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samedi 27 mars 2021

Nouvelle rock Détroit : épilogue



Le lendemain, Alain avait l’impression d’avoir passé la nuit la tête sous une enclume. La boisson de Ted était si forte, qu’il ne se rappelait plus comment il était rentré dans cet appartement. Il n’était plus revenu ici depuis la fin de la tournée des Stooges , et eut même du mal à trouver le lavabo. Après s’être plongé la tête dans l’eau froide, histoire de soigner une gueule de bois carabinée, Alain fit un tour des lieux.

En passant dans le couloir, il remarqua que la porte avait été enfoncée. Il se rappelait avoir laissé tourner le premier album des Stooges en partant. Irrités par la sauvagerie géniale de ce rock destroy, les voisins durent appeler la police pour mettre fin à ce boucan. Les types avaient sans doute frappé plusieurs fois avant d’enfoncer la porte. Ces abrutis n’ont même pas regardé si la porte était fermée à clef, ce qui n’était bien sûr pas le cas. Les flics ne sont qu’une petite milice minable, qui donne à la population une mentalité de collabo que n’aurait pas renié Vichy.

Il faut bien remarquer que, plus les états sont faibles , plus leur police en arrive à ce genre de surveillance du quotidien. Ce qu’ils appellent le citoyen est alors flatté dans ses plus bas instincts, on le caresse dans le sens du poil pour le rendre fier de sa veulerie et de sa servitude. En appelant les flics, monsieur moyen se sent important, il s’imagine en agent du bien luttant contre le manque de civisme de la société. Le type qui dénonce ses voisins pour des motifs aussi bas qu’un disque joué un peu trop fort ne vaut pas mieux qu’un agent stalinien. Et puis, si gardien de la paix était une tache aussi sacrée,  si ce métier était si essentiel à la société, on ne le réserverait pas systématiquement aux personnes les plus stupides.                                                                                             

Alain n’était pas au bout de ses surprises. Sur le tourne disque, quelques feuilles étaient posées négligemment. La première lui annonçait que son album des Stooges était gardé comme « pièce à conviction »… Il se rappelait encore que son départ s’était fait à 11 h, donc en pleine journée, et que le « crime » dont on l’accuse n’a dû durer que 15 minutes. Avec cette première déclaration, les forces du désordre avaient laissé trois amendes. La première était justifiée par des « cris enragés troublant la quiétude du voisinage » , la seconde pour « martèlement portant atteintes à la santé mentale du voisinage » et la troisième pour « pollution sonore provoquée par un bruit amplifié ». Ce n’était pas une amende mais une chronique d’album ! Et tout ça pour coller trois prunes pour le même motif !  

Dans leur logique, Alain serait venu hurler à la porte de ses voisins, aurait envoyé un disque encore plus violent, bref il aurait justifié l’existence des farces de l’ordre par quelques enfantillages ridicules. Les flics ne prospèrent que de ce genre de petites bêtises, elle leur permet de se sentir utile à quelque chose. Ce n’est pas pour rien que l’on a envoyé l’armée réprimer la grande révolte de Détroit, en plus de manquer de réflexion les flics ne se risqueront jamais à réellement faire leur travail. C’est tellement plus facile de se pointer dans un quartier à peu près tranquille , de constater un délit imaginaire , et de maintenir les derniers hommes libres et droits dans la peur de la répression.

Pour flatter les flics il suffit de s’avilir , de montrer sa peur de la sanction et d’insister sur sa souffrance de pauvre homme moyen frustré par la preuve de vie de son voisin. La plupart des conflits de voisinage sont d’une laideur écœurante, on appelle jamais les cognes pour rétablir la justice mais pour soulager sa jalousie.

Le voisin a une plus grosse voiture, s’habille bizarrement, ou aime juste écouter de la musique le week end, tous les prétextes sont bons pour justifier la médiocrité du délateur moyen. De leur côté, les miliciens modernes adorent ce genre de délateur, qui les accueillent souvent avec un respect qui va jusqu’à la flatterie outrancière. Les policiers n’existent que pour ce genre de cirque lamentable, leur existence ne peut qu’engendrer la révolte des derniers hommes libres. A l’heure actuelle, les hommes libres sont assez nombreux pour leur faire avaler leurs képis lors de révoltes aussi grandioses que celle de Détroit. Mais viendra bientôt le jour où monsieur moyen imposera sa bassesse à tous… Quand on parvient à des méthodes pareilles on peut imaginer que ces milices en viennent à empêcher les gens de sortir , de travailler , de vivre. On rassurera monsieur moyen en lui disant, si c’est à cause d’une maladie, qu’il sauve des vies. Cette phrase, ressassée comme un mantra par des médias aussi pourris que leur gouvernement, sera comme la caresse donnée à un chien obéissant.

Et puis l’état subventionnera la soumission de monsieur moyen, débloquant des indemnisations pour réaliser son rêve de vivre dans l’oisiveté la plus totale. Dans ce système, les policiers auront un rôle essentiel, maintenir les gens dans la prison qu’est devenue leur logement. Oh ces minables ne ce pointeront pas dans les coins chauds ! On inventera bien une justification pour les en dispenser, à moins que la télé n’en parle tout simplement pas. Le flic ne fera peur qu’à monsieur moyen, il le remettra à sa place quand celui-ci essaiera de sortir de son confinement. Alain imaginait déjà les amendes de 130 dollars … 6 fois plus que pour un trafiquant de drogues !  Mais ces divagations n’étaient sans doute que le résultat d’une colère légitime provoquée par une bavure insupportable. Le jour où un pays libre en arrivera à de telles extrémités, on pourra vraiment dire que l’humanité a touché le fond.

Pour oublier tout ça, notre chroniqueur courut vers le concert de Ted Nugent. Arrivé là-bas, il ne fut pas surpris par le public. La plupart de ces hommes étaient des ouvriers, certains n’avaient même pas pris le temps de retirer leur bleu de travail. Pour Alain cette assistance était de bon augure, elle allait dans le sens d’un rock ayant pris le relais du blues. Musique des noirs américains par excellence, le blues était l’expression de la vie du peuple noir, le mojo représentait ses peines, ses joie , son génie. Le rock lui, devenait désormais le blues du prolétariat blanc, celui qui se tue 8  heures par jour à l’usine pour sortir un salaire qui lui permet à peine de vivre.

Nugent arrivait enfin sur scène, sa gibson ayant l’air énorme devant son corps rachitique. Le concert démarre par un motor city madhouse qui semble vouloir faire exploser les usines de la ville. Ted est à la guitare ce qu’Iggy Pop est au chant, un gladiateur sauvage et indomptable. Aussi imposante soit elle, sa guitare est martelée, griffée, secouée avec une violence sans nom. Quand il joue, Ted Nugent donne l’impression de refroidir un ours à main nue, chaque accord est un hurlement qu’il arrache à sa guitare aux prix d’efforts surhumains. Et puis il y’a ce feeling, cette série de détonations d’autant plus impressionnantes qu’elles ne s’égarent pas dans des gimmicks pompeux.

