce qui se dessine ici, c’est une musique débarrassée de la rugosité un peu beauf de la musique sudiste , sans renier l’héritage de Lynyrd Skynyrd. D’ailleurs, avec sa slide larmoyante entrant dans un crescendo dramatique « wine on blood » a des airs de « simple man ».

Déjà voodoo est un nouveau départ et un aboutissement, un album proche de la perfection qui laisse présager de nouvelles merveilles.

Quelques jours après la sortie de l’album, profitant de l’essor du numérique, Gov’t mule diffuse l’intégralité de ses concerts en téléchargement payant sur son site. Il réinvente ainsi la coutume qui consiste à combler une période de vide créatif par la sortie d’un ou plusieurs albums live.

Il faudra attendre trois ans avant de voir arriver un nouvel album de Gov’t mule. Paradoxalement, ce disque si attendu reprend les choses là où déjà vodoo les a laissé. Hight and Mighty s’ouvre sur Mr High and Mighty , un hard rock bluesy qui flirte avec le feeling binaire d’AC/DC. La formule va progressivement se complexifier, le groove s’enrichir, et le groove viril remplace l’énergie directe du boogie rugueux. Brand New Angel fait groover les fantômes de Point blank , ces pistoleros maudits venus du Texas.

Progressivement, Gov’t mule reprend sa position à la frontière du rock anglais et américain, sa musique célèbre la rencontre entre le blues massif de Mountain et le tranchant épique de Deep purple. De plus en plus marquées, les ballades planantes atteignent les mêmes sommets émotionnels que « little toy brain ». Gov’t mule vous laisse un peu plus planer sur ses nuages bienveillants , au mid tempos de so week so strong succède le blues rêveur de child of the earth , qui ouvre la voie au final enivrant endless parade.

Entre temps, le divin blues aura ressuscité l’alchimie rock de Led zeppelin sur like flies. Ce titre est le celebration day de la mule , son orgie de cassures rythmiques et de déchainements solistes formant un troisième élément. Le disque en lui-même est construit comme un symbole de ce que le groupe veut construire, sa rugosité laissant progressivement place à une musique puissante mais pleine de contrastes.

Des titres comme Brigther day cachent leurs violences derrière une slide séduisante, alors que sa hargne bucolique termine sa course sur une envolée de piano poignante. On passe ensuite d’une ballade sudiste aux accents gospels, à une jam jazz rock reprenant l’éternel dialogue liant le jazz et le blues.

La véritable surprise vient avec « uring the bell », dont la rythmique semble avoir quitté le sol américain pour la Jamaïque. Au milieu de cette danse reggae, la voix de Hayne se fait encore plus profonde, le bluesman est devenu le nouveau prêtre de la religion rasta.

Hight and Mighty est le prolongement logique de déjà voodoo, un disque qui brille autant dans ses ballades que dans ses envolées hargneuses. Il prouve aussi qu’un album de Gov’t mule est un joyau qui est poli pendant de longs mois, pour atteindre le summum de sa beauté. La suite nous montrera que le groupe a besoin de ces longues périodes de silence créatif pour briller.   


samedi 26 septembre 2020

Warren Hayne 6 bis (parenthèse live)

 



Ces derniers temps, je reviens souvent à l’idée selon laquelle les frontières entre le blues, le jazz, et le rock sont bien minces. Chuck Berry était un fan des grands jazzmen, qui lui mirent un coup de couteau dans le dos historique, sur le film « jazz on a summer day ». Au début les musiciens défendaient leur chapelle, autant pour préserver leur gagne-pains que par conviction. En perte de vitesse dès la seconde partie des années 50, les jazzmen ne tenaient pas à être enterrer par des manchots tout juste capables d’aligner trois accords.

 

Mais il y’avait, dans ces éructations libidineuses , une énergie increvable. Plus opportunistes et rationnels, les grands bluesmen reconnaitront leurs héritiers, et profiteront largement de l’explosion du rock. Salués comme les inventeurs de cette puissance libératrice , Muddy Waters , John Lee Hokeer, et autres vieux routards, connaissent un second âge d’or dans les sixties.

 

Le blues ne sera pas le seul à être récupéré par des anglophones en pleine boulimie d’innovation sonore. Le Jazz , lui aussi , ressuscite via les mélodies délirantes de soft machine , la folie sauvage des stooges trouve ses fondement dans le free jazz, et Zappa part dans des improvisations interminables , suivant ainsi les enseignements de Miles Davis et Coltrane.

 

La conquête est totale, l’harmonie entre les genres parfaite, et c’est au tour du grand Miles de se frotter à sa descendance. En pleine enregistrement de Bitches Brew , il affirme solennellement avoir réuni le meilleur groupe de rock de tous les temps. 

 

A l’origine de ce flirt jazz rock, on en revient encore au sud américain. Lieu béni où tout a commencé, la terre natale de Muddy Waters et Elvis accouche ensuite de l’Allman brother band.   

 

Sorti en 1969, le premier album du groupe est l’annonciateur d’une virtuosité qui s’épanouit glorieusement sur « live at fillmore ». Là, sur la scène d’une salle qui annonce la musique de demain, l’Allman brother band se livre sans filet. Le groupe est un vaisseau rutilant, qui démarre sur un blues rock carré , avant que Duane ne fasse décoller sa carcasse à grand coup de solos vaporeux. 

 

Si les Allman Brother sont les jazzmen du blues , alors Duane est leur Miles Davis , celui qui transcende le tout en plaçant ses notes au moment clef. Cette grâce virtuose, cette union solenelle de musiciens connectés à la perfection dans un groove blues jazz, le groupe va la perdre avec son soliste.

