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mardi 4 février 2020

Rock Storie : South will rise again : Partie 2

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Le lendemain , Clint suit la route indiquée , le décor étant si proche de celui de « 3h 10 pour Yuma » , qu’il s’attend presque à être descendu par une canaille planquée sur un toit. Construite comme à l’époque des pionniers, les maisons rustiques ont juste abandonné leurs abreuvoirs à chevaux, devenus inutiles à l’âge de l’automobile.

Devant le studio , il aperçoit le groupe de dos , figé dans une posture hostile, face à une bande d’hommes à la mine renfrognée. Van Zandt se met à hurler comme pour mobiliser ses troupes.

« On va se les faire ces connards ! Je ne changerais pas une note à des titres qu’on répète depuis des mois en concert ! »

Et là , Clint comprend que c’est ainsi que se déroulent les relations musiciens/producteurs à Jacksonville. La tension est digne du duel final du film « le bon la brute et le truand », quand le temps semble se figer en attendant qu’Eastwood appui sur la détente. La bataille, elle, fut moins cinématographique. Cette mêlée virile prenait d’ailleurs des airs burlesques lorsque tous tentèrent d’éviter le gourou de l’ours Van Zandt.  

Ajoutez à cela un chapelet d’injures des plus pittoresques, et vous obtenez une scène surréaliste  qui aurait pu finir dans un film des Monty Pythons. Tout l’enregistrement fut à l’image de cet épisode , un combat entre des ingés sons chargés de donner un vernis pop à ce rock bourru , et des musiciens défendant leur intégrité artistique avec obstination.

Si les combats ponctuant les sessions se déroulaient le plus souvent en dehors des studios, il n’était pas rare de voir une bouteille de jack atterrir sur la figure d’un pauvre producteur. A la fin des enregistrements, Rickey résume le credo du groupe devant un verre de Jack :

« Tu vois gamin, le blues c’est une histoire de transmission. Johnny Winter , Paul Butterfield , Mike Bloomfield , ils ont tous fait leurs classes auprès de leurs grands frères américains. »

Il prend un gorgé, et continue sur le ton d’un conteur tricotant des récits à la gloire des grands bluesmen.

« Jewtown , voilà la ville qui les attira tous , un ghetto afro américain, où ils courraient jouer avec ceux qui les bercèrent. Le rock a commencé à tuer l’apartheid là-bas, dans ce quartier ou les blancs venaient en toute humilité, pour apprendre la culture noire qu’ils écoutaient en cachette. »

Une certaine nostalgie finit par traverser ce visage, on sent la gravité de la mission qu’il se donne à travers son expression solennelle.

« Aujourd’hui, le vinyle a remplacé la scène , les gamins écoutent leurs galettes religieusement, pour y trouver leurs voies. Au point que certains bricolent plus qu’ils ne jouent. »

Sentant la référence venir, Clint lance d’une voie malicieuse : « Comme le dead ? »

« Non, même si ils ont inventé autre chose, Jerry Garcia et sa bande de freaks étaient de vrais musiciens. »

D’un seul coup, ses traits se tendent , annonçant la charge verbale qui va suivre.

« Mais regarde où en sont arrivés ses snobs anglais ! »

Il ponctue son exclamation d’un coup rageur, qui semble faire sursauter les verres posés sur le comptoir.

« Ils citent le Jazz , la musique classique , le tout noyé dans cette saloperie de sirop symphonique. Ils pensent que les références masquent le vide de leur musique, mais ce n’est qu’une mode qui finira par s’éteindre. »

« Notre disque bottera le cul de Robert Fripp et ses congénères pédants, la jeunesse va redécouvrir le rock. »

Le premier disque de Lynyrd sort quelques jours plus tard, en cette belle année 71.  Le groupe est alors convoqué en première partie des stones, « le seul groupe de rock anglais respectable » selon les sudistes.

Impressionnant de maitrise, ce qui ne devait être qu’un faire-valoir devient une des attractions de la tournée américaines des stones, qui doivent sortir le grand jeu pour éviter de se faire voler la vedette. En coulisse, avant que leurs chemins ne se séparent définitivement, Keith apprend l’open tunning à des Lynyrd médusés.

Les musiciens savouraient leur chance, et écoutaient religieusement le riff master. Let it bleed , beggar banquets, sticky finger formaient un trio sacré , une série de disques pop trempés dans la musique fabuleuse des pionniers.

