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jeudi 12 mars 2020

Rolling stones blues : épisode 1



Le train arrive enfin à la gare de Londres , La ville où Keith va rencontrer son avenir. Enfin viré d’une école d’art qu’il n’appréciait que pour ses passionnés de blues, il ressort d’un premier entretien d’embauche. A l’époque, le gouvernement avait mis en place des bourses, ce qui permettait à une bande d’enfants de prolos d’user leurs fonds de culottes sur les bancs des universités.

Les universités d’art ont ainsi vu passer une poignée de futures gloires du rock, comme Roger Daltrey, Roger Waters et lui-même. Dans ces facultés, on tentait d’apprendre à Keith le graphisme. Ses talents de dessin devaient encourager le consommateur à claquer son maigre salaire dans un produit dont il n’a pas forcément besoin.

Calé dans son siège de bureau, son potentiel employeur le toisait avec l’air sévère de ceux qui choisissent les élus pouvant accéder au bonheur creux de la société de consommation.

-          C’est prometteur ! Mais il me faudrait plus de matière pour vraiment juger votre travail à sa juste valeur. Pouvez-vous m’apporter un autre book demain ?  

Les employeurs sont ainsi, le temps est de leur coté, et ils en profitent un maximum.

-          Non, et je ne vais certainement pas en refaire un pour vendre des nouilles , des godasses , ou je ne sais quelle autre cochonnerie.
-          Comment ?

Le visage de l’entrepreneur s’était fermé, il paraissait encore plus ridiculement solennel qu’auparavant. Comme si il était un empereur attendant le repentir de son subalterne.

-          Tu as très bien entendu.

Et Keith sortit, après avoir balancé son book à la poubelle sous le regard interloqué de son interlocuteur ahuri. Il cherchait désormais une porte de sortie. Ses 18 ans approchaient, et ses parents ne manqueraient pas de le mettre face à ses responsabilités, quand il aura atteint l’âge fatidique.

Certes , le service militaire avait disparu , mais les parents anglais n’étaient pas prêts à entretenir leurs progénitures deux ans de plus. C’est à tous ces problèmes que Keith pensait, avant de tomber nez à nez avec un jeune homme, qui se promenait avec ses vinyles de Chuck Berry sous le bras.

Il reconnut aussitôt Mick Jagger, qu’il avait croisé pour la première fois quand il était encore en culotte courte. Il vit dans cet homme un compagnon de misère , avec qui il se mit rapidement à reproduire les grands classiques du rythm n blues et du rock.

 La sauce commence à prendre quand il croise la route de Dick Taylord , un bassiste ayant une vision très conservatrice du blues. Entre un Taylor vomissant le mercantilisme rock , et un Keith ayant découvert sa passion après avoir entendu « heartbreak hotel », les relations n’étaient pas toujours au beau fixe.

Mais ce nouveau gang commençait à trouver ses premiers concerts , et Keith fut subjugué par le charisme flamboyant de son chanteur. Le groupe jouait dans des salles plus que pourries, des trous où on ne leur laissait qu’un espace ridicule.

Certains soirs, la largeur de la scène ne devait pas dépasser celle d’une table, ce qui n’empêchait pas Mick de virevolter comme un James Brown du blues. Il fallait le voir se tortiller sur son petit espace, luttant en première ligne pour imposer un gang qui n’avait pas encore de nom.

D’ailleurs , la formation n’était pas fixe non plus , et l’histoire n’a pas retenu le nom des batteurs et guitaristes ayant rejoint notre trio le temps d’un soir. Un jour de relâche , Mick et Keith partirent mesurer la concurrence dans un pub Londonien. Sur scène, un lutin blond chantait « dust my brom » comme si il était possédé par les fantômes du Bayou Louisianais.
Derrière lui, un batteur au jeu jazzy donnait à sa musique un swing imparable.

Le meilleur moyen de réunir des musiciens est de les faire jouer ensemble et, quand les dernières notes de « dust my brom » se furent évaporées, Keith et Mick montèrent sur scène. Keith lança spontanément le riff de Johnny be good , et c’est comme si sa guitare avait connecté des hommes qui n’avaient jamais joué ensemble.

La batterie se calait magnifiquement sur son jeu rythmique, et Brian Jones était si synchrone que les deux guitares sonnaient avec une force incroyable. C’était l’harmonie parfaite au service du rock n roll. Après ce concert historique, les musiciens ne se quittèrent plus, et la maison de Brian devint le monastère où ils apprenaient à maitriser leur art.

Entre temps, Dick Taylord avait quitté le groupe, il refusait de céder aux sirènes du rock. Ironie de l’histoire, le musicien fondera par la suite les pretty things , qui seront qualifiés de sous stones quand le  groupe de Mick Jagger sera au sommet.

Pour le remplacer, les musiciens restant choisirent Bill Wyman. L’homme avait un ampli, et le groupe n’avait pas le temps de faire la fine bouche. Brian Jones contacta ensuite la rédaction de Jazz News , un magazine qui publiait des petites annonces, pour aider les musiciens à la recherche de lieux où jouer.

Le journaliste leur demande donc le nom du groupe, instaurant ainsi un silence de quelques minutes. Trop occupés par leur son, les apprentis rockers n’avaient pas pris le temps de se choisir un nom. Dans le bazar sans nom de l’appartement, Keith remarque un vieux 45 tours de Muddy Waters nommé « rollin stones blues », il s’appelleront donc les rolling stones.

Le futur plus grand groupe du monde est enfin prêt à lancer l’invasion anglaise.

samedi 22 février 2020

Bob dylan's dream : partie 3


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A partir de là, les évènements s’enchaînèrent à une vitesse folle. « The freewhelin Bob Dylan » fut enregistré au studio A de Columbia, et réussit à conquérir les foules avec une folk authentique mais plus lisse. Le fossé qui sépare ce disque du précèdent est déjà énorme. Dylan a abandonné les reprises appliquées, pour développer sa propre voie, qui était aussi celle de sa génération.

Le succès du disque lui permettait de quitter les hootenanies , ces réunions de folk singer habités par la pureté de leur art , pour débarquer au festival de Newport. Kennedy était encore à la maison blanche, et son mandat nourrissait les rêves d’une jeunesse qui voulait croire aux lendemains qui chantent.

Derrière l’ascension du grand Bob, il y’avait Joan Baez, qui était déjà au sommet de sa gloire lyrique. C’est avec elle qu’il offrit au spectateur le plus beau moment de ce festival :

« A bullet in the back of a bust took Medgar’s Ever blood
A fire fired the trigger to his name
A handle hid out in the dark
A hand set the spark
Two eyes took the aim
Behind a man’s brain
But he can’t be blame
He’s only a pawn in their game »

Dylan ne le sait pas encore, mais ces mots prendront une dimension prophétique, quand l’espoir au pouvoir sera foudroyé d’une balle dans la tête.

« Seulement un pion dans leur jeu », tout le monde comprit la leçon dispensée ce soir-là. Si, comme le disent ses vers, chacun peut avoir participé à la construction d’un criminel, alors le crime ne peut être qu’une œuvre collective. C’est le sens de ce festival de Newport, et de ses petits frères Woodstock, isle de Wight , et glastonburry, exorciser cette violence que la société nourrit inconsciemment.  

Ce moment va aussi conditionner la perception qu’on aura de Dylan pendant les années à venir, perception que l’intéressé rejettera toujours. Le costume de guide d’une génération ne convenait pas à son caractère farouchement indépendant. D’ailleurs, alors qu’une partie de sa génération commence à le déifier, Dylan a déjà la tête ailleurs.    

