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samedi 6 mars 2021

Nouvelle Rock : Les possédés de Détroit épisode 2


 

« John Sinclair ! »

Après plusieurs minutes de poursuite, Alain avait enfin rattrapé son gourou trotskiste.

JS : - Désolé mais je ne fais confiance qu’à mes fournisseurs. Depuis qu’un flic m’a coffré pour possession d’une poignée de shit qu’il venait lui-même de me vendre, je me méfie de tout le monde. 

A : Je ne te poursuis pas du tout pour ça . Je suis juste un ancien journaliste de cream qui pense avoir trouvé la révélation qu’il est venu chercher. 

Après cette phrase , Sinclair devint bien plus sympathique avec notre héros. Comme tout bon communiste, il considérait la culture comme un formidable outil de propagande.

JS : Excuse-moi pour cette méprise camarade, depuis que j’ai J Edgard Hoover aux fesses je me méfie de tout. »

 A : Je ne suis pas non plus venu te parler de politique … Mais revenons à nos moutons électriques. Je pense que vous êtes l’avenir du rock, je pourrais écrire un papier qui fera décoller votre groupe sur les mêmes sommets que les Stones. 

A ces mots, John eu un sourire carnassier digne de ces dessins de 40, où Staline apparaissait avec un grand couteau entre les dents.

JS : Le MC5 l’est sans doute, mais suis moi puisque je t’intéresse tant.                                                    

Les deux hommes marchèrent pendant de longues minutes, Alain se contentant d’observer les rues pour ne pas perturber la réflexion de son guide. Au bout d’une bonne demi-heure de marche, les deux hommes atteignirent un hôtel sordide où une pancarte précisait « Hôtel réservé aux noirs ».

Voyant Alain continuer naturellement son chemin , John lui secoua l’épaule en lui disant : « Nous y sommes ! Tu ne sais donc pas que je suis noir à l’intérieur ! » Voyant la surprise de son hôte, John expliqua sur un ton amusé comment il était arrivé ici. « Tu sais, les noirs sont plus accueillants envers les blancs que certains beaufs du coin le sont avec les noirs. Un leader des black panthers m’a proposé cette chambre, il disait que je ne pouvais pas militer pour les opprimés sans avoir mis les pieds dans un de ces taudis. »

  Sur un ton sarcastique, il commenta chaque étage que le duo passait :

« Là c’est les toilettes … Ils sont lavés une fois par an . Au point que chaque utilisateur finit par le faire lui-même après son passage. Les canalisations sont si pourries que ça se bouche régulièrement. Quand personne n’a le temps de s’en occuper l’odeur devient vite intenable. »

Il remarquait que , à plusieurs étages , des types le regardaient passer avec un air menaçant. « Ne leur renvoie surtout pas leur regard, beaucoup de types ici arrondissent leur fin de mois en vendant de la drogue ou le corps de leurs poules, alors le moindre nouveau visage est vu comme une taupe potentielle. Le seul moment où ce pays montre un peu de respect pour les noirs, c’est pour les envoyer se faire trouer la peau au Vietnam… Et encore ! Et en plus, si ils tentent de se débrouiller sans les métiers qu’on refuse de leur donner, ils finissent en taule. »

 Arrivé dans la chambre de John , le tarzan rouge fonça chercher un article de journal, et le tendit à son invité.

Sur la couverture, on pouvait lire en grand « Des policiers agressés dans un bar noir ».

JS : Les journalistes sont des chiens du pouvoir, toujours prêt à aboyer les conneries qui feront plaisir à leurs maitres beaufs et racistes. Je te résume rapidement les faits : Un vétéran du Viêtnam venait tranquillement fêter son retour dans ce bar, quand les cognes décidèrent de faire une descente pour vérifier si le taulier avait son autorisation de vendre de l’alcool. Dans la pièce , 82 noirs buvaient joyeusement pour fêter le retour de leur ami , ce qui suffit à ces gros beaufs pour décider de coffrer tout le monde.

Alors , excédé , le taulier a allumé la première étincelle de la révolte , en envoyant un verre à bière sur la tête pleine d’eau d’un milicien hydrocéphale . Mec, ce verre eut à ce moment-là une aura sacrée, un verre à boisson aussi symbolique que le vase de Soissons.

Unis autour de ses éclats  , les hordes opprimées boutèrent les flics hors de ce qui était devenu l’épicentre de la révolution. Car oui, les cinq jours de révolte que Détroit a vécu il y’a trois ans furent enclenchés par le harcèlement stupide d’une bande de poulets prêt à rôtir. 

