Rubriques

lundi 12 octobre 2020

Miles Davis 3




Milestone sort peu de temps après workin with the Miles Davis quintet , et annonce l’entrée de son auteur dans le Jazz modal. Sans entrer dans les détails de cette sous-catégorie au nom pompeux, revenons quelques jours en arrière. Nous sommes à New York, et Miles assiste à un spectacle de danse guinéenne où joue son amie France Taylord. Il est d’abord frappé par l’énergie des danseurs, qui virevoltent comme des feux de bengale autour d’un rythme ardent. Puis il écoute ce rythme, procession tribale qui n’en finit plus de swinguer.

Ces percussions forment une hydre , le tempo change de visage comme le serpent mythologique change de tête. Les rythmes neufs poussent soudainement sur cette bête polycéphale, chacun de ses nouveaux faciès tuant brutalement le précédent. Il fallait bien ces brusques changements rythmiques pour suivre les figures virevoltantes de ces danseurs athlétiques. On a d’ailleurs l’impression qu’un fils invisible relie les pieds de ceux-ci aux bras des puissants batteurs, chaque détonation célébrant leur retour sur le plancher des vaches.

Les saccadentes rythmiques sont comme un écureuil sautant de branche en branche, la souplesse admirable de ces battements ne peut que se mélanger au swing jazzy. Avant d’être un musicien, Miles est une véritable éponge, il digère assez vite ses découvertes, pour les intégrer à son œuvre. Tout comme les grands du Milton ont initié sa période bop , la danse guinéenne le pousse dans les bras d’un jazz plus élitiste.

Dès que Miles change d’inspiration, il se rapproche de nouveaux musiciens. C’est ainsi qu’il participe à l’album « somethin else » , le chef d’œuvre de Canonball Aderley. Le duo trouve rapidement une nouvelle symbiose. Cannonball Aderley se fait appeler « le nouveau Charlie Parker » , tant son jeu virevoltant semble ressusciter la virtuosité aérienne de celui que l’on surnommait Bird. Aderley est toutefois plus bavard et percutant que son glorieux ainé, tout en sachant se fondre dans l’harmonie. Miles a trouvé l’homme capable de mettre en valeur son nouveau son, un saxophoniste bluesy et mesuré qui peut partir dans des envolées lumineuses.

Il intègre rapidement Aderley à son quintet devenue sextet, et le duo touche au sublime sur le morceau titre de l’album qu’ils enregistrent. Milestone fait flirter la légèreté d’un jazz à la rythmique déchainée, et la splendeur harmonique de la musique classique. La batterie rythme les figures d’un voltigeur imaginaire, avant de se reposer sur un ballet jazzy harmonique. Pour maintenir l’osmose entre la vivacité de son swing, et la beauté de ses compositions inspirées des grands virtuoses, Miles peut compter sur les notes cristallines de son pianiste. Ces notes permettent de donner plus de douceur à un rythme que n’aurait pas renié Monk, comme si le swing du pianiste géant traversait un voile aquatique.

Il est encore question de Monk sur Billie Boys , qui aurait sans doute incité son pied de colosse noir à marquer le rythme avec bonheur. Si il aurait apprécié cet humble hommage, la reprise de son straight no chaser l’aurait sans doute mis en transe, tant ce swing-là sait être classieux sans se ramollir.

Milestone marque le début d’une nouvelle série, il ouvre une période où le « petit gars incapable de jouer dans les aigus » se hisse au niveau de ses parrains.

1958 Miles sort si peu de temps après Milestone , que l’on peut se demander si le quintet n’a pas enregistré les deux disques d’une traite. Des changements fondamentaux ont pourtant eu lieu pendant le court laps de temps séparant les deux albums. Miles a d’abord fait la connaissance de Bill Evans, un musicien qui aime autant la musique classique que le jazz. Son jeu plus riche entre en résonnance avec ce que le trompettiste a initié sur le morceau titre de Milestone.  

Pour transformer ce qui restait un bebop novateur en symphonie cuivrée, Miles avait encore besoin d’une rythmique plus fine. Jimmy Cobb prend ainsi la place de Phily Jo Jones à la batterie. Dans n’importe quelle musique, la batterie est le cœur qui permet aux autres éléments d’interagir, changer cette pièce essentielle déclenche forcément un changement de son.

Jimmy Cobb a un jeu beaucoup plus fin et discret que son prédécesseur, il sous-entend le rythme plus qu’il ne l’impose. Et c’est exactement ce que recherche Miles, une rythmique capable de montrer la voie sans perturber les mélodies. Sous sa direction, les autres musiciens deviennent naturellement plus mesurés, ils partent naturellement dans ces mid tempos et ballades que leur leader illumine si bien. Finis les emportements fiévreux de l’album précédent, les instrumentaux coulent désormais dans un fleuve mélodieux. Le piano danse des slows langoureux avec une trompette jouée en sourdine, les saxophones murmurent et chantent majestueusement devant ce couple harmonieux.   

The Miles of 1954 montre que, en musique comme dans beaucoup de domaines, tout ce qui trop extrême est insignifiant. C’est pour cela que la mesure du Miles Davis sextet touche ici au sublime.

« Avance plus vite connard ! »

Assis à l’arrière du taxi le menant à Newport , Miles Davis n’en peut plus. Ce festival historique va atteindre son apogée en cette année 1958 , et il est encore bloqué dans la voiture qui le mène au ferry. Comme le jazz vend beaucoup moins que le rock naissant, sa maison de disque a juste accepté de lui payer le taxi. Si il s’était appelé Chuck Berry ou Little Richard, on l’aurait amené en hélicoptère si il le fallait.