Ted a juste décuplé la violence du rock n roll originel, ses accords sont une mitraille tuant Hendrix pour la seconde fois. Chaque concert de rock devrait être un meurtre, le meurtre de tout ce qui existe et  à existé, le premier accord doit être le génocide de tous les autres. A ce jeu , Nugent fait table rase du guitar hero hendrixien , il montre une voie plus primitive et violente. Ce jeu rythmique en diable, ces solos assez courts pour rattraper le train infernal de la rythmique, c’est tout ce que le hard blues devrait toujours être. Nous pouvons refermer le périple d’Alain sur cette prestation incendiaire, elle constitue un dernier point d’orgue à sa quête. Malgré leur fin brutale , le MC5 et les Stooges ont enclenché un incendie qui allait bientôt s’étendre en dehors de Détroit. Du spectacle macabre d’Alice Cooper au punk de New york , la rage des groupes croisés dans le parcours de notre chroniqueur va vite revitaliser le rock américain. Mais c’est encore une autre histoire, que nous ne manquerons pas d’explorer bientôt.                                                                                                                                                         

Nouvelle rock Détroit 7


 

« Lève tes mains ou je t’allume ! »

Alain venait à peine de sortir de son bus qu’un type hurlait ces mots derrière lui. Il n’était pas seul à cet arrêt, il ne pouvait donc être sûr que ces hurlements lui étaient adressés. Dans le doute, il leva ses mains, et continua d’avancer assez lentement pour ne pas faire penser qu’il fuyait. Il reçut soudain une béquille si violente, qu’il était étalé sur le ventre avant d’avoir pu voir le visage de son agresseur.

« Retourne-toi que je dégomme ton groin de porc gauchiste. »

Alain se retourna en tremblant, et fut surpris de découvrir le gabarit de son agresseur. L’homme était maigre comme un épouvantail, seule sa longue tignasse bouclée donnait un peu d’épaisseur à ce corps sans épaisseur. Le visage de cet homme arborait une épaisse moustache à la gauloise, qui faisait un peu penser à un lointain descendant du général Custer. L’agresseur avait armé le percuteur de son colt, ce qui donna à Alain un réflexe salutaire. Dans un geste de défense ridicule, notre chroniqueur tendit ses mains devant son visage, ce qui lui donnait la posture d’un enfant effrayé par la colère paternelle. Toujours est-il que ce geste fit de l’ombre à un visage ébloui par le soleil , ce qui permit à l’agresseur de se rendre compte de son erreur.  

« Mais tu ne pouvais pas le dire que tu n’étais pas John Sinclair ! J’ai bien failli te faire sauter la cervelle ! ».

Alain ne prit pas le risque de lui expliquer qu’il ne pouvait pas deviner l’objet de sa fureur. Et puis, il connaissait quelques guitaristes qui lui auraient volontiers fait la peau. Il osa encore moins préciser qu’il avait rencontré Sinclair, le type aurait été capable de le torturer pour savoir où l’activiste gauchiste se cachait. Il était plus sage pour lui de se taire, et de laisser son agresseur poursuivre ses éructations.

Alain ne put toutefois s’empêcher de sursauter quand le type l’aida à se relever. Comment un corps aussi mince pouvait-il avoir une telle poigne ! L’agresseur s’appelait Ted Nugent et Sinclair distribuait régulièrement des tracts pour faire fuir son public. Alain écoutait ses explication plus par contrainte que par envie, Ted était armé et partir aurait pu lui valoir une balle dans le dos. Arrivé devant un bar, Ted proposa de lui « payer une boisson d’homme pour se faire pardonner ». Inutile de préciser que notre chroniqueur n’osa pas refuser.

Le bar … Qu’on aurait presque pu nommer saloon tant l’on s’attendait en rentrant à rencontrer John Wayne arborant son étoile de shérif, était digne des meilleurs westerns hollywoodiens (pléonasme ?). Ted sauta littéralement sur une chaise placée face au comptoir, qu’il cogna en hurlant « Mister envoie la réserve du mexicain ! ».

Le taulier fut le seul à ne pas sursauter sous l’effet de ce hurlement sauvage, comme si ce dingue venait lui hurler cet ordre à l’oreille tous les jours depuis des années. Le patron apporta donc, avec une nonchalance assez charismatique, deux verres d’un liquide dont l’odeur pouvait suffire à vous rendre ivre mort. En posant les verres sur le comptoir, il regarda Ted avec un visage trahissant une colère enfouie prête à s’exprimer.

«  Tu sais Ted , je ne sers pas des alcools ici mais des spiritueux ! La différence peut paraître abstraite à un sauvage de ton espèce, mais elle devrait t’inciter à être plus discret. Je tiens donc à te signaler que mes clients ne sont pas des ivrognes, soulards , alcooliques et autres déchets de la société, mais des hommes spirituels. Boire un verre ici c’est un peu comme aller à la messe et, sans vouloir te vexer, tes hurlements d’Orang-outan gâchent un peu la solennité du lieu. Je sais que je te demande de te civiliser depuis seulement dix ans, ce qui est assez peu quand on sait que le singe ne devint un homme qu’après des siècles d’évolution. Mais je te préviens que le prochain débordement m’obligera à exploser ta cervelle de brute ! »

Vexé par cette diatribe, Ted n’eut pas le temps de bouger un doigt avant que le barman ne braque une carabine à double canon sur son visage d’excité.

«  Si tu me files pas ton biniou je vais enfin pouvoir mettre un peu de plomb dans ta tête vide ! Et au sens propre en plus ! »

Techniquement, Alain aurait pu profiter de cette altercation pour se sauver, mais le fait que Ted était musicien lui donnait envie de le connaître un peu mieux. Il vida donc son verre en même temps que son interlocuteur, et eut bien du mal à se retenir de tousser comme un silicosé en phase terminale.

T : Toi t’es un homme ! le dernier mec à qui j’ai proposé ma boisson a fait un malaise … Y’en a même un qui est devenu aveugle.

Ted dit ça en vidant tranquillement son chargeur sur le comptoir, avant d’y poser l’arme devant le barman, qui le prit avant de reprendre tranquillement son service.

A : Faut avouer que c’est plutôt une boisson d’homme.

T : Je connais une polonaise qui en prenait au petit déjeuner.

A : Sinon ils font jouer que des ploucs campagnards ici ? 

Sur la petite scène installée au fond de la salle, un groupe jouait une country soporifique. Un pack de bière trônait aux pieds des musiciens, qui semblaient ralentir le tempo à chaque canette vidée. Quand Alain fit sa réflexion, les country rockers  en étaient à leur dixième bière , ce qui leur donnait un tempo capable de faire passer le Buffalo Springfield pour un groupe de hard rock.

T : C’est vrai qu’ils sont bien entamés … D’un autre coté je les comprends.

C’est bien la première fois qu’un regard pensif s’imprime sur le visage tendu de Ted Nugent, et Alain n’allait certainement pas perturber ce moment rare. 

