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mardi 12 janvier 2021

Tangerine Dream : Cyclone


Après le départ de Baumann , le duo restant recrute le blues rocker Steve Joliffe. Si ce choix peut paraitre audacieux, il suit la simplification musicale initié sur ricochet. Depuis ce faux live, Tangerine dream n’a cessé d’enrichir le côté «  traditionnel » de sa musique. Ce mélange électro rock a atteint sa première apothéose sur stratosphère, mais « encore » montrait une volonté de se diriger vers un avant-gardisme plus accessible.

Certes, Tangerine dream ne sera jamais aussi tubesque que David Bowie, mais les passages les plus lumineux de « encore » montre un groupe capable de flatter les oreilles les plus néophytes. Pour accentuer cette énergie séduisante, Tangerine dream recrute le batteur percussionniste Klaus Krieger. Avec cyclone, notre quatuor teuton vole ainsi au secours du rock progressif.

Tous ces groupes anglais, plus virtuoses les uns que les autres. Ces Emerson Lake and Palmer , Yes et autres Genesis ,  ces géants incorruptibles sont devenus de ridicules has been tentant de rester dans le coup, tous ces dinosaures sont désormais en voie d’extinction. En 1978 , Yes sort le mielleux tormato, Genesis suit la voie pop du funeste Phil Collins , et ELP joue les boys band sur love beach. Après avoir atteint des sommets paradisiaques, les grands prog rockers annoncent la superficialité de la décennie à venir.

Dans ce contexte, même si cyclone est loin d’être le disque le plus inventif de Tangerine dream , c’est un oasis de beauté dans un décor qui se ternit. Il est vrai que, en entendant le premier titre, les fans de la première heure durent devenir aussi blanc que la comète alpha centaury. Voilà que les maitres de l’espace construisaient une pop symphonique, une fresque épique rappelant à Genesis ce qu’il fut, ou lui montrant ce qu’il aurait pu être si il n’avait pas vendu son âme. On retrouve encore les sifflements d’un synthé planant, mais le chant et la rythmique martiale rappellent l’époque où les rockers rêvaient de devenir chef d’orchestre.

Tangerine dream serait-il donc devenu le gardien du monde enchanté laissé à l’abandon par ses rivaux anglais ? A moins qu’il ne soit devenu le dernier cador capable de développer une telle beauté. Une boucle électronique rappelle vaguement les rives synthétiques que les allemands viennent de quitter , avant qu’une mélodie de flute ne flirte avec les rêves champêtres de Jethro Tull.

Cette flute croisant le fer avec un mellotron lyrique, c’est l’Allemagne rappelant à la perfide Albion à quel point elle fut grandiose. Si le second titre laisse les séquenceurs se déchainer sur une introduction hypnotique, ce n’est que pour ouvrir la voie à un groupe de synth-rock déchainé. Edgard Froese développe ainsi son riff de Chuck Berry d’un autre monde, la batterie pose un rythme à faire swinguer les martiens et les synthés font le lien entre l’avant-garde allemande et le rock anglais. Bowie a beau avoir vendu son Heroes par palettes, il est trop pop pour swinguer à ce point et la finesse de Tangerine dream est la lune qui aurait dû éclipser sa trilogie dite berlinoise.

Pour clôturer le tout, madrigal meridian retrouve un son plus proche des albums précédents, même si son clavier fait renaitre le Keith Emerson de la grande époque. Si cyclone est vu par certains comme une « erreur de parcours », c’est précisément parce qu’il suit le credo que Tangerine Dream se fixe depuis des années.

Ils ont dû rire jaune ces rosbifs, ces virtuoses prétentieux toisant l’Allemagne du haut de leur mausolée rock. Eux qui parlaient de rock choucroute pour définir l’âge d’or de l’avant-garde allemande, voient leur génie noyé sous une guimauve qu’ils produisent à la chaine. Et voilà que, avec cyclone, une partie des musiciens qu’ils méprisaient leur montraient ce qu’était le rock progressif. Rien que pour ce magnifique pied de nez, cyclone mérite bien que l’on y jette une oreille attentive.      