 

Lynyrd prend alors la suite quelques années plus tard, mais la formule n’est plus la même. Tout évolue très vite, et le groupe de Vand Zant est déjà le fruit d’une autre époque. Fasciné par le blues boom anglais , Lynyrd part dans une direction plus pop. Pour lutter à armes égales avec led zeppelin ou les who , les guitares sont plus incisives , les improvisations plus tonitruantes, le jazz se fait la malle. 

 

Loin de moi l’idée de dénigrer un groupe aussi essentiel, ou de relativiser l’importance de la vague qu’il a entrainé. Je souligne juste qu’il mettait fin à une certaine vision de la musique sudiste. Les Allman Brother n’ont absolument pas été régénérés par leur descendance, bien au contraire. Mené par un Gregg Allman ayant trouvé refuge dans la boisson, le groupe décline progressivement. Même l’excellent « brother and sister » n’a pas intéressé grand monde , et rares sont ceux qui écoutent les albums suivants.

                                          

Et puis le groupe va trouver un nouveau moteur en la personne de Warren Hayne. Aussi doué en soliste qu’a la slide , Hayne entraine l’ABB vers un retour aux sources. Régénéré , l’ABB sort d’abord « shade of two word » , qui renoue avec la beauté chaleureuse de leurs débuts. Mais Hayne est aussi un improvisateur inventif, autant friand de blues binaire que d’épanchement jazzy, et le live au beacon theater fait renaître la flamme perdue depuis la sortie du live at fillmore. 

 

En parallèle, l’Amérique s’est lassée des mélodies mielleuses des années 80, et l’authenticité revient à la mode. C’est d’abord le sud post Allman qui en profite avec le succès des Black crowes. Les riffs à mi-chemin entre les Stones et Led zeppelin montrent un groupe faisant renaitre l’héritage de Lynyrd Skynyrd. L’histoire bégaie, mais la musique portée par l’ABB n’en sera pas une nouvelle fois victime. 

 

Warren Hayne est plein de projets , et profite de ce contexte favorable pour les réaliser. Sorti en 1993, son premier album solo ne s’est pas vendu autant que les premiers succès des Black crowes, mais l’essentiel n’est pas là. Tout en puissance groove , le disque posait les bases du projet qu’il réalise ensuite avec Allen Woody. 

 

Les deux hommes partagent le même amour du blues virtuose, amour qui nourrit la puissance du premier album de Gov’t mule. A une époque vouée à la puissance sonore, on se pâme sur cette violence crue , qui fait dire à beaucoup que le jimi hendrix experience a trouvé un nouveau descendant. Comme l’Allman Brother Band , Gov’t Mule privilégie l’efficacité sur ses disques , qui paraissent presque pâles à coté de ses prestations sur scène. C’est d’ailleurs le groupe des frères Allman qui lui met le pied à l’étrier, en l’invitant à faire sa première partie.    

 

Les premières minutes que le groupe passe face à son public sont capitales, elle conditionne ce que sera le reste de sa carrière. Et c’est précisément ces premières minutes que l’on découvre sur « the georgia bootlegs box ». Pour marquer le coup, le riff de blind man in the dark sonne comme une sirène annonçant le règne de nouveaux conquérants. On pourrait rapprocher cette puissance menaçante avec l’immigrant song de Led zeppelin , le groove en plus. On découvre d’emblée à la face la plus directe de la mule, celle qui pointait si bien son nez sur le premier album. Cette force, Gov’t mule la revendique clairement lorsqu’il reprend le pachydermique « don’t step in the grass sam »,  le brûlot proto hard rock de Steppenwolf.   

 

Mais la Mule ne partage pas la précipitation fulgurante du groupe de John Kay. Sa puissance, il lutte pour la perpétuer dans de longues improvisations, où il salue Zappa , Pink foyd et Grateful dead au détour d’instrumentaux plus apaisés. On passe du Mississipi à la Californie, de la hargne hard blues à la folie psyché prog.

 

Et puis l’envie de faire parler la poudre se fait de nouveau sentir, et le groupe entérine sa conquête sur un young man blues à faire rougir Towshend , avant de saluer la puissance irrésistible de Billie Gibons sur « just got paid ».

En cette année 96 , Gov’t mule achevait de réhabiliter cette vieille virtuosité sudiste. Le Jazz et le blues flirtaient de nouveau sous le regard bienveillant de la fée électricité, et Duane Allman aurait sans doute regardé ça avec un sourire plein de satisfaction. 

 

 

 

Le roxy theater restera , pour beaucoup , la salle où Zappa atteignit le sommet du free jazz déjanté. Dans ce décor respectant parfaitement la grandiloquence de Los Angeles , le fou à moustache a donné les plus grands concerts de sa vie , accompagné du plus grand groupe qui l’ai jamais porté .

 

Comme lui , Gov’t mule va vivre ici une soirée historique, le début de son virage vers une musique plus mature. On ne le répétera jamais assez, mais « dose » était le sommet d’une musique foudroyante, qui ne pouvait que s’émousser au fil des répétitions.  En vieux routard, les américains cherchèrent leurs voies sur scène, espace de totale liberté, où ils développaient des improvisations uniques. 

 

A ce titre, le premier disque constitue le début de la route, la mule fouillant dans ses influences comme un guerrier du blues faisant l’inventaire de ses armes. Vient bien sûr d’abord le blues, et ce thorazine shuffle rallongé avec bonheur, dans la pure tradition des frères Allman. Cette ouverture représente le socle permettant au groupe de décoller sans perdre pied, c’est la sève savoureuse d’une œuvre qui ne cesse de ce complexifier.

 

A la fin du titre, Hayne souhaite à son public une bonne année 1999, époque célébrant un rock alternatif dont il est très éloigné. Comme pour enfoncer le clou de cette différence, le riff plombé de « war pigs » vient secouer les murs de l’impressionnante enceinte. La version des sudistes est moins sombre , moins immédiate aussi , le trio ne pouvant s’empêcher de rallonger ses coups de tonnerre à travers de savoureuses improvisations.