Keith est l’âme des stones, qui n’ont jamais été aussi bon que depuis qu’il a renoué avec ses racines. Des racines étroitement liées à cet open running, qu’il apprit auprès des bluesmens. Lynyrd ne s’en servira jamais pour lui, mais ce soir-là il eut l’impression de découvrir un secret historique.

Leurs albums se succèdent, le second représentant la face plus « américaine » de Lynyrd. « Sweet home alabama » succédait ainsi à free bird sur les radios américaines, même si le premier reste plus populaire que son successeur. 

Dans le bus qui emmène les musiciens en tournée, Clint écoute les deux premiers disques en boucle depuis leur sortie. Ces deux disques sont la quintessence du retour à la terre initiée par Dylan sur John Whesley Hardin. Si pronounced lynyrd skynyrd, et sa beauté mélodique, représentait la face « avant gardiste » du groupe , second helping semble vouloir rassurer les fans de purisme poussiéreux.

D’ailleurs, son point d’orgue n’était même pas « sweet home alabama », simple pique électrique dirigée contre le snobisme de « Mister Neil Young », mais la « ballade of Curtis Law ».  Avec ce titre, le groupe atteignait une grâce digne de Johnny Cash, l’homme qui prouva mieux que tout autre la proximité entre blues et country/folk.

La suite de la discographie des sudistes, si elle contient encore quelques morceaux de bravoure, n’était plus aussi intense. Il restait bien « one more from the road », live qui déchut les who de leur titre de roi du hard blues, mais pourquoi Clint s’extasierait il devant un enregistrement qu’il vit en direct chaque soir. 
                                                                                                                                               
Nous voilà déjà arrivé au début de l’année 1977, cela fait plus de cinq ans que Clint suit l’histoire du nouveau plus grand groupe du monde, et Ronnie Van Zandt lui demande de le rejoindre au bar avec une solennité qui ne lui est pas coutumière.     

Penché sur son verre de Jack, le chanteur a un charisme rustique , une carrure de Bud Spencer allié à la posture menaçante d’un Clint Eastwood.

« Tu te rappelles ce que tu as dit lors de notre première rencontre ? »

« Que ton groupe représentait le futur du rock , et je veux écrire son histoire. »

« Ouaip ! Et bien il est temps que tu élargisses le cadre de ton récit. »

Ne sachant pas comment interpréter cette sentence, Clint s’envoie une gorgée de whisky avec l’air attentif de celui qui s’apprête à découvrir la conclusion d’un grand raisonnement.

« J’ai présenté une bande de petits gars à nos producteurs, et ils pourraient bien mener la déferlante que j’ai annoncé avec Lynyrd. »

« Blackfoot va enfin sortir son premier disque ? »

« Non , Blackfoot deviendra un grand groupe , le plus grand même. Mais notre musique ne peut attendre qu’il atteigne son zénith. »

Le chanteur marque une pause, s’irrigue la glotte, et son teint prend les couleurs chaudes de celui qui ne compte pas ses verres.

« Les mecs s’appellent Molly Hatchet , et c’est bien leur seul défaut… J’ai jamais compris pourquoi ils avaient choisi le nom de cette vieille prostituée, qui réduisait ses clients en corned beef. Eux pensent que ça sonne bien. »

« Il faudrait qu’ils soient sacrément bons pour me donner envie de vous quitter ! »

« Ils le sont, et notre musique ne doit pas être l’affaire d’une seule formation. Nous sommes comme Dylan au Gaslight , on vit pour diffuser notre musique. Et puis ces mecs jouent le boogie comme des dieux, ils marqueront l’histoire. »
                        
Clint allait lancer une dernière contestation , mais Ronnie le stoppa d’une poignée de mains virile.

« Je les ai prévenu, si tu doutes encore d’eux écoute ça, ce sont les premiers titres de leur premier disque. »

Il lui donne la cassette, et se fige ensuite sur le pas de la porte, dans une posture digne de John Wayne sur le point de partir rétablir l’ordre dans les rues de Rio Bravo.    

« T’as intérêt à être parti avec eux demain, sinon je t’y envoie à coup de tiag dans le cul ».

« Une proposition pareille ne se refuse pas ! Bonne route Ronnie. »

« A la prochaine gamin ».

Clint a passé une bonne partie de la nuit à écouter la cassette offerte par Ronnie, sidéré par ce groove familier. Ronnie avait raison, un son du sud est né et il devait raconter son histoire.

Les sessions d’enregistrement du premier album de Molly furent plus calmes, les producteurs savaient qu’ils tenaient désormais un bon filon, il suffisait de le laisser s’épanouir.

