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mercredi 25 décembre 2019
Lou Reed : Magic and Loss
« La mort soigne notre désir d’être immortel »
Proust. Voilà ce qui peut résumer l’état d’esprit de Lou Reed en 1992. Son
disque précèdent , song for drella, a été salué par une presse unanime , déjà subjugué
par l’excellent New York. Ode à la mémoire de Warhol, le disque montrait un Lou
Reed devenu le survivant d’une aventure qui est enfin reconnue et célébrée. Finies les histoires de deals à 25 dollars , les refrains
provocateurs et les hymnes à la décadence, il était sorti de son propre
purgatoire, et voulait désormais aider les autres à vivre. Cet objectif peut
paraître un peu prétentieux, c’est pourtant la ligne directrice qui mena à la
production de ce disque. « Le disque de rock n roll a toujours été un
média jouet, je veux en faire autre chose qui peut aider les gens à vivre. » Tant musicalement que dans sa construction, magic and loss
est l’aboutissement de ce que Lou commençait à développer sur « new york »
et « song for drella », disque dont la popularité masquera
malheureusement cette réussite. A sa sortie, Lou Reed affirmait que l’album
parlait de mort et de magie , cette magie émancipée des religions organisées , et
qui forme la spiritualité de ceux qui ont été un peu secoués par la vie. Le concept permet aux chansons de s’enchaîner comme des
scènes tristes ou lumineuses , renouant avec ce concept de « film pour l’esprit »
qui fit la beauté des plus grandes œuvres Reediennes. La guitare saturée ouvre le ballet des disparitions
regrettées , évoquant rageusement les esprits de ses potes , ce début de voyage se nomme sobrement « dorita ». « what’s good » poursuit
donc le chemin endeuillé sur un rythme raffiné et nonchalant où Reed se plaint
de « l’injustice de la vie ». Le tempo tout en retenu renoue avec
New York , mais ne fait que souligner la véhémence d’un narrateur, qui ne sait
comment réagir face à l’injustice de la vie. « Power and glory » prend la suite sur une note
spirituelle, c’est le blues du chanteur conscient de son cancer, mais qui croit
en sa survie comme certains croient en dieu. Les complaintes gospel parsèment
d’ailleurs son chant parlé , comme des apparition divines perçant les nuages
sombres. On saluera au passage le riff d’une rare finesse, qui sublime cette
complainte pleine d’espoir. Puis vient « magician » , ultime manifeste de l’homme
voyant l’ombre de la mort planer au-dessus de sa dernière couche. Et, forcément,
cette image ne pouvait être illustrée que par le blues, cri de l’homme à terre,
et qui devient une danse voodoo fascinante. Sword of damocles est sans doute le point d’orgue de ce disque,
une complainte face à la fragilité de la vie, où les guitares synthés sonnent
comme des violons, rejoignant une contrebasse majestueuse, pour emmener notre
esprit au nirvana. Sur le titre suivant, la musique semble sortir de l’église
où Lou assiste à un enterrement , et parle au mort commepour refuser cette fin. La batterie profonde
pulse comme un cœur, qui finit par s’arrêter, et les arpèges de guitare sont d’une
profondeur hypnotique. Et puis, après s’être placé dans la position du témoin,
Lou imagine sa propre mort, dans un « cremation » où il sonne comme
un Dylan macabre. Fidèle à la promesse portée par l’album, il se plonge dans un
rêve, où il parle à la personne disparue. Il ne cite jamais de nom, préférant laisser
l’auditeur placer ses propres souvenirs sur sa mélodie sobre. Sa voix semble
sortir d’un trip spirituel, où seules quelques notes de guitare et de basse rehaussent
le nuage réconfortant formé par les synthétiseurs. No chance repart sur un rythme plus enjoué, plus rock et
sautillant. Le constat n’est pourtant pas moins sombre et, si Lou semble sorti du deuil, ce n’est que pour constater qu’il n’a pas vu son amie partir, et n’a
pas eu « la chance de lui dire au revoir ». Le deuil s’achève donc et laisse place à la colère face à
l’injustice du destin, l’animal de New York retrouvant les rives du rock
rugissant sur un « the warrior king » vengeur. Voilà donc notre héros
se rêvant en roi guerrier, prêt à botter les fesses des cochonneries ayant mis
fin à l’existence de son ami. Mais, je l’ai déjà dit, Lou n’est plus un rock n roll animal,
sa hargne n’est plus l’expression sauvage d’un homme se croyant immortel. Elle
est l’intermède entre la tristesse de la mort et la célébration de la bravoure
du mourant. Revenant dans le nuage synthétique parcourant le début du
disque, la voix de Lou célèbre désormais le courage de ceux qui se sont battus
pour gagner un peu de temps supplémentaire. Puis la
guitare gronde de nouveau, furieux requiem célébrant le combat mené par le
héros de « gassed and stocked », dont il ne reste « que quelques
photos et souvenirs ». Le titre sonne comme une célébration tribale du
combat que vient d’achever le défunt, une sorte de blues sauvage sur un rythme
de galère. Après avoir connu la mort , Lou célèbre désormais une
envie de vivre « plus forte que la luxure », sur une rythme orgiaque,
porté par un riff doté de la puissance vitale du vrai rock n roll. Le titre se
nomme « power and glory II » , et c’est la lumière au bout d’un
voyage qui , en dépit des apparences , se révèle résolument optimiste et
positif. Le morceau titre conclut l’album sur ce constat, lâché
comme une révélation : L’arrogance est un venin destructeur et la passion
est le seul moteur de la vie. Il semble d’ailleurs se parler à lui-même quand
il lâche « tu ne peux pas être Shakespeare et Joyce », constat cruel
pour celui qui, plus que n’importe qui, a élevé les paroles rock vers des
sommets littéraires. Magic and loss (l’album) est un nouvel aboutissement
dans la carrière de Lou Reed , son disque le plus abouti après Berlin. C’est
aussi une œuvre qui nécessite qu’on s’y plonge totalement pour en ressentir
toute la profondeur, la pièce musicale lumineuse d’un poète ayant atteint le
sommet de son art.
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