Sa maison de disque devait pourtant savoir que Newport allait devenir la capitale du swing , le lieu où il devait réussir pour s’imposer définitivement. Elle aurait aussi dû se douter qu’une belle journée comme celle-ci allait inciter monsieur moyen à partir prendre l’air, bouchant ainsi la route menant au ferry. Finalement, la voiture l’amène à destination assez tôt pour qu’il arrive à Newport juste à l’heure.

Avant de commencer le concert, Miles a juste le temps de demander à Coltrane de « ne pas trop s’étaler ». Il sent bien que son saxophoniste ne partage pas totalement sa vision rigoriste du swing , et il ne veut pas qu’il parte dans des solos sans intérêt. Ce soir, Duke Ellinghton et Thelonious Monk ont effectué des prestations monstrueuses , et le public semble encore sous le choc. Il est donc hors de question qu’un débordement égoïste du saxophoniste brise l’énergie du sextet. Heureusement, la remarque de Miles est loin de paralyser Coltrane, qui ne jouera jamais aussi bien que ce jour-là.

Le saxophoniste est une véritable centrale cuivrée, ses chorus sont l’énergie brisant les atomes harmoniques , pour libérer un swing irrésistible. Face à un Coltrane si lumineux, Aderley reste en retrait, ce qui ne l’empêche pas de subir les remarques de son leader. Miles a trouvé Canonball trop scolaire, il caricaturait encore sa rigueur de « nouveau Charlie Parker ». Sauf que, cette fois ci , comme intimidé par la prestation de Coltrane , ses notes n’avaient pas la beauté légère de ses grands enregistrements. « Pourquoi joues-tu toutes ses notes qui ne veulent rien dire ! » Cette réflexion entérinait le fait que Miles et Coltrane étaient désormais les figures de proue de l’orchestre. Ayant un peu raté un rendez-vous historique , Aderley s’efface ainsi au profit d’un duo qui , désormais , représente l’alpha et l’oméga du jazz moderne.          

THE SAINTS : Eternally yours (1978)

 


Après un premier 45 tours autoproduit sorti dès 1976 les australiens de The Saints enregistrent un premier album en 77, véritable brûlot punk déjà plus que convaincant, « (I m) stranded »* (lequel sort d’ailleurs avant le « Never Mind the Bollocks » des Sex Pistols). Ils sont vite repérés par ceux qui profitent de la vague punk pour trouver de nouveaux bons groupes ; d’ailleurs à peine arrivé en Angleterre que The Saints tournent déjà 1977 aux côtés de Sex pistols et Talking heads notamment.
Le groupe, formé dès 1974, vient du pub rock, et donc contrairement à beaucoup d’autres combos de l’époque ses musiciens ne sont pas complètement des nouveaux venus et ont donc un peu de bouteille.


« Eternally yours », sorti en 1978, est donc le 2e album des Saints.
Disons-le tout de suite le groupe se trouve un peu à la marge du punk de par ses influences et son histoire, avec un peu la même méthode que Buzzcocks, quoi que les deux groupes soient malgré tout différents, c’est à dire qu’ici la mélodie n’est jamais sacrifiée au profit de l’énergie, les deux s’équilibrant parfaitement, avec en plus un côté assez crade.
Cela débute par « Know your product » et d’entrée ce qui marque l’auditeur c’est la voix atypique de Chris Bailey, assez proche de celle d’Iggy Pop (mais généralement l’influence des Stooges sur The Saints est évidente), grave, veloutée, chaude et sur certains morceaux presque crooner, en tout cas assez singulière dans le punk et très éloignée d’un Jello Biafra et d’un Johnny Rotten.
Ce premier morceau est un boogie punk rock’n’roll avec des cuivres ; c’est vraiment assez osé de placer ce titre qui s’éloigne ouvertement du punk en ouverture de l’album.
« This perfect day » est un peu similaire mais sans les cuivres et avec une guitare complètement déstructurée.
Sur « Lost and found » ça dépote, on revient à de l’excellent punk rock « classique », plus rapide, plus traditionnel, archétype des années 76/78 tout comme « Run down » et son harmonica qui donne un côté blues crade.
« New Centre of the Universe » et « ( I m ) misanterstood » sont deux autres très bons morceaux de l’album où les Saints montre que le punk rock ils connaissent sur le bout des ongles.


« Memories are made of this », « A minor aversion » et « Untitled » sont des « ballades rock » bien ficelées, emmenées par une voix assez magique qui vous embarque parfois assez loin, émotionnellement parlant.
« Ostralia » est dans un autre registre, avec un beau refrain qui claque comme un « hymne », tout comme « International Robots » qui clôture l’album et sa mélodie assez bizarre.
Mais le petit bijou, la petite pépite du disque reste le sublime « Private affair » : du punk enveloppé dans du velours.


« Eternally yours » se distingue par son alternance de titres punk rock parfois mâtinés de garage/blues/boogie (un côté rock garage boogie blues somme toute logique, comme pour tout australien qui se respecte) et de ballades rock mais au final c’est tout simplement davantage un grand album de rock, bien au-delà du punk rock dont The Saints s’éloigne en incorporant d’autres styles musicaux (garage, R’n’B, blues rock...) et d’autres instruments (harmonica, cuivres, piano/claviers) et de fait, comme d’autres groupes issus du punk, The Saints, dès 1978 élargit sa palette musicale sans être trop commercial, c’est à souligner et un gardant toujours un côté sale même dans ses titres les plus « pop ».