En 1964 , des Beatles au sommet de leur gloire rencontrent le barde de New York. Si les ventes de Bob Dylan restaient modestes par rapport à ses amis anglais, sa réputation avait tout de même traversé l’atlantique.

Venu conquérir le pays de l’oncle Sam, le groupe de John Lennon déclencha une hystérie qui le dégoûta de la scène. Dans sa chambre d’hôtel, Dylan offrit aux quatre de Liverpool leurs premiers joints, pendant que Lennon passait ses disques de Buddy Holly.

Pour les Beatles , la révélation se trouve dans les délires provoqués par la fumette , délires qui furent la première influence qui mènera à l’enregistrement de sergent pepper. Dylan, lui, était scotché aux mélodies déversées par l’électrophone. Sa nouvelle voie venait de lui être révélée, il fera du rock.

Mais comment évoluer vers cette musique plus directe sans se renier totalement ?
                                                                                                                 
Les puristes du folk ne l’effrayaient pas , sa décision était prise, mais il cherchait son propre swing. Et c’est un de ses descendants qui lui montrera la voie.
Les Byrds s’étaient formés après avoir vu le film « a hard day night » des beatles, et enregistraient leur premiers titres dans les mêmes studios que Dylan. Passant devant leur salle d’enregistrement, le Zimm reconnut « Mr Tambourine man », ce folk  nourri par le surréalisme de Dylan Thomas , qu’il chantait à chaque concert. 

«  Hey Mr Tambourine play a song for me
I’m not sleepy and there is no place I’m going to
Hey Mr tambourine play a song for me
In the Jingle jangle morning I’me come followin you »

Ces mots étaient entrés dans la légende, et trouvaient désormais un accompagnement aussi fort que leurs glorieuses visions. Les Byrds lui firent l’effet d’alchimistes fascinants, inventant un nouveau culte en mélangeant sa prose à la beauté électrique venue de Liverpool. 

Cette découverte l’enthousiasma tant qu’il courut enregistrer sa propre version électrique. Bouclé en urgence, « brin git all back home » sortit en 1965, quelques jours avant le single des Byrds. Ralenti par une série de déboire avec Columbia, le groupe de David Crosby s’était fait doubler par son idole.

Dans le milieu très conservateur du folk, on s’offusqua de voir que Dylan avait vendu son âme à la fée électricité. Ce que Dylan « ramenait à la maison », c’est le son vulgaire et bruyant du rock commercial anglais.

Les puristes voyaient le folk comme un archipel accessible uniquement aux initiés, et voilà que leur principal porte-parole vendait les clefs du temple. Et ce n’est pas ce film, où il apparait en compagnie de Ginsberg, ni la beauté foudroyante  de vers dignes de « howl » , qui allait apaiser ces illuminés.

La même année, il s’était rapproché de Mike Bloomfield, qui vint illuminer sa poésie à grands coups de riffs bluesy. Plus grand guitariste de son époque, Bloomfield montrait ainsi la voie du folk rock, après avoir initié le rock psychédélique sur « east west » , le second album du blues band de Paul Butterfield.

Drapé dans le groove hargneux de son nouveau guitariste, Dylan pouvait cracher à la figure de ses détracteurs avec classe. « higway 61 » représentait le sommet de ce mélange de rock et de poésie qui fait désormais sa gloire, c’est un road trip musical, « sur la route » version rock. Au milieu de ce voyage, ses mots étaient lancés comme des obus venant abattre les murs du conservatisme :
                        
« You walk into the room
With your pencil in your hand
You see somebody naked and you say Who’s that man
You try so hard
But you don’t understand
Just what you’ll say
When you get home
Because there is somethin happenin here
But you don’t know what it is
Do you , Mister Jones »

Mister Jones désignait tout ceux qui, consciemment ou par bêtise, restaient en gare alors que le train du progrès poursuivait son ascension glorieuse. Lointain écho de « the time they are changin » , ballad of a thin man était un blues électrique d’une puissance remarquable. Ce qui constituait un autre affront fait aux ayatollahs du folk.  
Les concerts suivants furent de véritables combats, où Dylan et son groupe accentuaient la violence de leur rock, pour imposer la révolution en marche. Menacé de mort, traité de judas sur scène , Dylan transforme cette tension en énergie créatrice.

«  They stone you when you’re tryin to be so good
They stone you ya juste like they say they would
They’ll stone you when you try to go home
Then they’ll stone you when you’re all alone
But I would not feel so all alone
Everebody must get stone »

Jeu de mot entre le terme lapider et le fait d’être défoncé, ce titre, ouvrant ce qui restera son chef d’œuvre ultime, annonce la hargne d’un homme qui sait qu’il vient de gagner son combat. Blonde on blonde sortit en 1966, et ces vers montrent un homme passé de la colère au mépris.

Il sait que ce disque, plus qu’aucun autre, fera date, c’est un monument nourri par l’incompréhension qui l’entourait, une œuvre dépassant les codes du rock pour créer une véritable poésie musicale.  Derrière lui, le band est venu donner plus de consistance à ses rêves provocateurs. Un groupe formidable venait de naitre, et pourtant il vivait déjà ses dernières heures.
   

mardi 11 février 2020

Rock Stories : Le rock sudiste 4


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Le nom ne l’avait pourtant pas emballé, et l’affiche semblait jouer la carte de la nostalgie. De toute façon, la jeunesse des 90’s a déjà les oreilles bouchées, initiée à la merde sirupeuse dès le berceau. Si les genres musicaux, si nombreux dans les 60’s, ont disparu,  c’est à cause de l’abrutissement de ces oreilles innocentes. Voilà pourquoi la proportions de vieux augmentent dans les concerts.

Ultra minoritaire dans les années 70, ils constituent désormais la moitié du public. Ce constat inspira à Clint ces quelques lignes tristes :

«  A ce train-là , la musique de l’éternelle jeunesse risque de devenir un vieux doudou pour quinquas nostalgiques. »

Le constat l’amène à une conclusion qui n’est pas forcément négative. Le rock est devenu une musique exigeante dans un monde superficiel. Pour résumer son dernier livre, Buckowski écrivait : « Ce livre est dédié aux derniers hommes libres , si il en reste ». »Voilà ce qu’est devenu le rock , un moyen d’éviter cette maladie sordide qu’est le conformisme.

Puis les lumières s’éteignent , les projecteurs s’allument , et toute la foule semble avoir le même âge. L’appartenance des black crowes à la famille sudiste ne fut pas reconnue par tous, certains leur reprochant leurs influences trop anglaises. Ce sentiment fut d’ailleurs confirmé par une rumeur annonçant leur participation à une série de concerts de Jimmy Page. La rencontre aura bien lieu , et donnera naissance à un disque anecdotique , où les artistes se contentent de devenir le meilleur tribute band de led zeppelin.

Ce soir-là pourtant, le débat semblait futile, le gospel rock de remedy sonnant comme un lointain echo du lyrisme de Lynyrd. Devenu fervent défenseur du groupe, Clint sera conforté dans son opinion par la sortie de « the last rebel », le disque que lynyrd sortit en 1993, peu de temps après les premiers exploits des black crowes.

« Si « the last rebel » est aussi bon, on le doit à une jeunesse qui a su réveiller son vieux héros fatigué. Ce disque creuse le sillon gospel blues de « The Southern Harmony and Musical Companion » , chef d’œuvre que les black crowes ont sorti il y’a quelques mois. Ajoutez à cela le retour en grâce des Allman brothers , et vous obtenez le nouvel âge d’or d’une musique universelle . Age d’or qui trouve avec « the last rebel » un nouveau marqueur historique. »

En parlant des allman , la nouvelle formation de cette « famille » a mis la lumière sur un homme qui va devenir la nouvelle obsession de Clint.