Tangerine Dream : Ricochet


Nous sommes en 1975, et Tangerine dream sort enfin son premier album live. Ce constat peut paraître paradoxal, surtout quand on sait que cette musique était improvisée. Chaque disque du groupe est une sorte de live sans public, et la matière qui compose chacun d’eux fut mise au point lors de longues expérimentations scéniques. Un enregistrement de Tangerine dream est une lutte impitoyable contre les défaillances de la machine , et cette grande lutte a largement soudé les trois musiciens. Le trio s’étant stabilisé, on aurait pu s’attendre à ce que ricochet soit un instrumental totalement improvisé sous les yeux du public.
 

Malgré la symbiose créée par plusieurs années de lutte, le trio ne pouvait tout maitriser, et ce n’était d’ailleurs pas son souhait. L’improvisation est justement faite pour sortir ces virtuoses de leur zone de confort, elle les obliges à effectuer des manœuvre plus hasardeuses, qui se révèlent parfois géniales. Le hasard est donc l’étincelle donnant toute sa puissance fascinante à sa musique. Cette rencontre féconde entre le hasard et la sagesse de ces trois musiciens ne pouvaient donc qu’être favoriser par la scène. Le matériel est déjà prêt, le groupe sortant tout juste d’une tournée triomphale en Europe, mais Edgard Froese refuse de publier ces bandes en l’état. Cette matière, il veut la retravailler, pour donner naissance à une nouvelle œuvre.

Dans son studio anglais , Tangerine Dream crée un premier instrumental , qui est placé en ouverture d’album. Grâce aux moyens des studios modernes, Edgard Froese sélectionne quelques passages de sa précédente tournée. A plusieurs endroits, il ajoute des nappes de mellotron , accentuant une mélodie qui assemble les pièces issues de différentes prestations. Bien aidé par ce matériau brut de décoffrage, Tangerine dream développe une musique plus énervée, qui s’approche des trips électriques du rock atmosphérique. Plus virulente, la batterie incite le synthé à hausser le ton, pendant que la guitare flirte avec les univers des plus grands rockers cosmiques.

Robert Fripp a d’ailleurs dû penser à ces tourbillons de guitare nuageuse, quand Bowie lui demanda de travailler sur ce qui deviendra heroes. Cette guitare changeant de voie , ce riff se transformant en cor céleste , Edgard Froese le maitrisait bien avant que Bowie n’en fasse un tube.

Si Ricochet est moins pop que ne le sera heroes , c’est uniquement dû à la longueur de cette grande pièce instrumentale. Le grand public ne peut maintenir son attention aussi longtemps, il lui faut des mots, des envolées bien marquées , des refrains faciles à retenir. Ricochet était trop sombre, même si cette noirceur n’était pas comparable au monde torturé de Zeit. En suivant le chemin mélodique tracé par rubycon , tangerine dream a produit un des disques les plus accessibles , rock , et finalement optimiste de sa remarquable carrière.

Ricochet donne la même impression qu’un retour de voyage, quand on regarde le ciel  par la fenêtre, et que nos souvenirs brillent comme des étoiles illuminant notre nostalgie. Ricochet ne veut pas nous noyer sous son fleuve mélodique, il prend au contraire soin de nous laisser des repères auxquels s’accrocher. Sur l’introduction une mélodie binaire nous prend par la main, pour nous guider dans ce grand espace électronique. La musique décolle ensuite progressivement, mais la batterie et la six cordes de Froese nous envoie assez de bouées pour éviter de nous noyer dans ces eaux fabuleuses.