 

On reconnaîtra à leur batteur le mérite de faire oublier la frappe assommante de Bill Ward , le groove du groupe donnant au tout un coté plus puissant que braillard. Hayne n’est pas Ozzy , et son chant plein de lamentation, allié à ses solos virtuoses achève de prouver que , à une certaine époque, le sabb prêchait bien le même culte que les pionniers du hard blues.

 

Le clou est enfoncé par cette version habitée de 30 days in a hole , le brûlot rock d’Humble pie, transcendé par la force d’une jam où son énergie viscérale pactise avec  l’épaisseur graisseuse engendré par le zeppelin de plomb.  On ne s’étonnera pas que « mr big » referme ce premier ballet d’hommage, la finesse rugueuse de Free ayant donné un second souffle au rock venu du sud-américain.  

 

Déjà transcendé sur son premier album studio, Mr Big s’ouvre sur un solo qui semble demander la bénédiction des pionniers du Chicago blues. Puis vient ce riff inusable, boogie lancinant au feeling vicieux. Les anglais ont toujours cherché ce son, cette grâce traditionnelle, mais seuls les américains semblent capable de l’exprimer avec autant de pureté.

 

Le blues anglais a toujours eu quelque chose d’un peu hors sujet, une finesse mélodique plus pop que purement blues, c’est sa grandeur et son plus grand complexe. La mule ne fait pas exception à la règle, qui veut que les musiciens américains sont réellement habités par le blues, et donne au titre de Free un nouvel aboutissement.

 

Du boogie , on en aura encore une bonne tranche avec ce « look on yonder wall » , au riff sautillant que n’aurait pas renié Status quo du temps de sa splendeur. Un piano bastringue fait son entrée, subtile annonce d’une deuxième partie de concert où le groupe semble se métamorphoser. 

 

On part ensuite sur quelque chose de plus sophistiqué, comme la superbe intro jazzy de soulshine. Le feu d’artifice se fera alors plus mélodique, plus musical aussi, comme pour donner plus de profondeur à une performance des plus intenses.

 

Et c’est cette seconde partie, où les jams du groupe laissent percer leurs douceurs cajoleuses, qui s’avère la plus intéressante. Le tout trouve son point d’orgue sur « Cortez the killer », monument du loner, dont la mule étire le folk méditatif sans en amenuiser la beauté bucolique.

 

Beaucoup penseront que la seconde vie de Gov’t mule ne démarrera qu’à la mort de son premier bassiste, mais les germes d’une seconde partie de carrière grandiose se trouvaient déjà sur ce disque.  

 

 

 

Notre époque manque de passeurs, ces artistes capables de faire entrer la tradition dans l’ère moderne. Et c’est précisément ce que fut Gov’t mule dès ses débuts, un power trio venu mettre un grand coup de pompe dans l’héritage des seventies , histoire de voir quel visage il aurait après ce vivifiant outrage. Je ne vais pas m’étaler une nouvelle fois sur les albums studios, qui donnèrent un vent de fraîcheur au rock du sud américain,  ceux-ci ne sont rien comparés à ses prestations scéniques.

 

Là, devant un public qui ne sait à quoi s’attendre, Gov’t mule arbore un nouveau visage, émaillant ses prestation de reprises qui sont autant de réappropriations d’un glorieux répertoire. Enregistrer ce groupe le jours du nouvel an était plus qu’une coïncidence, c’était l’affirmation que le rock survivrait à ce nouveau millénaire.

 

Paraphrasant le MC5 , Warren Hayne déclare fièrement : « it’s time to choose if you want to be part of the problem or if you want to be part of the solution ». La dessus, le riff de bad little doggie déboule de manière tonitruante. Ce n’est pas une simple ouverture, c’est le cri d’un groupe qui fait sa nouvelle mue, les guitares déchirant son feeling hard blues dans des saillies sonores dignes des grandes heures du rock de Détroit.  

 

Même sur la power ballade « blind man in the dark » , il plane une tension orgiaque , comme si le groupe savait qu’il vivait un moment fort de sa brillante carrière. On se prend littéralement cette rythmique lourde en pleine figure , Matt Abts martelant ses fûts avec une violence que n’aurait pas renié John Bonham. Le titre est aussi l’occasion pour Hayne de placer un solo déchirant au milieu de la tempête, solo qu’il fait durer pendant quelques vivifiantes minutes, son groupe restant concentré sur son feeling , comme un équilibriste sur sa corde.

 

Cette fascination qu’engendre les longues envolées instrumentales est intemporelle , c’est la lutte du musicien pour garder sa justesse, dans un moment qui ne lui laissera pas de seconde chance. A ce jeu-là, Gov’t mule se distingue toujours , même si il a remplacé le coté méditatif des frères Allman par une puissance plus proche de sa génération.

 

Si on est envoûté par l’ouverture tout en finesse de « life before insanity », c’est parce qu’elle renforce la virulence du  riff binaire qu’elle introduit. Cette façon de souffler le chaud et le froid au sein d’un même morceau n’est d’ailleurs pas sans rappeler Led zeppelin , inspiration que le groupe revendique à travers une vibrante version de dazed and confused. 

 

Le talent de Warren Hayne , comme celui de Page à sa grande époque , c’est d’avoir su flirter avec des rythmes moins simples , des mélodies plus raffinées , sans perdre cette excitation liée à la musique la plus basique. Son groupe a beau multiplier les cassures rythmiques , partir dans des jams à rallonge comme si il lançait le moteur d’une puissante machine , on a toujours l’impression que le voyage se termine trop tôt. 