Bien sûr cette évolution ne sera pas du goût de tout le monde et certains fans de « (Im) stranded » seront déçus.
Et puis comme les Ramones les Saints sont des punks aux cheveux longs, avec un look plus à la Rory Gallagher qu’à la Johnny Rotten !!
« Eternally yours » est un album sans prétention mais remarquablement construit, vif, brut, nerveux, représentatif de l’époque et des plus efficaces tout simplement.
Du punk rock bien ficelé et surtout la découverte d’une voix trop méconnue mais franchement bluffante.
Et cet album, comme le précédent, fait partie d’un héritage qu’on a parfois tendance à oublier et à trop résumer aux mêmes groupes (Sex Pistols, Clash, Ramones, Buzzcocks…).
Car on tient ici assurément l’un des 10 meilleurs groupes de la période 76/79.
Pour résumer les meilleurs titres selon moi : « Private affair », « Lost and found », « New center of the univers » et à un degré moindre « Know your product », « (I m ) misanterstood » et « Untitled »

*Album que Benjamin a fort bien chroniqué ici même

samedi 10 octobre 2020

Miles Davis 2



Retour au Milton , où Columbia promeut le premier orchestre de Miles Davis. Pour le présenter ce soir-là, la maison de disque a choisi un jeune excité maigre, et affublé de lunettes excentriques et d’un nœud papillon.

«  Messieurs , l’homme que l’on m’a chargé de présenter ce soir intrigue le milieu du jazz depuis quelques années. Pour le présenter, Dizzy Gillepsie parlait du « gamin doué incapable de monter dans les aigus . » 

J’ai d’abord pris cette description pour une remarque condescendante, un peu comme si le roi du bop me présentait son frère débile. Et puis Columbia m’a envoyé les enregistrements qui devraient devenir , dans les prochains jours , l’album birth of the cool. J’ai écouté ce disque toute la nuit , totalement fasciné par cette façon de dégommer toutes les règles du bop. »

Le nain binoclard remet alors un nœud papillon secoué par ses gesticulations théâtrales. Ce type à vraiment un charisme solennel, il parle comme un Clemenceau mobilisant la grande patrie du jazz. Après avoir ménagé un silence qui ne fait qu’ajouter à la solennité de son discours, le regard du tribun se tourne vers un invité de marque.  

« Nous avons la chance ce soir d’accueillir dans le public le grand Count Basie. Vous ne le savez pas mes amis, mais Billie Holliday le supplie tous les jours de revenir soutenir sa voix de tigresse sensuelle. Il fallait les voir en 1940, le maitre du swing permettant à son cygne de déployer son plus beau chant. Mais je m’égare et, si je parle ainsi du grand Basie, c’est pour vous faire comprendre à quelle symphonie vous êtes conviés.

Car Miles Davis est l’anti Basie par excellence, et il s’est encore plus éloigné de son parrain Gillepsie. Ce que vous allez entendre ce soir n’est pas du be bop , en tous cas pas du be bop conventionnel, c’est l’exact contraire de sa classe alambiquée. Cette musique est écrite, comme pouvait l’être celle de Mozart ou Beethoven. »

Notre dévot binoclard s’interrompt alors, et pointe du doigt un spectateur que sa description semble ennuyer.

«  Oui Monsieur ! Vous pouvez lever vos yeux d’ayatollah du swing ! »

Ainsi pointé du doigt, le fautif n’ose plus bouger, pétrifié par la transe verbale de son détracteur.

« Le jazz n’est pas une religion ! Le dogme érigé par certains critiques musicaux est un poison qui transformera le jazz en cadavre puant ! Le swing doit chier sur ce dogme, il doit affirmer à chaque note que ces types n’ont rien compris ! Si vous lisez ce genre de torchons, vous n’avez qu’à vous rassurer en vous disant que la douceur de Miles a un arrière-goût de Duke Ellington. D’ailleurs, comme la classe Ellingtonnienne marque à jamais les esprits de ce qui l’ont entendu, vous n’oublierez jamais ce concert. Ce swing-là est mélodique, la trompette vous susurre des refrains irrésistibles. Il n’est pas possible que ce soir, alors que la douceur d’un bain chaud ressuscite votre allégresse, vous chantiez ces bluettes cuivrés. »

Le présentateur quitte alors la scène en sautillant et en chantant ses « tadada tadada » , avant que Miles et son orchestre ne jouent le premier épisode d’une autre histoire du jazz.

Inutile de redécrire le concert, ou de chroniquer les titres qui sortiront, des années plus tard, sous le titre de birth of the cool, notre présentateur a tout dit.  Capitol a tellement aimé ces titres , qu’ils en sortiront plusieurs sous formes de 78 tours.

Paradoxalement, « birth of the cool » ne sort qu’en 1954, ce qui met Miles Davis en rage. Il vient alors de former un nouveau big bang , beaucoup plus proche du swing de ses parrains Charlie Parker et Dizzie Gillepsie. L’initiative de Capitol brouillait les pistes de son évolution artistique, ce qui n’empêchera pas walkin de le faire sortir de l’ombre.

Revenons à la genèse de walkin , qui se situe lors du premier concert parisien de Miles. Les 78 tours issus des sessions de Birth of the cool lui ont permis de se faire un petit nom sur le vieux continent, et la France va le marquer durablement.

Dès qu’il arrive dans l’hexagone, il est surpris d’être traité avec les mêmes égards que les artistes blancs. Entre les concerts, il passe ses soirées en compagnie de Juliette Gréco et Jean Paul Sartre, sans que personne ne s’étonne de voir un noir se mélanger aux blancs. L’auteur de « la nausée » lui a d’ailleurs raconté une anecdote qu’il n’oubliera jamais.