Comme essoufflé par son récit, John Sinclair partit vers le tourne disque situé au fond de la pièce. Ce qui permis à son hôte d’en placer une.

A : Et c’est pour ça que fut créé le MC5 ?  

JS : En partie, leur musique est nourri par la colère des hommes ayant lutté ce jour-là. Mais il ne faut pas oublier que, même si les blancs du coin les voient comme des sauvages, ce sont bien les noirs qui furent les premiers à répondre à l’oppression de notre état fasciste. Les flics ne tenaient plus rien, le chaos s’installait tout doucement, on était à deux doigts de faire de Détroit la première anarchie américaine. Et puis Johnson a envoyé les chars et tout le monde a préféré arrêter les frais. 

A : «  A t’entendre, on dirait que tu vois la culture comme un moyen d’achever ce que Détroit a commencé il y’a trois ans. Comme si la culture n’était qu’un moyen de propagande. »

JS : « Elle l’a toujours été ! Même si elle ne se résume pas à ça. »

A ce moment, le tourne disque envoya un magma cuivré hallucinant, un ultra free jazz qu’Alain connaissait bien. Avant que notre ex critique ne puisse réagir, Sinclair lâcha sur un ton soulagé.

 JS : Ouf l’électricité passe aujourd’hui. Ecoute moi ça ! Pour moi tu as ici la musique la plus puissante, la plus ambitieuse, et la plus trippante que la terre ait porté. Je suis avant tout un amateur de jazz, je l’ai toujours été , et Sun Ra fait partie de mes dieux. 

Là-dessus Alain et John parlèrent longuement de Sun Ra qui, comme Mahomet, s’était construit deux personnalités distinctes. Il y’eut d’abord le Sun Ra de Chicago, bebopper se laissant progressivement influencer par la musique africaine. C’était l’époque de Jazz by Sun Ra, et surtout du somptueux « Jazz in silhouette ». On pourrait écrire des livres entiers sur l’introduction de saxophone que John Gilmore effectue pour ce disque. Son souffle, limpide comme l’eau du Nil abreuvant les premiers hommes, amène le bop au berceau de l’humanité.

Alain avait découvert ce disque grâce à Lester Bang , qui avait pour habitude de récupérer les albums que les disquaires ne parvenaient pas à vendre. Ne pouvant écouter que du rock, le critique laissait les quelques jazzeries qu’il repêchait à Alain , qui avait ainsi pu suivre passionnément la carrière de Sun Ra.

Après ses années à Chicago, le grand Ra a rejoint New York, sa Mecque à lui, où il est devenu le seul défenseur d’un free jazz cosmique. Sorti en 1965, the héliocentrique word of sun ra faisait passer Ornett Colemann pour un bebopper austère. Les percutions raisonnaient sur un tempo mystique, déchirées par les gloussements sanguinaires de cuivres en rut.

John Sinclair lui fit ensuite un laïus fulgurant sur le Free Jazz , dont la liberté était autant musicale que politique. Largement improvisée et percussive, c’était une musique cent pour cent noir, un black power musical largement revendiqué, entre autres, par Archie Sheep. Musicalement, le free s’évadait des structures austères des dieux du bop , que seul Miles Davis semblait encore représenter.

JS : Tu vois, le free jazz , c’est le rock des noirs . Des types comme Sun Ra expriment la révolte d’un peuple qui ne veut plus que sa couleur de peau l’oblige à fréquenter les hôtels les plus crasseux, subir le mépris le plus virulent, et le harcèlement de policiers bas des képis.

A : Et le MC5 fait le lien entre la révolte exprimée par le free et celle exprimée par le rock .

JS : Tu commences à piger ! La révolte doit d’abord se faire dans les esprits , et le MC5 y contribue. Le jour où l’ouvrier suant 8 heures par jour sur une chaine d’usine et le noir réduit au chômage comprendront qu’ils subissent la même oppression, un vrai changement sera possible. »

Sur ces mots , Sinclair incitât gentiment son hôte à sortir.

« Le concert du MC5 approche. Il est temps que tu ailles trouver ce que tu es venu chercher. »

Après ces belles paroles Alain courut assister à la naissance du rock de Détroit.         

 

 

   

mercredi 27 janvier 2021

Sun Ra : The Heliocentric word of Sun Ra

En 1961 , Ornette Coleman réunit deux quartets en studio , et les dispose l’un en face de l’autre. Les deux formations sont prêtes à en découdre, leur enthousiasme est d’autant plus fort qu’aucun plan ne viendra brider leur sauvagerie. Pour éviter toute édulcoration d’un enregistrement radical, Ornett Coleman a aussi décidé de se passer de pianiste. Les cuivres lancent la charge, les chorus du premier quintet répondant à ceux du second dans un puissant Alamo du swing. Free Jazz a libéré le jazz de ses carcans, ses échanges de chorus désordonnés ouvraient la voie à un monde infini. Certains voient dans ces improvisations le moyen de renouer avec un jazz plus proche de ses racines africaines, théorie conforter par les idées politique d’Archie Sheep , et le monde que construit Sun Ra.