« Warren Hayne a permis aux Allman de jouer le blues comme ils ne l’ont plus fait depuis la disparition tragique de Duane. Son jeu est un modèle de modestie sur « shade of two word » et « hittin the note » , deux disques aussi vénérables que les vieux succès de leurs modèles.
C’est que le blues se maîtrise au terme d’un parcours ingrat, c’est une énergie qu’on ne développe qu’après avoir subi les affres de la vie.
Voilà pourquoi il y’a plus de souffle dans le jeu de Hayne , que chez n’importe quel jeune loup tel que Bonamassa. » 

Quelques jours plus tard, la performance des allman au beacon theater lui fera écrire :

« Hayne est devenue l’âme des Allman brothers. Celui qui, le temps d’un solo à rallonge, les mène vers des sommets hypnotiques. C’est aussi lui qui se charge de l’atterrissage en douceur, revenant à la simplicité du riff, avec ce phrasé magnifiquement économe. 
On sent pourtant chez cet homme une musicalité, qui ne s’épanouit que partiellement avec le groupe du vieux Gregg. »
Quelques jours plus tard, son rédacteur en chef tend à Clint un vinyle, en lui disant juste qu’il est le plus apte à le chroniquer. C’est surtout que les autres ont jeté l’éponge, plus intéressés par le grunge que par le blues rock graisseux.

Sur la pochette de ce disque offert par son patron, un âne arbore fièrement le drapeau américain. Le nom du groupe, gov’t mule , fait référence à un amendement de Lincoln , qui promettait un bout de terre et un âne à tous les esclaves libérés après la guerre de sécession. En réalité, Johnson reviendra sur cette promesse, et offrira plutôt aux noirs américains leurs propres quartiers de misères, et les joies de l’apartheid. Symbole des promesses non tenues , ce nom fait plus penser à un groupe punk bien démago , qu’a une réunion de solides sudistes.  
                                                                                                                                  
L’écoute du disque donne à Clint une claque qu’il n’a plus ressentie depuis des années :

« Gov’t Mule est au sud ce que taste fut pour le blues , un power trio d’une énergie démentielle , une tornade secouant une culture devenue immobile. On peut regretter que ce bon vieux Warren Hayne masque sa finesse derrière une puissance sonore impressionnante, mais l’homme a compris qu’il fallait que sa musique retrouve une certaine urgence. »

Dose lui inspirera la même admiration :

«  Ce disque est un sommet, le dernier épisode d’une série unique. Gov’t Mule atteint ici une telle symbiose entre le groove sudiste et la puissance heavy blues, qu’il ne pourra s’améliorer qu’en changeant de plan d’attaque, à moins qu’il ne change carrément de voie. »

Clint avait enfin trouvé son nouveau Lynyrd, qu’il suivait désormais lors de ses concerts épiques, un parcours qui lui rappelait ses grands débuts.

«  Le marteau de dieux nous mènera vers de nouvelles terres .» Mes amis , Gov’t Mule n’est pas seulement un groupe , c’est une armée de conquérants. Un soir, au roxy theater , ils sont arrivés devant un public blasé. Nous ne sommes plus en 1969 , et le culte du blues n’est même pas un souvenir pour les badauds s’étant arrêtés dans cette grande salle. Mais la musique a lancé une charge sans pitié. Dès les dernières notes de « thorazine shuffle », la foule était à genoux, exprimant sa gratitude via des acclamations sauvages. Ce soir-là , la mule pouvait tout se permettre , y compris de nettoyer war pig de ses relents macabres. »

Les trois premiers albums tournaient en boucle dans le bus de tournée, quand certains titres ne passaient pas sur certaines radios. Mais les groupes sudistes semblent condamner à une fin tragique, et gov’t mule ne sera pas une exception. 

En ces années 2000 , Allen Woody partit rejoindre Ronnie Van Zandt au vahalla des vieux combattants du heavy blues. Loin de s’écrouler, le groupe salua sa mémoire dans une série de concerts orgiaques.
Compilées sur le triple live deep end, ces performances firent dire à Clint dans les colonnes de rolling stones : 
                                                                                    
« 25 bassistes , c’est ce qu’il fallait pour rendre hommage au socle rythmique de la mule. Ce disque est un somptueux hommage au siècle qui vient de mourir. On espère tout de même que gov’t mule sera capable d’annoncer la couleur de celui qui débute. »

Il faudra attendre 4 ans pour que le groupe sorte un nouveau disque. Une éternité durant laquelle Clint suivit la carrière solo de Warren Hayne.

«  Tales of ordinary madness , en plus de rappeler un des livres les plus géniaux du vieux Buck , réalise ce que l’on soupçonnait depuis que Hayne posa pour la première fois le pied sur scène. C’est un travail d’orfèvre qui a su garder la puissance de ses débuts, l’œuvre d’un artisan du pur rock n roll amoureux du bel ouvrage. »

Quelques années plus tard, Clint découvre Blackberry Smoke .

« Ces types sont aussi attachants qu’un livre rempli de vieilles photos. Avec eux, l’esprit  conquérant des grands rednecks des années 70 fait place à un country rock festif. Mais, derrière cette légèreté apparente, se cache une capacité impressionnante à pondre des mélodies inoubliables. Si le rock sudiste doit s’éteindre sur ce boogie chaleureux , il aura une mort des plus dignes ».

Cette réflexion sur la mort du rock sudiste n’était pas un abandon de sa musique, mais une interrogation face à son évolution. Cette pensée était née alors que Warren Hayne l’avait invité à assister aux enregistrements de « ashes and dust ».

Assis sur un tabouret de bois, l’homme envoyait des mélodies bluegrass auraient fait passer l’intervention de Jack White, dans retour à cold mountain, pour une mauvaise imitation de cette musique des exilés chère à Steinbeck. La musique, elle, était encore plus pure et rustique que tout ce que le sud a pu produire lors de son âge d’or.

Lorsque Hayne sort de la cabine d’enregistrement, Clint ne peut s’empêcher de lui dire sur un ton admiratif :

« C’est dingue ! Tu sonnes comme the band ! »

« Tu me fais un beau compliment, j’ai toujours adoré ce groupe, leur concert d’adieu m’a fait pleurer comme une jeune fille. »

« Ce disque va bien plus loin que tes influences habituelles. Tu sembles devenir l’âme musicale de l’amérique. »

« Ces influences ont toujours été là,  c’était juste plus discret. »

Il prend sa guitare et se met à jouer le riff de « John the revelator »,la version originale introduisant une seconde plus poussiéreuse, comme si la première menait naturellement à la seconde.

«  Tu vois, tout était là depuis le départ. »

Hayne pose sa guitare avec un tel soin, qu’il semble l’aimer comme on aimerait un enfant.

«  Tout était là, mais les critiques sont trop obnubilées par leurs étiquettes, ils tiennent trop à ces œillères. C’est pour ça que j’ai repris  « gold dust woman » sur ce disque. Rumour est sans doute le plus grand disque des années 80, il dynamite les frontières érigées entre les différentes composantes de la musique américaine. »

Clint ne peut s’empêcher de relativiser ce constat :

« Mais tu oublies cette production tape à l’œil, on est loin de votre profondeur crasseuse. »

Hayne se fige , la passion fait trembler sa main, comme si il fut blessé par la phrase envoyée par son hôte. La passion faisait vibrer son impressionnante carcasse, comme les cordes d’un instrument charismatique.