Nous avons alors l’impression d’être un naufragé protégé par une force divine, et admirant le déchainement des éléments, avec la tranquillité de celui qui sait qu’il ne risque rien.  Le paysage s’agite et s’apaise, s’illumine et s’assombrit au fil des notes. Toujours chargé de coordonner ces mouvements, le séquenceur déchaine le rythme, ou l’asphyxie dans un nuage hypnotique. C’est encore le séquenceur qui décide quand deux notes atmosphériques sautillent comme des lapins hypnotiques , avant de retourner ramper comme un varan sous un soleil de plomb.

Si les prises live donnent plus de vie à ces mélodies spatiales, elles ne brisent pas l’harmonie d’une œuvre encore plus cohérente que la précédente. Quand l’ovation du public viendra saluer une prestation qui n’a jamais eu lieu sous cette forme, certains pourraient croire que Tangerine dream se moque d’eux. Viendra alors l’inévitable question : jusqu’où peut-on retravailler un live sans être accusé d’escroquerie ?

Pour Tangerine Dream , le débat parait absurde. On ne peut accuser un groupe jouant avec des machines aux réglages si hasardeux de manquer de sincérité artistique. Sa notoriété, Tangerine dream risque de la détruire à chaque fois qu’il démarre ses machines erratiques. Alors, si les studios modernes lui permettent de transformer ses expérimentations scéniques en œuvre, il n’a aucune raison de se gêner.

Ricochet est un des disques les plus équilibrés de ses auteurs , et son mélange de simplicité et d’expérimentations fait honneur au rock moderne. Depuis des années, le rock n’a cessé de mener son public vers de nouveaux territoires , de lui ouvrir les yeux sur des mondes inconnus. Dans ce cadre, ricochet est l’aboutissement d’expérimentations que la plupart de ses contemporains n’oseraient même pas imaginer.

A sa sortie, plusieurs magazines anglais parlent du « plus bel album de l’année » , il s’agit même d’un des plus beaux albums d’une décennie féconde.         

samedi 9 janvier 2021

Tangerine Dream : Encore


Alors que le succès de Tangerine dream ne cesse de croitre en Europe , Stratosfear lui ouvre les portes de l’Amérique. Ces ambiances plus chaleureuses et son instrumentation plus traditionnelle ont sans doute rassuré une Amérique terre à terre. Même à l’époque du psychédélisme , l’Amérique fut toujours moins excentrique que sa voisine Anglaise. The Byrds , Mike Bloomfield , Country joe and the fish , tous les américains tombés dans le psychédélisme ont gardé de solides racines blues , folk , ou country.

Rassuré par les arpèges d’Edgard Froese et des percussions plus présentes, le pays du blues se laisse enfin séduire par l’avant-garde teutonne. Hollywood vient d’ailleurs taper à la porte de Tangerine dream. Nous sommes en 1977 , le punk déferle sur le monde , et un jeune réalisateur surfe sur le succès de son premier film. Après avoir traumatisé une génération avec le réalisme quasi documentaire de l’exorciste , William Friedkin a réalisé le trop méconnu french connexion.

L’exorciste est le plus bel exemple de symbiose parfaite entre un film et sa bande son , au point que tubular bells semble avoir été écrit pour illustrer ses images horrifiques. Quand William Friedkin contacte Tangerine Dream , aucune scène du film dont il demande la bande son n’a été tournée. Il apporte donc le script de son projet, et les allemands produisent sa musique en 6 semaines. Lorsque le réalisateur est convoqué dans un hôtel Parisien, pour découvrir le résultat, il est ravi. Sa satisfaction est telle que, alors que la plupart des réalisateurs ajoutent la musique après avoir tourné les scènes, Friedkin diffuse les morceaux pendant le tournage.

Malheureusement, sorcerer n’aura pas le même succès que l’exorciste, et la BO écrite par Tangerine dream devra se contenter d’une petite place dans les charts anglais. Suite à ce relatif échec, le groupe décide d’immortaliser sa tournée américaine d’aout 1977. Cette fois ci, il ne s’agira pas d’un faux live, d’une œuvre composée avec des fragments de prestations scéniques. Toujours soucieux de ne pas jouer deux fois la même chose, Tangerine dream improvise une nouvelle fresque électronique.