T : Tu sais, je tourne depuis que j’ai 17 ans, j’ai connu une bonne partie des querelles qui ont agités le rock ces dernières années. 

Ted s’interrompit quelques secondes dans son discours pour avaler un autre verre. Son breuvage, qui aurait rendu n’importe quel homme normal ivre mort, ne faisait que le plonger dans une réflexion passionnée. L’alcool a cet effet sur les hommes intelligents, il libère l’esprit et laisse la pensée s’épanouir. A ceux qui voient l’alcool comme un poison menant aux pires bassesses, Ted prouvait que boire n’avilissait que les esprits vils, les intellects au raz des pâquerettes , les hommes au cerveau de musaraigne , bref ces nuisibles à qui l’on trouve toujours une excuse.   

T : Tu sais que j’ai sauté de joie en apprenant ce qui s’était passé à Altamont, les hippies hypocrites voyaient enfin les limites de leur religion. Combien de fois j’ai vu ces pacifistes enragés hurler sur des groupes country rock ou rock n roll traditionnel. Un soir, j’étais dans un bar de Californie après un concert , je cherchais un endroit où l’on pouvait entendre des musiciens dignes de ce nom. Tu sais que,  dans certains coins , la seule chose que tu peux entendre c’est un pouilleux crado miaulant « the time they are changin »… Bref, les types ont pris place sur scène , ils s’appelaient Creedence Clearwater Revival. Les gamins envoyaient le bois, ça swinguait comme à Memphis, mais la police de la pensée s’en est mêlée .

Les fachos peace and love se sont mis à hurler « fachos ! fachos ! », si fort qu’on entendait plus le swing grandiose de Creedence.

A : Comment peut-on traiter un groupe de rock n roll de fasciste.  

T : La jeunesse a sombré dans le gauchisme le plus écœurant. Pour eux, le rock trop pur n’est qu’une country accélérée. Et la country est pour eux la musique des prolos blancs racistes.

A : C’est vrai que j’ai déjà lu ce genre de bêtises quand Dylan a viré country.

T : Je n’aime pas sa musique mais je dois avouer que sur ce coup le petit Bob en a eu une sacrée paire ! Tu imagines un peu le choc quand les types qui chantaient « the time they are changin » l’ont vu rejouer girl from the north country avec Johnny Cash ?

A : Il ne faut pas exagérer non plus , aujourd’hui ceux qui vomissaient ces albums country à leur sortie les considèrent comme des tournants historiques.

T : Parce que le psychédélisme hédoniste s’est cassé la figure . Tu ne peux plus chanter somebody to love quand un taré a massacré une femme enceinte pour déclencher des émeutes raciales. Du coup les clochards célestes sont revenus sur terre pour jouer la musique des « prolos blancs racistes ».

A : Ca se tient , et ça explique surtout le virage des Byrds , du Grateful dead , ou plus récemment que quelques membres du Jefferson airplane aient formé le groupe country rock Hot tuna.

Cette remarque menait Alain à la conclusion que le rock de Détroit était une des conséquences de la fin du rêve hippie. Mis face à des atrocités du calibre d’Altamont ou des meurtres de la famille Manson, l’utopie hippie s’était radicalisée. Les black panthers menaçant Hendrix ou tirant sur Miles Davis, pour la seule raison que ces deux musiciens ne soutenaient pas assez leur cause, la radicalité de hippies menaçant des musiciens au nom de leur pacifisme, les amateurs de paradis artificiels se noyant dans l’héroïne, toutes ces horreurs étaient la conséquence de la fin du rêve peace and love.

En niant la violence de la nature humaine, les partisans du flower power n’ont fait qu’engendrer une société plus violente et plus sectaire qu’elle ne l’a jamais été. Louis Ferdinand Céline disait, dans les années 50, que la victoire du communisme démasquerait l’homme. Selon lui, débarrassé de toute oppression l’homme apparaitrait tel qu’il est vraiment. C’est-à-dire une ordure.

La fin du rêve hippie a eu le même effet sur la jeunesse, ses instincts primaires refoulés par cette religion athée se libéraient dans une débauche de violence culturelle. La violence de certaines critiques de Dylan ou de Creedence clearwater revival correspondait à un idéalisme qui voulait conquérir le monde par la culture. L’incarnation la plus flagrante de cet assaut gauchiste fut bien sûr le fameux kick out the jams du MC5. Avec ce disque, le rock de Détroit se nourrissait de la rage post peace and love , qui s’exprimait ensuite même à travers les groupes les moins politisés.

John Sinclair et Ted Nugent étaient les symboles de deux visions du monde qui ne feront que se radicaliser dans les années à venir. Malgré le fait que sa musique n’exprimait aucune idée politique, Ted Nugent représentait ce prolétariat blanc qui ne supportait plus les absurdités de la jeunesse gauchiste. Les excès d’un camp nourrissaient ceux de l’autre, et la gauche la plus niaise semblait affronter les délires d’une droite des plus chauvine et autoritaire. Le combat de coqs virait vite au diner de cons, et seul le rock ressortait grandi de cette bataille ubuesque. La violence de l’époque nourrissait les riffs sanguinaire de la motor city , ce carburant explosif provoquait son bombardement rock.

Quand Alain eut fini ses réflexions , son interlocuteur posa un ticket de concert sur la table.

« Soit à l’heure demain si tu veux voir le rock botter le cul de cette époque pourrie. »

Et la mince silhouette quitta le bar avec le charisme mystérieux de Charles Bronson dans Il était une fois dans l’ouest.                   

nouvelle rock detroit 6

 


Après le ravageur chant du cygne stoogien , Bowie vint rejoindre Iggy backstage. Les deux hommes s’étaient déjà rencontrés lors d’une soirée historique , où Iggy se fit photographier en compagnie de Bowie et Lou Reed. Si cette photo ressemble aujourd’hui à une icône représentant l’âge d’or de l’avant-garde seventies, Iggy et Lou ne jouissait pas d’un niveau de popularité comparable à celle de leur ami anglais. Après le succès de Ziggy Stardust , tout ce que touchait Bowie semblait se changer en or. Alors il se mit à rembourser ce qu’il devait à celui qui l’a tant inspiré. Son travail de production sur « transformer » permit à Lou Reed d’obtenir un succès dont il ne pouvait même pas rêver avec le Velvet.

Les chœurs glam de David , alliés au jeu étincelant de Mick Ronson , firent si bien leur travail, que walk on the wilde side tournait en boucle sur toutes les radios. Cet hymne à la débauche, cette description crue du bas fond new yorkais, devenait ainsi aussi populaire qu’une bluette des Beach boys. Bowie réussit avec Transformer à imposer la prose la plus subversive de Lou , sa production était le calice obligeant l’Amérique puritaine à avaler le rock toxique de Lou Reed jusqu’à la lie.