Sans Free Jazz , le leader de l’arkestra serait sans doute resté un grand bebopper inconnu. Son univers africain et mystique commençait néanmoins à poindre sur ses derniers enregistrements effectués à Chicago. On pense notamment aux superbes percussions africaines illuminant « jazz in silhouette », dont le premier titre a la beauté d’une balade sur le Nil, à l’époque où celui-ci était le berceau de la civilisation égyptienne. Jazz in silhouette plante l’arkestra dans les terres de sa mère Afrique , mais c’est bien le free jazz qui lui permit de l’emmener visiter le cosmos.

The heliocentric word of Sun ra sort en 1965 , quatre ans après free jazz , et pousse l’abstraction expérimentée par Coleman à un niveau impressionnant. Le projet sort en trois volumes , mais les trois disques ne seront diffusés dignement qu’en 2010 , plusieurs années après que l’astro black ait quitté ce monde. Véritable Archimède du jazz , Sun Ra invente sur ces disques une nouvelle théorie de la gravitée swing : tout jazz plongé dans son bain de percussions décolle vers le cosmos.

Les percussions trainent et s’emportent, nourrissent des échos que les cuivres viennent régulièrement massacrer dans de grands chorus rageurs. Le free Jazz de Sun Ra , c’est la batterie promue comme le centre d’un nouvelle héliocentrisme. Au lieu de tourner sagement autour de la procession folle de percussions chaudes comme un soleil, les autres instruments s’y frottent, la percutent, ou la masquent dans de courtes éclipses cuivrées. L’oreille est comme l’homme, plongé dans un espace aussi libre il rejette d’abord un univers détruisant tous ses repères.

The heliocentric world of Sun Ra est un disque qu’il faut écouter plusieurs fois, jusqu’à remplacer ses références conventionnelles par celles de ce monde fou. Passé les premières réticences, on se laisse emporter par cet ultra free jazz. L’auditeur se sent alors comme un nouveau Christophe Colomb découvrant le cosmos. Le premier volet des heliocentric word est aussi le plus radical, la virulence d’une batterie cognant sans logique apparente y lutte avec un saxophone, qui hurle comme les guerriers bataillant sur free jazz. Les autres disques sont plus mesurés et le violon entretient pour la première fois l’atmosphère cosmique chère à Sun Ra.

Passé la surprise de chorus où John Gilmore sonne aussi fort que tous les renégats à la solde du seigneur Ornett Coleman, on comprend pourquoi le saxophoniste de Sun Ra a raté son audition pour Miles Davis. Le grand Miles ne se mettra réellement au free que plusieurs années après son âge d’or. Il était trop attaché au attrait des structures modales et bop pour les abandonner si facilement. Or Gilmore est un annihilateur de structure, un musicien dont l’inventivité ne supporte aucun carcan. Avec Sun Ra et l’arkestra , il produit ici le pilier autour duquel toute l’œuvre de ce collectif viendra se fixer. Ces rythmes brûlants, qui entrent en collision avec des cuivres particulièrement belliqueux , forment le ciment dont sera fait la grande « magic city ». Quelques années plus tard, Sun Ra et son arkestra repousseront encore les possibilités de la percussion jazz , sur le fascinant solar myth approach.

Moquée par certains, vénérée par d’autres, la période New Yorkaise de Sun Ra commence vraiment avec ces Heliocentric word. Si cette œuvre est aussi controversée, c’est qu’elle achève le travail de libération démarré avec free jazz. Certains critiques voient ce disque avec les yeux apeurés d’un enfant découvrant le monde, le temps fera donc le travail de réhabilitation qu’ils refusent de faire.

      

vendredi 28 août 2020

Sun Ra : Jazz In Silhouette

Sun Ra: Jazz in Silhouette Label: Saturn LP 5786 12" LP 1958 | Musique


Depuis les années 40 , Chicago est la capitale mondiale du swing , l’épicentre de ses deux avatars Jazz et Blues. Dans ce décor dangereux, Howlin Wolf crie ses douleurs de damné de l’Amérique, et les bluesmen de sa génération prennent la place d’un Jazz qui se marginalise. Il ne faut pourtant pas voir dans ce changement le triomphe du blues sur un style obsolète , tant le rêve cuivré de Neil Armstrong ne cesse de déteindre et d’être influencé par son petit frère. Ce n’est pas pour rien que , sur le grandiose live at regal, BB king est apparu avec une section de cuivres digne d’un big band de jazz.