 

C’est que Hayne sait trousser une mélodie, qui revient entre les instrumentaux, comme une apothéose, avant de s’effacer de nouveau derrière une nouvelle charge bluesy. Ce bon vieux Warren joue de la guitare comme Coltrane joue du sax , ces improvisations lui permettant d’oublier toute mesure. Là où les autres auraient enchaîné trois notes, il en case le double, ne se reposant que quand il se recentre sur des mélodies toujours dotées d’une chaleur jazzy.  

 

Lointain descendant de Mick Bloomfield, il sait se faire discret et sobre sur les lamentations enivrantes de towering fool , avant de se lâcher sur une countdown jam qui ressemble à un manifeste. 

 

Nous voilà près pour un voyage en forme d’inventaire, la pression orgiaque ne redescendant que le temps de l’intervention de Little Milton , venu célébrer le Chicago blues à l’heure du nouveau millénaire.  

 

Les reprises s’enchaînent comme autant de dépoussiérages. Sans surprise , c’est « 21st century schizoid man » qui suit le décompte annonçant le début des années 2000. Le titre était déjà le plus virulent épisode de l’histoire du rock progressif, la mule en fait un blues zeppelinien, corrosif et irrésistible. Le manifeste paranoïaque du roi cramoisi n’a jamais était aussi vibrant, Hayne dressant un monument à la gloire du hard blues , le temps d’un solo massif comme un obélisque dressé en l’honneur de ce nouvel âge.

                                                                                     

 Helter Skelter n’a jamais été aussi puissant, we’re not gonna take it place le rythm n blues à un autre niveau d’énergie rythm n blues, et les frères Allman sont célébrés à travers une version accélérée de end of the line. On redescend ensuite dans les terres country folk du band , comme si les sudistes avaient besoin de retrouver leurs racines le temps d’une reprise respectueuse de « I Shall be released ».

                                          

Cette ballade prépare le terrain à une reprise de simple man, qui voit le groupe troquer sa violence rythmique contre un lyrisme allant crescendo jusqu’aux fameux refrains. Voilà où se situe la grandeur de Gov’t mule , ses reprises se glissent dans son répertoire naturellement , elles puisent aux mêmes sources et brillent du même éclat.

 

A l’image d’un Dylan, le groupe n’a plus qu’à interpréter ses titres au gré de ses lubies, accélérant ou ralentissant ses tempos, et transformant la mélodie le temps d’un concert. Le musicien est alors un mage qui manipule ses formules devant un public médusé. Cette fascination n’a pas d’âge, elle s’affranchit des époques, montrant ainsi que le rock, comme la musique de Gov’t mule, est éternel.    

 

 

 

 

 

Lorsque ce live est sorti, en 2014 , les puristes ont du se demander ce qui était arrivé à Gov’t mule. Certes , le groupe a toujours pris un malin plaisir à parer le blues sudiste de ses dorures mélodiques. Les premiers albums annonçaient donc la renaissance de ce rock rugueux, qui se parait désormais de sonorités plus complexes, d’un son au pouvoir de séduction moins immédiat.

                                                                    

Les trois premiers disques gardaient pourtant une puissance groovy propre aux enfants de Lynyrd , tout en laissant deviner une virtuosité qui ne demandait qu’à s’épanouir dans des univers plus larges. Un compromis entre la rugosité de leur Amérique profonde et la puissance mélodique des plus grands groupes anglais, voilà ce que représentait la mule. Mais de là à crier son amour d’un symbole de la pop élitiste il y’avait une marge.

 

Nous voilà donc, encore une fois face à cette vieille peur : les messies que les rockers avaient choisis étaient-ils en train de nous faire leur aveu d’impuissance. On en a vu tant s’étioler dans le bain visqueux du passéisme putride, que la peur nous serre le cœur à chaque reprise, et le moindre hommage est fatalement déclencheur de soupçon. Le rock est comme l’homme, s’il ne bouge pas il s’affaisse, perd toute puissance de séduction, et finit par ne susciter que dégoût et rejet.

 

Voilà pourquoi les jeunes préfèrent le rap au rock. Certes le rap est con, mais il s’agit d’une connerie variée, foisonnante, aussi inépuisable que celle qui qualifie une bonne part de l’espèce humaine.  

 

Alors, pour dissiper toutes ses peurs , la mule lâche les chevaux dans une ouverture où il dynamite ses classiques. Les solos ravageurs de Warren Hayne renouent alors avec la puissance des débuts, pendant que les claviers nous préparent en douceur à la prestation d’un groupe, qui ne cessera de troquer la naïveté de ses premiers cris contre une nouvelle forme de beauté musicale. Une approche en douceur du « côté sombre de la lune », voilà ce que représente la première partie de ce concert, le gang de l’ex Allman produisant un boucan digne d’une fusée en plein décollage, pour rassurer ses passagers sur les capacités de l’appareil dans lequel il embarque.

 

On commence à entrevoir les décors lunaires grâce à un instrumental fiévreux , ou eternity breath est transformé en groove spatial , avant de laisser place à une version dépouillée du fameux riff de St Stephen. Avec une rare intelligence, Gov’t mule parvient à s’approprier l’ambiance fascinante d’eternity breath , St Stephen enchainant sur une énergie beaucoup plus directe. Comme si le groupe dessinait sa propre dualité à travers ce passage majestueux.

 

Le premier décollage a eu lieu, mais il est rapidement suivi d’une dernière escale sur terre, le temps de refaire parler la poudre. Et puis le groove change progressivement de forme, la mélodie passe lentement devant la puissance électrique, comme si la brute avait laissé place au poète.

 

C’est que Gov’t mule a muri depuis le départ tragique de son premier bassiste , et ce live commence à ressembler à une victoire du groupe dans son long combat vers la maturité. J’avoue pour ma part apprécier autant la première période que la seconde, et je ne suis visiblement pas le seul à apprécier que Gov’t mule puisse faire autre chose que du blues tueur de tympans.