Quelques jours plus tard , Bowie était devenu fan d’un groupe de rythm n blues en pleine descente aux enfers. La sauvagerie de Mott the hoople n’avait rien à envier à celle des Stooges , mais elle était livrée avec plus de finesse. Dirigé par un poète rock fan de Dylan , le Mott était un wagon rock incapable de s’accrocher à une quelconque locomotive. Leur premier album laissait entendre un groupe de hard blues dans la lignée des swingin' sixties , mais cette époque était déjà mourante. Rendu inaudible par le hard rock, le premier essai du Mott atterri presque immédiatement dans les bacs à solde. Ne voyant dans cet échec qu’un coup du sort , le gang enfonce le clou avec mad shadow , sorte de rythm n blues proche des Who réarrangé  à la sauce américaine. 

Alors que le label island commençait à sérieusement se lasser de ces rockers inadaptés à leur époque, Mott the hopple décide enfin de changer de direction. C’est ainsi que, sous l’influence d’un psychédélisme se transformant en country rock , le Mott produit le bucolique wildlife. L’album est un chef d’œuvre, mais ne parvient pas à profiter du succès d’american beauty , sweatheart of the rodeo , et autres monuments terreux produit par d’ex hippie repentis.

Après un dernier album anecdotique, island décide finalement de laisser tomber cette cause perdue. Bowie refusant de laisser disparaître un tel groupe, il produit leur prochain album. Suivant à la lettre le schéma qu’il a lui-même inventé sur Ziggy Stardust , il aseptise un peu la violence rythm n blues du gang , met en avant le chant fascinant de Ian Hunter , et laisse Mick Ronson poser sa guitare sur ce nouveau classique. Pour porter l’album, il offre au groupe « all the young dudes », hymne ultime du glam, qui propulse Mott the hoople au niveau de Slade et autres superstars glam rock.

Il est donc évident que, si David se retrouve dans la salle où les Stooges effectuent ce qui doit être leur dernier concert , ce n’est pas par hasard. Lorsqu’il apprend que les Stooges viennent de se faire lâcher par Elektra , il donne rendez-vous aux musiciens au studio MCA, où ils pourront enregistrer un nouvel album. L’affaire commence mal, Iggy vient de virer les frères Asheton , et les auditions organisées pour leur trouver un remplaçant sont un désastre. Finalement, l’iguane rappelle les frères terribles de Détroit, avec qui il enregistre Raw Power en quelques jours. Cette rapidité est surtout due au fait qu’Iggy a réussi à obtenir une liberté de création totale. Les dirigeants de CBS ne savent donc pas ce qui s’enregistre dans leurs studios.

Le jour de l’avant première , le responsable de CBS poussa un cri terrifiant , à mi-chemin entre un coq brulé au troisième degré et un chat castré à vif. Il se mit à hurler « Ces abrutis vont couler ma boite ! » , « CBS ne survivra pas à une telle horreur ! » Alain  avait beau essayer de lui expliquer l’importance de cette hargne brute, l’influence qu’aurait une telle bombe électrique, l’entrepreneur ne put que hurler un dernier appel à l’aide « Bowie sauve nous ! »

Le golden boy anglais accepta donc de remixer Raw Power, mais il n’avait pas assez de marge de manœuvre pour réellement transformer ce déchainement de haine en succès pop. Iggy refusait de réenregistrer la moindre partie  d’un album qu’il considérait, à juste titre , comme son chef d’œuvre. Bowie dut donc se contenter de mettre le chant très en avant, celui-ci était toutefois si violent, que ça n’adoucissait en rien la puissance de l’album. Comme prévu , le troisième monument stoogien fit un four , CBS lâcha donc le groupe , et Iggy partit se désintoxiquer dans un hôpital psychiatrique.

De son coté, Alain retourna à Detroit, où il écrivait quelques articles pour des magazines locaux. Les Stooges lui avaient redonné la foi, et il était convaincu que Détroit n’avait pas poussé ses derniers cris.   

dimanche 14 mars 2021

Nouvelle rock détroit 5

 


Les premiers concerts furent monumentaux, les Stooges balançant des ogives free rock d’une puissance destructrice. Iggy n’était plus un homme, la scène le transformait en demi dieu ne connaissant ni la peur ni la douleur. Un soir, il avait bondi dans le public, qui tendit ses bras pour lui permettre de traverser cet océan de ferveur. Cette scène mythique, où Iggy se dressait au-dessus de la foule, n’était absolument pas calculée . L’iguane a juste senti que son charisme reptilien lui permettait de chevaucher cette bête folle qu’est la foule, le doigt pointé vers l’horizon, tel un général emmenant ses troupes au combat.

Un autre soir, sa témérité faillit avoir des conséquences dramatiques. Les Stooges étaient en train de jouer TV eyes , le magma sonore agitant Iggy comme une bête folle , qui se retourna soudain sur la foule. Tel un fauve enragé, le chanteur bondit sur son public avec une rage impressionnante, déclenchant la fuite des spectateurs situés sur sa trajectoire. S’écartant comme les parois d’une trappe scélérate, les spectateurs laissèrent la bête sauvage s’empaler sur un morceau de verre. Le gros éclat pénétra profondément dans le torse d’Iggy, qui ne semblait même pas s’en rendre compte. La blessure saignait abondamment, les convulsions rageuses du chanteur repeignant les murs de gouttes sanglantes. Ce soir-là, le rock était redevenu une énergie dangereuse, une force qu’on ne maitrise qu’au péril de sa vie.

Pourtant, Alain voyait bien que quelque chose clochait, que même la plus forte dose d’adrénaline ne pouvait déclencher une telle insensibilité. La suite des événements ne fit que renforcer ce pressentiment, le charisme sauvage de l’iguane s’apparentant de plus en plus à de la folie suicidaire. Iggy portait le manque de succès des Stooges comme une croix, et il semblait demander à son public de l’immoler dessus tel un Jésus destroy. Son martyr , le chanteur faillit l’obtenir lorsqu’il s’en prit à une bande de motards. Ce jour-là, il cessa soudain de chanter pour déverser les pires injures sur une bande de sous hells angels , qui paraissaient jusque-là plus intéressés par la boisson que par ses gesticulations.        

Ces brutes sont, au fond, de grands sensibles. Ne trouvant les mots pour répondre à une telle débauche de haine, ces ploucs à bécanes tabassèrent le chanteur à 10 pour prouver qu’ils n’étaient pas «  une bande de pédales chassant en meute »… Désigné un seul d’entre eux aurait sans doute rendue la démonstration plus efficace , mais l’émotion a dû prendre le pas sur la réflexion. C’est ainsi que dix bourrins massacrèrent la tête d’un chanteur qui, lui , n’avait pas de reptilien que le cerveau. Heureusement pour notre hurleur suicidaire , ses agresseurs se montrèrent aussi limités physiquement qu’intellectuellement, ce qui permit à Iggy de s’en sortir avec quelques bleus.