L’album « encore » est composé de prestations effectuées en Amérique du nord, où le groupe a testé un nouveau light show. Le laserium Light show donnait vraiment l’impression que ces musiciens conduisaient un engin venu d’une autre planète. Plus précis que leur ancien matériel, ce système formait des images d’un réalisme saisissant, mais les machines chauffaient comme des gros fours lumineux. Très à cheval sur la sécurité, les autorités américaines  obligèrent le groupe à se doter d’un système de refroidissement particulièrement couteux. 

Si les bénéfices n’étaient pas au rendez-vous , « encore » montre un groupe en plein âge d’or artistique. Cet album poursuit le virage esquissé sur stratosfear, c’est une musique légère et souvent lyrique. Quand deux notes synthétiques lancent un crescendo trippant, la batterie leur offre une réplique plus humaine. Instrument clef de cette musique mélodique, le mellotron crée des nuages de plus en plus somptueux, des décors aux traits pleins de finesse.

Cette musique accroche l’oreille comme un tube pop, tout en gardant cette atmosphère si particulière, que Tangerine Dream ne cesse de redéfinir. Sa musique est ici plus lumineuse et pure que jamais, le trio a atteint une symbiose parfaite. Cette beauté a pourtant déjà disparu quand le disque atterrit dans les bacs des disquaires.

Après avoir mixé « encore » , Peter Baumann quitte un groupe dans lequel il commençait à se sentir à l’étroit. Selon lui, Tangerine dream n’était pas un groupe, mais le combat de trois égos luttant pour imposer leurs vues. De cette lutte est née une série de mondes nouveaux , que le groupe ne retrouvera jamais plus.      

vendredi 8 janvier 2021

Tangerine Dream : Stratosfear


Le parcours d’un groupe comme Tangerine dream est un chemin sans but. Le trio est une horde de druides vouée aux expérimentations les plus folles, et il passera toute sa carrière à chercher sans trop savoir ce qu’il veut trouver. Pour Tangerine dream , la musique est comme le labyrinthe du minotaure , une énigme insoluble , une quête dont les étapes successives sont plus importantes que l’objectif. Le groupe expérimental ne bénéficie d’aucun gimmick rassurant, d’aucune référence à suivre, il produit lui-même les repères qu’il utilise par la suite.

Forcément, face à un tel manque de stabilité, le chroniqueur peut se sentir perdu. Ce genre de musiciens ne peut être comparés à Chuck Berry, John Lee Hooker, et autres références qu’il agite comme des doudous rassurants. Le musicien lui, est rassuré dès qu’il a fini son premier album. Pour lui, cet acte fondateur est l’équivalent de la première ligne de l’écrivain, une fois qu’on l’a fini le reste vient tout seul. Il y a alors une progression qui s’instaure, un schéma logique que seul Tangerine dream maitrise.

On a ainsi vu les allemands passer d’un psychédélisme électronique à une symphonie glaciale, sans oublier le bruitisme fascinant de son troisième album. L’instrumental « traditionnel » se faisait progressivement dévorer par l’électronique, la symphonie spatiale devenait une prière de monstre mécanique. Rubycon était l’aboutissement de ce processus, un typhon ambient et mélodique balayant tout repère terrestre.

Et puis ricochet est revenu à une musique un peu plus terrestre, sa batterie et sa guitare donnant plus de vie aux bulles mélodiques de ces mages électroniques. Ce faux live montrait une nouvelle voie, mais aucun des musiciens n’était d’accord sur la façon de la poursuivre. Rapatrié à Berlin, le groupe accepte donc de convoquer un producteur pour arbitrer entre ses différents points de vue. Après avoir produit le superbe rock bottom de Robert Wyatt , Nick Mason est donc convoqué à Berlin.