Durant la première guerre mondiale, alors que les troupes américaines étaient sous commandement français, un général américain envoya une lettre à Clémenceau. Celui-ci s’inquiétait de constater que, dans les divisions dirigées par la France, les noirs américains étaient traités de la même façon que les blancs. Cet égalitarisme risquait de les amener à se rebeller contre le racisme américain , ce qui ne manquerait pas de causer du désordre à leur retour au pays. 

La réponse de Clémenceau fut sans appel, les soldats français sont traités de la même façon sans distinction de races. La France a d’ailleurs inscrit dans sa constitution la phrase la plus anti raciste possible « tous les hommes naissent libres et égaux en droit ».

 Miles s’est ainsi rendu compte que le problème du racisme en Amérique n’était pas lié à la violence du « méchant blanc », mais à une culture américaine gangrénée par le racialisme. C’est d’ailleurs pour cela que Miles Davis n’a pas emmené Juliette Gréco en Amérique. Si elle l’avait suivi, elle aurait subi les injures et le mépris que son pays réserve aux blanches sortant avec des noirs. Il valait mieux laisser ce souvenir derrière lui.

Musicalement , ces concerts en compagnie de Charlie Parker ont permis à Miles de renouer avec un swing plus pur , de retrouver ce bop mis de côté sur birth of the cool. De retour en Amérique, Miles n’hésite pas à signer un contrat avec Columbia, avant que Prestige ne lui rappelle ses obligations. Il doit encore quelques album à cette ancienne maison de disque, et va travailler comme un damné pour remplir cette obligation au plus vite.

 En studio , le big band de Miles casse ses rythmes , varie les mélodies de ses cuivres , et offre un vibrant hommage au génie Parkerien. Il replonge avec bonheur dans le chaudron maintenu en ébullition par les rois du bop, solar est d’ailleurs une reprise d’un standard des années 40.

 Issu de ces sessions , walkin recevra les foudres d’une critique bourgeoise qui a tant aimé les mélodies polies de birth of the cool. Montrez l’avenir du doigt, et les journalistes regardent le doigt. Ils sont trop enracinés dans le présent pour comprendre ce swing agressif, puissant, et vaguement funky. Le public, lui, s’est jeté sur le disque, et Columbia offre désormais un pont d’or à son auteur.  

Si le contrat est signé, il ne peut entamer cette collaboration tant que le label Prestige n’a pas obtenu son dû. Son premier quintet semblait prêt , chauffé à blanc par les concerts précédents , mais Sonny Rollins décida au dernier moment d’aller se faire désintoxiquer. Pour le remplacer , Prestige propose le jeune John Coltrane , ce qui est loin de séduire Miles. Coltrane a déjà croisé sa route quelques années plus tôt et, à l’époque, il s’était fait lessivé par le souffle monumental de Sonny Rollins.

N’ayant pas le choix, Miles accepte tout de même de l’intégrer au quintet, mais les premières répétitions sont tendues. Le trompettiste ne supporte pas que Trane lui demande  ce qu’il doit jouer, et ne se gêne pas pour lui faire remarquer.   Sa réponse est toujours la même : « Tu es un musicien professionnel ? Tu dois donc le savoir. »

 Miles n’est pas un tyran, il a au contraire besoin que ses musiciens soient sûrs d’eux, afin qu’il puisse s’adapter à leur personnalité musicale. Si chaque disque de Miles est intéressant, c’est parce que  cet homme est un diapason qui s’adapte sans cesse aux spécificités de ses musiciens.    

Au bout de quelques heures, le quintet trouve son rythme, le dialogue voulu par son leader est enfin fixé. Après une série de concerts triomphaux, le quintet s’enferme vite en studio pour immortaliser les titres rodés en live.

Séparer cooking , relaxing , workin , et steaming with the Miles Davis Quintet serait une absurdité. Ces titres sont le fruit des mêmes séances enregistrées dans les conditions du live. L’urgence ressentie par Miles est telle, que les dialogues avec les ingénieurs du son ne sont pas supprimés sur les disques. Si l’on peut soupçonner Miles d’avoir expédier rapidement ces quatre disques pour se libérer de son contrat avec Columbia , cette urgence participe largement au charme de ces œuvres.

Privé de tout filet, le quartet ne garde que la moelle de ses improvisations cuivrées. La trompette en sourdine de Miles trouve gracieusement son chemin entre les obélisques lumineux érigés par le saxophone de Coltrane. Ce sont les passages mélodiques qui enchantent le plus, ils permettent à Coltrane de donner un avant-gout de son amour suprême.  

Beaucoup pensent que la légende de Miles commence ici, que ces quatre disques sont la cathédrale ou naît son génie. Au duo Parker/ Gillepsie succédait ainsi le tandem Davis/ Coltrane , et le jazz entame ainsi une autre page de son histoire.     

Miles Davis 1

 


Qui sont ces mecs ? Quel son majestueux sort de leurs instruments cuivrés ?

Miles Davis connaissait déjà un peu le jazz , il avait usé les quelques disques de Count Basie et Duke Ellington qu’il possédait. Mais ce soir il était au cœur du réacteur, l’édifice formant la mythologie du jazz s’élevait devant ses yeux ébahis et le faisait naître une seconde fois. On ne naît pas deux fois d’ailleurs, c’est juste que les corps sans âme s’agitent d’abord dans la quête d’une raison d’exister. Une fois que l’homme a trouvé ce but guidant son existence , il sort enfin de sa léthargie post natale pour entrer dans le monde des vivants.