« Et Alors ! C’est comme reprocher à Dylan de ne pas écrire exactement comme Kerouac ! Mais, tu verras , cette limite est en réalité la base de son génie. Il aura le nobel ce con ! Et tous les journalistes hautains, qui crachaient à la gueules de ses vers , viendront lui baiser les pieds. »

Hayne parle comme il joue sur scène, avec passion. Sa spontanéité l’amène souvent à des raisonnements  aussi imprévus que passionnants. Revenant au sujet initial sans transition, Hayne détruit la réflexion de son interlocuteur en quelques mots qui resteront dans sa mémoire.

« Le rock sudiste n’a jamais été aussi présent qu’après sa mort, quand ses descendants se nourrirent de son cadavre exquis pour faire grandir la musique américaine. »

Voilà la révélation que Clint cherchait depuis le début de son histoire. Désormais, il ne parlera plus de rock sudiste, mais de ce vieil oncle rassurant venu du sud.

Une de ses dernières chroniques résume parfaitement la conclusion de son parcours initiatique :

« Lynyrd et autres Molly ont réussi à devenir l’équivalent moderne des grands bluesmen. Et leurs ombres planent encore sur une bonne partie de ce que le rock a encore de grand ».

Fin

vendredi 7 février 2020

Rock storie: le rock sudiste partie 3

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L’entrée de Clint dans le petit milieu de la critique rock ne fut pas trop difficile , un papier aura suffi à l’imposer.

« Lynyrd n’était pas seulement un énième retour de cette musique qui bercera toujours l’Amérique profonde, mais l’expression d’une certaine pureté artistique. Ecouter Lynyrd Skynyrd , c’est redécouvrir le talisman musical transmis par les grand anciens, à sa grande époque on l’appelait mojo. »

Cette fin d’article lui valut la reconnaissance de tous les groupes sudistes qui ne le connaissaient pas encore,  et ses réflexions étaient lues religieusement par ceux qui croyaient encore en la grandeur du rock sudiste.

Un peu snobé à ses débuts , Blackfoot lui mis une énorme claque lors de la sortie de l’album marauder. « Je me rappelle des paroles de Van Zandt alors que Medlocke faisait partie du fulminant moteur de lynyrd. Il pensait que Blackfoot deviendrait énorme si son leader s’en occupait à temps…
Aujourd’hui, je me rends compte à quel point il avait raison. « Maraudeur » montre une nouvelle voie à suivre pour le rock sudiste , un chemin glorieux, pavé par des riffs dévalant le rythme de la batterie comme une locomotive folle. Les enfants de Lynyrd viennent désormais botter le cul du hard rock , et blackfoot mène la charge. »

Sur ses rapports de concerts, l’admiration de Clint pour le gang de Medlocke ne fit que se renforcer.

« Blackfoot ne fait pas que jouer. Il célèbre la mémoire de ses ancêtres native américains, et réveille leurs âmes dans un boogie blues puissant comme une charge de squaw. »

Autre groupe perdu dans la déferlante, les outlaws lui inspirèrent cette rectification historique :

«  On a souvent cru que Lynyrd était le seul pionnier sudiste, et l’on vouait à ce groupe le culte dû aux prophètes musicaux. Les Outlaws furent pourtant aussi importants. Fans de Johnny Cash, ils donnent à la rugosité du sud un certain charme bucolique. 

En concert , le groupe déchire le mur du son , envoyant les décibels pour mieux se faire entendre sur une scène qui s’est endurcie. Résultat, ses mélodies résonnent avec une force digne du soir où Lynyrd interpréta « free bird » pour la première fois. »

Quant à Molly , il les voyait comme les nouveaux parrains du sud.

La fin des années 70 et les années 80 ont sonné comme une trahison, le reniement de tout ce que la tradition sudiste avait de grand. Sur « beatting the odds » Molly était encore bon, mais Clint ne comprenait pas son virage puéril.

« A l’écoute de ce disque, une question subsiste : Pourquoi ? Pourquoi ce représentant d’une certaine grandeur groovy s’est-il transformé en sous AC/DC ? Le chanteur force la virilité de sa voix , comme pour faire oublier que son groupe a perdu son identité. »

A la sortie de no guts no glory , la critique mainstream offrit à Molly le titre tardif d’âme du rock sudiste. Le disque était au contraire la dernière braise d’un feu défaillant. Ceux que Clint idolâtraient hier n’étaient plus que l’ombre d’eux même, étouffés par une époque aliénée.

« Le synthé est l’Attila du rock, là où il passe, le groove ne repousse pas. D’ailleurs, l’homme qui a inventé cette infamie ne devait pas en écouter, à moins qu’il s’agisse du même psychopathe qui nettoya cette formidable crasse, responsable du charme de toute musique issue du blues. »
Même ZZ top s’y mettait, et eliminator annonçait le début d’une longue traversée du désert pour les barbus texans. Attention, ZZ top n’a de sudiste que les origines, sa musique étant un mélange entre la classe grandiloquente de BB King , et un brio soliste que n’aurait pas renié Hendrix.

Clint ne voyait plus les musiciens qui firent le bonheur de ses débuts dans le monde du rock, comme si Molly , les outlaws et blackfoot n’osaient plus le croiser après leurs trahisons. Ils pouvaient bien aller au diable ! A cause d’eux il a l’impression de vivre ce que vécurent les fans du king après son départ à l’armée, la fin de sa culture.

Comme pour faire son deuil, Clint fit du heavy metal sa spécialité, la bouée de secours qui lui permit de survivre à la niaiserie eighties. Slayer , Megadeth et Metallica formèrent son nouveau trio sacré, même si il ne pouvait s’empêcher d’attaquer violemment les poseurs de cette époque vaseuse.

« La différence entre le feeling de Lynyrd et la pop démago de 38 special est comparable à celle qui différencie la baise du viol. Et que l’auditeur ne s’étonne pas de se sentir un peu sali par un tel amas de niaiseries. Grâce au génie moderne, des branques comme 38 special peuvent sortir leurs gros synthés pour vous violer les tympans sans vaseline. »

Quant au dernier album de Molly Hatchet ,elle lui inspira la même violence :

«  la pop est la nouvelle herpès du rock , le son mielleux qui lui arrache les joyeuses, alors qu’on pensait que cette maladie honteuse avait enfin quitté son corps de plus en plus flétri ».

Ces quelques années de purgatoire lui valurent d’être comparé à Lester Bang, alors que ses chroniques négatives n’étaient pas si nombreuses. Et puis, lors d’un voyage au texas en 1991, l’illumination le frappa de nouveau.       

mardi 4 février 2020

Rock Storie : South will rise again : Partie 2

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Le lendemain , Clint suit la route indiquée , le décor étant si proche de celui de « 3h 10 pour Yuma » , qu’il s’attend presque à être descendu par une canaille planquée sur un toit. Construite comme à l’époque des pionniers, les maisons rustiques ont juste abandonné leurs abreuvoirs à chevaux, devenus inutiles à l’âge de l’automobile.

Devant le studio , il aperçoit le groupe de dos , figé dans une posture hostile, face à une bande d’hommes à la mine renfrognée. Van Zandt se met à hurler comme pour mobiliser ses troupes.

« On va se les faire ces connards ! Je ne changerais pas une note à des titres qu’on répète depuis des mois en concert ! »

Et là , Clint comprend que c’est ainsi que se déroulent les relations musiciens/producteurs à Jacksonville. La tension est digne du duel final du film « le bon la brute et le truand », quand le temps semble se figer en attendant qu’Eastwood appui sur la détente. La bataille, elle, fut moins cinématographique. Cette mêlée virile prenait d’ailleurs des airs burlesques lorsque tous tentèrent d’éviter le gourou de l’ours Van Zandt.  