Tangerine Dream pensait sans doute que le batteur de Pink floyd allait leur offrir un peu de cette splendeur rêveuse, qui ressuscitât l’ex batteur de Soft machine. Mais Mason se révèle vite incapable de choisir entre les voies proposées par le groupe, et repart sans avoir participé au moindre enregistrement. Réveillé par cette déroute, le trio décide de se répartir les rôles. Peter Baumann sera l’architecte chargé de bâtir les lignes séquentielles, ces colonnes tournoyantes, sans lesquelles le groupe se serait perdu dans ses décors bruitistes.                                           

Sur cette base, Christopher Franke lance ses chorus de batterie, roulements déchainés formant le muscle de l’humanoïde musical qu’est stratosfear. Il est à noter que les nappes de mellotron de Baumann n’ont plus rien à envier aux meilleurs moments d’Edgard Froese. Egalé sur son propre terrain, le leader de Tangerine dream habille cet amas de circuits et de muscles dans une enveloppe plus charnue. Ses accords coulent, comme le sang irrigant le puissant organe que forment les percussions.     

La musique de Stratosfear est beaucoup plus travaillée que celle des albums précédents. Il faut dire que la technologie a encore donné un coup de pouce au trio, et des machines plus modernes leur permettent désormais d’enregistrer certaines sonorités. Progressivement, Tangerine Dream ajoute plus de cordes, de chœurs, et de percussions, et agence ces matériaux comme des esclaves construisant la grande pyramide de Gizeh.

De l’union entre la tradition et l’innovation, entre les instruments conventionnels et avant-gardistes , il nait une nouvelle base que chacun est libre d’emmener plus loin. Sur les passages les plus méditatifs, la basse lance des lignes nuageuses, pendant que le mellotron siffle comme une flute enchantée. Ce même mellotron crée des nuages délicats , à travers lesquels s’engouffrent les arpèges , qui peignent leurs fresques somptueuses sur cette surface douce. Pendant ce temps, les percussions se posent délicatement sur un synthétiseur cotonneux, comme un chat marchant sur la banquette du salon.  

Le temps d’un intermède plus rythmé, une harmonie céleste joue le blues du cosmos. Stratosfear est l’accord parfait entre la musique terrestre et la folie spatiale de Tangerine dream. Folk atmosphérique, space rock bucolique, l’album explore un vocabulaire musical inédit et exaltant, révolutionne ce que l’on nomme vulgairement l’école de Berlin. Ce n’est pas la dernière apothéose d’une histoire démarrée en 1970, mais le nouveau chapitre d’une mythologie que le groupe écrit à chaque album.  

  

SONIC YOUTH : Washing machine (1995)


Formé au début des années 80 à New York, Sonic Youth a d’abord pratiqué une sorte de no wave expérimentale sur ses premiers enregistrements avant de produire ce qu’on a appelé le noise rock sur Bad Moon Rising, Evol et Sister.

Puis arrivera le temps de la reconnaissance et des albums phares : Daydream Nation, Goo et Dirty.

La particularité du groupe est bien évidemment à chercher du côté du son et notamment des guitares à saturation, à la limite de la rupture, presque bourdonnante comme une nuée d’insectes.

Sorti en 1995 Washing Machine est l’un des meilleurs albums du groupe mais surtout l’un des plus représentatifs, entre légèreté pop, expérimentation sonore/sonique et noise rock bruitiste.

Le dernier très grand album de Sonic Youth qui continuera à produire de bons disques jusqu’à The eternal le dernier, sorti en 2009, que je trouve vraiment bien et qui achève une carrière de presque 30 ans

Avec « Washing machine » en osant un peu on pourrait presque dire qu'on a droit au mix parfait entre punk désarticulé et rock planant / psychédélique tant les atmosphères sont bizarres , ce qui ne surprend pas avec un groupe comme Sonic Youth.
Un des albums les plus « cool » du groupe même si bien sur ça reste du rock noise et toujours expérimental mais il y a parfois quelques petites ambiances ou touches bluesy ou planantes assez sympas (plus que sur Goo ou Dirty en tout cas).