 

La preuve, lorsque Warren Hayne annonce un set « vraiment spécial » , et que les premières notes de child of the earth résonnent , le silence se fait et une autre magie commence à faire effet. Vient ensuite « shine on you crazy diamond » , qui nous permet de saluer l’humilité d’un guitariste qui n’a pas cherché à singer la beauté atmosphérique du jeu de David Gilmour.

 

A la place, il fait entrer le groupe dans un jazz cotoneux et éblouissant, le prodige spirituel naissant de l’alliance de ces musiciens plus attachés  à leurs buts qu’à leur égo.  C’est encore une nouvelle spiritualité qui semble ressortir de ce moment merveilleux, où le public uni comme un seul homme déclame les fameux vers de wish you were here. Cette ballade dédiée au génie perturbé que fut Syd Barett devient alors un hymne universel, la perte de ce grand homme résonnant dans chaque cœur d’une façon différente, mais avec la même force. Si il y’a une force supérieure, elle se situe dans ces refrains , qui nous attirent pour mieux nous élever. La musique ayant réussi à produire des moments de communion que la religion ne peut que singer gauchement.  

 

Et ses classiques, que le public a choisi de s’approprier, Gov’t mule les encre entre ses compositions, comme si ils étaient issus du même moule. Il fait ainsi plus que rendre hommage à un monument qui brillera toujours tel un diamant fou , il justifie un virage élitiste que beaucoup semblait lui reprocher depuis la sortie de « déjà voodoo ».

 

L’élève est allé chercher auprès du maitre la matière capable de justifier sa nouvelle existence, et les deux parties se sont régénérées à travers cet échange plein d’humilité.  

 

                   

La disparition violente d’Allen Woody , au début des années 2000 fut un choc pour tous les fans de Gov’t mule. Le bassiste était le moteur du groupe , celui qui permettait à ce jams band de développer une énergie dévastatrice , capable de rivaliser avec la puissance zeppelinienne des black crowes. La tragédie se situe surtout dans le fait que, après un début de carrière tonitruant, le groupe commençait à se diriger vers un rock plus complexe. Timidement esquissé sur « life before insanity », ce virage prometteur permettait au groupe de produire des ballades aux arrangements fouillés.

                                                         

On pensait que cette évolution n’avait pas eu le temps d’aller plus loin lors de la période Woody, mais une vidéo est venue tous chambouler. Publiant ses hommages au compte-goutte , Warren Hayne a diffusé un extrait d’un live que le groupe effectua au Roxy , en 1999.

 

Nous sommes quelques mois seulement avant la mort de son bassiste et, avide de découvrir de nouvelles sonorités , Gov’t mule a invité John Scotfield à se joindre à eux le temps d’un concert. Le guitariste fait partie des pionniers de cette fusion entre le blues et le jazz, qui contamina le rock dans les années 60-70.Cette fusion, il la développait déjà en compagnie de Gerry Mullighan et Chet Baker, avant de rejoindre un John Duke qui ne jouait pas encore avec Zappa.

 

Nourri par ses deux influences, l’homme a publié une série de disques qui s’insèrent dans le revival jazz porté par Zappa , soft machine , et autres fils du grand Miles. La rencontre entre l’icône du jazz et les représentants modernes du rock sudiste se fera autour d’une série de titres piochés dans le répertoire des deux artistes , de John Coltrane, et de James Brown.

 

La rencontre entre deux des plus grands guitaristes vivant auraient pu faire craindre un duel pompeux, une série de mitraillages visant à aligner le plus de notes possibles. Heureusement, il n’en est rien, et les musiciens oublient totalement leur ego. 

 

Charger de diriger les explorations de ce nouveau big bang , Allen Woody est étonnamment à l’aise dans ce registre plus groovy. Dans un premier temps, la puissance tout en finesse qu’il développe avec Matt Abbs fait forcément penser aux Allman Brothers. Le rythme sautillant, parcouru de divagations hypnotiques , est dans la droite lignée de ce que le groupe de Duane livrait sur « in memory of Elisabeth Reed ».

 

Mais Hayne et Scotfield ont aussi fait leurs classes dans un tribute band de Grateful dead , ils savent comment faire évoluer une mélodie. Le rythme se fait de plus en plus doux , les instrumentaux deviennent de confortables édredons sonores , et l’odeur du jazz se fait fortement sentir. On ne dira jamais assez de bien de afro blues et devil like it slow , qui flirtent avec les grandes heures du Mashavishnu orchestra.

 

Ce n’est pas pour rien que ce disque est totalement instrumental, toute parole aurait brisé la beauté de cette symbiose virtuose. Les musiciens n’effectuent pas des reprises dans le sens le plus strict du terme , mais plutôt dans la tradition des grands big bang de jazz. Le titre est un repère, une base qui permet aux musiciens de progressivement construire une symbiose unique. La musique devient alors l’expression d’âmes unies dans un combat visant à maintenir la force mystique qu’ils ont créé.   

Cette symbiose permet au groupe de développer une version plus raffinée du groove de funkadelique, sans que l’on ait l’impression de changer d’univers.  

 

 

Warren est-il le Ronnie Van Zandt de notre époque ? Son entrée dans l’Allman Brother’s Band signa le dernier âge d’or du groupe de Macon. Virtuose de la six cordes , Hayne apportait une certaine classe au blues terreux de « Shade Of Two Word ». C’est aussi pendant son passage au sein de l’Allman Brother Band qu’il rencontra Allen Woody.

Les deux hommes partagent bien sûr l’amour du blues , mais aussi une culture rock impressionnante , qu’ils souhaitent mettre au service de leur propre formation. Ainsi né Gov’t Mule , un groupe fait pour dépasser les clichés et limites du rock sudiste. D’abord un power trio , il apporte au rock sudiste ce que Hendrix apporta au blues rock : une révolution.