Lançant ses discours abrutissants, un vieux poste de télé hurle une phrase qui semble figer le temps.

« L’avion du groupe Lynyrd Skynyrd s’est écrasé, entraînant notamment la mort de leur charismatique chanteur. »

Clint n’avait jamais vu ces solides gaillards aussi secoués, figés comme si ils avaient entendu l’annonce de leur propre mort. Non, l’image n’est pas trop forte, certains symboles ont des allures de blessures mortelles.

Ce n’est pas seulement quelques hommes qui ont disparu dans des circonstances effroyables, c’est l’âge d’or d’une jeunesse sudiste devenue le centre du monde. Ce matin-là , Clint sait que l’âge bénie de ce rock sudiste est déjà terminé, il ne se collera plus à ces groupes plus de quelques jours.

Le genre était entré dans sa période « mature », et on lui colla une poignée d’historiens bourrés de références, il était temps qu’il prenne part à ce grand inventaire.  


  

MOUNTAIN : Avalanche (1974)

FORMATION :
Felix Pappalardi : basse, chant
Leslie West : guitare, chant
David Perry : guitare
Corky Laing : batterie 

 

Alors que je « débutais » dans le hard rock au début des années 80 écoutant progressivement les grands noms et les grands disques de ce style musical, un copain fan de Cream et de Led Zeppelin notamment, m'a prêté cet album. « Avalanche » est donc l'album qui m'a fait découvrir Mountain. Ce n'est pas leur meilleur album, celui-ci étant sans doute Climbing (1970), plus homogène en qualité et qui contient leur grand classique « Mississipi Queen ».

Trois albums sont sortis en 1970 et 1971 puis le groupe a fait une courte séparation avant de se reformer pour enregistrer « Avalanche » puis de se dissoudre une nouvelle fois.
Mountain à cette époque était réputé pour ses longues improvisations « live ».
Le groupe est d'ailleurs nettement influencé par Cream, notamment pour la guitare (même si le son de Mountain est plus « hard ») mais ce n'est pas un hasard puisque Felix Pappalardi a travaillé avec Cream dont il a produit certains albums. Presque un Cream des 70s ; de toute façon Mountain joue du hard rock blues mais avec un son très fin 60s.
Donc Mountain n'est pas sorti du néant et ses musiciens étaient déjà aguerris depuis les sixties.


A la première écoute de ce disque ce qui m'avait marqué comme je l'ai déjà dit était le son extraordinaire de la guitare, facilement reconnaissable et plus de 35 ans après je trouve ce son toujours aussi génial et il me fait toujours le même effet envoûtant, un son comme sorti d'une boîte magique (encore une fois il rappelle celui de Clapton avec Cream).
Ce qui surprend aussi c'est le contraste entre les titres composés et chantés par Leslie West (guitare) et ceux de Felix Papalardi (basse), contraste pour ne pas dire opposition entre la voix et la composition elle-même (en plus du contraste physique, sorte de Laurel et Hardy).


West compose du blues rock bien gras, qui tâche (« You better believe it » et chante avec une voix rauque (et paradoxalement il compose aussi les titres accoustiques, instrumentaux comme « Alisan » ou les ballades) tandis que Papalardi compose du blues rock beaucoup plus fin, plus mélodique, avec des refrains plus pop et a une voix beaucoup plus claire comme sur « Sister justice »).
Mais au final les deux types de voix et de compositions se complètent bien et le tout reste cohérent.


J'avoue une préférence pour les morceaux écrits par le bassiste : « Sister justice », « Swamp boy » qui aurait pû être écrit par les Who de la fin des années 60, entre blues rock, hard rock et avec un refrain pop qui claque et surtout  « Thumbsucker » excellent, vraiment typique du son et du style Mountain.
L'album commence bizarrement par une reprise très rock'n'roll « Whole Lotta shakin goin on » néanmoins assez réussie. Toutefois on est en droit de se poser la question: mais qu'est ce qu'ils sont tous ces groupes de la fin des années 60 / début 70 (Ten Years After, Creedence clearwater revival, Mountain...) à reprendre des standards du rock des 50s ?
Bien sur c'en en hommage mais ici par exemple débuter l'album avec ce titre me paraît être une faute de goût et surtout c'est vraiment en décalage avec le reste de l'album.
Parmi les autres titres on peut citer « Alisan » instrumental accoustique très folk bluesy où Leslie West démontre son talent de guitariste et « Back where I belong » du boogie rock'n'roll qui pulse !