Quelques morceaux cools plutôt intéressants : « Saucer-Like », « Unwind » (qui part doucement pour mieux monter progressivement en intensité, en puissance mais tout en contrôle), « Little trouble girl » qui fait penser à une balade « californienne (bof bof !!) et « The diamond sea » (cool seulement en partie !!) ; cette pièce de 19 minutes entre blues, noise, rock planant et expérimentations sonores est le titre phare de l'album - mais pas forcément mon préféré - une espèce de « noise planante » puis bruitiste assez bluffante et hallucinante. une expérience auditive magnifique et parfaitement réussie.


Pour moi les meilleurs titres sont « No queen blues » et « Panty lies » (morceau hypnotique s'il en est ), c'est le Sonic Youth que j'aime. Énergique, hargneux, rageur, puis « Junkie's promise », « Washing machine » (légèrement blues rock par moment, avec notamment une magnifique seconde partie blues planante), « Becuz » et bien sur « The diamond sea » déjà cité.
Toujours un son et une ambiance uniques, c'est ça qui fait le charme de Sonic Youth ; même si on connaît le groupe on a toujours droit à quelques surprises d'un album à l'autre.

Car Sonic Youth a un style musical qui lui est propre (et reconnaissable entre 1000), avec un sens de la mélodie bien particulier car la mélodie est elle-même déstructurée par des guitares qui sont sans cesse sur le fil du rasoir, une impression d’être toujours à la limite, proche de la rupture, quasiment en déséquilibre permanent.

Déstructuration qui peut aussi parfois, sur certains titres, concerner le chant tenu alternativement, selon les morceaux, par Thurston moore l'un des guitaristes ou Kim Gordon la bassiste.

Et Sonic Youth peut se targuer d'avoir inventer et donner ses lettres de noblesse au noise rock, au moins sous cette forme.

Alors bien sûr si l'on ne connaît pas et qu'on n'a pas l’habitude de ce son si atypique cela peut surprendre l’auditeur et nécessiter plusieurs écoutes avant d’apprivoiser la musique générée.

Un disque un peu plus calme, plus  « planant » , plus mature, plus maîtrisé que les précédents.
Et davantage de longues plages instrumentales que sur « Dirty » ou 
« Goo » mais toutefois qui s'éloigne du côté pop qu'on pouvait trouver sur Goo  (ce dernier restant sans doute l'album le plus accessible du quatuor New-Yorkais).

C’est aussi peut-être l’album où Sonic Youth explore le plus d’univers musicaux différents, le plus aventureux mais toujours avec finesse et maestro, toujours en maîtrise.
Un très bon album que je situe juste derrière le trio magique (
« Dirty » « Daydream nation » et « Goo ») des meilleurs albums de Sonic Youth qui a été, rappelons-le,  pendant plus de 25 ans l’un des groupes les plus novateurs et créatifs de la scène rock et pas seulement « alternative », un groupe incontournable qui a marqué son époque, influencé maintes artistes et qui a toujours su se renouveler


mercredi 6 janvier 2021

SUICIDAL TENDENCIES : Suicidal tendencies (1983)




Avant de passer au crossover (à partir de l'album "Join the army" ) puis au thrash métal (à partir de "How will I laugh tomorrow"...) avec le succès que l'on sait mais avec aussi quelques petits ratés discographiques, on oublie trop souvent que Suicidal tendencies a été l'un des précurseurs d'un certain type de hardcore ayant autant influencé le skate punk que la frange la plus extrême du punk US. 
Ce premier album est une bombe sortie en 1983 et qui marque le mouvement hardcore de son empreinte. Un des albums les plus agressifs de son époque et qui a largement influencé la musique extrême, quelle soit punk, hardcore ou métal. 