On ne peut que regretter que ses premiers disques , flirtant avec le hard rock anglais et la pop , tout en restant solidement plantés dans les terres du sud américain, n’aient pas fait plus de disciples. C’est que la formule si personnelle de la mule exige autant de virtuosité que de conviction, et les jeunes préfèrent souvent parcourir les chemins balisés par les grands des seventies ou les Black Crowes.

Puis, en 2000, Allen Woody part rejoindre Duane Allman, ce qui est loin de tuer le groupe. Le parallèle avec le drame vécu par les Allman Brother n’est pas anodin. Comme eux la mule ne sonnera plus de la même façon après ce coup du sort. Le groupe des frères Allman trouva son salut dans la tradition, accentuant sa sonorité country pour faire oublier les tensions internes. La mule, elle, préfère la fuite en avant.

Toujours plus ambitieux, le groupe n’a cessé de livrer des productions de plus en plus soignées , et des compositions aussi alambiquées que charmantes. Les musiciens avaient alors atteint un statut important, au point de réunir la nouvelle et l’ancienne génération sur un « shout ! » où Elvis Costello laissait place à Myles Kennedy.

La première partie, composée des compositions jouées par le groupe, montrait une machine bien huilée et au sommet de sa grandeur. Alors que le second disque, chanté par des invités, était une célébration du rock comme on n’en a produit peu depuis le rock'n'roll circus.

Certes , les albums studios nécessitaient parfois plusieurs écoutes afin d’apprécier pleinement les fresques instrumentales des sudistes, mais on était sûr que le jeu en valait la chandelle. Le groupe ne voulait pas se laisser fossiliser et, sorti en 2014, ses disques d’hommages étaient les témoins de cette intention de réinventer le passé à sa sauce. C’est d’ailleurs un extrait de « Dark Side Of the Mule » qui marque d’abord l’esprit quand on écoute ce live, Gov’t Mule transformant le space rock d’ « Eternity Breath » en blues mystique, laissant place à un « St Stephen » transformé en boogie virtuose.

Les titres des derniers albums , eux, gagnent paradoxalement en efficacité , comme si le groupe de Warren Hayne tricotait toutes ces fresques pour atteindre l’évidence. C’est que le groupe maîtrise un art qu’on croyait perdu depuis l’époque des jams band , une façon de maintenir la tension à son intensité maximum , tout en la parsemant d’explosions éblouissantes de classe. Les compositions deviennent ainsi de véritables épicentres, autour desquels se diffusent ses tremblements hard rock ou jazzy.

Le temps suspend ainsi son envole pendant un solo Pagien, avant qu’un saxophone relaxant ne vienne convoquer le fantôme de Miles Davis. Les titres deviennent des prétextes à une grande cérémonie, où l’esprit de l’auditeur est propulsé par un groove réconfortant, vers des sommets qu’il ne souhaiterait plus quitter.

Les musiciens deviennent alors de glorieux mages face à une foule de Devos, la musique prenant une teinte mystique. Ce soir-là , au Capitol Theater , le public eut l’impression de vivre bien plus qu’un simple concert.

 

 

samedi 12 septembre 2020

Warren Hayne 4

 Deja Voodoo de Gov't Mule sur Amazon Music - Amazon.fr

La mort d’Allen Woody a mis un coup d’arrêt à l’aventure Gov’t mule, le choc était trop fort pour trouver un remplaçant au deuxième fondateur du groupe. Hayne a donc soigné son traumatisme en se réfugiant dans l’ombre de l’Allman brother band, et on ne verra plus son nom dans les bacs des disquaires pendant trois longues années. Les Allman sont eux aussi dans une mauvaise passe, la mésentente entre Dickey Betts et Gregg Allman étant arrivée au point de non-retour. Gregg finit par évincer celui qui fut le partenaire de son frère, mais les procès intentés par Dickey Betts paralysent le groupe. Sorti vainqueur d’une bataille qui a durée plusieurs années , l’ABB s’offre les services de Dereck Truck, qui forme vite avec Hayne un duo grandiose.

Cette nouvelle formation entre en studio, et hittin the note sort enfin en 2003. Plus mélodieux que celui de Dickey Betts ,  le jeu de Dereck Truck offre au groupe un son plus jazzy. Les titres s’allongent, les douceurs jazz psychédéliques poussent comme des champignons magiques , les solos se croisent et s’enlacent sur un rythme boogie. Si Shade of two word sonnait parfois comme un hommage à un blues très pur, hittin the note revient à un mojo plus libre. Le vrai purisme brille ici, dans ces divagations qui réveillent les fantômes de Charlie Mingus et Bo Diddley. Le musicien puriste n’est pas un homme qui ressasse toujours les mêmes plans comme un dogme inviolable. C’est au contraire celui qui les réinvente pour entretenir la splendeur de sa musique.  

Dans ce cadre, les Allman enrobent leurs blues dans les notes d’un clavier chaleureux comme le saxophone de Sonny Rollins. Les racines sont plantées par une rythmique qui se nourrit de la régularité implacable des premiers albums du gang . Là-dessus,  les mélodies s’élèvent comme ces grands chênes, qui semblent exister depuis des millénaires. Les rythmes varient les cadences , créent une liberté qui accouche d’une variété de sons et d’ambiances. Le spectre sonore de ce disque va du groove funky de « firrin line » , au spleen champêtre de old before my time. On est embarqué dans un vieux train, sur les rails de l’histoire musicale américaine , et les ombres de James Brown , Miles Davis , ou des Outlaws se laissent admirer à travers ses fenêtres.

