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mercredi 12 mai 2021

Roine Stolt : the flower king

 


Cette fois on n’allait pas lui faire à l’envers ! Cela faisait plus de vingt ans que Stolt marinait dans un groupe de seconde zone. Au beau milieu de l’explosion anglaise, les petites productions d’un groupe suédois comme Kaipa étaient inaudible. En cet année 1994, Roine a déjà dépassé la quarantaine, si il ne s’infiltre pas dans la brèche ouverte par Anglagard, il n’aura pas de seconde chance. Alors il réunit un groupe de musiciens triés sur le volet, et enregistre son premier album solo dans l’urgence. Forcément, cet empressement donne à ce premier disque un coté plus brut , plus direct que la plupart de ses successeurs. 

La batterie dirige la procession avec virilité, bâtit les piliers autour desquels Stolt peut ériger son monument sonore. Comme de nombreux musiciens de sa génération , Roine a subi la pression de la pop, qui l’a obligé a développé un jeu très mélodique. Son feeling rêveur fait bien sûr penser à David Gilmour, icône de la musique planante auquel tout grand mélodiste planant est un jour comparé. On aurait pourtant tort de résumer ce premier album solo à une filiation commune à une majorité de groupes progressifs. Là où le Floyd a vite limité la complexité de ses compositions, pour accentuer sa douceur nuageuse, Roine Stolt s’épanouit pleinement dans de longues épopées aux scénarios complexes. A l’image de « fragile » de Yes , les titres les plus courts servent d’entractes entre deux fresques sonores. On écoute des pastilles telles que close your eyes ou the sound comme on ouvre un nouveau chapitre d’un grand roman, l’esprit encore marqué par les décors somptueux des pages précédentes.

Ce premier album solo confirme ce qu’Anglagard avait initié, les musiciens prenant un malin plaisir à déployer de longues compositions à tiroirs. Chaque variation est l’occasion d’inventer de nouveaux décors foisonnant, sans perdre la cohérence d’une œuvre saluant la cohésion des grands concepts albums. Pour faire passer cette inventivité débridée, la guitare maintient la douceur mélodique essentielle pour tout groupe qui ne veut pas finir dans les limbes de l’underground. Pour l’épauler dans cette tâche, le mellotron déploie ses symphonies nuageuses, modernise les douceurs enivrantes des grands poètes du son.

Lointain cousin du David Gilmour de confortably numb , le chant invite à se laisser immerger dans cette méditation. Pilgrim développe ensuite un décor boisé qui ne cessera d’être étendu par une nouvelle vague de progueux traditionnels. Les cuivres dansent comme une troupe de lucioles virevoltant autour de la guitare de Stolt, le jazz et le rock flirtent de nouveau dans un décor bucolique. Un piano baroque introduit ensuite le tonnerre électrique d’un orage heavy symphonique.

Nous sommes aussi à une période où le métal progressif déploie ses ailes sombres, il faut aussi savoir hausser le ton pour se faire entendre au milieu de ces barbares. Loin d’enchainer les notes avec la lourdeur nombriliste d’un John Petrucci, Roine n’est qu’un élément d’un assaut sonore incroyablement harmonieux. Le métal célèbre l’exploit individuel, le rock progressif ne peut lui fermer le clapet qu’en célébrant la communion collective. La musique c’est avant tout cela, la communion de plusieurs hommes dont l’harmonie atteint une beauté universelle. C’est ce qui fait la beauté de starless , close to the edge , super ready , toutes ces reliques du passé qui alimentent la montée lyrique des troupes de Roine Stolt.

Le riff de sound of violence crée ensuite un swing symphonique, une force à mi-chemin entre le heavy rock épique d’Uriah Heep et le space rock d’Eloy. Grâce à cette formule magique, dix minutes de virtuosité alambiquée passent aussi vite que les 5 minutes d’un tube pop. Des changements de décors aussi radicaux que le passage de pilgrim à the sound of violence se font ainsi avec l’évidence des grandes œuvres rock. Loin de se contenter de remonter le temps, Roine Stolt invente un monde dont il maitrise chaque mouvement. Ecouter un disque comme celui-ci donne l’impression d’être réfugié dans un abri au beau milieu de l’océan. Avec la sérénité de ceux qui savent que les caprices des éléments ne peuvent les atteindre, on admire chaque mouvement, on frissonne devant la hauteur de certaines vagues. Lors des accalmies, les mélodies chaleureuses nous rappellent des décors déjà rencontrés, tout en ménageant quelques délicieuses surprises.

Pour clouer ce spectacle en apothéose, humanizzimo allume un feu d’artifice sonore de plus de vingt minutes. On pense forcément au rêveries nostalgiques de shine on you crazy diamond , on a parfois l’impression de découvrir une nouvelle partie des beautés abyssales de tales of a topographic ocean.  Vous me reprocherez sans doute de faire pleuvoir les références comme autant de cotillons sur cette célébration, de me noyer dans le passé même quand je parle d’œuvres modernes.

Ces références n’empêchent pas l’impressionnante originalité de Roine Stolt, qui trouve ici l’équilibre que si peu de ses contemporains parvinrent à mettre en place. Ce premier album, c’est le cri d’une musique qui veut devenir mature sans moisir dans les musées, c’est le chant d’un rock voulant renouer avec son âge d’or artistique. Et ce n’est encore qu’un début.

                     

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