C’est un nouveau torrent progressif qui déferle sur le monde. Formé en 1992 , Dream Theater atteint un premier sommet avec images and words. La puissance des chorus métallique permet à ces musiciens d’initier les sauvages du heavy métal à un nouvel univers, où la théâtralité de Rush rencontre les méditations atmosphériques de Pink Floyd. Les esprits chagrins verront dans cette puissance sonore la preuve définitive que le métal a pris le pas sur le rock , qui ne peut plus se faire entendre sans hurler aussi fort que lui. Ce serait vite oublier que le groupe de John Petrucci n’est jamais aussi bon que lorsqu’il ralentit la cadence, laissant ainsi ses harmonies épiques entretenir le charisme grandiloquent de son chanteur.
Pour ce groupe, le heavy métal est une couleur qu’il ajoute à la grande palette du rock progressif. Il lui permet d’aborder des mondes plus sombres, de mettre au point des envolées plus agressives. Ce mélange d’agressivité froide et de lyrisme homérique toucha au sublime sur metropolis part 1 , point d’orgue de l’incontournable images and words. Motivé par la réussite que constitue ce titre, Dream Theater décide d’en faire la base d’un grand album conceptuel. Le groupe écrit donc l’histoire d’un homme hanté par les souvenirs de sa vie antérieure, histoire qui devient le fil conducteur de l’album metropolis part 2.
En plus de réaliser le concept de « film pour les oreilles », que Lou Reed inventa sur Berlin, metropolis part 2 réinvente la définition du concept album cher au rock progressif. Plongé dans les angoisses de son personnage principale, James Labrie joue cet opéra métal/rock avec la justesse d’Al Pacino dans le parrain. Fort d’une notoriété qui n’est désormais plus à faire, le batteur Mike Portnoy cherche désormais à faire émerger une nouvelle scène.
Il contacte donc Neal Morse , leader d’un groupe vénéré dans l’underground progressif. Spock’s Beard élargit le champ du space rock progressif , ses deux premiers albums lui ayant valu une certaine notoriété dans le petit milieu du progressisme traditionnel. Portnoy et Morse se découvrent vite une passion commune pour les Flower kings, qui les incite à offrir le rôle de guitariste de leur groupe à Roine Stolt. Pour compléter cette réunion de la crème du rock progressif moderne, Pete Trewavas de Marillion est choisi comme bassiste. Faire jouer les meilleurs musiciens de leur catégorie est une vieille tradition dans le jazz, elle reste toutefois moins développée dans le rock.
Quand un tel groupe voit le jour, il est souvent rongé par les querelles d’égo de ses membres, quand cette union ne relève pas simplement d’un coup commercial. Nous avons déjà parlé d’Asia , dont le rock FM n’a pas apporté grand-chose au petit monde de la pop, mais j’aurais pu aussi citer le duo Coverdale/ Page , des traveling wilsbury sympathique sans atteindre le niveau des précédentes œuvres de ses membres …
Alors bien sûr , on trouve quelques grandioses exceptions , comme Déjà vue de CSNY , Beck Bogert Appice , Blind Faith… Mais ces groupes n’ont souvent duré que le temps d’un album, les égos des musiciens ne leur permettant pas de cohabiter plus longtemps. Et puis il y’a l’éternel sentimentalisme d’un public voyant toute infidélité à son groupe comme une trahison. Qui écoute encore les albums solos de Pete Towshend , de Roger Daltrey , où les daubes pop de Mick Jagger ? Même quand les albums solos des grandes gloires du rock sont bons , ils ne sont vus que comme une façon de patienter avant le retour du groupe de leur auteur. C’est pour cette raison que, malgré une œuvre plus qu’honorable, on suppliera toujours Robert Plant d’accepter une reformation de Led Zeppelin.
Le monde du rock progressif est un peu plus ouvert, de grandes
figures telles que Robert Wyatt ou Peter Gabriel ayant réussi à s’épanouir en
dehors de leurs groupes respectifs. On peut aussi citer cette grande famille
que fut la scène de Canterbury, où les musiciens passèrent d’un groupe à l’autre
sans choquer les fans. Pour cela il faut une scène unie et créative, et c’est
précisément ce que Mike Portnoy tente de ressusciter à travers Transatlantic.
A la rythmique , le duo Portnoy / Treawavas tourne à plein régime. Le batteur abandonne les élans démonstratifs de Dream Theater , sa frappe dense et fluide suffisant à apporter une certaine puissance et un cadre solide aux évolutions harmoniques du groupe. Transatlantic , c’est l’union de la puissance d’une rythmique à l’américaine , de la finesse d’arrangements dignes des grands dandys anglais , et de refrains fédérateurs hérités des années 80.
Habitué à diriger les enregistrements de Spock’s beard , Neal Morse compose et arrange les trois premières compositions de l’album , qui représentent plus de la moitié de la durée de cette oeuvre. Loin de devenir un tribute band de Spock’s beard , chaque musicien s’épanouit pleinement dans les arrangements proposés par le claviériste. La batterie délimite les espaces dans lesquelles évoluent les harmonies , c’est un rail souple et solide doublé d’un moteur tournant à plein régime. Plus discret qu’avec ses Flower king , Roine Stolt disperse quelques notes s’élevant avec majesté au milieu des nuages colorés dessinés par le clavier de Neil. Il place aussi « my new word » , un voyage de seize minutes dont la splendeur culmine sur des chœurs charmeurs.
Jouées par une telle formation, les compositions de Transatlantic atteignent la perfection de progressisme au charme immédiat. C’est bien cet objectif qui réunit le duo Stolt /Morse derrière la frappe titanesque de Mike Portnoy , faire redécouvrir la beauté d’une musique exigeante à un monde corrompu par la pop la plus mercantile. Pour atteindre ses objectifs Transatlantic ne cache pas des racines toujours plongées dans les terres merveilleuses de la pop des années 60/70. Cette influence est d’ailleurs revendiquée sur la reprise de « In Held In I » , titre écrit par les pionniers Procol Harum. Sur cette reprise, Neil Morse triture fiévreusement ses claviers , convoque le génie de ces maestros rock à coup de processions symphoniques. L’auditeur a vite l’impression que Martin Fisher a pris place derrière cette union de nouveaux virtuoses pour réinventer sa composition.
Si le désir de faire connaitre le duo Stolt / Morse se ressent dans un album très marqué par leurs préoccupations progressives et pop, l'inspiration de ces géants est assez forte pour qu’on ne résume pas ce disque à une simple opération de communication. En voulant sortir des musiciens qu’il admire de leur relatif anonymat, Mike Portnoy a déclenché une nouvelle avalanche progressive.
Derrière cet imposant dirigeable, des groupes comme big
big train , mangala valis, et autres anekdoten tenteront d’égaler la splendeur
irrésistible de ces figures de proue. Si le rock progressif reste relativement
impopulaire comparé à une escroquerie telle que radiohead , il atteint un nouvel
âge d’or créatif dans le petit monde de l’underground rock.
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