Après cet événement, les musiciens ne cachaient même plus leur déchéance. On commençait à voir le trio se shooter en coulisse, ou sur scène juste avant de plaquer ses premiers accords. Ce qui, au départ, leur donnait une énergie formidable, les plongeait désormais dans une catatonie lamentable. Certains soirs, les musiciens semblaient littéralement dormir debout, la déesse héroïne leur faisait payer le prix de l’énergie qu’elle leur avait auparavant donnée.

Et ce ne sont pas les ventes de leurs albums qui allaient inciter le label à être indulgent. Les deux premiers disques du groupes furent une catastrophe commerciale, le public n’était pas encore prêt à quitter un rêve psychédélique que les Stooges voulait assassiner. Résultat, avant de monter une nouvelle fois sur scène, un cadre d’Elektra vint annoncer aux Stooges que la suite de leur lamentable périple se fera « sans eux ». Au lieu d’achever un groupe au bord du précipice, cette nouvelle sembla réveiller le trio. Ce soir-là , ces héros maudits jouèrent comme ils n’ont jamais joué, comme ils ne joueront jamais plus. C’était plus que leur vie qui était en jeu, c’était leur honneur. Il fallait que l’histoire retienne que, lâchés par leur label, les Stooges avaient jeté leurs dernières forces dans une prestation démentielle. Si l’histoire s’était achevée ce soir-là , Iggy serait devenu le Che Guevara du rock , mais Alain crut reconnaître un homme dans la foule. 

Ce visage de travelo homo maquillé comme une prostituée russe, ça ne pouvait être qu’un Bowie jouant encore son rôle de pédé de l’espace (Michou Stardust pour les intimes !). Aussi brillante que soit sa musique, Alain trouvait le barnum obscène de Ziggy pathétique. Il n’empêche que, si le salut des Stooges pouvait venir d’un génie anglais déguisé en tante de l’espace, Alain était prêt à lui pardonner ses fausses outrances d’homo (sapiens ?) british.             

mardi 9 mars 2021

Nouvelle Rock Detroit 3

 


Arrivé sur le lieu du concert, Alain reconnait un visage familier dans la foule.

Le voyant s’approcher, Jac Holzman eut le sourire ravi de celui qui retrouve un vieil ami.

A : J’ai oublié de te remercier pour l’album forever changes que tu m’as envoyé. Dans quelques années tu seras fier d’avoir produit une merveille pareille.

Jack Holzman est le patron d’Elektra , le label qui a lancé le Paul Butterfield blues band et a soutenu Love autant qu’il le put. C’est d’ailleurs grâce à Love que les deux hommes se sont rencontrés, le label ayant envoyé son dernier album Forever Change à Cream. Lester Bang n’en voulait pas, la douceur hippie commençait à franchement l’irriter, c’est donc Alain qui fut chargé de chroniquer le disque. A force de l’écouter en boucle, il était convaincu que ce disque était le chant du signe de la pop psychédélique, une telle beauté ne pouvant être reproduite ou dépassée. Il avait qualifié l’album de « chant du cygne d’une beauté flétrie », et c’est en partie ce chef d’oeuvre qui le poussa à partir chercher où le rock allait se réinventer.

De son coté , Holzman compris que Love était arrivé trop tard , que son génie pop ne convenait déjà plus à cette fin de sixties. « Forever Change » aurait fait un carton si il était sorti en 1966, mais aujourd’hui l’avenir est du côté d’une musique plus tendue. Alors il a signé les Doors , dont le premier album fait partie des premières détonations de la décennie à venir.

Pour Holzman , concentrer l’énergie de sa maison de disques sur les Doors  lui permettait de survivre au fiasco commercial de Love. Pour Alain il s’agissait d’une trahison. D’un autre coté, il comprenait maintenant que la mort de Love était aussi nécessaire à la survie du rock.                                                              

H : Ta chronique était magnifique mais Love ne pouvait survivre. C’est la drogue qui a tué ce groupe, et je ne tenais pas à sombrer avec eux. 

A : Donc tu cherches de nouveaux génies à détruire ?

H : Et toi tu cherches quoi ? J’ai appris que tu avais quitté Cream, tu laisses le champ libre à ce malade de Lester Bang.

A : Bang fait partie de ces malades dont on se souviendra dans 30 ans.

H : Il a la dent trop dure et trop de pouvoir. Un seul de ses papiers peut tuer un groupe. Ce type est un gourou pas un critique.

A : Chaque culture a besoin de ce genre de gourou. Pour en revenir à Love sache que je ne t’en veux plus. C’est grâce à ta décision que je suis ici en train d’attendre l’avenir du rock.

H : Et bien tu me dois encore une fière chandelle ! C’est moi qui ait signé le MC5 et les Stooges.

A : Les Stooges ?

H : Oui, une bande de sauvages dirigé par un chanteur complétement cinglé.

La discussion fut coupée nette par un riff d’une violence inouïe , sur lequel s’élevait rapidement le hurlement sauvage d’Iggy.

 « Well It’s 1969 ok

All Across the USA

It’s another year for me and you

Another Year with nothin to do. »

Après tant d’années de pop rêveuse , Iggy et ses Stooges remettaient le nez dans le réel , et on était loin des Strawberry fields merveilleuses. Sur scène Iggy ressemblait à un pantin convulsant au rythme des riffs foudroyant de Ron Asheton. Ce qui fascine chez les Stooges , c’est la symbiose destructrice qui les unit. Entendre les Stooges , c’est se prendre les uppercuts parfaitement synchronisés de quatre champions poids lourds , cette musique atteint un niveau de violence inégalable. Les Stooges jouent comme si ils étaient le dernier groupe du monde, comme si ils devaient détruire toute la guimauve accumulée pendant des années de pop gluante. I wanna be your dog – TV eyes –No fun , chaque titre semblait se débattre violemment contre l’ennui de cette fin de sixties. Après un Louie Louie boosté aux hormones, les Stooges laissèrent la scène au MC5… Enfin plus précisément au présentateur du MC5.

Un excité s’était emparé du micro lâché par Iggy, et pointait ses deux bras vers le ciel dans une posture presque christique. Ses mains tremblaient d’excitation, et ses  Ray Ban devaient cacher le regard fou d’un homme possédé par un quelconque dieu païen. Avec son perfecto et son look de motard , on s’attendait plus à une annonce grandiloquente , à un fan de Steppenwolf annonçant les nouveaux maîtres de « la foudre heavy métal », mais c’est une émeute que l’homme venait annoncer.

« Frères et sœurs , je veux voir vos mains levées.

Faites-moi voir une mer de mains.

Je veux que tout le monde face un maximum de bruit.

Je veux entendre la révolution ici mes frères.

Frères et sœurs , il est temps de choisir si vous serez le problème ou la solution.

Cela ne prend que 5 secondes , 5 secondes pour réaliser ce que nous vous proposons.

Il est temps de bouger , il est temps d’affirmer que l’heure de la révolte est venue.