Ajoutez à cela un chapelet d’injures des plus pittoresques, et vous obtenez une scène surréaliste  qui aurait pu finir dans un film des Monty Pythons. Tout l’enregistrement fut à l’image de cet épisode , un combat entre des ingés sons chargés de donner un vernis pop à ce rock bourru , et des musiciens défendant leur intégrité artistique avec obstination.

Si les combats ponctuant les sessions se déroulaient le plus souvent en dehors des studios, il n’était pas rare de voir une bouteille de jack atterrir sur la figure d’un pauvre producteur. A la fin des enregistrements, Rickey résume le credo du groupe devant un verre de Jack :

« Tu vois gamin, le blues c’est une histoire de transmission. Johnny Winter , Paul Butterfield , Mike Bloomfield , ils ont tous fait leurs classes auprès de leurs grands frères américains. »

Il prend un gorgé, et continue sur le ton d’un conteur tricotant des récits à la gloire des grands bluesmen.

« Jewtown , voilà la ville qui les attira tous , un ghetto afro américain, où ils courraient jouer avec ceux qui les bercèrent. Le rock a commencé à tuer l’apartheid là-bas, dans ce quartier ou les blancs venaient en toute humilité, pour apprendre la culture noire qu’ils écoutaient en cachette. »

Une certaine nostalgie finit par traverser ce visage, on sent la gravité de la mission qu’il se donne à travers son expression solennelle.

« Aujourd’hui, le vinyle a remplacé la scène , les gamins écoutent leurs galettes religieusement, pour y trouver leurs voies. Au point que certains bricolent plus qu’ils ne jouent. »

Sentant la référence venir, Clint lance d’une voie malicieuse : « Comme le dead ? »

« Non, même si ils ont inventé autre chose, Jerry Garcia et sa bande de freaks étaient de vrais musiciens. »

D’un seul coup, ses traits se tendent , annonçant la charge verbale qui va suivre.

« Mais regarde où en sont arrivés ses snobs anglais ! »

Il ponctue son exclamation d’un coup rageur, qui semble faire sursauter les verres posés sur le comptoir.

« Ils citent le Jazz , la musique classique , le tout noyé dans cette saloperie de sirop symphonique. Ils pensent que les références masquent le vide de leur musique, mais ce n’est qu’une mode qui finira par s’éteindre. »

« Notre disque bottera le cul de Robert Fripp et ses congénères pédants, la jeunesse va redécouvrir le rock. »

Le premier disque de Lynyrd sort quelques jours plus tard, en cette belle année 71.  Le groupe est alors convoqué en première partie des stones, « le seul groupe de rock anglais respectable » selon les sudistes.

Impressionnant de maitrise, ce qui ne devait être qu’un faire-valoir devient une des attractions de la tournée américaines des stones, qui doivent sortir le grand jeu pour éviter de se faire voler la vedette. En coulisse, avant que leurs chemins ne se séparent définitivement, Keith apprend l’open tunning à des Lynyrd médusés.

Les musiciens savouraient leur chance, et écoutaient religieusement le riff master. Let it bleed , beggar banquets, sticky finger formaient un trio sacré , une série de disques pop trempés dans la musique fabuleuse des pionniers.

Keith est l’âme des stones, qui n’ont jamais été aussi bon que depuis qu’il a renoué avec ses racines. Des racines étroitement liées à cet open running, qu’il apprit auprès des bluesmens. Lynyrd ne s’en servira jamais pour lui, mais ce soir-là il eut l’impression de découvrir un secret historique.

Leurs albums se succèdent, le second représentant la face plus « américaine » de Lynyrd. « Sweet home alabama » succédait ainsi à free bird sur les radios américaines, même si le premier reste plus populaire que son successeur. 

Dans le bus qui emmène les musiciens en tournée, Clint écoute les deux premiers disques en boucle depuis leur sortie. Ces deux disques sont la quintessence du retour à la terre initiée par Dylan sur John Whesley Hardin. Si pronounced lynyrd skynyrd, et sa beauté mélodique, représentait la face « avant gardiste » du groupe , second helping semble vouloir rassurer les fans de purisme poussiéreux.

D’ailleurs, son point d’orgue n’était même pas « sweet home alabama », simple pique électrique dirigée contre le snobisme de « Mister Neil Young », mais la « ballade of Curtis Law ».  Avec ce titre, le groupe atteignait une grâce digne de Johnny Cash, l’homme qui prouva mieux que tout autre la proximité entre blues et country/folk.

La suite de la discographie des sudistes, si elle contient encore quelques morceaux de bravoure, n’était plus aussi intense. Il restait bien « one more from the road », live qui déchut les who de leur titre de roi du hard blues, mais pourquoi Clint s’extasierait il devant un enregistrement qu’il vit en direct chaque soir. 
                                                                                                                                               
Nous voilà déjà arrivé au début de l’année 1977, cela fait plus de cinq ans que Clint suit l’histoire du nouveau plus grand groupe du monde, et Ronnie Van Zandt lui demande de le rejoindre au bar avec une solennité qui ne lui est pas coutumière.     

Penché sur son verre de Jack, le chanteur a un charisme rustique , une carrure de Bud Spencer allié à la posture menaçante d’un Clint Eastwood.

« Tu te rappelles ce que tu as dit lors de notre première rencontre ? »

« Que ton groupe représentait le futur du rock , et je veux écrire son histoire. »

« Ouaip ! Et bien il est temps que tu élargisses le cadre de ton récit. »

Ne sachant pas comment interpréter cette sentence, Clint s’envoie une gorgée de whisky avec l’air attentif de celui qui s’apprête à découvrir la conclusion d’un grand raisonnement.

« J’ai présenté une bande de petits gars à nos producteurs, et ils pourraient bien mener la déferlante que j’ai annoncé avec Lynyrd. »

« Blackfoot va enfin sortir son premier disque ? »

« Non , Blackfoot deviendra un grand groupe , le plus grand même. Mais notre musique ne peut attendre qu’il atteigne son zénith. »

Le chanteur marque une pause, s’irrigue la glotte, et son teint prend les couleurs chaudes de celui qui ne compte pas ses verres.

« Les mecs s’appellent Molly Hatchet , et c’est bien leur seul défaut… J’ai jamais compris pourquoi ils avaient choisi le nom de cette vieille prostituée, qui réduisait ses clients en corned beef. Eux pensent que ça sonne bien. »

« Il faudrait qu’ils soient sacrément bons pour me donner envie de vous quitter ! »

« Ils le sont, et notre musique ne doit pas être l’affaire d’une seule formation. Nous sommes comme Dylan au Gaslight , on vit pour diffuser notre musique. Et puis ces mecs jouent le boogie comme des dieux, ils marqueront l’histoire. »
                        
Clint allait lancer une dernière contestation , mais Ronnie le stoppa d’une poignée de mains virile.

« Je les ai prévenu, si tu doutes encore d’eux écoute ça, ce sont les premiers titres de leur premier disque. »

Il lui donne la cassette, et se fige ensuite sur le pas de la porte, dans une posture digne de John Wayne sur le point de partir rétablir l’ordre dans les rues de Rio Bravo.    

« T’as intérêt à être parti avec eux demain, sinon je t’y envoie à coup de tiag dans le cul ».

« Une proposition pareille ne se refuse pas ! Bonne route Ronnie. »

« A la prochaine gamin ».