On note également « Satisfaction » une reprise des Rolling Stones ; pourquoi pas mais je ne vois pas trop l'intérêt de reprendre un tel titre ici.
Mais globalement à l'inverse de « Climbing » on est ici sur courant alternatif, où le très bon cotoie le moyen et au final cela donne un album un peu irrégulier même si le positif l'emporte sur le négatif.

Malheureusement nous sommes en 1974 et ce genre de style très en vogue en 1970 et très typique de l'époque, est désormais un peu passé de mode, d'ailleurs il restera comme le dernier album du groupe avant l'arrêt définitif.
Puis les rumeurs de reformation entre West et Pappalardi cesseront avec l'assissinat de ce dernier par sa femme en 1983 lors d'une dispute : triste fin.
Malgré tout Leslie West relancera occasionnellement le groupe pour quelques albums entre 1985 et 2010.

Avalanche est donc le dernier album du groupe dans sa formation « classique », pas le meilleur certes mais intéressant malgré tout ; et c'est pour moi un album qui a compté dans ma culture musicale. Et qui contient selon moi deux petits bijoux oubliés « Thumbsucker «  et « Swamp boy ».
Mountain fait partie avec Cactus, Humple Pie, Ten Years After et Grand Funk Railroad des groupes qui furent importants aux débuts des 70's et qui depuis sont malheureusement tombés dans un (relatif) oubli.


lundi 3 février 2020

Inclassablement bon !




Le disque commence et "Devo Corporate Anthem" installe une ambiance "futuristo moyen-ageuse". Vous n'êtes pas dans un disque pop punk rock classique, vous êtes chez DEVO. Un groupe robotico weird qui foisonne de trouvailles musicales décalées mais souvent jouissives.
A l'écoute on pourrait s'imaginer dans une espèce de club futuriste entouré de robots qui servent des cocktails fumants pendant que le band joue des morceaux étranges sur des instruments qui ne le sont pas moins.
Bon disque mais inégal qui manque un peu de patate ou de folie par rapport au précédent "Are we not men" et au suivant "Freedom of choice". Trois ou quatre titres plus faibles de moins et il aurait été presque parfait. Et oui les D i Vi O sont toujours dingues mais un peu plus calmes comme si on leur avait enfilé une camisole de force ou qu'on leur avait enlevé leur chapeaux « pots de fleurs » ou dômes d'énergie !
Bruitages divers et synthétiseurs sont bien plus présents sur cet album mais pas toujours à bon escient. Le chant estupido assumé si caractéristique, cet espèce de rythme saccadé voire désarticulé, ces soli (Secret agent man) ou ces riffs de synthé (Smart patrol / Strange pursuit)) venus d'ailleurs mais surtout pas de la norme et cette énergie débilo sautillante (The day my baby game me a surp) sont bien présents et font qu'on ne s'ennuie pas. Un disque de twist robotico punk qui ne se démode pas et toujours en avance sur son temps, même en 2050 !
Notons que la fin de l'album est superbe avec des outro où DEVO déchire la camisole (Smart patrol / Pink pussycat).
Une des force de DEVO : un groupe sérieux qui ne se prend pas au sérieux !

dimanche 2 février 2020

Rock Storie : south rise again

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Notre récit commence en 1969, dans le célébre Fillmore west de Bill Graham. Hippie convaincu , Clint est un habitué de cette salle , Bill Graham étant pour lui le prophète annonçant de nouveaux cultes psychédéliques. C’est sa programmation qui le fit entrer dans le bain culturel des gobeurs d’acides, le dead et autres Jefferson Airplane lui ouvrant les portes d’un univers inédit.

Ce soir-là, c’est une autre révélation qui l’attendait. Quand raisonnent les premières notes de « whipping post » , Clint sent déjà que cette musique est solidement attachée à la tradition américaine. Planté au milieu des projecteurs, le guitariste a la moustache d’un général sudiste. Mais surtout, ses solos délirants donnent une nouvelle dimension à la culture des pionniers.

On s’attendrait presque à voir John Lee Hooker entrer, une guitare à la main, pour faire résonner son bon vieux jungle beat, le temps d’une jam obsédante. On a beaucoup jacassé sur Clapton,  ce « dieu», qui aurait donné une nouvelle jeunesse au blues. Mais les riffs qu’il développait avec John Mayall défrichaient déjà les terres du proto hard rock.

Les anglais ne se contentent jamais de la tradition, il faut toujours qu’il la déforme au gré de leurs lubies. Même le psychédélisme, musique qui s’épanouit à San Francisco, naquit grâce à la folie avant gardiste des Beatles.