Je vous présente cette déclaration : le MC5 ! »

Alors que notre révolutionnaire mystique n’était pas encore sorti de scène, le MC5 chargeait déjà comme une troupe de Viet minh prenant par surprise la racaille impérialiste. La victime de cette charge fut d’abord le blues rock, vieux symbole que Fred Sonic Smith bombardait de ses riffs incendiaires. Avec le MC5 le rock redevenait une musique de révolte, sa puissance sonore était le napalm prêt à réduire en poussière l’ordre établi. A côté de kick out the jams , ride my lama , starship , les Who passent pour de vieux bluesmen fatigués.

Le MC5 n’a pas de musiciens aussi visionnaires que Pete Townshend , de batteur aussi fou que Keith Moon , il n’avait pas besoin d’individualités aussi fortes . Ce groupe était juste une horde barbare faisant de leurs limites intellectuelles une force. La simplicité de leurs rythmes, la brièveté de leurs solos lancés comme des décharges de Kalachnikov, la hargne d’un chanteur hurlant comme un révolutionnaire aux portes du pouvoir qu’il cherche à détruire, toute cette simplicité permettait au gang de développer la rage la plus pure et virulente.

Le public hurlait sa reconnaissance car il comprenait que ce rythm n blues, devenu le son de la révolte, était l’expression d’un peuple étranglé par une oppression raciste et capitaliste. Ce soir-là à Détroit , on avait vraiment l’impression que le rock avait levé une armée prête à faire la peau à l’immonde oncle Sam. Ce n’était qu’une illusion, mais il n’en fallait pas plus pour affirmer que le rock était en train de renaître à Détroit.                                                                                     

Alors que les dernières braises de ce feu révolutionnaire s’éteignaient , Alain partit discuter avec Holzman dans un bar du coin. Celui-ci avait une tête à effrayer un mort, comme si c’était contre lui qu’était dirigée cette révolte hargneuse.

Alors que les deux hommes prenaient place , le producteur frappa la table avec une violence qui fit sursauter son interlocuteur.

H : Ce crétin en ouverture n’était pas prévu au programme ! 

Le producteur avait dit ça avec la colère froide de celui qui sent qu’il est en train de tout perdre.

A : Le groupe que tu viens de signer a joué le concert du siècle et toi tu te plains !

H : Concert du siècle mon cul ! Je viens surtout d’immortaliser son suicide.

A : Et en plus c’était enregistré ! Mais l’album sera au rock ce que free jazz d’Ornett Coleman fut au jazz ! Une libération historique !

H : Et voilà. Tu repars dans tes envolées lyriques. Tu sais quelle est la seule chose sur laquelle producteur et musiciens sont d’accord ? Le mépris de la critique. Quand vous vous enthousiasmez, c’est toujours pour les musiciens foutus d’avance, les fous furieux, les kamikazes. Il suffit de répertorier les coups de cœur de ton ami Lester Bang pour comprendre le problème.

Après cette phrase, il marqua une pause pour avaler d’un trait le verre de vodka qu’on venait de lui servir. Avant de reprendre son réquisitoire.

H : Les critiques sont des gosses qui s’amusent à construire une mythologie bancale, avant de s’étonner quand la musique qu’ils prétendent défendre finit par s’écrouler. Tu te rends compte que ces conneries ne passeront jamais à la radio ? Toute l’Amérique n’a qu’une peur c’est le communisme et je leur sers le grand chaperon rouge sur un plateau. Ce sera symbolique, mais le show biz bouffera le MC5, ils serviront de gri-gris à travers lequel l’Amérique se soulagera de sa peur du grand méchant rouge ! 

A : A toi de faire en sorte que ça n’arrive pas. Elektra a assez de pognon pour graisser quelques pattes.

H : Le pognon a ses limites ! Soutenir le MC5 sera comme pactiser avec l’ennemi, tu verras que ce concert marquera le groupe du sceau de l’infamie. De toute façon je ne les garderais pas. Atlantic a fait une offre … Ils pourront maintenir le groupe à flot quelques mois.

A : Tu lâches encore la rampe, tu préfères le succès plus pépère des Doors. Avec toi la pop se serait limitée aux premiers albums des Beatles et à quelques tubes des Beach boys.

H : Ne méprise pas ces groupes. C’est grâce à eux que tes fous furieux peuvent enregistrer des disques. La plupart des majors n’auraient jamais produit des albums tels que Freak out , Trout mask replica , et les autres bizarreries que vous vénérez, si elles n’étaient pas devenues riches grâce à la pop que vous vomissez. Pour une maison de disques, la production d’un album de Zappa ou Beafheart est un accident industriel, la plupart d’entres elles ne savaient pas ce que ces cinglés produiraient avant de les signer.

A : Donc tu penses que seules les ventes comptent ?

H : Je pense qu’aucune maison de disques ne peut se permettre de maintenir éternellement en vie un groupe comme le MC5. Aussi révolutionnaire soit elle, cette musique ne peut que disparaitre aussi vite qu’elle est arrivée.

Pendant la discussion, Alain avait remarqué que son interlocuteur écrivait quelque chose sur une petite feuille de papier. Après l’avoir glissé sous son verre, Holzman quitta le bar en titubant. Avant qu’il ne passe la porte, Alain eut le temps de l’entendre marmonner « Et en plus ce con de Lester Bang risque de démolir le MC5 dans le prochain Rolling stones. »

Quand son ami quitta son champ de vision, Alain lut le papier qu'il lui avait laissé.

« Les Stooges enregistrent leur premier album demain dans nos studios. John Cale se charge de la production. Si tu veux venir assister aux séances tu es le bienvenu. »   

Holzman savait comment redonner la banane au chroniqueur qu’il adorait détester.           

mercredi 3 mars 2021

Nouvelle rock : Les possédés de Détroit épisode 1


Allez les gars , on a encore dix bécanes à produire pour atteindre l’objectif journalier ! Je sais que vous pouvez le faire !

Penché sur sa chaine de montage, Alain commençait à ne plus supporter ces encouragements paternalistes. Il aurait encore préféré qu’on le fouette, qu’on l’insulte, qu’on le menace des pires sévices, plutôt que de subir ces encouragements infantilisants. Et dire que, en 1969 à Détroit, travailler à l’usine était devenu le graal de tout ouvrier.

Allez leur expliquer vous, à tous ces aigris enchainés à leur vie d’homme moyen, que ce cher Taylor a privé leur classe social de dignité. Fini le travail finement ciselé, la concentration d’un homme mettant toute son énergie mentale et physique sur un ouvrage unique. L’époque moderne ne veut plus de ces artistes du quotidien, de ces grands hommes qui mettaient leur âme dans leurs ouvrages. L’ouvrier est la chair à canon de la guerre de tous contre tous instaurée par le capitalisme. D’ailleurs, que les responsables du personnel soient devenus des Directeurs des ressources humaines n’est pas un hasard.

