Quand ce disque sort , cela fait bien vingt ans que la
critique démolit chaque nouvel album de Dylan. Si celle-ci a tout de même
daigné accorder au basement tapes son statut de classique, ce n’est que grâce
à la présence du band. Certains n’ont pas accepté de voir l’homme rejeter son
rôle de porte parole d’une génération hédoniste et pacifiste, et ce
ressentiment s’est déversé sur presque toute sa discographie post blonde on
blonde. Pour « blood on the track » , il n’ont pas osé , ses
mélodies étant trop pures et somptueuses pour permettre la moindre attaque
perfide.
Il faut comprendre que Dylan , comme Neil Young ou Johnny
Cash , fait parti d’une espèce d’artiste aujourd’hui disparue, celle qui
privilégie la liberté à la gloire. Alors oui , parfois , on se demande si il ne
donne pas le bâton pour se faire battre , self portrait restant un exemple
parfait de suicide artistique. Mais,
pour un self portrait, on pouvait se rassurer avec hard rain , nashville
skyline , ou l’honteusement sous estimé desire.
Lay ladie lay , Hurricane , et autres forever young
valait bien like a rolling stones ou ballad of a thin man. Mais on refusait de
le soulager de ce poids lié à son passé folk et électrique, au point que « all
along the watchtower » deviendra un hymne anti Vietnam, grâce au doigté divin d’Hendrix.
L’homme l’avait écrite pour déclarer son mépris du show business et des
parasites, tournant autour des idôles en pleine lumière, mais on y voyait
encore un descendant de « the time they are changing ».
Trop de personnes souhaitaient statufier ce visage orné de
lunettes noires , celui penché sur un piano pour en sortir les premières notes
de like a rolling stones. On en fit des posters psychédeliques et une œuvre d’art
publiée dans le magazine hippie Oz. Il lui faudra des années pour se débarrasser
de ce passé trop glorieux. A la limite , pour mettre fin au jugement injuste
imposé par les « discothèques rocks idéales » , qui fleurissent sur
les étagères des libraires, on conseillera de démarrer l’exploration du
répertoire Dylanien par ses disques plus controversés.
Mais le mal est fait , et personne ne soulignera que le
barde eut le mérite de simplifier le son de Knopfer sur « slow train coming »,
sa ferveur de premier communiant ne gommant pas la beauté de la plupart des
compositions. Nous étions néanmoins en 1979, année funeste annonçant une
décennie calamiteuse, et Dylan ne pouvait que continuer son long martyr
artistique.
Après avoir essuyé les plâtres pendant des années, il
souhaite même mettre fin à sa carrière, avant que Bono ne l’en dissuade. Alors
au sommet des charts avec son groupe, le chanteur lui propose de travailler
avec Daniel Lanois. Le producteur a travaillé avec Peter Gabriel , U2 , et
Brian Eno , et semble parfait pour réconcilier Dylan avec son époque.
Les sessions ce déroulent à la Nouvelle Orléans , et le
disque sort en 1989. Loin de lui imposer une production ultra moderne, l’homme
propose d’ajouter des dobros, de la steel guitare , et des percutions à l’attirail
folk du Zim. Mais c’est surtout sa voix qui fait l’objet d’un traitement
particulier , celle-ci planant au dessus du groupe comme une série de
déclarations angoissées.
Car Dylan ne sait plus où est sa place, et il parvient
enfin à l’exprimer froidement sur « what was if you wanted ». Cette fragilité,
alliée à la rigueur d’un orchestre plus conséquent, rapproche ses mélodies du
spleen Springsteenien , l’harmonica poignant qui clôt l’album rappelant
furieusement l’introduction de « the river » .
On retiendra aussi « political word » , qui ouvre les débats sur un rythme country agrémenté d’un riff stonien en diable. Dylan remet ça sur « everything is brocken » , dans un registre plus folk rock que n’aurait pas renier Mudcrutch , le dernier projet musical de Tom Petty. Le drame de Dylan restera que , malgré l’efficacité de ses titres plus rock , on retiendra toujours plus les récits de bardes habités comme « man in the long black coat » , ou les moment où il exprime son spleen avec une voix suivant une mélodie mélancolique. A ce titre , When the teardrops fall aurait presque des airs de « sad eyes lady of the lowland » , si le saxophone ne venait pas y ajouter un peu de chaleur. « ring them bells » vient plutôt renouer avec la douceur sombre de « blood on the track », la tristesse de l’amant déçu ayant laissé place aux hésitations d’un artiste qui veut encore croire en son avenir.
Ce n’est pas pour rien que cet album se nomme « oh
mercy » . L’homme a encaissé trop de coups et réclame grâce. Avec un
disque pareil, c’est plutôt un nouveau triomphe qui l’attend.
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