 Le blues est un jazz qui ne s’est pas embarrassé de progressions harmoniques , c’est là que réside sa force et son plus grand complexe. La génération de Muddy Waters et Howlin Wolf  n’a gardé que ces deux ou trois accords, qui forment l’épicentre sacré du swing. Le bluesman joue 3 accords devant 3000 personnes , le jazzman c’est l’inverse. Cette simplicité a crée un complexe qui perdure encore dans le blues moderne , et s’exprime à travers le spleen cuivré de Warren Hayne , Beth Hart , ou Joe Bonamassa.

 Le jazz n’est pas moins envieux, et les accords de contrebasse de Mingus ont parfois des accents bluesy. Le blues a succédé au jazz, et le bebop a tenté de redorer son blason , accélérant les rythmes pour montrer qu’il était le maître du swing. Dans « au régal des vermines » ,  Nabe fait du bebop le seul gardien du swing, créant  ainsi une bataille de chapelle qui n’a pas lieu d’être. Nabe est un enfant des sixties, il a vu le blues accoucher d’un enfant terrible, qui termina le travail de marginalisation du jazz entamé par son aîné.  

 Le rock a englouti le jazz, d’abord en déployant une énergie qui le transformait en totem du passé, puis en se servant de sa virtuosité pour agrandir le monument à sa gloire. Le jazz devenait une couleur ajoutée à la grande palette du rock triomphant , Zappa , Soft machine et King Crimson inventant un monstre hybride , mais qui restait plus rock que jazz. Si tous ces artistes ont eu l’idée d’électrifier leurs musiques cuivrées , c’est sans doute sous l’influence de blue train , le disque que Coltrane sortit en 1957. 

 Coltrane avait digéré la verve de Chuck Berry, accéléré ses rythmes, et livré ce jazz dit « libre » aux masses impressionnées. Miles Davis enfonce le clou avec Bitch Brew mais, impressionné par le charisme mystique de Hendrix, il préfère se vanter d’avoir réuni « le meilleur groupe de rock n roll du monde ».  

 Entre temps , Sun ra a débarqué à Chicago , et fait ses classes avec Thelonious monk . Il s’est ensuite équipé d’un enregistreur pour produire lui-même ses albums. Fils de la déchéance du jazz , il sort trois disques baignés dans le même chaudron magnifique que les grands disques de Monk et Mingus. « Jazz in silhouette » est le dernier clin d’œil de Sun  Ra à ses contemporains, le disque qui complète le spectre du jazz traditionnel, tout en montrant discrètement une nouvelle voie.

Le saxophone de Enlightement pose les bases d’une mélodie céleste, une beauté crépusculaire portée par des cuivres nonchalants, dont la beauté illumine longtemps l’esprit de l’auditeur. Puis le rythme s’accélère, flirte avec l’énergie du rock n roll sans en reproduire la violence.  Dans leur enthousiasme, les cuivres atteignent les limites de la justesse, flirtent parfois avec la dissonance sans jamais s’y vautrer. C’est un numéro d’équilibriste jouant avec nos nerfs, une série de mélodies jazz où l’influence du rock et du blues menace de tout faire basculer dans le chaos.
Se contentant pour l’instant de rythmes tribaux, les percussions  annoncent le virage afro futuriste que prendra Sun Ra après ce disque. Entrer dans cet album, c’est saluer une belle île désertée, et dont on s’éloigne avec regret, c’est admirer la beauté de ce qui fut tout en apercevant la promesse de lendemains glorieux.

Jazz in Silhouette était trop élaboré, trop mélodique, trop unique pour « le bon vieux temps du rock n roll ». L’époque était celle de Chuck Berry , Elvis , et autre Bo Diddley , elle posait les bases d’une culture qui allait écraser le passé.
 A l’écoute de ce disque, on regrette presque que Sun Ra n’ait pu imposer une nouvelle version du Jazz , comme Bo Diddley et Chuck Berry ont imposé une nouvelle vision du blues.    


samedi 25 juillet 2020

Sun Ra : Magic City


Magic City : Sun Ra, His Solar Arkestra: Amazon.fr: Musique

Né en 1914 , le jeune Herman vie d’abord une enfance paisible. Bon élève, il montre très vite des dons pour la musique. Dès l’adolescence, il lit des partitions, et peut rejouer une musique entendue la veille. Sa vie bascule une première fois en 1942, lorsque la folie des Japonnais fait entrer l’Amérique dans la seconde guerre mondiale. Herman est un pacifiste convaincu, et sa foi catholique l’incite à refuser de participer au conflit.

