C’est une vague, c’est un torrent, que dis-je , c’est un tsunami ! Les premières secousses vinrent de deux disques merveilleusement minimalistes , deux hurlements juvéniles faisant taire la prétention hard / prog. Qu’on se le dise tout de suite, l’âge d’or du hard rock et du prog est désormais enterré, et ce n’est pas avec les honneurs. En 1975, la bête gesticulait encore un peu, quelques somptueuses pièces montées faisant croire à certains que l’époque était encore vouée à cette pâtisserie indigeste. Sauf que le rock n’en peux plus de tout ce faste, il est malade de s’être gavé de toutes ces sucreries, le punk lui permet enfin de les vomir copieusement.
Nevermind the bollocks et Ramones instaurent une nouvelle ère, celle de la débrouille minimaliste, de la colère en trois accords, et des cris de révolte sur fond de musique directe. Pour les anglais, la révolte sera aussi politique que musicale, Johnny Rotten risquant sa peau en crachant copieusement sur la reine d’Angleterre, avant que Clash ne réinvente le rock gauchiste. Coté yankee, on vénère la défonce, on fait de la stupidité profonde le modèle à atteindre. Les Ramones représentaient parfaitement leur musique, sur laquelle personne n’aurait misé un clou. Qui aurait pu imaginer que ces quatre paumés au regard vide deviendraient les sauveurs d’un rock en pleine perdition ?
Et pourtant, la sauce commence à prendre, et les fanzines
saluent les exploits des maitres de la décadence. Cette époque traverse Patti Smith
comme un fil haute tension relié à son cerveau en surchauffe. Ses transes deviennent
de plus en plus violentes , elle se cogne la tête contre les claviers ou assomme
son guitariste à coup de six cordes. Le public de ces prestations déchaînées
en redemande, la presse compare ces excentricités à celles d’un Iggy Pop en
pleine fureur stoogienne. Le public croit à un simple gimmick, mais la prêtresse
exprime juste sa rage de s’être faite dévalisée par une bande de faux frères New
Yorkais. Cette fureur, c’est la hargne d’une papesse se faisant ayatollah, ce
genre d’excès ne peut que mal finir.
D’autant que l’époque semble s’acharner sur les rockstars . Johnny Rotten fut poignardé, Zappa fut jeté au sol par un mari jaloux, sans compter les départs tragiques de Jim Morrison , Jimi Hendrix et Janis Joplin. C’est bien simple, quand un rocker de cette génération n’a pas frôlé la mort, c’est qu’il manque de finir ses jours en prison. A ce titre on peut citer Keith Richard, éternel hors la loi qui ne dut sa liberté qu’à la persévérance de Mick Jagger. Le constat que l’on peut faire aujourd’hui, c’est que les rockers les plus adulés sont tous mort de mort tragique. Le public charge ces musiciens de vivre tout ce que son manque de talent lui interdit de vivre , si il meurt dans ce combat la masse lui offre la postérité en guise de panthéon.
Patti passe à deux doigts d’entrer dans ce mausolée morbide lorsque, oubliant totalement la réalité, elle tombe d’une scène de plusieurs mètres de haut. La chanteuse se blesse grièvement à la tête, mais s’en sort après quelques jours d’hospitalisation. A son retour, elle refuse de rejouer Gloria sur scène, comme si cet accident avait tourné une page de sa vie. Après quelques concerts, elle plaque de nouveau son groupe pour rejoindre Fred Sonic Smith à Détroit. Là-bas, pendant que son mari enregistre des bandes qui ne seront pas publiées, elle écrit un nouveau recueil de poèmes. Ce voyage marque un tournant pour elle, qui sent sa fureur s’éteindre sous une certaine quiétude. Elle sait qu’elle a trouvé l’homme de sa vie, ce qui l’oblige à renier un peu la jeune femme hargneuse qu’elle fut.
Elle rêve aussi de gloire et ne rejette plus une pop qu’elle souhaite conquérir. De retour à New York , elle choisit Jimmy Lovine comme producteur de son prochain album. Ce choix n’est pas innocent, le producteur étant surtout connu pour avoir participé au « rock n roll » de John Lennon et au « born to run » de Springsteen. Easter sera l’occasion pour le producteur de créer un son qui fera les grandes heures de Tom Petty. Il est un des rares hommes de sa profession capable de changer le son de ses protégés sans le dénaturer, il construit un bolide rutilant avant d’en offrir les clefs au groupe.
Dans cet écrin, une déclaration de guerre telle que « till victory » devient un hymne de stade, because the night flirte avec le romantisme de born to run. En lui écrivant ce titre, Bruce Springsteen a montré que les deux artistes partageaient le même lyrisme enragé. Patti se voulait la fille de Rimbaud, Bruce s’est toujours considéré comme la voix des prolos, la voix du peuple et celle du rêve se rejoignaient le temps de trois trop courtes minutes.
A une époque où tout semblait encore l’inciter à se rapprocher d’une vague punk qu’elle initia, Patti à fait le choix de prendre le train de la pop en marche. C’est sans doute pour cela que, alors que les Sex pistols sont sur le point de vivre une déroute fatale, que les Ramones ne parviennent pas à obtenir autre chose qu’un succès d’estime, Patti Smith atteint le sommet des charts.
Seule ombre au tableau, « rock n roll nigger » est taxé de racisme par certains journalistes imbéciles. Seul titre à renouer avec une violence plus crue, rock n roll nigger est aussi le titre le plus fort de l’album. Dans un rugissement anarchiste, la chanteuse fait d’une injure ignoble le cri de ralliement de tous les hommes libres. Le « nègre rock n roll » devient celui qui « veut être en dehors de la société » , le rebelle sans autre cause que sa propre liberté. En hurlant qu’elle veut en être, en répétant le terme « nègre » comme un cri de guerre, elle le vide de sa connotation raciale. « Baby is a rock n roll nigger » veut juste dire que blanc, noir , jaune , toute l’humanité devrait hurler son refrain comme une déclaration de guerre à la connerie. En plus d’un des meilleurs textes anti raciste de la pop , Patti signe ici l’un des plus grands morceaux de rock n roll de tous les temps.
Les chiens peuvent aboyer, la caravane de Patti passe en grande pompe. Propulsé au sommet des ventes par le single because the night , Easter lui permet d’accéder aux joies d’une richesse bien méritée . L’ayant croisé en manteau de fourrure, Andy Warhol dira tout le mal qu’il pense de celle qui est enfin sortie de la misère de l’artiste maudit. Le publicitaire n’a sans doute pas apprécié que quelqu’un puisse avoir un égo comparable au sien, sans être passé par son usine bidon. Qu’importe ces réflexions et scandales, elles sont le lot de tout véritable artiste sorti de son égout.
Avec Easter , Patti Smith quittait déjà les fantômes des
seventies , elle annonçait la grandiloquence de la décennie suivante. Easter
est aussi un album pop accessible sans être trop aseptisé , c’est le symbole d’une
culture populaire exigeante qui va progressivement dégénérer ensuite.
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