Les pires abominations commencent souvent par un changement lexical, il faut que les mots fassent progressivement leur travail de modification du réel. En usine plus qu’ailleurs, l’ouvrier est une ressource qu’il faut optimiser, une machine que l’on use comme un vieux tracteur. Ford a achevé le travail d’esclavage moderne démarré par Taylor, en donnant une carotte aux workin' class hero humiliés. Cette carotte, c’était le salaire, qu’il augmenta fortement dans ses usines, pour permettre à ses salariés d’acheter ses voitures. Résultat, le salarié devenait aussi con-sommateur , il nourrissait le système qui lui brisait le dos , lui ramollissait le cerveau , et détruisait sa dignité.  

Mais le travail était encore facile à trouver, ce qui permettait aussi aux hippies en perdition et autres libertaires de se refaire avant de repartir sur les routes. Il faisait partie de ceux-là , Kerouac et le mouvement hippie lui ayant montré la voie de la liberté. D’abord pigiste pour le magazine cream , il a eu l’occasion de côtoyer ce que le rock américain faisait de mieux , des Byrds à Canned Heat , en passant par le Grateful dead. S'il admirait chacun de ces groupes, il pensait que leurs mélodies de plus en plus hors-sol finiraient par tuer le rock.

Le temps du psychédélisme était, selon lui , déjà révolu , une musique aussi révolutionnaire que le rock ne pouvant s’éterniser dans ces bluettes où les lapins blancs croisent des morses, avant de dépeindre le rêve californien.  Il était plutôt d’accord avec ce génie fou de Lester Bang , le rock n roll avait besoin de choses plus primaires. Cela ne l’empêchait pas d’admirer les Beatles , les Beach boys et autres Fugs , il pensait juste que la révolte devait redevenir le centre du truc.

Alors , pendant que Bangs lynchait sans pitié les restes planant d’une époque finie , Alain décida de prendre la route. Il a donc fait le chemin de New York à Détroit, convaincu que la révolte la plus agressive ne pouvait venir que de cette ville. C’est quand même là que , deux ans plus tôt , Lyndon Johnson a dû envoyer l’armée pour mettre fin à une semaine d’émeute.

Les rues portent encore les stigmates de cette révolte. Certaines vitres n’ont pas été remplacées, et on trouve encore des traces de balles sur certains murs. Alain pensait souvent à ces événements sur sa chaîne de montage, lorsqu’un cri le sortit de ses réflexions. En se retournant, il vit un homme planté au milieu de l’atelier, et hurlant comme un possédé. Le type avait une coiffure de cro magnon , la moustache et les lunettes de Léon Trotski , et beuglait avec un tel charisme que lui et ses collègues vinrent rapidement l’entourer. « Mes frères et sœurs quittez vos chaines ! Cessez de nourrir les porcs qui vous exploitent ! »

Là , l’activiste marqua un temps d’arrêt , et déploya une banderole où l’on pouvait voir le logo des White Panthers et la photo d’un groupe. «  Comme le disait le grand Lénine , les révolutions sont des fêtes pour les opprimés et les exploités. Lyndon Johnson a réussi à stopper les premières festivités , mais qu’il ne croit pas pour autant qu’il pourra mater le peuple comme il tente de mater les vietnamiens. Je suis John Sinclair ,  leader du White Panters parti , et voici notre programme : L’abolition de l’argent  et la libération du peuple par le rock n roll , la dope et la baise dans les rues !

Ce soir , le groupe que je manage passe dans votre ville pour y propager le chaos.  Car , comme le dit si bien Engels « Alors que la civilisation décline et agonise ,  seuls les barbares peuvent offrir une nouvelle jeunesse au monde. » 

Là , le poing levé avec la ferveur d’un ouvrier russe un jour de Février 1917, John Sinclair lança cette dernière phrase comme on pose la première pierre d’une barricade. «  Ce sera ce soir, dans la rue principale . Libre à vous de choisir si vous voulez construire la solution ou si vous voulez faire partie du problème. » 

Quand un petit chef de chaîne se pointa avec deux flics au regard bovin (pléonasme), John s’était déjà sauvé par l’issue de secours. On chercha alors Alain, avant que quelques ouvriers finissent par avouer qu’ils l’avaient vu fuir avec le sauvage rouge. Notre ex chroniqueur n’allait pas laisser le but de sa quête filer sous ses yeux pour serrer des boulons.    

mardi 4 août 2020

nouvelle rock hippie 3

"Réfléchis, tu es un poisson dans un étang. L'étang est en train de s'assécher. Il faut que tu évolues vers l'amphibien, mais il y a quelque chose qui te retient, qui te dit de rester dans l'étang, que tout va finir par s'arranger."
Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines de William S. Burroughs

New York est une ville qui vous écrase sous sa grandeur, les immeubles gigantesques semblent vous enfermer dans un tunnel urbain. Et c’est précisément ce que Clint cherchait, une ambiance froide et menaçante. La musique des Doors lui avait montré la décadence du psychédélisme, elle annonçait l’agonie d’une utopie qui ne pourrait que finir dans le sang. Il ne pouvait plus faire comme si il n’avait rien vu, et continuer à laisser son esprit divaguer sur des mélodies doucereuses.

Sur le chemin qui le menait à New York , Clint a dévoré Junkie et le festin nu , les deux grands bouquins de Burroughs. Ces livres représentent aussi une certaine prise de conscience, ils étaient l’antithèse de « les portes de la perception » , qu’Huxley écrivit quelques années plus tôt. Le récit sombre du festin nu entre en résonance avec une nouvelle qui l’avait particulièrement frappée. Il l’avait vue sur la vitrine d’un marchand de journaux, Rocky Ericson est désormais interné en hôpital psychiatrique.

Comme le chanteur de 13th floor elevator , combien de naufragés du rêve hippie peuplent les hôpitaux américains ? Les partisans du LSD lui faisaient désormais la même impression que les fous qui glorifiant encore le communisme, leur utopie s’écroule sous leurs yeux mais ils s’obstinent à aggraver le naufrage. Burroughs est un peu le Soljénitsyne du mouvement hippie, sa prose est une gifle sensée réveiller les dévots endormis. Mais, comme pour le communisme, on trouve vite un alibi à cette fascination pour la défonce. Les brebis égarées n’avaient pas l’esprit assez ouvert, leurs trips étaient perturbés par la violence de la société.

Et puis Burroughs ne parlait pas de LSD, mais d’héroïne, son frère maléfique. Les freaks t’expliquaient donc que l’héro était une « mauvaise drogue », qu’elle te maintenait dans une léthargie morbide, alors que le LSD t’ouvre au monde. Ces mêmes charlatans ne savaient t’expliquer pourquoi ceux qui la prenaient régulièrement ne redescendaient jamais de leurs délires. Les faits divers sont pleins de ces freaks qui, détruits par un mauvais trip, tuent sanguinairement leurs amis, quand il ne se jettent pas par la fenêtre.

Et , à cause de ces conneries , le petit peuple ne manque pas de nourrir une paranoïa sanglante. Encore récemment, un type a tué sa fille après l’avoir surpris au lit avec un hippie. Voilà aussi pourquoi, dans certains états, porter les cheveux long est presque aussi dangereux que ce rendre à une réunion du KKK quand on est noir. Le beauf ricain a une réflexion assez primaire, quand on lui montre un danger il tire dessus sans se poser de question.