Hittin the note impose le duo Hayne/Truck comme l’un des plus brillants que les Allman Brother aient connu. Sa classe est comme une plante qui aurait sa tête dans les étoiles, tout en restant solidement enracinée  dans ses terres. Il fallait bien une réussite telle que celle-ci pour que Warren Hayne retrouve progressivement l’envie de sortir de l’ombre.

C’est une grande fête, l’hommage du fils du blues à un de ses parrains. Le Jazz fest de la Nouvelle Orleans a été créé pour entretenir les liens étroits qui unissent le jazz au blues et au rock. Régulièrement, une poignée de rockers au swing cuivré s’y réunissent pour saluer l’âme de Charlie Parker, et de ceux qui grâce à lui se sont mis à jouer.  

En cette année 2003, la tradition des grands big bang sera totalement respectée. N’ayant pas pris le temps de chercher un remplaçant à son bassiste, Gov’t mule joue avec les musiciens de passage ce soir-là. Du côté de la set list, ils se font plaisir , en jouant les titres sur un coup de tête. La spontanéité est parfaite, elle permet de ne mettre aucune barrière entre les musiciens et l’émotion engendrée par leur retour. C’est une vingtaine de bassiste qui se succède au côté de Gov’t mule , des pointures telles que Roger Glover , John Enthwiste , Jack Cassady , pour ne citer que les plus illustres.
Dans les trois heures qui furent immortalisés dans « the deppest end » chacun pourra retenir la facette de la mule qu’il préfère. Dans cette grande fête, les survivants de la formation originale expérimentent, se rapprochent de splendeurs abandonnées, redécouvrent leur palette sonore et la profondeur de leurs mélodies.

On retrouve cette capacité à faire groover le tranchant du hard rock anglais , comme si Lynyrd s’était mis à jouer avec Deep Purple. Cette puissance de feu constituera une bonne partie du premier disque de ce double live, elle explose sur le duo ravageur « blind man in the dark » et « bad little doggie ». Les riffs de ces titres sont de véritables sirènes apocalyptiques , qui prennent toute leur ampleur menaçante sur scène. On est dans le même registre que « Immigrant song » , ce titre où la guitare de Page et les hurlements de Plant sonnaient vraiment comme l’assaut sanguinaire des terribles vikings.

Un peu plus tard , Jason Newsted embarque le groupe dans son passage le plus violent , qui est paradoxalement son plus faible. En plus de montrer que Metallica a perdu toute sa finesse avec la disparition de Cliff Burton il prouve aussi que les musiciens rock et métal sont aussi antagonistes que le rock et le métal eux mêmes. Le bassiste sacrifie tout à la puissance sonore, suit les plans dictés par Black Sabbath sans parvenir à se les approprier. Avec lui, « sweat leaf » et « war pig » sonnent comme un hommage appliqué mais plat, un clin d’œil sans intérêt. Au final, les deux reprises ressemblent à un cheveu de sorcière dans une soupe bluesy.

Heureusement, il y a ces moment hors du temps, où le groupe sculpte patiemment ses mélodies.  C’est lors de ces moments que les genres se rencontrent et s’enlacent, que les frontières artificielles séparant les différentes musiques américaines s’écroulent.

Sur John the revelator , Warren Hayne nous refait le coup du prophète hypnotisant la foule. Introduisant le titre seul, sans instrument pour parasiter son charisme mystique, il a l’aura fascinante d’un Johnny Cash chantant le folk au crépuscule de sa vie. Cette voix qui s’élève dans cette arène, c’est le cri de rage des oubliés de l’américan dream et l’homélie saluant le courage des pionniers. C’est l’expression de l’histoire d’un pays qui connut ses grands drames et ses gloires. Les instruments entrent ensuite dans la danse , et le saxophone salue la mémoire de Charlie Parker , celui qui « permit aux autres de souffler ».

Le Jazz et le blues reprennent alors un dialogue entamé dans les bars de Chicago, et que Gov’t mule incarne désormais mieux que personne. On ne parle plus vraiment de Jazz , de blues , on admire juste le résultat d’un mélange dont on ne discerne plus les ingrédients.

Les moments les plus marquants de ce concert sont dans les envolées chaleureuses de Sco mule , dans la transe voodoo de John the revelator , sans oublier cette jam digne de Jethro tull sur 32/20 blues. Avec ses collaborateurs d’un soir , Gov’t mule dessine le chemin de son avenir.

Ce qui était prévu comme un point final digne de l’histoire du groupe laisse entrevoir des lendemains radieux. Ces hommes avaient foulé la scène du jazz fest en se disant qu’il devaient écrire une fin digne de leur histoire , ils en ressortent avec la conviction d’avoir un avenir.    

Warren Hayne 3

GOV'T MULE: Dose: Avis/Chronique

La batterie déclenche des détonations sismiques, la guitare hurle comme une sirène annonçant l’apocalypse. Cette ouverture sur blind man in the dark est chargée de toute la puissance accumulée lors de la dernière tournée. Second album du groupe , Dose ne pouvait trouver meilleure introduction. Le groupe déclenche une tempête heavy rock, broie le fantôme de l’Allman Brother Band dans un riff sanguinaire. Déjà joué lors du concert au roseland balroom , trane est une poudrière menaçant de s’enflammer. Tout le charme de ce titre tient dans son groove pesant, sa noirceur menaçante.

Les chorus de guitare rugissent comme une bête prête à mordre , la batterie semble marquer le pas d’une procession funèbre. Dose est un second disque tendu , ses jams sont tranchantes comme un solo de Ritchie Blackmore. Thelonious Beck transforme le boom boom de Hooker en explosion heavy rock , un séisme donnant à chaque pulsation de batterie des airs de décharges dévastatrices. Warren Hayne ne retient plus ses coups , ses solos tonnent désormais comme des décharges de canons frappant le mur de la tradition sudiste. Entre deux éruptions, des titres comme game face laissent la mélodie s’envoler dans des bulles aériennes , doux relent psychédélique réveillant les grandes heures de San Francisco.