Il est d'ailleurs pour moi leur meilleur même si le groupe en a sorti quelques uns de qualité. 
Un style musical punk hardcore bondissant, tout en souplesse, d'ailleurs ce n'est pas pour rien que Suicidal tendencies a toujours été un des meilleurs groupes sur scène et Mike Muir un showman hors pair (le concert de ST de 1988 à l'Elysée Montmartre reste parmi les cinq meilleurs que j'ai pu voir, avec une intensité rarement égalée) . Et même sur disque on l'imagine bondir, courir et sauter tel un fauve ! Pas étonnant que Suicidal Tendencies a été une grande influence pour de nombreux groupes skate punk (rappelons le morceau "Possessed to skate" sur le second album) . 
Musicalement ST est toutefois différent des groupes punk hardcore de la côte Est des USA , ici la rythmique est moins lourde, plus aérienne. Avec beaucoup de changements de rythme, des accélérations, décélérations qui sont presque la marque de fabrique musicale de Suicidal tendencies. 
Il y a certes un côté un peu bourrin parfois mais c'est plus technique que ça en a l'air. Les musiciens assurent et les compositions montrent beaucoup de liant. 

C'est très novateur dans le genre et assez différent également par rapport aux ténors du hardcore US à savoir à Dead Kennedys, Black flag, Bad brains ou Minor threat ... Et à 1000 lieues des groupes punk britanniques de 1983 tels Exploited ou GBH. 
Et puis ST c'est aussi le look, celui des gangs à l'instar des groupes hardcore de la côte Est, ici les gangs sont ceux de Los Angeles et les fameux bandanas. 
Car ce premier album des Suicidal tendencies ne ressemble à rien de semblable déjà sorti dans le punk hardcore. C'est bien violent tout en gardant toujours une certaine mélodie. Mais comme je l'ai déjà dit ce qui caractérise ST et qui sera sa marque de fabrique y compris quand le groupe prendra son virage crossover puis thrash métal ce sont les changements de rythme incessants qui ponctuent quasiment chaque titre. 

Des accélérations de folie, souvent cinglantes atteignant pour l'époque une vitesse quasi inouïe. 
Le groupe a aussi un son et un style propre, quasiment inimitable, la façon de chanter de Muir y étant également pour beaucoup. 
Une voix assez spéciale , presque chaloupée et qui monte progressivement en intensité. 
Et puis un mot sur les textes fidèles au genre mélangent politique, social et humour décapant avec le petit zeste de provocation mais sans être méga politisées comme Dead Kennedys ou MDC. 
Ça commence avec "Suicidal's an alternative / you 'll be sorry" qui donne le ton. 
Le mélange des tempos vous prend à la gorge, pas le temps de respirer. Idem pour "Subliminal" , "Institutionalized", "I want more" et l'excellent "I saw your Mummy" . 

Certains de ces titres annoncent déjà l'album suivant "Join the army", plus crossover et qui ne sortira que quatre ans plus tard en 1987.
D'autres titres privilégient le rentre-dedans sans détour : "Fascist pig" , "Memories of tomorrow" et le sulfureux "I shot the devil", morceau dans lequel Mike Muir se met dans la tête du type qui a tiré sur le président Reagan et livre un texte au vitriol. Pour moi le meilleur titre de l'album avec "I saw your Mummy" . 

Sur "I want more" la voix de Muir se fait même douce, posée et calme par moment. Quant à "Suicidal failure" qui termine l'album c'est un titre presque cool dans la première partie , qui monte progressivement en puissance pour finir en apothéose. 
Que les morceaux soient courts et rentre dedans ou longs et plus travaillés il se passe toujours quelque chose avec ST. 

