« Si vous vous souvenez des années 60 , c’est que
vous ne les avez pas vécues ». Il y’a des périodes comme ça , qui semble
devoir éveiller tous les phantasmes , sans qu’une vie ne suffise pour en faire
le bilan. Bien sur il y’a les films , ou l’on peux voir de grands espaces
occupés par des hippies défoncés , placé à quelques encablures de grandes
villes en plein développement. C’est le paysage fabuleux dépeint dans les
longues chevauchées d’easy rider , ce sont les routes parcourues par Kerouac dans
les mythiques pages de « sur la route », bref c’est l’Amérique dans
toute sa démesure.
En parlant de Kerouac , son personnage a vraiment existé
, et a propagé le LSD en compagnie d’autres joyeux lurons tel que l’auteur de
vol au dessus d’un nid de coucou. Il est amusant de voir que cette propagation,
et tous ce qu’elle a engendrée, est survenue alors que l’Angleterre était
secouée par une vague d’artistes à la créativité débridée. Certaines mauvaises
langues diront que les ricains avaient bien besoin de leurs psychotropes pour
quitter les chemins balisés de leurs blues de prolos noirs. Chacun défendra
son camps selon qu’ils préfèrent le purisme à l’avant gardisme, ou l’inverse.
Plus sérieusement, il y’a des époques qui semblent plus
propices à l’épanouissement du génie humain , et dans les années 60 il s’exprima
dans la pop. Une part de ce génie résidait justement dans le fait que des mecs
aussi puristes que Mike Bloomfield pouvaient se forger une personnalité forte,
sans partir dans des bidouillages aussi alambiqués que ceux des Beatles. C’est ainsi que , après avoir quasiment
inventé le blues rock sur le premier album du Butterfield blues band , il a
laissé l’acide le guider dans une longue jam publié sur le second , et qui sera
la révélation qui fera naitre le rock psychédelique lors du passage du groupe
en Californie.
Car l’origine du psychedelisme ce trouve dans ce concert
Californien , ou le Butterfield Blues band montrait une autre voie à des
Jefferson airplane , et autres quicksilver messenger service , qui en étaient
encore réduits à réciter les mélodies des Byrds. Et puis Bloomfield s’est
recentré sur ses racines , frottant son blues à la soul ou au Jazz , et nous
offrant ainsi la première moitié des super session et a long time comin , deux
disques qui sont au blues ce que la bible est au christianisme.
Pendant ce temps , deux autres hommes construisent une
légende qui croisera bientôt la sienne. Le premier Nick Gravenite , est un
autre fou de blues, qui commence à mettre ses talents de songwritting au
service d’une Janis Joplin élevée au rang de superstar hippie après le festival
de Monterey. Le second , Bill Graham, gère une troupe de théatre , et profite
de son succès pour fonder le fillmore , qui devient vite le cœurs de l’effervescence
musicale américaine. Pour promouvoir ses concerts, il finance la créations d’affiches
qui sont de véritables œuvres d’art psychédélique , annonçant la démesure de
prestations ou les groupes partent souvent dans de longues improvisations
planantes. Cette habitude, si elle parut un peu ridicule lorsque les who
partirent dans une version interminable de my generation , a fait les belles
heures de groupes comme les allman brothers ou le grateful dead.
Il n’est alors pas étonnant que, lorsque Nick Gravenite
et Bloomfield décident d’organiser une série de concert en commun , il le fasse
dans cette salle devenue la plus populaire du pays. Nous sommes à la fin des
années 60, les hallucinations acides ont transformés le blues cher aux deux
hommes en un rock mystique ou abrasif , et ils usent de tous leurs talents pour
livrer un vibrant requiem à leur musique désormais dépassée.
On retrouve dans ce disque tout ce qui fait la beauté de
ce blues teinté d’une classe jazzy , un blues de music hall que chérissait déjà
BB King. La voie de Nick Gravenite est au sommet de sa beauté plaintive, les
solos de guitares de Bloomfield semblent pouvoir guérir les peines les plus
profondes. Derrière eux, le saxophone ajoute cette chaleur mélodique qu’on a déjà
pu gouter sur les passages les plus jazzy d’electric flag.
Et puis , il y’a encore ces rocks poussiéreux , agrippés au blues comme à une bouée de secours jetée au milieu de la tempête créative
que constitue les sixties. A ce titre, « It Take time » à la même
énergie rugueuse que les rocks de Chuck Berry, ou que les chicago blues
contenue sur le premier album de Paul Butterfield blues band, la classe de
leur grand big bang de blues en plus.
Et c’est bien pour ça que ce disque, comme tant d’autre
après lui, est un point d’encrage indispensable. « My Labors » montre
juste deux musiciens s’échappant de leurs époque le temps d’un concert, pour
continuer à célébrer cette musique qui les a toujours fait vibrer, emmenant
ainsi le public dans une superbe bulle anachronique.
Et si, plus de trente ans plus tard , on ressent toujours
la puissance de cette prestation , c’est parcequ’elle trouve sa source dans une
matière insaisissable et immortelle . En bref on appelle ça du grand blues rock.
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