Clint a passé une bonne partie de la nuit à écouter la cassette offerte par Ronnie, sidéré par ce groove familier. Ronnie avait raison, un son du sud est né et il devait raconter son histoire.

Les sessions d’enregistrement du premier album de Molly furent plus calmes, les producteurs savaient qu’ils tenaient désormais un bon filon, il suffisait de le laisser s’épanouir.

Lançant ses discours abrutissants, un vieux poste de télé hurle une phrase qui semble figer le temps.

« L’avion du groupe Lynyrd Skynyrd s’est écrasé, entraînant notamment la mort de leur charismatique chanteur. »

Clint n’avait jamais vu ces solides gaillards aussi secoués, figés comme si ils avaient entendu l’annonce de leur propre mort. Non, l’image n’est pas trop forte, certains symboles ont des allures de blessures mortelles.

Ce n’est pas seulement quelques hommes qui ont disparu dans des circonstances effroyables, c’est l’âge d’or d’une jeunesse sudiste devenue le centre du monde. Ce matin-là , Clint sait que l’âge bénie de ce rock sudiste est déjà terminé, il ne se collera plus à ces groupes plus de quelques jours.

Le genre était entré dans sa période « mature », et on lui colla une poignée d’historiens bourrés de références, il était temps qu’il prenne part à ce grand inventaire.  


  

dimanche 2 février 2020

Rock Storie : south rise again

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Notre récit commence en 1969, dans le célébre Fillmore west de Bill Graham. Hippie convaincu , Clint est un habitué de cette salle , Bill Graham étant pour lui le prophète annonçant de nouveaux cultes psychédéliques. C’est sa programmation qui le fit entrer dans le bain culturel des gobeurs d’acides, le dead et autres Jefferson Airplane lui ouvrant les portes d’un univers inédit.

Ce soir-là, c’est une autre révélation qui l’attendait. Quand raisonnent les premières notes de « whipping post » , Clint sent déjà que cette musique est solidement attachée à la tradition américaine. Planté au milieu des projecteurs, le guitariste a la moustache d’un général sudiste. Mais surtout, ses solos délirants donnent une nouvelle dimension à la culture des pionniers.

On s’attendrait presque à voir John Lee Hooker entrer, une guitare à la main, pour faire résonner son bon vieux jungle beat, le temps d’une jam obsédante. On a beaucoup jacassé sur Clapton,  ce « dieu», qui aurait donné une nouvelle jeunesse au blues. Mais les riffs qu’il développait avec John Mayall défrichaient déjà les terres du proto hard rock.

Les anglais ne se contentent jamais de la tradition, il faut toujours qu’il la déforme au gré de leurs lubies. Même le psychédélisme, musique qui s’épanouit à San Francisco, naquit grâce à la folie avant gardiste des Beatles.

Celui qui redore le mieux le blason poussiéreux des vieux Muddy , Hoocker , et autres BB King , c’est ce sudiste au feeling nourri par ce vieil objet d’admiration, que l’on nomme musique afro américaine.  La grandiose jam de « stratesboro blues , le brasier groovy de « hot lanta » , tous ces titres sont forgés dans le même moule que hoochie coochie man , c’est la même complainte, rallongée par des délires instrumentaux inspirées de l’inventivité jazz.

La soirée finie, Clint décide de quitter San Francisco pour visiter le sud profond. Le rock revient à ses racines, et il se doit de suivre ce retour. Le train qui le conduit roule au milieu des grands espaces , qui donneront les plus belles scènes d’easy rider , et une ouverture grandiose pour le biopic d’Oliver Stones sur les doors. Mais, sur le walkman de Clint , c’est le premier disque des allman qui tourne en boucle , lui faisant répéter à qui veut l’entendre que cette musique est le nouveau grand culte de notre époque.

Les hippies ne sont pas morts à Altamont , où dans le massacre commis par la Manson family. Tous ces événements constituent un folklore macabre, qui ne peut fasciner que les esprits les plus primaires. Ils n’ont aucune portée historique.

Le mouvement Hippie est mort aussi spontanément qu’il est né, ses héros ayant besoin de retrouver la terre ferme, après des années de rêveries délirantes. Janis Joplin aborda les terres d’un blues plus groovy et cuivré , le dead , les byrds , et l’airplane flirtaient avec la country , et canned heat ne tardera pas à signer un grandiose manifeste avec John Lee Hooker.

Un arbre sans racines ne peut que mourir, et le psychédelisme était monté trop haut, toisant les « bouseux » du haut de ses sommets hypnotiques. Clint est interrompu dans sa réflexion par le freinage brutal du train arrivé à destination. A la sortie du véhicule, le soleil à son zénith déploie ses lances incendiaires. La largeur des rues ne fait que renforcer cette impression de marcher en plein désert, et la soif amène rapidement Clint dans un bar digne d’un film de John Ford.

Sur la façade, une affiche annonce le concert du soir, une bande de solides sudistes nommée Lynyrd Skynyrd. Le public, lui aussi, semble sorti des grandes scènes de Sergio Leone. Certains se vantent d’avoir croisé Leadbeally, ou le grand Muddy . Ils montrent ainsi que , pour eux, le blues est aussi sacré que le Jack Daniels.

Au bar , un vieillard à la barbe hirsute gratifie notre héros de ses délires éthyliques.

« Ces mecs , Lynyrd , je leur ai causé tout à l’heure. »

Il marque une pause, et boit son tord boyaux avec une mimique virile façon John Wayne.

«  Des tantes qui ne jurent que par la pop anglaise, cette mode pour snobinard bourgeois. Et puis , c’est quoi ce nom imprononçable ! Il parait que c’est en hommage à un prof de sport qui leurs filait des roustes. Je ne sais pas qui l’a baptisé, mais la gnole qu’il buvait à ce moment-là devait être balèze. »

Clint n’aura pas le temps de répondre, un riff furieusement boogie venant secouer les certitudes de son interlocuteur. « I a m the one » ne fut pas choisi pour rien. C’est un des titres les plus traditionnels de Lynyrd , une musique dénudée jusqu’à l’os , pour n’en garder que la savoureuse moelle.

A côté de Clint , le vieux en restait bouche bée , comme le reste d’un public reconnu pour sa sévérité belliqueuse. Dans ce genre de salle, le blues est un culte, et chaque homme tentant de se l’approprier y risque littéralement sa vie. Mais Lynyrd avait gagné la partie dès les premières notes, ses riffs montrant une ferveur qui ne s’invente pas . Ces jeunots parlaient le même language que leur public.

Rejoint par Rickey Medlocke la veille, le gang termina sa prestation par un free birds tout en puissance soliste. Quand les dernières notes résonnent dans le bar , Rickey est le premier à venir fêter la performance. Cheveux noirs comme le pétrole, le musicien a hérité du charisme mystique de ses ancêtres cherokee. Le barman lui adresse le sourire qu’il réserve aux habitués.

«  Alors Rick , tu as finis par trouver un vrai groupe ! »

La phrase du barman fait l’effet d’une décharge sur le musicien, qui lui lâche un regard à figer un troupeau de buffles en pleine charge.

«  Un jour Blackfoot sera aussi célèbre dans le sud que les allman brothers. Mais en attendant il faut bien manger. »

La prédiction fait rire le barman qui, conscient de la puissance qu’est capable de déployer son interlocuteur lorsqu’il est sur scène , répond d’une voix pleine de conviction.