Mais , encore une fois , on te répondra que tout ce cirque n’est dû qu’à une société pas assez ouverte. Pour les hippies le monde n’est rien de plus qu’un orchestre désaccordé, et le LSD est le métronome chargé de rebâtir une symphonie harmonieuse. En cela,  il sont encore proches de ces communistes qui t’expliquent que , si l’on meurt de faim à Moscou , si les goulags sont surpeuplés, et que le peuple est opprimé en URSS , c’est parce que le pays n’est pas assez communiste. 

Lorsqu’il pense à tout cela, un inconnu repère le roman qu’il tient négligemment.

« Avec le look que tu as tu lis Burroughs ? Tu dois être moins stupide que la masse rêveuse. »

La dessus, le grand brun au teint livide fouille dans sa poche. Lou Reed est exactement le genre de type que vous ne voudriez pas croiser au coin d’une rue. Sa démarche nonchalante révèle une sexualité ambiguë, son regard froid vous pétrifie sur place, et son cynisme est digne des junkies les plus pourris par la came. Clint est sur ses gardes , le type va sans doute sortir un cran d’arrêt , histoire de lui soutirer de quoi payer sa prochaine dose.

Mais Lou se contente d’allumer une cigarette, et feuillette le livre qu’il a pris des mains de son interlocuteur.

« Burroughs est le plus grand génie depuis Céline, un grand poète de la pourriture humaine. Et dire que mon groupe galère à cause des mêmes crétins incapables d’être touché par son génie. »

«  Ton groupe joue quand ? »

Clint avait posé cette question instinctivement, il sentait que ce personnage étrange représentait ce qu’il cherchait.

Lou le regarde, et rit nerveusement.

«  Mais c’est pas possible tu as volé tes fripes à un de ces crétins c’est ça ? Dans la ville aucun type dans ton genre n’aurait cherché à revoir un fou comme moi ! Tu m’amuses, pointe toi à la Factory demain. »

Lou ne donna pas plus d’information que ça, et partit rapidement avant que Clint n’ait pu lui demander le chemin. Le lendemain, chaque personne à qui il demandait la route le regardait avec un mélange de mépris et de dégoût, comme si il avait demandé l’adresse du bordel du coin. Lassé de ces réactions Clint avait fini par insister auprès d’un vieux beatnick. Il aura fallu que les deux hommes en viennent aux mains pour que son interlocuteur lui donne enfin l’adresse de la Factory.

Lorsqu’il franchit la porte du bâtiment, il comprend immédiatement ce qui provoquait le dégout des passants. Warhol avait créé un environnement semblable à son art , froid , artificiel , la provocation en plus. Celui qui représente la société de consommation dans ses œuvres, sans que l’on puisse deviner si il s’agit d’une glorification ou d’une dénonciation , vient de créer l’antithèse du flower power.

A la Factory , on côtoie un ramassis de travelos et de loosers assommés par la « mauvaise drogue ». Tous sont là comme des produits dans un rayon, ils attendent que Warhol les fasse sortir de leur médiocrité.

Ce soir-là pourtant, l’artiste traverse la pièce , droit comme une poutre , et n’adresse même pas un regard à ses ouailles. Arrivé sur la scène, où un groupe est éclairé par une lumière blanche éblouissante , il présente l’attraction de la soirée.

« Mesdames , Messieurs , voici l’œuvre que j’offre au rock n roll. Le Velvet Underground ! »
Ce nom ne peut que lui rappeler des souvenirs, c’est celui d’un livre qui a choqué toute l’Amérique à sa sortie. Décrit comme « pornographique » , le bouquin racontait crûment les déviances cachées dans les boîtes sado masochistes. Cet univers, le groupe le mettait en scène et en musique. Embarqués dans un rite décadent, des danseurs armés de fouets entamaient une danse érotique, leur déhanchement suivant le rythme nonchalant de Venus in furs. Cette mélodie ne vous emmenait pas dans un décor féerique, mais dans un cauchemar atrocement réaliste.  

Même la beauté glaciale de Nico avait quelque chose d’inquiétant, comme si elle représentait l’attraction pernicieuse de l’héroïne. Quant à sa voie androgyne, elle complète le tableau dérangeant dressé par le groupe. Après cette introduction glaçante, Lou prend le micro et commence son récit désespéré. L’underground vient de trouver son Dylan, celui qui racontera la gueule de bois post peace and love.

Heroin est le poème rock ultime, sa prose a la force de certains passages de l’étranger de Camus. Je pense notamment au moment où l’agresseur de l’étranger sort un couteau qui l’éblouit, et où la description est si réaliste que le lecteur plisse les yeux. Heroin fait le même effet. On devient littéralement cet homme qui « plante une épine dans ses veines » et « ne sait plus si les choses sont les mêmes », on ressent son désespoir et sa fuite dans une transe narcotique. Avec ses effets sonores, Cale travaille les décors dans lesquels évoluent les personnages Reediens, il invente un psychédélisme glacial et menaçant.

La prestation était éblouissante , c’est le rock nettoyé de ses errements niais. A la fin du concert, Lou fait signe à Clint d’approcher, et lui demande son avis.

«  Je n’ai jamais vu un truc pareil ! Le rythme renoue avec les prémices du blues, tout en lui donnant une noirceur ultra moderne. Et puis ton texte sur « heroin » en dit plus en trois minutes que Burroughs en 100 pages ! Tu as raconté la décadence des sixties. Mais, fais attention, il est encore trop tôt. Aujourd’hui, personne ne veut voir la réalité en face et, si tu leur montres aussi violemment, ils ne te le pardonneront jamais. »

Pour la première fois , Lou Reed montre un sourire franchement épanoui. Ces mots, ce sont ceux qu’il aurait voulu voir en gras sur tous les journaux dignes de ce nom. Les plus grands génies sont aussi d’affreux mégalomanes, et Lou n’est pas une exception à la règle.

« Le premier disque a fait un bide, j’ai révélé une chose que personne ne voulait voir. Mais on va bientôt virer notre pute boche et son mac prétentieux, et là on pourra produire le disque le plus violent que le rock ait porté. »

Lou n’eut pas le temps d’accomplir ses menaces. Déçus par la catastrophe commerciale que fut the velvet underground and Nico , l’égérie allemande et le publicitaire guindé prirent quelques vacances. Clint est dans le studio quand le groupe enregistre White Light White heat , et il peut constater que les déclarations de Lou Reed n’étaient pas des paroles en l’air.

Le disque, et surtout son morceau titre, montre une symbiose sismique, un mariage parfait entre la radicalité sonore du groupe et la prose décadente de Reed. La mélodie du morceau titre faisait littéralement monter cette « chaleur blanche » jusqu’à votre boite crânienne, pour la secouer à grands coups de Boogie épileptique. Malheureusement, ce déluge magnifique représente déjà la dernière éruption d’un cratère prêt à s’éteindre.