Certains ne trouvent jamais ce but, et errent comme des âmes en peine , des zombies qui seront toujours plus morts que vivants. Ce soir-là,  Miles sut qu’il ne vivait que pour jouer du jazz. Il faut dire que, pour quelqu’un d’intéressé par la musique, avoir Charlie Parker jouant face à lui ne pouvait qu’être une révélation.

Il y a eu plusieurs étapes dans la longue histoire du jazz moderne, la première fut l’invention du saxophone par Coleman Hawkins. Oui, Adolphe Sax a façonné pour la première fois ce grand serpent doré, mais Coleman Hawkins lui a donné une place dans la longue liste des inventions humaines. En musique, celui qui définit le son d’un instrument mérite beaucoup plus la paternité de son invention que celui qui l’a façonné. Auguste Marshall ne savait d’ailleurs pas jouer de musique et, si les grands du blues et du rock ne s’étaient pas emparés de sa trouvaille, cet homme serait juste resté chez lui avec son joujou électronique.

Coleman Hawkins a inventé le saxophone, il a défini sa chaleur et sa beauté sonore. Charlie Parker, lui, a permis aux autres de souffler. Il fallait le voir, improvisant des solos sortis de nulle part , décollant au milieu de l’harmonie comme un oisillon sortant du nid. Les meilleurs soirs , sa virtuosité était telle que les autres musiciens oubliaient leurs interventions. Public et musiciens étaient hypnotisés par une splendeur divine. C’est pour ça que son duo avec Dizzy Gillepsie est indispensable, il pouvait le suivre sans se laisser impressionner par son souffle somptueux.

Les jours qui suivirent, Miles étudia les harmonies et perfectionna son jeu de trompette. Il apprit que la beauté qu’il avait découvert se nommait be-bop , et commença à former ses premiers groupes. Mais, rapidement, les petits concerts entre les cours ne lui suffirent plus, et ses études lui parurent de plus en plus secondaires. Il voulait partir là où le bebop s’épanouissait, à New York , et ce périple n’était pas compatible avec la poursuite de ses études. Il fallait donc annoncer à son père médecin que son fiston ne suivrait pas la même voie, que celui qui était jusque-là un élève assidu avait décidé de tout sacrifier à son art.  

Quand il lui annonça simplement sa décision de stopper son parcours scolaire, son père eu une réaction qui le surprit agréablement :

« Fait ce qui est bon pour toi. Tu es le seul à savoir ce que tu dois faire. »

La plupart des parents ne se rendent pas compte de l’impact de leurs paroles, ils ne comprennent pas qu’elles sont comme un mantra par rapport auquel leurs enfants construisent leur personnalité. Ce soir-là, le père de Miles venait de prononcer la phrase qui guidera son fils tout au long de sa carrière.

 

Notre musicien arrive donc à New York au milieu des années 40, et se précipite vers le Milton. Tous les grands du be-bop se sont fait les dents dans cette salle, devant un public principalement composé de prostituées de luxes et de leurs clients.

Au Milton , les plus grands virtuoses de l’époque produisaient le swing le plus pur , les harmonies les plus novatrices. C’est là  que Miles retrouve Dizzy Gillepsie , quelques années après son passage dans la ville de son enfance. Les deux hommes se sont ensuite croisés lors d’un concert d’un des premiers groupes de Miles , mais ils ne s’étaient pas parlés. Il faut dire que ce soir-là, après avoir vu ces jeunots jouer, Duke Ellinghton avait récupéré le bassiste de son big band. C’est en partie cet incident qui incita Miles à tenter sa chance au Milton, mais c’était surtout un honneur de se faire prendre un de ses musiciens par le Duke.

 Il faut bien comprendre que , si le Milton a attiré une brochettes de futurs héros du jazz , c’est parce que cette musique y était farouchement défendue par les organisateurs. Un jour, Miles avait assisté à la performance pitoyable d’un petit branleur prétentieux. L’homme s’était pointé avec deux filles et, pour les impressionner, il avait tenté d’improviser un petit solo de saxophone sur scène. Les organisateurs l’ont rapidement poussé à quitter la scène et , une fois dehors , lui fait passer l’envie de recommencer.

Cette violence était saine, elle permettait à ce genre de crétins de comprendre qu’ils ne vivaient plus chez leur mère. Le jour où on laissera un type qui ne sait ni jouer d’un instrument ni composer monter sur une scène, sans que personne ne lui fasse comprendre son erreur, la musique mourra.

Mais revenons à cette journée où Miles fut introduit dans le milieu du Jazz par Dizzy Gillepsie. L’homme venait de lâcher son dernier solo supersonique , et s’empressa de le rejoindre.

DG : Tiens mais c’est le jeunot qui a offert son bassiste à Duke ! Alors tu joues toujours aussi lentement ?

MD : Comment ça ?

DG : Quand tu joues, tu ne pars jamais dans les aigus, un peu comme si tu jouais une berceuse.

MD : Je n’entends pas les notes trop aigus, c’est pour ça que je joue toujours en médium.   

Là-dessus, Charlie Parker vient se joindre à la conversation, comme si les trois hommes se rejoignaient là depuis des années. Après une longue discussion, Charlie Parker voulut que Miles rencontre un pianiste.

CP : Si tu veux composer un jour, il faut que tu entendes un pianiste jouer. Ces hommes ont l’harmonie dans le sang.

 MD : Tu ne m’apprends rien, Count Basie fait partie des musiciens que j’ai le plus écouté.

CP : Si tu crois en savoir tant que ça , écoute le type qui vient de s’installer.