Ensuite que ce soit dans sa période crossover ou thrash métal Suicidal Tendencies reprendra en partie la même recette mais avec des morceaux mieux structurés, plus travaillés et surtout un son très différent, notamment au niveau des guitares. 
Mais nous avons là un monument du punk hardcore et un des disques les plus ultimes de la première moitié des années 80.

Un brûlot punk hardcore parmi les meilleurs du genre, une tuerie avec des classiques à la pelle, des morceaux indémodables et qui resteront des modèles du genre tels "I shot the devil", "I saw your mummy", "Institutionalized", "Subliminal", "Suicidal's an alternative / you will be sorry", "Fascist pig", "Two sided politics"... Quasiment tous les titres en fait !!!

Tangerine Dream : Rubycon



Encouragé par une prestation qui a marqué son public à vie, Tangerine Dream retrouve son studio anglais. Comme pour Phaedra , l’enregistrement de Rubycon fut douloureux. Servi par une alimentation électrique défectueuse, le studio subissait des chutes de tension déréglant un matériel déjà erratique. Tangerine Dream dut donc lutter pour entretenir la grâce de ses animaux mécaniques.

Ayant remis les séquenceurs au centre de son système musical, Tangerine dream se concentre sur ses mélodies. Au fil des improvisations , le trio finit par tisser une fresque musicale de plus de trente minutes , qu’il décompose en deux partie. Rubycon est donc l’aboutissement d’un processus démarré sur la seconde face d’Alpha Centaury , et qui se termine avec ce long titre composant tout un album. La première partie nous berce lentement, prolonge l'eden musicale introduit sur Atem. On peut encore saluer la virtuosité d’Edgard Froese , dieu du mellotron inventant des mondes lumineux.

La seconde partie de la fresque Rubycon est plus tendue, plus sophistiquée aussi. Partant sur un mantra binaire, Tangerine dream augmente progressivement le nombre de notes, créant ainsi un crescendo vaguement inquiétant. Chœurs chantés par des sirènes synthétiques, prière se déployant sur une rythmique vaporeuse, monastère électronique aux décors parfois inquiétants, Rubycon est un monolithe fait de plusieurs teintes. On pense successivement au paradis et à l’enfer , on entre dans l’eden avant de retomber au purgatoire.

Sur certains passages, le mellotron installe une atmosphère pesante, les synthés gémissent comme des âmes en peine. Puis ce mouroir s’illumine, ce qui nous semblait être des gémissements de damnés devient apaisant comme un chant de mouettes. Aussi radicale soit elle, cette évolution s’est faite progressivement et naturellement, comme des rayons solaires perçant progressivement un ciel d’orage. Avec Rubycon , la musique de Tangerine dream gagne en cohérence et en cohésion , ce n’est plus un monde que nous découvrons mais une sensation.

Finis les décors blancs ou noirs, les sentiers rêveurs ou cauchemardesques, Rubycon met fin à plusieurs années de manichéisme musical. Ecouter ce disque, après avoir traversé les œuvres précédentes, c’est comme passer du noir et blanc à la couleur. N’y voyez pas de jugement de valeur, Zeit restera toujours une des plus grandes œuvres du trio. Mais Rubycon permet désormais de varier les décors et les émotions dans une même fresque mélodique. Ce changement s’est fait par étapes, Phaedra a d’abord imposé des formes plus cohérentes , imposantes statues de glaces belles comme des dieux grecs. Puis, après avoir trouvé le modèle capable de fusionner ses sons , Tangerine dream a commencé à travailler la grâce de ses toiles sonores.

Rubycon correspond d’abord à ce moment clef, où Tangerine dream est devenu assez maitre de ses effets pour inventer de nouvelles mélodies. Après une telle découverte, revenir en arrière n’est plus possible. Alors, tel César traversant un autre Rubicon, Tangerine dream semble affirmer que les dés sont jetés. Et le triomphe de nos allemands sera digne du récit de la guerre des gaules.