1968 est une bonne année pour Neil Young.
Débarrassé de la tension liée à la notoriété du Buffalo Springfield, il met son avenir entre les mains d’Eliott Robert. Celui-ci n’a pas de difficultés à lui faire signer son premier contrat en solo. Avec l’avance, le loner peut enfin s’offrir une maison digne de ce nom. Mais le confort matériel et l’indépendance ne comblent pas les hésitations d’un artiste un peu perdu quand il entre en studio. Pour se rassurer, il récupère Jack Nitzshe , qui a déjà travaillé avec le Buffalo Springfield.
Se souvenant de son travail auprès des Stones, le producteur conçoit un écrin foisonnant, fait le lien entre les accents country rock de son poulain et l’extravagance pop anglaise. Certains mondes ne devraient malheureusement jamais s’unir, on ne peut restituer l’authenticité rock dans un emballage aussi épais. The loner montre bien cette limite. Ce classique deviendra vite un des principaux chevaux de bataille scénique du grand Neil, il n’est pourtant ici qu’un titre schizophrène bloqué entre deux inspirations . D’un côté, Neil Young tricote un riff épais annonçant les futures charges de sa fidèle « old black » (nom qu’il donna à sa guitare la plus célébre), pendant que son producteur atténue cette violence sur un refrain dont les violons amplifient le pathos.
Jack Nietzche est resté bloqué dans les sixties, il veut faire de Neil Young le descendant des Byrds et des Beach boys. Il n’a pas compris que cette époque était déjà en train de s’éteindre, que Crosby s’apprêtait à larguer ses oiseaux en rase campagne, alors que les Beach boys commençaient une longue disgrâce. Ce qui couvait dans la grande Amérique, c’est un rock plus direct et violent. L’avènement des Stooges et du MC5 se préparait et Neil Young semblait prêt à offrir cette énergie au folk rock. Le riff de the loner montrait d’abord ça, un changement d’époque qui ne demandait qu’à se confirmer. Avec ses effets de manche pop psychédélique, Jack Nietzche ne fait que reporter ce qui finira par se confirmer quand Neil rencontrera le Crazy horse.
Pris individuellement, la plupart des titres composant ce disque sont de parfaites réussites, mais la multiplicité de leurs influences nuit à l’album. La folk insouciante de the last trip to tulsa côtoie la country insouciante de the last trip to Wyoming , avant que I’ve been waiting for you ne nous transporte soudainement sur les chemins colorés de la pop anglaise. Vient ensuite un If i could have her tonight, qui sonne comme un inédit issu des sessions de turn turn turn des Byrds.
Conscient que ce premier essai sonne plus comme un hommage à une décennie qui se meurt qu'à un véritable album solo , Neil Young ne cessera d’ailleurs de critiquer cet album. Du côté de la maison de disque, on se réjouit d’entendre ces mélodies vaguement psychédéliques , cette mélancolie boursoufflée qui rappelle un passé que son auteur voulait faire oublier.
L’album sort donc avec un sticker annonçant fièrement « Buffalo’s
springfield Neil Young ». Le disque ne fera pas date mais cette simple pub
suffira à le vendre à une foule déjà nostalgique.
Pour faire oublier un album où sa voix est presque inaudible, Neil Young part dans une grande tournée acoustique. Au court de ce périple, il retrouve un groupe avec lequel il avait déjà sympathisé à l’époque du Buffalo Springfield.
Menés par Dany Whitten , les Rocket furent nommés « la honte de la Californie » par une presse ne supportant pas la simplicité de leur rock binaire. Heureux de retrouver des musiciens qu’il a toujours estimé, Neil ressort sa bonne vieille old black, et croise le fer avec cette bande de renégats maudits. Une symbiose se met rapidement en place, notre canadien ne s’est jamais senti aussi bien dans un groupe. Il récupère donc cette formation, qu’il renomme Crazy horse en hommage à un chef indien, et entre vite en studio pour enregistrer le véritable point de départ de sa carrière solo.
Everebody know this is nowhere est mis en boite en quelques jours en mai 1969. Comme je l’ai déjà dit précédemment, c’est avec ce disque que le loner entre de plein pied dans les sixties. A l’époque du hard rock et du proto punk, il enfourche son cheval fou, qui l’emmène dans de grandes chevauchées country rock. Ces musiciens sont de véritables mineurs de fond d’un rock binaire et lourd, ils répètent les mêmes gestes jusqu’à trouver une nouvelle énergie. Ouvrant le bal sur un ouragan de guitares hurlantes, cinamon girl culmine sur un solo d’une seule note. Là où la plupart de ses contemporains ne doivent leur charisme qu’à leur capacité à ensevelir leur public sous des trombes de gémissements hurlant, Neil agrippe le seul accord de son solo pour en faire le cœur nucléaire d’un mojo irrésistible.
Cette simplicité, qui valut au Crazy horse les pires injures, ouvre des grands espaces dans lequel le grand Neil s’épanouit enfin. Dans un triptyque sacré, composé de cowgirl in the sand, down by the river et cinamon girl , le canadien crée une formule qu’il ne cessera de réinventer par la suite. Ce mélange de lyrisme nostalgique et d’urgence rageuse sera ce qui va définir le son de ce cavalier fou et de sa gracieuse monture pour les années à venir.
Cinnamon girl est un riff galopant comme un troupeau de bisons chassés par le terrible Buffalo Bill , la course se terminant dans les contrées reposantes de everybody know this is nowhere. On découvre alors le folk singer qui fera rêver le monde lors de la sortie de Harvest.
Le charme de everybody know this is nowhere , comme de beaucoup d’albums enregistré avec le Crazy horse , se situe dans cette harmonie entre la nostalgie naturelle du loner et la fougue de son cheval fou. Cet album est aussi le plus dépouillé que son auteur ait produit jusque-là. Avec ses chœurs mélodieux rehaussés par quelques arpèges, round and round déploie déjà un lyrisme digne de ce que sera Crosby Still Nash and Young. Chaque note a la puissance d’un chorus, le country folk se mêle au rock dans une atmosphère douce ou violente.
A une époque où tout le monde cherche à sonner plus fort, à écrire la mélodie la plus riche, Neil revient au précepte de Johnny Cash : « Si la maquette est bonne, on met la maquette sur l’album. » Cette simplicité abolit toutes les barrières entre l’auditeur et les musiciens. On parcourt ainsi les routes en compagnie de cinamon girls magnifiques, on se repose autour d’un feu de camp où Neil chante de poignantes chansons folk, on ressent le désespoir de cet homme qui assassina sa femme au bord de la rivière. Everybody know this is nowhere a la beauté tragique des grands westerns, la grandeur des œuvres plongeant leurs racines dans le sol inépuisable de la musique traditionnelle américaine.
Neil Young est un musicien amoureux des grands espaces, un paysan semblant chanter l’histoire de cette terre où il n’est pas né mais qui le fit grandir. Si on ne devait choisir qu’un disque pour définir le rock américain, cet album serait sans doute le choix le plus judicieux.
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