Absorbé par sa conversation, Miles Davis n’avait pas vu qu’on avait installé un piano au centre de la scène. Rapidement, un géant en pris possession, un goliath noir posant ses énormes mains sur les touches d’ivoires. D’habitude, le pianiste se fondait dans l’harmonie, ses notes étaient comme des esquisses autour desquelles le groupe construisait le morceau. Nommé Thelonious Monk , le Géant qui s’agitait comme un damné sur son piano était au contraire le guide imposant le tempo et les mélodies, le maitre d’œuvre en même temps que l’ouvrier besogneux.

Ce que Miles retiendra surtout de Monk, ce sont ses silences, son sens de l’économie permettant à l’écho de ses notes de former un tableau magnifique. Par la suite, Miles Davis a intégré le groupe de Parker et Dizzy, son jeu discret et sobre lui permettait d’apprendre sans risquer de faire de l’ombre à ses monumentaux pygmalions. Tout se passa pour le mieux pendant plusieurs mois, le big band produisit un disque salué par la critique et le public, puis Charlie Parker se mit à déconner.

Les premier jours , celui que l’on surnommait Bird arrivait habillé comme un clochard, il faisait tellement pitié que Miles l’hébergea quelques jours. Malheureusement, l’héroïne qu’il s’envoyait est un poison sournois , et Bird ressemblait de plus en plus à un gros oiseau malade. Il finissait par faire peur à tout le monde, et Miles  fut obligé de le virer de chez lui. Mais les choses ont vraiment basculé quand la dope a eu raison de son jeu magnifique. Les premiers temps , Bird arrivait dans un état pitoyable , il avait l’allure d’un sexagénaire alors qu’il n’avait qu’une trentaine d’années. Mais une fois sur scène, son corps se régénérait, et il scotchait de nouveau tout le monde. Ce miracle s’est produit quelques jours, jusqu’à ce que son souffle s’éteigne d’un seul coup.

Suite à ça , Charlie Parker est devenu introuvable , certains disait même l’avoir vu tenté de jouer dans la rue pour exorciser ses démons. Cette déchéance n’a pas empêché certains d’affirmer que c’était en fait l’héroïne qui lui avait donné son génie, et beaucoup de jazzmen se shootaient dans l’espoir d’obtenir le souffle de Bird. Cette idiotie a sans doute aussi servi d’excuse à de nombreux jazzmen héroïnomanes.

 Comme l’expliquera plus tard Marc Edouard Nabe , les jazzmen ne prenaient pas de la drogue pour s’éveiller , mais au contraire pour s’assommer. Aucune drogue ne transformera un idiot en génie, elle permettait juste à ces mêmes génies de construire des œillères, qui maintenaient au loin tout ce qui n’était pas lié à leur musique. Le musicien de jazz atteint de tels sommets en produisant son art, que toute descente de ce nuage lui parait insupportable. Il préfère donc passer le reste de son temps dans un état second. D’Herbie Hancock à Billie Holliday , de Charlie Parker à Lester Young , tous ont cédé au charme de cette salope mortelle qu’est la drogue.

Miles apprend finalement le décès de Charlie Parker en 1955, son corps était si abimé que le médecin légiste qui l’a ausculté lui a donné l’âge de 64 ans. Pendant que son premier parrain terminait son calvaire, Miles Davies avait perfectionné son jeu en compagnie de Lester Young 

Young était déjà une légende depuis qu’il força le respect de Coleman Hawkins lors d’une improvisation historique. Mais celui qu’on appelait président arrivait lui aussi au bout de son parcours, et plusieurs témoins affirment qu’ils l’avaient vu s’écrouler après un concert. Avant de partir, president eu tout de même le temps d’apprendre sa fameuse fluidité à Miles. Lester Young posait ainsi la dernière pièce de ce qui allait devenir l’album birth of the cool.                    

                                                    

dimanche 4 octobre 2020

The Edgard Broughton Band : Meat Album


Le Edgard Broughton Band est né dans une formidable époque de doute. Du psychédélisme, la plupart ne retiendront que la vitrine pompeuse de Woodstock , le sergent poivre et son grandiose orchestre , et la fin tragique du rêve hippie à Altamont. Ces images inscrites au fer rouge dans l’inconscient collectif ne sont qu’une belle vitrine, et l’arrière-boutique était peut être encore plus intéressante que cette devanture. En Amérique, une arrière garde sentait déjà que la musique était en train de se standardiser, et que derrière les mélodies doucereuses des illuminés hippies se cachait le germes des drames à venir.

 A une époque où les maisons de disques étaient richissimes, des disques aussi merveilleusement uniques et radicaux que outsideinside de Blue cheer, ou trout mask replica de Beefheart, sortaient à coté de leurs contemporains vénérés. Ces disques tombèrent vite dans les bacs à solde, puis furent condamnés à l’oubli d’une époque bénie mais imparfaite. Il fallait comprendre les jeunes. Comment prêter attention à des outsiders à peine promus, alors que les géants tel qu’Hendrix , Beatles , Stones , Bob Dylan , et j’en passe , sortaient un chef d’œuvre par an. Du coup, on pardonnera à nos ainés d’avoir précipité le Edgard Broughton band dans les oubliettes de l’histoire.

Brûlot révolutionnaire, wasa wasa sonnait comme une version moins vulgaire du MC5, et son blues Beefheartien empêchait sa foudre de sonner comme les flatulences grasses des hard rockers. Wasa wasa est un disque que l’on aime grâce à ses défauts , un échec si unique qu’il relève du génie. Ces trois néandertaliens cognaient sur leurs instruments en ayant l’air de ne pas savoir où ils allaient. Si cette bombe semblait annoncer la radicalité des jours à venir, ses auteurs semblaient se contenter d’entretenir tant bien que mal une flamme, dont ils ne comprenaient pas la nature. Au milieu du déluge, Edgard Broughton chantait comme un Don Van Vliet qui aurait oublié ses plans géniaux au milieu d’un morceau.    