Celui qui redore le mieux le blason poussiéreux des vieux Muddy , Hoocker , et autres BB King , c’est ce sudiste au feeling nourri par ce vieil objet d’admiration, que l’on nomme musique afro américaine.  La grandiose jam de « stratesboro blues , le brasier groovy de « hot lanta » , tous ces titres sont forgés dans le même moule que hoochie coochie man , c’est la même complainte, rallongée par des délires instrumentaux inspirées de l’inventivité jazz.

La soirée finie, Clint décide de quitter San Francisco pour visiter le sud profond. Le rock revient à ses racines, et il se doit de suivre ce retour. Le train qui le conduit roule au milieu des grands espaces , qui donneront les plus belles scènes d’easy rider , et une ouverture grandiose pour le biopic d’Oliver Stones sur les doors. Mais, sur le walkman de Clint , c’est le premier disque des allman qui tourne en boucle , lui faisant répéter à qui veut l’entendre que cette musique est le nouveau grand culte de notre époque.

Les hippies ne sont pas morts à Altamont , où dans le massacre commis par la Manson family. Tous ces événements constituent un folklore macabre, qui ne peut fasciner que les esprits les plus primaires. Ils n’ont aucune portée historique.

Le mouvement Hippie est mort aussi spontanément qu’il est né, ses héros ayant besoin de retrouver la terre ferme, après des années de rêveries délirantes. Janis Joplin aborda les terres d’un blues plus groovy et cuivré , le dead , les byrds , et l’airplane flirtaient avec la country , et canned heat ne tardera pas à signer un grandiose manifeste avec John Lee Hooker.

Un arbre sans racines ne peut que mourir, et le psychédelisme était monté trop haut, toisant les « bouseux » du haut de ses sommets hypnotiques. Clint est interrompu dans sa réflexion par le freinage brutal du train arrivé à destination. A la sortie du véhicule, le soleil à son zénith déploie ses lances incendiaires. La largeur des rues ne fait que renforcer cette impression de marcher en plein désert, et la soif amène rapidement Clint dans un bar digne d’un film de John Ford.

Sur la façade, une affiche annonce le concert du soir, une bande de solides sudistes nommée Lynyrd Skynyrd. Le public, lui aussi, semble sorti des grandes scènes de Sergio Leone. Certains se vantent d’avoir croisé Leadbeally, ou le grand Muddy . Ils montrent ainsi que , pour eux, le blues est aussi sacré que le Jack Daniels.

Au bar , un vieillard à la barbe hirsute gratifie notre héros de ses délires éthyliques.

« Ces mecs , Lynyrd , je leur ai causé tout à l’heure. »

Il marque une pause, et boit son tord boyaux avec une mimique virile façon John Wayne.

«  Des tantes qui ne jurent que par la pop anglaise, cette mode pour snobinard bourgeois. Et puis , c’est quoi ce nom imprononçable ! Il parait que c’est en hommage à un prof de sport qui leurs filait des roustes. Je ne sais pas qui l’a baptisé, mais la gnole qu’il buvait à ce moment-là devait être balèze. »

Clint n’aura pas le temps de répondre, un riff furieusement boogie venant secouer les certitudes de son interlocuteur. « I a m the one » ne fut pas choisi pour rien. C’est un des titres les plus traditionnels de Lynyrd , une musique dénudée jusqu’à l’os , pour n’en garder que la savoureuse moelle.

A côté de Clint , le vieux en restait bouche bée , comme le reste d’un public reconnu pour sa sévérité belliqueuse. Dans ce genre de salle, le blues est un culte, et chaque homme tentant de se l’approprier y risque littéralement sa vie. Mais Lynyrd avait gagné la partie dès les premières notes, ses riffs montrant une ferveur qui ne s’invente pas . Ces jeunots parlaient le même language que leur public.

Rejoint par Rickey Medlocke la veille, le gang termina sa prestation par un free birds tout en puissance soliste. Quand les dernières notes résonnent dans le bar , Rickey est le premier à venir fêter la performance. Cheveux noirs comme le pétrole, le musicien a hérité du charisme mystique de ses ancêtres cherokee. Le barman lui adresse le sourire qu’il réserve aux habitués.

«  Alors Rick , tu as finis par trouver un vrai groupe ! »

La phrase du barman fait l’effet d’une décharge sur le musicien, qui lui lâche un regard à figer un troupeau de buffles en pleine charge.

