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dimanche 3 novembre 2019

Robert Wyatt : Different every time : Partie 2 , grandeur et décadence


Quand le premier album sort enfin, Soft Machine est officiellement séparé, usé par une tournée de trois mois qui a eu raison de sa témérité. Grâce à la persévérance de son producteur américain , son premier album finit tout de même par sortir, et le groupe qui se croyait libre de tout engagement se retrouve contraint de produire le second disque prévu par son contrat. Heureusement, soft machine a continué à composer pendant sa période d’inactivité, et dispose déjà d’un matériel conséquent. Avant les premières sessions, Hugh Hopper annonce qu’il s’en ira si « le groupe produit encore de la pop » , ouvrant ainsi un conflit entre les influences pop de Wyatt et les ambitions jazz des autres membres du groupe.

Voyant au départ le projet comme une obligation contractuelle, le trio répète 17 titres, qu’il compte lancer comme une aumône à sa maison de disque. Mais, au fil des répétitions, le projet se densifie, les sessions s’allongent, et ce qui devait être un travail bâclé se transforme en disque foisonnant  où le gang atteint le sommet de sa cohésion.

Seule ombre au tableau, la production est un peu brouillonne, et donne un écrin un peu rudimentaire à ces perles. Mais la perfection des titres rachète largement l’amateurisme des producteurs, et tout ce que le premier disque avait annoncé se réalise dans nos oreilles ébahies.

Volume two


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Mélange de dadaïsme et d’intellectualisme musical, l’école de canterbury nait réellement avec ce disque. De caravan à Khan , sans oublier hatfield and the north , tous vont broder leurs œuvres autour de cette base rutilante. Volume two est le seul disque de soft machine qui réussit ce pari fou, marier la spontanéité et l’avant-garde, la légèreté pop, et la sophistication jazz. The soft machine (l’album) était encore trop brut, les stridences de son orgue rapprochant le groupe d’un psychédélisme aussi violent qu’aventureux.Third , lui, est un chef d’œuvre. Mais il n’auraît pu naitre si le groupe n’avait pas tourner le dos à la pop, au grand dam de Robert Wyatt.

 Le lutin batteur est le véritable maitre d’œuvre de ce volume two , réarrangeant les instrumentaux écrits par Hugh Hopper , tout en écrivant toute la prose absurde qui parcourt ce disque.

Plus que jamais au centre des mélodies de la machine molle, sa voix aère des instrumentaux alambiqués. Ceux-ci sont compressés sur des pièces de deux/trois minutes, qui s’enchainent comme les pièces d’un fabuleux puzzle. Encouragé par le collège libertaire de la pataphysique, Wyatt libère ses textes de toute logique, ses exubérances vocales se mariant à une musique extrêmement riche, dans une perfection jazz pop que seul Frank Zappa parviendra à approcher.       

Les années précédentes ont consacré la pop, 1968 marque le début de l’avènement du free jazz. Chacun en donnera sa version, instrumentale et envoutante chez Zappa (hot rats) , atmosphérique et électrique chez Miles Davis (bitch brew) , sans oublier la symphonie grandiose de King Crimson (in the court of the crimson king).

En plus de lancer toute une scène , volume two est passé avant tout ces chefs-d’œuvre. De là à dire qu’il les a influencé il n’y a qu’un pas, que nous éviterons de franchir. Si Zappa a en effet côtoyé la machine molle , c’était à l’époque où sa musique n’était encore qu’un rock pyché expérimental. Quant à Miles Davis , il ne se mit à métisser son jazz qu’après avoir été époustouflé par un show de Jimi Hendrix.

En revanche, volume two était le pavé dans la mare, un signal envoyé à tout ceux qui étaient restés bloqués dans le blues rock sixties. Le jazz et la pop ont conçu un enfant, voici ses premiers cris.   


Le succès semble proche, les maisons de disques commencent à voir un réel potentiel commercial dans ce groupe pop/ Jazz, et se pressent pour offrir un contrat à l’ex coqueluche de l’underground anglais. Si elles encouragent le groupe à retourner en studios , celui-ci veut désormais obtenir une liberté totale. Enrichi par une autre tournée en compagnie de Hendrix, le groupe décide de financer lui-même les sessions de son troisième disque.

Parallèlement, le duo Hopper/ Ratlehedge a pris le pouvoir, écartant définitivement les compositions pop de Wyatt. Déjà complexé par le talent de ses collègues, et doutant de ses propres capacités, le lutin anglais parvient juste à glisser une composition. En plus d’être une des compositions les plus réussies de ce disque, Moon in june représente l’adieu du groupe à la pop. Un adieu qui sera confirmé par le départ de Wyatt après la sortie de fourth.

Lors des enregistrements , Ratlehedge et Hopper refusent de jouer sur la composition de leur batteur, qu’ils semblent désormais voir comme un frein à leurs ambitions. Toujours aussi mal produit, third est heureusement composé de titres toujours aussi brillants, et d’une inventivité qui ne laisse pas présager que la fin est proche.

Third



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Cet album me fait toujours penser à l’histoire mise en scène sur « the grand wazoo » , le chef d’œuvre de Zappa, qui relate la lutte d’une tribu virtuose contre la horde des dangereux médiocres. Cette image exprimait bien le combat entre l’élitisme et la spontanéité que le rock a toujours provoqué. Jusqu’où peut-on aller sans tomber dans la démonstration stérile ? A partir de quand dépasse t’on les frontières du rock pour partir sur les terres pernicieuses d’une musique pompeuse et sans âme ?

Ces questions ont parcouru les groupe depuis que le rock existe. C’est la lutte entre les mélodies discos de Jagger et le blues de Keith Richard, ce sont les contestations provoquées par les changements brusques de Bowie , ou par les nouvelles mélodies de led zeppelin.

Chez Soft Machine plus que chez n’importe qui , ce problème ne pouvait que finir par se poser. Dès le départ, la formation était écartelée entre les tendances de son époque et son amour pour la « grande musique » de Mingus , Coltrane …

On pourrait aussi penser que volume two , sommet de cohésion entre ses influences contradictoires , représentait un point d’orgue que le groupe ne pouvait reproduire , sous peine de tomber dans le même bain que sa descendance. Parce que la formule a fait des adeptes, qui lanceront bientôt des disques qui sont autant d’échos à cette nouvelle pop.

Pour prolonger son statut de précurseur, soft machine devait partir vers d’autres territoires, et tant pis si Wyatt devait être sacrifié sur l’autel de l’avant-garde. Usant des capacités des studios modernes, la machine molle reprend la technique du collage cher à Zappa, sur un facelift où les envies de liberté de Hopper ouvre la voie à la musique extrémement composée qu’affectionne Rattlehedge. Le groupe creuse le même sillon expérimental sur « out bloody rageous » , où les boucles rythmiques s’accélèrent , s’entrechoquent , ou s’accordent dans une nouvelle forme de symphonie jazzy.    

Entre temps, on se sera émerveillé sur ses longues pistes moelleuses, où le groupe flirte avec la douceur avant gardiste du premier king crimson. Si volume two était son chef d’œuvre pop , third donne une nouvelle définition du free jazz , soft machine accélérant le son de ses bandes , ou les inversant tel un savant fou du free jazz.

Si third est un grand disque, c’est parce qu’il se défait de ses influences , pour inventer une nouvelle définition de la musique. Après ça, soft machine pouvait se dissoudre dans un jazz de plus en plus académique. Ce sommet-là ne pouvait, de toute façon, que le tuer.  


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