« ça va réveiller ces tapettes anglaises ! »

« Le rock est anglophone bande de crétins ! Free est aussi important que ce qui se construit ici ! »

Celui qui vient de rugir ainsi n’est autre que Ronnie Van Zandt , le tyrannique chanteur de Lynyrd. Pas aussi épais que Bob Hite , ses grosses paluches ont pourtant fait siffler les oreilles de plus d’un gaillard du coin.

Parmi eux , Gari Rossington se fait discret , il ne tient pas à ramasser la rouste que son chanteur lui réserve déjà à la moindre fausse note.

Ronnie poursuit sur un ton passionné aussi prenant que son chant chaleureux :

« On oppose toujours le rock anglais et américain, mais le rock serait mort depuis les années 50 si certains rosbifs n’étaient pas allés plus loin.

Le débat fut houleux et , sans le retranscrire entièrement ici , on remarquera qu’il résume bien l’affrontement entre traditionalisme et progressisme, que le duo beatles/ stones incarna dans les années 60.

Avant de partir, Clint ose interpeller les héros de la soirée.

« j’aimerais assister à l’enregistrement de votre premier disque . »    
Rickey pose son regard sévère sur lui.

« Qu’est-ce que tu cherches chez une bande de cul terreux comme nous ? Vu ton look tu dois être du genre à t’extasier sur le dead. »

Il est vrai que Clint n’avait pas abandonné son look de clochard céleste. L’apparence, c’est comme les convictions, on en change pas du jour au lendemain. Il trouve tout de même le courage de répondre.

«  Vous êtes l’avenir du rock, et si personne ne le fait, j’écrirais votre histoire. »

« Ok , rendez-vous au studio MCA demain. Il est installé dans un ancien bar paumé du coté de Jacksonville. On prendra la photo de la pochette là-bas aussi . »

Et c’est sur ces belles paroles que se termine ce premier épisode.    

vendredi 13 décembre 2019

Woodstock on water : episode 5 et fin


Le lendemain était une journée charnière, celle dédiée à l’inventivité plutôt qu’au pur rock n roll. Eric voyait ces jours comme une sorte d’apothéose montrant que l’esprit des sixties n’était pas mort. On a donc soigné la mise en place des Lemon Twigs , la sonorisation devait être parfaite , la scène surélevée, montée rapidement, donnait l’impression que le duo en plateforme boots planait au-dessus de la mêlée.

Le programme de ce soir était alléchant, le groupe prévoyant de jouer « go to school » en intégralité, laissant Eric se demander comment dépasser sur scène ce qui relevait du monument sonore sur disque. Les premiers coups de la cloche ouvrant le grand opéra glam le rassurèrent, la sono était impressionnante de précision, et les lemon twigs étaient loin du récital stérile.

Ce qui sonnait comme une version glam de la pop de big star sur le disque, devenait ici un défouloir sauvage digne de Bowie et ses spiders sur la scène de Santa Monica. Le chanteur a paradoxalement une dégaine plus proche de Mick Jagger, la parenté étant atténuée par un air androgyne, qui rappelle l’époque ou l’Angleterre vibrait aux rythmes des mélodies de Ziggy.   

La puissance atteinte ce soir-là était clairement rock , leur théâtralité se faisant moins grandiloquente et plus rageuse, toute en gardant la fraîcheur des mélodies originales. Les moments de grâce ne manquèrent pas , comme la mélodie rêveuse de the lesson, qui ferait presque penser que ce groupe lâche ses refrains avec la même facilité que les beatles dans leurs meilleurs jours.

Ces mélodies ont d’ailleurs un air rustique que n’aurait pas renié Mccartney , une patine traditionnaliste qui donnait aussi plus de charme au grand disque glam de Bowie (ziggy stardust). C’est la grandeur des vrais avant gardistes de mener leur art vers de nouveaux rivages , tout en sachant faire en sorte que la couleur un peu familière de leurs œuvres rassurent les néophytes.

Ces riffs avaient la force des who , les mélodies s’apparentaient aux plus belles « chansons de grands-mères » de Mccartney , mais le mélange était étonnamment frais et moderne. Quand le groupe achève sa poignante et exaltante prestation par une reprise de get it on de T Rex , le témoin semble définitivement repris par une autre génération.

Malgré sa force sonore, le public avait eu droit à la version la plus classe de l’expérimentation rock , il fallait désormais le renvoyer dans la grotte d’où il est sorti après le concert d’airbourne.
Ayant la lourde tâche de succéder à la prestation vibrante des lemmon twigs, Ty Segall est la face cachée de l’avant-garde moderne.

On a souvent parlé de sa puissance sonore, chaos stoogien qui faisait dire que la folie du Detroit des seventies était ressuscitée, mais ce soir c’est une autre identité qui saute aux yeux d’Eric. Le visage peint en vert, comme sur la pochette intérieure de son dernier album, Segall ouvre les hostilités avec un « break a guitar » assourdissant.

Le choix du titre est un symbole en soi, un pied de nez à ce folklore fait de guitares massacrées et autres extravagances scéniques, artifices qui ont toujours marqué le rock seventies. Ce que Segall recherche à travers sa montagne de décibels , c’est une personnalité unique , une liberté artistique qui n’appartiendrait qu’a lui. De cette façon, sa démarche est plus proche de celle des deviants et pink fairies que des stooges, ses riffs sont de véritables rafales mortelles envoyées à la tradition rock.

Si on entrevoit T Rex dans la classe mélodique de « the singer » , elle n’est qu’un élément d’un mélange bouillonnant , où Segall s’autorise parfois à poser un solo déchirant. Entre ses mains, le déjà tonitruant « 21st century schizoid man » de king crimson devient « hazemaze », décharge primitive d’une puissance capable d’ébranler la grande muraille de Chine.  
Même la superbe mélodie acoustique de Sleeper est ici transformée en cri rageur, la mélodie reste mais elle semble vouloir vous grignoter le cerveau. Et c’est ce qui est impressionnant chez Segall , l’homme est radicalement libre sans être snob, son amour de la puissance sans concession se double d’un véritable talent mélodique.

Véritable Zappa primitif, Segall s’amuse avec les rythmes, invente de nouvelles cadences sensées diriger une nouvelle forme de rock. Sur les titres les plus légers, la batterie bondit comme une nuée de sauterelles , les guitares suivant sa cadence saccadée et effrénée.

Puis, comme possédé par l’héritage du grunge, le groupe ralentit le rythme, vous étouffe sous la puissance suffocante de ses riffs plombés, la voix de Segall semblant sortir d’un dôme imposant. Eric  est ravi de constater que Segall sait désormais être féroce, sans gommer la finesse qui se cache derrière la virulence de ses disques. 

Son dernier album live restituait mal cette image de virtuose primitif, qu’il avait enfin imposé ce soir. Sa prestation est prévue comme le final grandiose du show et, alors que je vous raconte la fin de cette histoire, le bateau s’approche sérieusement des côtes américaines. Arrivé sur les berges de la Louisiane, et alors que les dernières notes de « rain » s’évanouissent face à la terre où tout a commencé, Eric prend la parole pour clôturer l’événement.

« Messieurs dames.

Ce soir vous avez vécu bien plus qu’un nouveau woodstock , et c’est pour cela que je voulais terminer notre périple ici, sur la terre ou les grands bluesmen donnaient naissance à la musique que nous célébrons aujourd’hui.

Le rock n’est pas mort, il s’est juste endormi. Endormi à cause du ronronnement complaisant de journalistes passéistes, endormi à cause de la médiocrité pop des groupes mainstream et d’une curiosité massacrée par le conformisme.

Ce soir nous vous avons donné une vision de ce que peut être LE rock , quand on prend le temps de le chercher. Ne vous laissez pas aliéner, nourrissez cette matière vitale que l’on nomme curiosité, et le rock vous le rendra au centuple.