«  Un jour Blackfoot sera aussi célèbre dans le sud que les allman brothers. Mais en attendant il faut bien manger. »

La prédiction fait rire le barman qui, conscient de la puissance qu’est capable de déployer son interlocuteur lorsqu’il est sur scène , répond d’une voix pleine de conviction.

« ça va réveiller ces tapettes anglaises ! »

« Le rock est anglophone bande de crétins ! Free est aussi important que ce qui se construit ici ! »

Celui qui vient de rugir ainsi n’est autre que Ronnie Van Zandt , le tyrannique chanteur de Lynyrd. Pas aussi épais que Bob Hite , ses grosses paluches ont pourtant fait siffler les oreilles de plus d’un gaillard du coin.

Parmi eux , Gari Rossington se fait discret , il ne tient pas à ramasser la rouste que son chanteur lui réserve déjà à la moindre fausse note.

Ronnie poursuit sur un ton passionné aussi prenant que son chant chaleureux :

« On oppose toujours le rock anglais et américain, mais le rock serait mort depuis les années 50 si certains rosbifs n’étaient pas allés plus loin.

Le débat fut houleux et , sans le retranscrire entièrement ici , on remarquera qu’il résume bien l’affrontement entre traditionalisme et progressisme, que le duo beatles/ stones incarna dans les années 60.

Avant de partir, Clint ose interpeller les héros de la soirée.

« j’aimerais assister à l’enregistrement de votre premier disque . »    
Rickey pose son regard sévère sur lui.

« Qu’est-ce que tu cherches chez une bande de cul terreux comme nous ? Vu ton look tu dois être du genre à t’extasier sur le dead. »

Il est vrai que Clint n’avait pas abandonné son look de clochard céleste. L’apparence, c’est comme les convictions, on en change pas du jour au lendemain. Il trouve tout de même le courage de répondre.

«  Vous êtes l’avenir du rock, et si personne ne le fait, j’écrirais votre histoire. »

« Ok , rendez-vous au studio MCA demain. Il est installé dans un ancien bar paumé du coté de Jacksonville. On prendra la photo de la pochette là-bas aussi . »

Et c’est sur ces belles paroles que se termine ce premier épisode.    

mercredi 29 janvier 2020

Gov't Mule : Live with a little help


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Le roxy theater restera , pour beaucoup , la salle où Zappa atteignit le sommet du free jazz déjanté. Dans ce décor respectant parfaitement la grandiloquence de Los Angeles , le fou à moustache a donné les plus grands concerts de sa vie , accompagné du plus grand groupe qui l’ai jamais porté .

Comme lui , gov’t mule va vivre ici une soirée historique, le début de son virage vers une musique plus mature. On ne le répétera jamais assez, mais « dose » était le sommet d’une musique foudroyante, qui ne pouvait que s’émousser au fil des répétitions.  En vieux routard, les américains cherchèrent leurs voies sur scène, espace de totale liberté, où ils développaient des improvisations uniques. 

A ce titre, le premier disque constitue le début de la route, la mule fouillant dans ses influences comme un guerrier du blues faisant l’inventaire de ses armes. Vient bien sûr d’abord le blues, et ce thorazine shuffle rallongé avec bonheur, dans la pure tradition des frères allman. Cette ouverture représente le socle permettant au groupe de décoller sans perdre pied, c’est la sève savoureuse d’une œuvre qui ne cesse de ce complexifier.

A la fin du titre, Hayne souhaite à son public une bonne année 1999, époque célébrant un rock alternatif dont il est très éloigné. Comme pour enfoncer le clou de cette différence, le riff plombé de « war pigs » vient secouer les murs de l’impressionnante enceinte. La version des sudistes est moins sombre , moins immédiate aussi , le trio ne pouvant s’empêcher de rallonger ses coups de tonnerre à travers de savoureuses improvisations.

On reconnaîtra à leur batteur le mérite de faire oublier la frappe assommante de Bill Ward , le groove du groupe donnant au tout un coté plus puissant que braillard. Hayne n’est pas Ozzy , et son chant plein de lamentation, allié à ses solos virtuoses achève de prouver que , à une certaine époque, le sabb prêchait bien le même culte que les pionniers du hard blues.

Le clou est enfoncé par cette version habitée de 30 days in a hole , le brûlot rock d’humble pie, transcendé par la force d’une jam où son énergie viscérale pactise avec  l’épaisseur graisseuse engendré par le zeppelin de plomb.  On ne s’étonnera pas que « mr big » referme ce premier ballet d’hommage, la finesse rugueuse de free ayant donné un second souffle au rock venu du sud-américain.  