La violence de Gov’t mule n’est pas un artifice pour impressionner le chaland, c’est un ingrédient dans son tableau rempli de contrastes. Cette violence accentue la grandiloquence des refrains, donne au chant des airs de supplication face à l’apocalypse , et la puissance reste un émissaire au service de la mélodie.

La ballade towering fool annonce une seconde partie plus apaisée. La mélodie est douce , presque tendre , c’est un ange que le groupe n’ose brusquer. Les solos rendent hommage à ce blues tranquille , ils s’élèvent comme David Gilmour sur Confortably numb. Ce genre de blues rêveur fait le lien entre le monde virtuose du Floyd et la rugosité sudiste , il rappelle que Gov’t mule se nourrit à ces deux mamelles antagonistes. La basse de « Birth of the Mule » sonne d’ailleurs comme la contrebasse de Charle Mingus , dirigeant ainsi un free jazz heavy, dont les saccades boogie saluent la naissance du rock sudiste. Là-dessus, la guitare hurle comme une âme damnée,  elle fait penser que le Black sabbath des premières heures s’est joint à cette improvisation folle.

La gloire de Warren Hayne se situe justement dans cette capacité à marier la carpe et le lapin , en restant fermement enraciné dans le passé. Il faut entendre son groupe reprendre John the revelator de Blind Wille Johnson pour comprendre. Ce qui était un gospel blues terreux devient une grande messe voodoo aux accents bluegrass.

Pris dans ce tourbillon mystique , les lamentations de Warren Hayne semblent tutoyer les grands esprits. La tradition danse une valse fascinante, les fantômes du passé accouchent d’une mélodie unique. Les mélodies de Gov’t mule ont le charisme de ces vieux disques qui dorment dans les caves des grands labels, ces documents retraçant une époque où tout était à inventer.

Les critiques pourront toujours chercher , dans le moindre solo ou la moindre note , les traces d’un plagiat de classiques du passé. Cette recherche laborieuse ne fera que faire grandir leur admiration face à cet édifice novateur fait d’un bois venu d’un autre âge. Si le groupe parvient à rapprocher des éléments en apparence opposés , c’est qu’il joue comme si tout restait à inventer.

Après tout , Chuck Berry n’a fait qu’accélérer le blues , Sun Ra a joué du bebop pendant des années , et les premiers hard rockers n’étaient que des bluesmen blancs. Mais ceux-là s’étaient approprié ce patrimoine , et l’emmenaient progressivement sur des chemins de plus en plus inexplorés. C’est exactement ce que fait Gov’t Mule avec ce Dose.

Ce second album est aussi le début d’une période de maturation qui va, progressivement, mener la mule à produire des mélodies de plus en plus riches.

Après la sortie de Dose , Gov’t Mule effectue une série de concerts monumentaux , où il réinvente ses standards entre deux titres de ses albums. ZZ top , Black Sabbath , Neil Young , les classiques se réinventent ainsi dans des prestations qui n’ont rien de nostalgiques. Sorti après cette série de concerts triomphaux , life before insanity est un disque plus anglophile que son prédécesseur. Le boogie le plus gras côtoie ainsi les mélodies tolkenniennes de Led Zeppelin , les ballades font preuve d’une douceur pop digne des sixties. Il y a un monde entre wandering child et life before insanity , Gov’t mule dessine de nouvelles contrées et nous guide à travers ses décors.

La mélodie féerique de « life before insanity » rappelle les paysages fantastiques d’house of the holy, alors que bad little doggy suit les leçons de Led Zeppelin IV. La rythmique s’emballe , ralentit brusquement, change de direction brutalement , et les solos décollent au milieu de cette terre pleine de cratères impressionnants. Cette alchimie musicale est celle qu’initia Jimmy Page, grand druide du hard rock alliant l’ombre menaçante du rock le plus dur , et la beauté lumineuse de mélodies épiques.

Your Burden Down permet à Gov’t mule de ramener cette magie en Amérique, d’appliquer ce procédé aux terres plus traditionnelles de la musique américaine. Le synthé purplelien entre dans une chevauchée sanguinaire , qui donne au boogie blues un tranchant inédit. Incantation de l’esprit d’Howlin Wolf dans un chaos heavy , le titre est un puissant hommage aux martyrs des champs de cotons.

Puis vient ce qui restera comme le sommet de la première période de la mule , fallen down. Ce titre dépasse toutes les étiquettes , c’est une pop solennelle comme les vieux blues , un blues drapé dans la finesse séduisante de la pop, une homélie musicale appelant Dieu sur un solo céleste. Autant l’avouer, la mule n’a jamais fait mieux que ce titre , ce qui ne veut pas dire que life before insanity est son meilleur album. Ce troisième disque montre encore un groupe à peine sorti de l’œuf, il fait encore partie des premiers pas d’une formation qui ne demande qu’à mûrir.

Life before insanity montre  un groupe qui s’emballe dans de grandes orgies heavy , des éruptions impressionnantes sans être complétement maitrisées. Si beaucoup considèrent les trois premiers albums de la mule comme des sommets indépassables, c’est par attachement à la formation originale.

La fin brutale de la première formation de la mule a entrainé une forme de nostalgie qui a beaucoup nuit à la suite de la carrière du groupe. Quand, quelques mois seulement après la sortie de Life Before Insanity , Allen Woody fut retrouvé mort d’une overdose , tout le monde savait qu’il emportait l’identité du trio dans la tombe.

Si il est vrai que les trois albums qu’il a produit avec le groupe sont des classiques incontournables , que le groupe ne sonnera plus jamais de la même façon , il entame tout de même une seconde partie de carrière brillante.

Mais avant la renaissance vient le temps du deuil.