L’histoire du vieux Mudd est d’abord celle d’un visionnaire maudit. Enfant du Delta , il a plaqué ses premiers riffs en imitant le blues agressif de Robert Johnson. On pourrait aussi écrire des livres entiers sur le grand Robert Jonhson , roi des chanteurs de blues du delta . La virulence de son jeu inquiétait la bonne société, les grenouilles de bénitier considérant le blues comme la musique du diable. Du coté des admirateurs de Johnson, on avait tendance à croire que ses dons lui furent légués par le malin en échange de son âme. Cette légende ne faisait qu’augmenter la fascination que le mystérieux Robert exerçait sur tous les musiciens blues. Encore aujourd’hui beaucoup pensent qu’il serait devenu le roi du monde , si une bouteille d’alcool de contrebande n’avait pas eu raison de sa légendaire carcasse.
Ecoutez Dust my broom ,
tout vient de là , de ces lamentations désespérées ponctuant un swing cinglant.
Si Muddy a fait ses premières armes sur les rives du Mississipi , où il
enregistre un premier titre sous la houlette de Alan Lomax, c’est à Chicago que
le grand mudd s’épanouit. là, entre les prostituées et les gangsters, sa guitare
sèche ne suffit plus à faire entendre ses déclamations viriles. Alors il
abandonne sa gratte de troubadour, et se procure une guitare électrique et un
ampli. Ce jour-là, l’histoire du blues a pris un tournant décisif, qui se
confirma quelques jours plus tard.
Nous étions au début des années 50 , et Mudd tapait le bœuf avec d’autres futures icones du Chicago blues. Un soir, alors que le saint mojo s’épanouissait à travers le swing irrégulier de Muddy, hurlait toute sa puissance virile grâce à la voie d’Howlin Wolf , un type a proposé de rejoindre l’improvisation. Il s’agissait d’un grand noir aux cheveux gominés, son sourire charmeur donnant l’impression qu’il cherchait à vous vendre une voiture.
Si il jouait un peu vite, le jeune Chuck Berry poursuivait la voie du blues urbain tracée par ses pères du Chicago blues. Après deux auditions infructueuses, Muddy était enfin parvenu à signer un contrat avec le label Chess , et il embarqua le jeune Chuck lors de quelques concerts devenus légendaires. Le show business est un monde de requin, et Mudd était trop gentil pour défendre égoïstement son succès. Il incitât donc son label à signer un contrat avec son petit protégé, et ce fut le début de la fin.
Avec ses boogie blues en trois accords, Chuck Berry inventait le rock n roll, fils parricide du blues. Tous les gamins se sont alors jetés sur cette énergie primaire. La génération de Muddy a ouvert les portes du blues électrique, et tous les rockers s’y sont engouffrés en les laissant sur le palier. Si des groupes tels que les Rolling Stones devaient leurs noms à une de ses chansons, si Eric Clapton, Paul Butterfield et autres blues rockers l’admiraient, le vieux Mudd n’a jamais vendu autant que ceux qui l’ont pillé.
Ce n’est pas pour rien que, sur le légendaire get yer ya ya’s out , les stones préféraient reprendre un titre de Chuck Berry plutôt que l’un des siens. Les rockers jouaient trop vite pour atteindre le charisme suave du grand Mudd , à quoi bon essayer de le maitriser quand sa version simplifiée faisait un tabac. Mudd, comme ses contemporains dépassés, était un artiste que sa maison de disques gardait pour le prestige, une caution artistique sensée soigner son image de marque.
Sauf que, à l’heure où
Cream avait réussi à vendre sa reprise de spoonfull par palettes , les
responsables du label chess ne supportaient plus d’entretenir de vieux bluesmen
has been. Si ceux-ci ne se mettaient pas rapidement à la page, leur label se
verrait dans l’obligation de les renvoyer dans les bars malfamés de Chicago.
Pour aider le vieux Mudd , on lui offrit les service de jeunes loups initiés à la puissance acid rock moderne. Avec ces gamins , Muddy plonge son mojo viril dans un bain acide , les distorsions agressives amplifient la puissance de ses déclamations libidineuses. I just want to make love to you fait passer le Butterfield blues band pour un groupe de fillettes , les riffs les plus lourds flirtent avec les éruptions acides de Blue cheers. Cette débauche d’électricité n’est qu’un vernis et, quand on commence à voir au-delà de ce rideau électrique, on est saisi par la puissance de ces rythmes, qui s’accélèrent et ralentissent suavement.
Ce boom boom irrégulier, le rock l’a toujours eu dans le sang, mais il n’a jamais su en reproduire toute la richesse. Les gesticulations de ses musiciens psyché permettaient simplement à Muddy de récupérer son dû, de ramener la nation rock à l’essence de sa musique.
Après avoir permis à sa
descendance de rouler sur l’or , le vieux Mudd avait bien droit à sa part du
magot. Le succès de electric mudd lui
permet de récupérer son dû, tout en imposant sournoisement le mojo que
personne ne put reproduire à l’identique.
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