Déjà transcendé sur son premier album studio, Mr Big s’ouvre sur un solo qui semble demander la bénédiction des pionniers du chicago blues. Puis vient ce riff inusable, boogie lancinant au feeling vicieux. Les anglais ont toujours cherché ce son, cette grâce traditionnelle, mais seules les américains semblent capable de l’exprimer avec autant de pureté.

Le blues anglais a toujours eu quelque chose d’un peu hors sujet, une finesse mélodique plus pop que purement blues, c’est sa grandeur et son plus grand complexe. La mule ne fait pas exception à la règle, qui veut que les musiciens américains sont réellement habités par le blues, et donne au titre de free un nouvel aboutissement.

Du Boogie , on en aura encore une bonne tranche avec ce « look on yonder wall » , au riff sautillant que n’aurait pas renié status quo du temps de sa splendeur. Un piano bastringue fait son entrée, subtile annonce d’une deuxième partie de concert où le groupe semble se métamorphoser. 

On part ensuite sur quelque chose de plus sophistiqué, comme la superbe intro jazzy de soulshine. Le feu d’artifice se fera alors plus mélodique, plus musical aussi, comme pour donner plus de profondeur à une performance des plus intenses.

Et c’est cette seconde partie, où les jams du groupe laissent percer leurs douceurs cajoleuses, qui s’avère la plus intéressante. Le tout trouve son point d’orgue sur « Cortez the killer », monument du loner, dont la mule étire le folk méditatif sans en amenuiser la beauté bucolique.

Beaucoup penseront que la seconde vie de gov’t mule ne démarrera qu’à la mort de son premier bassiste, mais les germes d’une seconde partie de carrière grandiose se trouvaient déjà sur ce disque.  

lundi 27 janvier 2020

Gov't mule : Dose




Le power trio est la base du rock , la formule qui lui permet d’atteindre la quintessence de son art . Si ses plus grands représentants, cream et l’experience de Hendrix, pouvaient se permettre de partir dans des expérimentations planantes ou jazzy, c’est parce que cette formule préservait cette force primaire qui fait le vrai rock n roll.

En 1999, gov’t mule est encore loin du raffinement élitiste qui fera le charme de sa seconde partie de carrière. Sorti quelques mois auparavant, son premiers album est un manifeste foudroyant , un pavé entrant dans la longue tradition du rock graisseux. Au centre de ce disque, leur reprise de « Mr Big » était leur « hey joe », une façon de saluer ses influences musicales, avant de tracer son propre sillon. Comme Lynyrd , gov’t mule est une réunion d’américains mordus de Free et autres fulgurances anglaises.

L’énergie qu’il développe sur son premier album a d’ailleurs autant de point commun avec ceux qui inventèrent un hard blues anglais , qu’avec le groove des rejetons des frères Allman. On pourrait même voir dans ce brûlot terreux l’aboutissement de ce que la bande à Van Zandt avait si bien représenté , avant de s’écraser dans un accident d’avion qui fût, pour les amateurs de boogie blues, ce que le service militaire d’Elvis fut pour les plus puristes. C’est-à-dire un traumatisme.

Mais ce serait faire l’impasse sur son petit frère « dose », où le groupe approfondit le sillon sulfureux qu’il a découvert. Ayant porté la jam au rang de source divine, le groupe de Warren Hayne continue d’y puiser la matière d’un groove secouant les racines de la musique du sud avec une certaine classe virile. L’esprit aventureux du Jazz dirige ainsi un vaisseau fou, lancé à cent à l’heure , sur une route parcourant les berges du missisipi . Le bolide est ici nourri par l’énergie issue du black country , terre natale de black sabbath, et théâtre des premiers exploits du duo Plant/ Bonham.

Ces improvisations sont autant de chemins tortueux, où le groupe forge son œuvre jusqu’à lui donner une force viscérale. Ils sont une bande de sculpteurs musicaux, recherchant à s’approprier l’art de leurs pygmalions. Ces instrumentaux sont leurs coups de burins passionnés, une matière faite de boucles hypnotiques, où le jazz devient l’opium du blues, la force électrique transformant le tout en lance transperçant les frontières qui séparent les sauvages à boucles blondes, les pionniers du blues spirituel, et les rednecks célestes.

Et ne venez pas me trouver là-dedans une énième répétition de ce que les frères allmans firent si bien quand skydog(Duane) les dirigeait de son doigté unique. Les allman n’auraient jamais lancé de tels assauts dignes de coups de canons sur les murs d’Alamo, leur purisme n’y aurait pas survécu.

