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jeudi 27 mai 2021

transatlantic : bridge accross forever

 


« Le violon est le roi du chant. Il a tous les tons et une portée immense : de la joie à la douleur, de l’ivresse à la méditation : l’espace du sentiment. » Cette citation d’André Suarez résume bien ce que l’auditeur retrouve avec joie sur ce second album  de Transatlantic. Privé de la chaleur maternelle des instruments traditionnels, le rock progressif est comme un chien abandonné sur le bord de la route. La chaleur boisée d’un violon permet aux rockers de côtoyer les génies de la renaissance, Mozart cotoie la musique classique du vingt et unième siècle, alors que les cuivres convoquent la majesté du jazz dans la volupté de longues envolées épiques. Les violons n’ont besoin que de quelques secondes pour planter le décor de la première symphonie de bridge accross forever.

Cette lamentation de cordes, paisible comme une plaine désertique, laisse doucement frémir une batterie tendue majestueusement, comme un tigre prêt à bondir. La rythmique annonce ensuite l’entrée de l’électricité avec fracas. S’en suit une véritable série de montagnes russes symphoniques, la pression montant et descendant avec une fluidité exemplaire. Les déchainements yessiens ont abandonné toute violence, la puissance des envolées électriques décollant vers les paradis dessinés par Roger Dean.

Ayant enregistré cet album en quelques jours, Transatlantic semble avoir déversé toutes ses trouvailles dans une longue fresque telle que duel with the devil. Cette pression entretient l’intensité de ce monolithe sonore, qui semble toujours prêt à éclater sous la tension entretenue par ce foisonnement créatif. Bridge accross forever est une centrale nucléaire au bord de l’implosion, ses notes s’assemblent et se déversent dans un réacteur surchauffé par tant de splendeurs.

Un free jazz chaleureux s’éteint dans la quiétude d’un space rock méditatif, des chœurs émouvants se laissent porter par le crescendo somptueux des violons. Loin de siffler avec violence, le clavier sautille joyeusement sur les mélodies les plus enjouées, l’orgue apporte un charisme mystique aux rêveries les plus solennelles. On pourrait aussi écrire des pages sur les envolées solistes de Roine Stolt , qui retrouve son lyrisme Gilmourien dans ce grand voyage épique. Les chœurs angéliques qui viennent ensuite introduisent d’ailleurs ses plus belles envolées.

Poursuivre le voyage après une longue introduction aussi parfaite parait impossible, tant Transatlantic semble avoir mis tout son génie dans cette grande fresque de 26 minutes. Pour détendre l’atmosphère, le groupe ouvre donc Suite Charlotte Pike sur un boogie que n’aurait pas renié Led Zeppelin. Progressivement, ce hard blues décolle, la mélodie prend de la hauteur avec la nonchalance charismatique d’un zeppelin de plomb. La frontière entre un certain hard rock et le rock progressif a toujours été poreuse, on le voit encore ici. Plus intenses et bavards, les solos réexplorent la maison des anges, le piano aidant ensuite la guitare à construire un nouvel escalier vers le paradis.                                             

Avec douceur , la mélodie nous ramène progressivement vers les sommets que nous avions quitté à la fin du titre précèdent. Chantant un hymne à la gloire du « temple des dieux » , Transatlantic passe du swing d’un rockabilly cosmique à la sérénité de slows genesiens. Il y a aussi une finesse beatlesienne dans ce swing charmeur, cette intensité séduisante n’étant pas sans rappeler les passages les plus rock du double blanc. Placé comme intermède entre suite Charlotte Pike et le grand final, le morceau titre est un lumineux tube pop.

Piano et violon dansent un slow émouvant, la voix semble caresser ce tapis soyeux avec grâce. Pas de cassures rythmiques où d’effets superflus ici, juste l’union sincère d’une harmonie épurée et d’un chant passionné.

« Le violon est le roi du chant. » On en revient à la citation qui ouvrait cette chronique, le chant de Roine Stolt servant ce charisme boisé avec la dévotion que l’on doit à un si majestueux souverain. Ce même violon prolonge le slow plein d'émotions du morceau titre pour ouvrir la grande symphonie finale. Rapidement, la batterie s’emballe, le clavier fait pleuvoir ses notes colorées, ce déchainement dessine un arc en ciel grandiose. Le synthétiseur plante un dernier décor champêtre, une harpe délicate accentue la beauté d’une voix qui semble traverser les nuages. Quand les musiciens sentent qu’une telle solennité risque de devenir pesante, un intermède heavy crée une tornade au milieu de ces nuages blancs. 

Si je suis moins amateur de cet emportement orageux, il faut avouer que cette puissance casse la tranquillité de ce décor sans en détruire l’irréprochable cohérence. C’est impressionnant de voir de tels déchainements flirter avec la puissance du heavy métal , le tout sans dénaturer la splendeur de ce rock atmosphérique. Grandeur du jazz et de la musique classique, puissance fédératrice du hard rock et beauté contemplative d’une pop délicate, bridge accross forever donne l’impression que tous ces éléments furent faits pour s’unir.

Brassant les époques et les influences dans une cuve débordant de merveilles, le dirigeable le plus somptueux du rock progressif moderne trouve ici le chemin de la postérité.              

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