Réformé pour « trouble schizophrène », le jeune homme passe quelques jours en hôpital psychiatrique. Comme le décrivait Ken Kesey dans « vol au-dessus d’un nid de coucou », ces établissements ne soignent souvent rien d’autre que l’anti-conformisme. Le fou est d’abord celui qui refuse de voir la réalité de façon conventionnelle, et les hôpitaux psychiatriques tentent de lui imposer ce conformisme. Si certains lâchent totalement la rampe , c’est autant à cause de la pression de la bonne société, que par la faute d’une supposée maladie.  Au milieu de ces rejetés de l’Amérique, Sun Ra entre dans un sommeil agité , une révélation lui apparaît en songe.

Au réveil, il affirme que des martiens sont venus à lui, pour le supplier de quitter ses études. Selon eux, Herman doit diffuser sa musique pour sauver le monde de la décadence. A sa sortie d’hôpital , il part pour Chicago , et commence à jouer en compagnie de quelques bebopper locaux. Le Be bop est encore au sommet de son swing primitif, mais Sun Ra ne peut continuer à jouer cette vieille tradition très longtemps.

Entre deux concerts , il passe son temps dans une bibliothèque maçonnique , où il découvre l’univers mystique qui sera le sien. Il se défait alors de son nom, qui était trop lié au passé d’esclave de sa famille, et se renomme Sun Ra. Les concerts de bebop lui on permit de s’entourer d’un big band qu’il nomme l’arkestra , avant de partir vers New York.

Nous sommes déjà au milieu des années 60 , les Merry Prankers ont diffusé le LSD dans toute la ville, et les premiers freaks découvrent le charme du rock psychédélique. Débrouillard, Sun Ra parvient déjà à diffuser ses premières œuvres via un label qu’il vient de créer. Porté aux nues par les beatnik , Sun Ra débarque sur scène en se présentant comme un extraterrestre envoyé sur terre. Cette affirmation surréaliste parait presque crédible quand , déguisé en dieu égyptien , Sun Ra lance ses premières notes.

Encore lié au Be bop , sa musique part dans des structures folles ,  pose les bases du free jazz, qu’il pousse encore plus loin que ne le fera Coltrane ou Miles Davis. De 1965 à 1968 , Sun Ra et son orchestra vivent en communauté fermée , et ne sortent que pour livrer des prestations hallucinées, devant un public qui ne comprend pas ce qui lui arrive.

Sorti en 1968 , Magic City est le fruit de cet enfermement mystique. A force de jams délirantes , l’arkestra est devenu le prolongement de l’esprit formidablement tordu de son créateur. A la première écoute, ce disque vous repousse violemment, il détruit tous vos repères musicaux. La compréhension d’une telle musique ne peut être totale, ses notes sont comme des cerfs fuyant quand le voyageur approche trop.

On pense pouvoir se laisser bercer par l’écho du piano, vite rejoint par des percussions swingantes, sur fond de synthé spatial. La mélodie est presque charmeuse,  et donne l’impression d’entrer dans un bebop martien. Puis la tension monte, les flûtes se font plus stridentes, le synthé plus menaçant.
                              
Magic City est un volcan aux éruptions soudaines, une pièce dont on reconnait la cohérence sans pouvoir prévoir ses prochaines envolées. Les notes s’approchent et s’éloignent , le rythme ralentit pour accélérer brusquement, le décor se fait primitif puis futuriste.

Magic city embarque le jazz sur une autre planète, il a le charme mystérieux de Brazil ou l’armée des 12 singes. Sun Ra est le Terry Gilliam du Jazz , il emmène l’auditeur dans un monde aux règles étranges. Gilliam semblait réinventer la narration , mélangeant les évènements dans un chaos étonnement cohérent, Sun Ra fait la même chose avec ses notes.

Passé les premières réticences, ce disque devient une véritable obsession. Le primitif d’un rythme tribal brise soudainement la quiétude d’un jazz atmosphérique, nous donnant ainsi l’impression de faire un bon de 1000 ans en quelques notes. On commence alors à se demander si ce n’est pas notre société trop évoluée qui nous empêche de s’immerger totalement dans ce chaos magnifique.

La grande force de Sun Ra et l’arkestra se trouve aussi là, cette complexité semble née du hasard, comme si la musique était logiquement partie dans ces contrées inconnues. Il suffit donc de se laisser porter par cette folie douce pour ressentir toute la grandeur de ce chaos visionnaire.