Ecoutez « game face » , et sa batterie martelant avec une violence convoquant le fantôme de John Bonham, force qui oblige la guitare à rugir, pour imposer ses solos gras et lumineux. Ce titre est la représentation la plus pure de cette lourdeur délicieusement groovy , qui fait de cette musique un édredon sauvage, dans lequel peuvent se lover les amateurs d’une certaine classe burnée.

Sur les ballades comme raven black night , cette force entretient une pression fascinante. La centrale surchauffe et les explosions soniques sont grandioses. Hayne part d’ailleurs dans un solo s’apparentant à un lointain écho de ce que Gilmour développa lors de ses décollages cosmiques, sur un towerin fool en forme de blues céleste.

Puis tout le monde revient sur terre, et quitte à saluer ses racines autant brasser large. « John the revelator » est une danse voodoo que n’aurait pas reniée Dr John , un boogie poussièreux dans lequel les rythmes cajins saluent les esprits des natives americans, pendant que le spleen dansant vient rappeler ce vieil objet de fascination qu’est la musique afro américaine.

Des stones aux white stripes , les groupes les plus salués ne sont réellement devenus cultes que quand ils transcendèrent leurs influences. On reconnait un arbre à la solidité de ses racines, et à ce jeu-là , dose est peut être un des plus beaux fruits de l’arbre rock.

samedi 25 janvier 2020

THIN LIZZY : thunder and lightning (1983)

Formation
Phil Lynott : chant, basse
Scott Gorham : guitare
John Sykes : guitare
Brian Downey : batterie
Darren Wharton : claviers


Déjà à partir de Chinatown (1980) et de Renegade (1981) on avait pressenti un tournant ; Thin Lizzy en effet, avait commencé à laisser un peu de côté la facette blues rock de ses débuts pour un son plus hard rock des années 80.
Ce « Thunder and lightning » sorti en 1983, continue sur cette voie, dernier album studio du groupe, l'un des meilleurs aussi (avec Black Rose et Jailbreak, mais bien sur je mets de côté les deux excellents double live dont le magique « Live and dangerous »).
Avec l'arrivée de John Sykes (ex Tygers of Pan Tang et donc forcément estampillé NWOBHM), même si celui-ci ne compose qu'un titre le très bon «Cold sweat » , Thin Lizzy prend une direction plus agressive, plus heavy et plus métal qu'à l'accoutumé après les corrects « Chinatown «  et « Renegade » auxquels ils manquaient cependant une petite flamme, une petite étincelle de génie après le très bon « Black rose ».
« Thunder and lightning » (sans doute le titre le plus  « violent » enregistré par le groupe) et à un degré moindre « This is the one »(plus mélodique) donnent le ton, ici c'est l'énergie qui primera tout le long du disque sauf sur le magnifique petit bijou qu'est « Sun goes down » balade planante et majestueuse du meilleur effet qui donne l'impression d'avoir une parenté plus ou moins lointaine avec Riders on the storm des Doors.

« Holy war » avec ses effets de basse en intro et son clavier en toile de fond est également intéressant ainsi que les trois derniers morceaux qui finissent l'album notamment l'enchaînement  « Bad habits » et « Heart attack », plein de finesse dans le chant de Lynott et dans le refrain.
Peut-être manque t-il juste un titre phare comme « Angel of death » ou « Black rose » .
Mais rassurez vous il n'y a quasiment que des bons morceaux, Thin Lizzy montrant une fois de plus que l'équilibre parfait entre mélodie et énergie n'est pas une utopie et Lizzy est l'un des rares groupes a avoir trouvé la recette (écoutez par exemple « Baby please don't go » qui en est le parfait exemple) .
La paire de guitaristes Sykes / Gorham fait merveille...et toujours la superbe voix veloutée de Phil Lynott.

Quant à Wharton, qui fait désormais partie du groupe à part entière depuis Renegade, il ajoute sa pierre à l'édifice grâce à l'apport de son clavier (bien présent mais pas omniprésent), en parfaite osmose avec l'ambiance musicale du disque et trouve sa place avec bonheur. Si vous cherchez un album de hard référence pour l'utilisation des claviers / synthés alors ce Thunder and lighning est un prétendant crédible.
Après « Thunder and lightning » le groupe se séparera puis la mort de Lynott quelques temps après, triste fin, sonnera définitivement le glas, fermant le rideau à tout jamais, et cet album peut ainsi être considéré comme son dernier manifeste en quelque sorte, le testament d'un grand groupe, l'un des plus grands groupes de rock des années 1970 et 80.