                                                                                                                                                                      Le seul objectif du groupe était d’obtenir un son unique , mais un tel miracle ne réussit qu’une fois. Une carrière ne peut se bâtir sur des essais aussi hasardeux, et même les musiciens les plus radicaux ont dû apporter un peu plus de stabilité à leurs folies géniales. Après deux live corrects , le groupe d’Edgard Broughton s’offre donc les services d’un ex bassiste des Pretty things, avec qui il prépare son album de la maturité.

Le trio devenait une formule trop restrictive, elle obligeait bien souvent ses membres à parcourir sans cesse les chemins trop balisés du heavy rock. Pour un « band of gypsys » , des milliers d’ersatz de l’experience promènent leurs bourbiers plus ou moins réussis.

 

Affectueusement appelé « meat album » par un public averti,  « edgard broughton band » sort donc en 1971. Symphonie d’homo sapiens hippie, superbe pièce montée vomissant ses glaviots fulgurants sur les tendances de son époque, ce disque fait partie des sergent pepper de l’underground.

En 1971 , la folk et la country ont remplacé le psychédélisme hédoniste , les hippies se consolant du chaos d’Altamont dans les bras rassurant de la tradition musicale américaine. Sur le « meat album » , ce retour à la terre devient une symphonie de troglodytes, un enchevêtrement de cordes tissant la plus merveilleuse des couvertures sonores. Evening over the rooftop ouvre le bal sur les crissements d’un violon angoissant, qui débouche sur un folk poignant. Blues de fin de carnage, symphonie désespérée capable de faire passer Procol harum pour un groupe pour midinettes, cette ouverture enterre définitivement le grandiose amateurisme de wasa wasa.

Sur ce titre, Edgard Brougthon troque son costume de druide hurleur pour celui de Jesus portant la croix d’un rêve moribond. Si il chante avec autant de grâce, c’est qu’il sent venir les pierres de ses contemporains, il sait que les grosses machines commerciales de son époque ne manqueront pas de l’écraser. Pourtant, sur cette ouverture, son groupe dépasse toutes les expérimentations pompeuses des sixties seventies. Après un début aussi solennel, il fallait hausser le ton pour éviter de rejoindre le moule gluant des prog rockers. Les pieds trempés dans le blues «  birth » est un boogie de lutin s’agitant autour d’un cratère en éruption. Satire ivre mort, démon conduisant le déluge de sa voix de fou furieux, Edgard Broughton permet à son groupe d’égorger tous les gorets hurleurs à coup de heavy rock sanguinaire.

Ce meat album est le brûlot incendiaire qui balance ses dynamites dorées sur toutes les chapelles de ce début de seventies. Peace of my own et poppy montrent d’ailleurs qu’on peut jouer de la country sans transformer son auditoire en ramassis de larves léthargiques. Mais les meilleurs passages restent ceux où country/ blues et douceurs symphonique se mélangent dans un ballet fascinant. Ils se trouvent dans les guitares acoustiques tissant une fresque dont les violons fixent les couleurs, dans les blues electro acoustiques portés par la voix de prophète fou d’Edgard Broughton.

Ce choc électro acoustique digéré, on regarde la pochette de ce disque d’une autre façon. Planté au milieu d’abats dont on ne peut certifier l’origine animale , les corps pendus par les pieds s’apparentent aux repères musicaux que le groupe vient de ridiculiser.          

Robert Plant : Dreamland



Tout le monde se demande pourquoi Robert Plant refuse de participer à une reformation durable de Led Zeppelin. Pour la plupart des hard rockers , Jimmy Page est ainsi devenu le gardien du temple Zeppelinien , celui qui les entretient dans leur nostalgie ridicule. Les hard rockers ne peuvent comprendre qu’un groupe est plus qu’un patch sur une veste ou un logo sur un T-shirt , ils veulent vieillir avec leur groupe. De toute façon, Led Zeppelin n’est jamais réellement entré dans le rang du hard rock , c’est le hard rock qui a caricaturé sa musique. 

Led Zeppelin était le contraire d’un groupe pour nostalgiques, c’était un vaisseau explorant de nouvelles terres, sans jamais se retourner. Tel les Beatles , il passa sa carrière à expérimenter , variant les rythmes et influences dans des disques parfois sous-estimés. Ce que l’on appelle le hard rock , c’est cette série de sauvages arriérés qui , à défaut de pouvoir être aussi inventif , tentèrent d’être plus violents. Les batteurs de cette vague massacraient leurs futs avec autant de violence que John Bonham , sans pouvoir reproduire sa finesse , les guitaristes mimaient les gimmick les plus tapageurs de Jimmy Page , et tous les chanteurs hurlaient d’une voix suraiguë.

Les fans de ce genre de cirque ont fini par croire que Led Zeppelin était aussi bas que ses suiveurs, et réclament que Robert Plant revienne à une musique plus dure. Sauf que l’ex idole au charisme de dieu viking a compris que Led zeppelin ne pouvait survivre à la mort de John Bonham , et s’est fait oublier quelques mois avant d’entamer sa carrière solo. On a dit beaucoup de mal des premiers disques solos de Robert Plant , qui pourtant valent bien tous les disques de Whitesnake et Scorpions.