Il n’y aura pas de deuxième édition de ce festival, j’en donne ma parole aujourd’hui, afin que l’ogre capitaliste ne dévore pas tout se qui fit la grandeur de ce que vous venez de vivre. En revanche, nous allons récupérer les lieux où se tenait auparavant les deux fillmores , et allons y donner des concerts de façon indépendante.

Libre à vous de faire en sorte que San Francisco redevienne la capitale du monde. »

Ainsi cette histoire n’est pas totalement terminée, et vous pourrez parfois la voir renaître sur ce site. En attendant, c’est sur les berges du missisipi que notre conte prend fin.   


mardi 10 décembre 2019

Woodstock on Water: Episode 4


Rien ne se passa comme prévu et, victime du mal de mer , Kurt Vile fut bien incapable de monter sur scène à l’heure prévue. Le temps passait, et le public demandait son dû en scandant « we want more ».Dans ce décor, son cri était aussi impressionnant que celui d’une armée de spartiates prête à l’assaut.

Eric n’eut pas le loisir de réfléchir très longtemps, et les frères O Keeffe foncèrent rapidement vers la scène. Notre organisateur ne s’en effraya pas plus que ça, les amplis de Vile était assez puissant pour supporter les charges des Australiens , et ce soir ils allaient être poussés au maximum. A l’arrivée de ce groupe, autant adoré par un public heavy métal de plus en plus important , que part les restes du public classique rock , les cris décuplèrent . Ces barbares voulaient du saignant, et ils allaient être servis.

Disciple de la formule primitive d’ACDC, Airbourne entame son set par raise the flag , leurs roadies se précipitant, pour obéir à cet ordre en hissant un drapeau où le groupe apparaît en compagnie du groupe d’Angus Young. Si il voulait rendre sa jeunesse au rock, Eric ne pouvait imaginer meilleur emblème que cette bande de fous furieux, dont les riffs à la gloire des plus bas instincts étaient au rock ce que la littérature fut longtemps pour le cinéma , une source d’inspiration inépuisable.

Les riffs de O Keeffe ne cherchent nullement à vous émerveiller, leur beauté n’est pas celle des « intellos pop » , et le groupe se fout bien des expérimentations qui faillirent souvent mener le rock à sa perte. Ses boogies en trois accords viennent directement chatouiller le cerveau reptilien de ses milliers de spectateurs, et quand des milliers de personnes semblent revenir à l’âge de pierre, cela crée un effet formidable.  Secouant la tête comme des damnés, hurlant les refrains comme des incitations au combat , la foule est une armée formidable redonnant un sens au mot rock n roll.

Elle transmet aussi son énergie à un lutin guitariste déjà surchauffé, et le voilà qui laisse son groupe jammer sur trois accords pendant qu’il décide d’escalader le mat ! Dieu Bénisse l’homme qui a inventé la guitare sans fil ! Une fois en haut, il se dresse à côté de son drapeau , glorieux corsaire du rock prêt à une nouvelle salve mortelle. Et cette salve n’est autre qu’une reprise de « let there be rock » envoyé sur un rythme hallucinant. Assis au milieu de son solo, voilà notre soliste qui se laisse baller en arrière , et termine son solo la tête en bas , dans la position d’un acrobate de cirque.

Redescendu pendant les dernières notes de la jam du groupe , O Keefe termine la performance sur un dernier riff explosif. Loin d’être rassasié par une telle prestation , le public est désormais chauffé à blanc . Pour succéder à une telle explosion, impossible d’envoyer ce cher Kurt Vile , cette fosse aux lions le dévorerait en moins de deux . Mais personne ne voulait prendre la suite ! Les australiens ont transformé le public en ogre affamé, et personne ne veux servir d’offrande.

Personne, sauf Buckcherry , groupe devant son nom au grand Chuck , et bien décidé à montrer qu’il est le véritable maître du hard boogie blues. Pourtant, il entre bien avec une reprise, Josh Todd hurlant le fameux « kick out the jams motherfucker », pour dompter la bête sauvage qui hurle fasse à lui. Le chanteur a cette sorte de charisme théâtral qu’on ne trouvait plus depuis la disparition de Bon Scott. Il ne chante pas ses textes , il les incarne.

Un peu plus complexe que les bombes d’airbourne , sa musique à mi-chemin entre la spontanéité du père Angus et le brio mélodique de Slash est idéale pour faire redescendre le public, sans faire retomber la tension. Les américains n’ont jamais été très doués pour les ballades , elles plombaient le plus souvent leurs albums , aussi eurent t’ils la bonne idée de ne garder que leurs morceaux les plus saignants.

Une prestation de Buckcherry , c’est simplement cinq mecs tenant une salle de la même façon qu’ils imposeraient le respect aux tauliers du bar le plus glauque du bronx. Le feeling impressionnant de Keith Nelson est d’ailleurs un des rares dignes héritiers de Hendrix , une puissance qui sait se faire heavy sans tomber dans les clichés niais du hard rock/ heavy metal. Et, là encore , la foule aura son lot d’hymnes à répéter en chœur en secouant la tête . « porno star » , « glutonny » ou « time bomb » ne sont rien de moins que les lointains descendants de cette matière vitale, contenue dans « Johnny Be Good ».

Les derniers riffs s’éteignent dans le crépuscule et , en voyant le public vidé de son énergie primaire , Eric pense qu’il est enfin temps de lui envoyer un Kurt Vile remis de son mal. Comme seul soutien, un projecteur est placé sur le coté, de manière à ce que sa lumière tamisée éclaire le nouveau loner, comme Neil Young à la fin d’un concert de CSNY.

Voir cette foule, sortant à peine de sa transe féroce, revenir à un état d’attente passionée relevant presque de la communion, cela redonne fois en la curiosité humaine. Installé sur son haut tabouret, dans une position rappelant Dylan à Newport, Kurt Vile n’allait pas usurper sa réputation underground.

Certes, sa prose est plus personnelle que celle de ses héros, et sa poésie ne cherche pas à être universelle, c’est au contraire son côté désuet qui séduit. Chef d’œuvre de folk moderne, wakin on a pretty day est porteur de cette ambiance rêveuse qui fit la beauté des grands disques de Neil Young, et les violators sont en quelque sorte son crazy horse. 

Contrairement au groupe de Neil Young , les violators ne s’embarquent jamais dans de grandes chevauchées hargneuses , leurs mélodies sont de petits êtres fragiles qu’ils évitent de brusquer. Et pourtant, les riffs sont bien présents , mais ils semblent ne jamais s’emporter. KV crime illustre bien ce procédé, c’est un boogie nuageux, Keith Richard perdu dans les rêveries brumeuses de pink floyd.

Sachant aussi se moquer gentiment de lui-même , il annonce pretty pimping en lâchant « Je me suis peut être inspiré d’un petit groupe de Jacksonville pour le riff », et le voilà qui nous envoie le riff de sweet home alabama, avant de revenir à la retenue de son titre.

Ce soir, les spectateurs son transportés sur un canoë , échoués en pleine mer, avec Kurt et ses violators pour rythmer le balancement des vagues. Ce concert, mélodique et beau, comme a pu l’être Dylan ou Neil Young, en acoustique ne fait que confirmer ce qu’Eric savait déjà : Kurt Vile est une nouvelle étape dans la somptueuse odyssée du folk rock.

La lumière s’éteint après les accords byrdsien issus du disque que Vile a enregistré en duo avec Courtney Barnett, et il est déjà temps de réfléchir au planning du lendemain.