Comble de l’ironie, on reprochait à ses premiers disques de caricaturer l’héritage zeppelinien. Mais, si certains passages ressemblaient à I et II, c’est uniquement parce que Plant devait reprendre possession de ses territoires avant d’en conquérir de nouveaux. Une fois ses fils dégénérés corrigés par sa voix de Janis Joplin mâle , il pouvait laisser ces descendants admiratifs pleurer son départ vers d’autres horizons.

Ces autres horizons furent d’abord représentés sur fate of nation, disque où son blues de bédouin tissait des fresques dignes de Kashmir. Alors que son ex guitariste ne cessait de ressasser son passé, Robert Plant continuait le voyage musical du Zeppelin de plomb. Après le folk sur III, le funk sur house of the holy , Robert Plant partait seul sur les terres d’Orient.

Dreamland suit le sillon tracé par fate of nation , il perpétue la mue d’un ex dieu du heavy rock devenant un druide oriental. Tempête de sable au milieu d’un oasis mystique, Hey Joe pose son déluge électrique sur de splendides arabesques acoustiques. On touche au sublime quand le vieux sage transforme une ballade gitane de Dylan (one more cup of coffee) en procession tribale, sa voix chuchotant au milieu de tambours mystiques.

Il était là le nouveau Robert Plant, dans ces chuchotements possédés, dans ces mélodies lyriques qui ont autant de puissance émotionnelle que n’importe quel solo ravageur. Dreamland est aussi le dernier à entrer dans le cadre de ce rock n roll, où Robert Plant commence à se sentir à l’étroit. Expérimentations électroniques , mélodies hypnotiques entretenues par des instruments traditionnels orientaux ou africains , Robert Plant ne cessera de pousser plus loin les expérimentations qu’il esquisse sur dreamland.

Comme les grands disques de son ancien groupe , dreamland doit sa grandeur au fait qu’il ne sera jamais copié. Instant aussi beau qu’éphémère, ce disque est l'une des plus belles réussites de ce chanteur qui a refusé de s’immoler sur l’autel de la nostalgie.             


mardi 29 septembre 2020

Fastway : Fastway (1983)

 


Après quatre années passées chez Motörhead et quatre albums studio dont certains devenus cultisime sans oublier le live d’anthologie « No sleep til Hammersmith », Fast Eddie Clark décide de quitter le power-trio et de créer son propre groupe dès 1983.
Son compère des débuts de l’aventure n’est autre que Pete Way, décédé récemment, bassiste de UFO (d’où le nom FastWay : Fast pour Fast Eddie et Way pour Pete Way) mais celui-ci ne restera finalement que peu de temps au sein du groupe sans rien enregistrer (il ira fonder son propre groupe Waysted puis finalement retournera chez UFO). Il embauche également l’excellent Jerry Shirley (ex Humble Pie) à la batterie et au chant un jeune écossais, rouquin et inconnu nommé Dave King. La basse, suite à la défection de Pete Way, est tenue ici par Mick Feat, musicien de studio.


Et c’est parti pour le premier album « Fastway ». Sans atteindre des sommets c’est bon voire très bon sur quelques morceaux, plus calme que Motörhead certes mais absolument pas FM ou « pop », loin de là ; c’est assez influencé par le hard 70’s évidemment sans toutefois trop regarder dans le passé ou tomber dans une trop grande nostalgie; le tout avec une excellente production et un son plutôt 80’s, d’où un bon dosage entre les deux époques (un peu comme le Thin Lizzy de « Thunder and lightning » sorti à la même période).
On navigue entre blues rock, boogie, hard et métal et au final on obtient un premier album intéressant et prometteur.
Cependant le fait réellement marquant est la voix du chanteur, véritable clone vocal de Robert Plant (la ressemblance des voix est assez incroyable) et qui va néanmoins s’avérer être une excellente recrue mais qui donne l’impression bizarre d’écouter un Led Zeppelin des années 80, une sorte de suite du Led Zep IV, de Celebration Day ou d’Immigrant song, un Led Zep téléporté en 1983 et qui serait revenu au hard rock de ses débuts.


Ajoutez à cela une batterie incroyablement lourde (cela ne vous rappelle pas quelqu’un ?) ; rassurez-vous sur les solos Fast Eddie fait du Fast Eddie de Motörhead et ne cherche heureusement pas à copier Jimmy Page. Il garde le son de guitare si brute, reconnaissable et quasi unique d’Overkill ou d’Ace of spades, et qui est sa marque de fabrique, ce son qu’on apprécie tant car l'aspect un peu crade de celui-ci empêche toute velléité trop commerciale .
Attention Fastway n’est pas un ersatz de Led Zeppelin et heureusement le groupe arrive à se débarrasser sur certaines compositions de gimmicks qui à la longue auraient pu s’avérer gênants.


Si il n’y a ici que des titres de bonne qualité, aucune fausse note, il manque juste le morceau phare, celui qui fait mouche ou les deux ou trois chansons qui font d’un bon disque un disque incontournable, la petite flamme qui transcende le tout et qui marque l’auditeur à jamais.
Toutefois ne boudons pas les 5 ou 6 titres sortant du lot car il y a de belles compositions, les plus marquantes étant : "Easy Livin" un très bon boogie rock ‘n’roll qui ouvre l’album, le magnifique  "Feel me, touch me" (le meilleur morceau), "Say what you will", "Another day", "Heft !" au tempo ralenti mais juste un peu gâché par les choeurs pas complètement convaincants ou "Far far from home" (seulement en version bonus sur le CD) la ballade heavy très correcte, notamment grâce à la voix (et quelle voix !), qui clôture le premier Fastway.
Malgré la présence d'Eddie Clarke un album tombé depuis dans un relatif oubli et c’est dommage car il mérite mieux, de même que le suivant « All fired up ».