Pour écrire ce dossier, j’ai choisi de chroniquer les albums dans leur ordre de production plutôt que dans l’ordre de leur sortie. Cette démarche suit un principe vieux comme les Beatles : l’album représente une étape dans l’évolution d’un artiste. Voilà pourquoi, pour percer le mystère Neil Young, il faut reconstituer un puzzle fait de disques parfois sortis des années après leur enregistrement. Autrement, on tombe dans les mêmes incompréhensions que ceux qui découvrirent ces disques à leur sortie.
Pour On the Beach , il faut rappeler que , même si il sort avant , ce disque fut enregistré après tonight the night. Privées de cette information, les critiques de l’époque se dirent sans doute que le canadien avait un petit coup de blues. Le ton de cet album fut si inattendu que l’on prit le canadien pour un fou . Un fou génial mais lunatique, à la Dylan. Le public s’imaginait qu’on the beach était le début d’un processus de deuil, il en est en réalité la fin.
Les nuages ne se sont pas tous évaporés au-dessus de la tête du loner , la mère de son premier enfant s’apprêtant à mettre les voiles, mais l’envie de s’amuser revient progressivement. Le public rock a pu de nouveau témoigner son affection pour le canadien lors de la monumentale tournée de reformation de Crosby, Still, Nash and Young. Il lui témoigna un peu trop d’ailleurs, la foule ovationnant des prestations qui laissaient de plus en plus de place aux titres de son héros canadien. Trop orgueilleux pour jouer les faire valoir, Crosby , Still et Nash mirent vite fin à une reformation qui eut juste le temps de donner lieu à quelques concerts mythiques.
C’est aussi l’époque où Neil commence une collection de voitures anciennes, une passion qu’il gardera toute sa vie. Ces bolides pleins d’histoire lui rappellent sans doute le bon vieux temps où il sillonnait les routes dans un corbillard pourri.
Bref , il reprend goût à la vie et l’exprime dans on the beach. La légèreté de walk on a des airs de lendemains de fête, quand quelqu’un prend une guitare sèche pour prolonger un peu ce bon moment. Il plaque alors une légère mélodie, quelque chose qui puisse être fredonné avec l’émotion d’un dernier adieu. Cette folk légère donnera lieu à des interprétations plus musclées lors des prochains concerts, la douceur de cette version studio correspondant à la méditation d’un homme pansant ses dernières plaies.
Alors forcément, Neil Young joue le blues , un blues plus frais et varié que celui de tonight the night. Le morceau titre a la douceur d’un soir d’été, quand le vent ne souffle presque plus, un soleil orangé semblant se coucher sur le tapis bleu d’une mer sereine. Avec cette douce nostalgie, Neil réinvente le blues acoustique que l’on pouvait entendre dans certaine campagne américaine. La nostalgie est la joie des gens tristes disait Victor Hugo, ce bonheur si particulier remplace désormais le mélange de désespoir et de cris libidineux des contemporains de Son House.
Le blues n’est pourtant pas la seule facette de ce disque, comme le montre le folk revolution blues. Cette mélodie automnale, cette voix s’enivrant en racontant ses propres souvenirs, c’est un des plus beaux moments de poésie rock. Neil énumère des souvenirs qui ne reviendront plus pour mieux s’en défaire, regarde ses paradis perdus en face pour mieux les dépasser. On the beach est un disque qui réconforte là où Tonight the night ne peut qu’émouvoir.
C’est une musique que l’on ressort comme un doudou quand le destin se fait cruel, quand le temps pèse de nouveau sur nos fragiles épaules. La douceur de ces mélodies acoustiques embellissent sans doute les souvenirs de l’auditeur , le charme intimiste de ces chansons accentue une émotion qui ne fut sans doute pas aussi forte à l’époque.
La mémoire est un livre que l’on réécrit sans cesse et on
the beach est à l’image de ces souvenirs protéiformes. À chaque écoute, on
redécouvre ces mélodies avec un émerveillement enfantin. On the beach est trop
souvent vu comme une œuvre austère, sombre et déprimante. C’est au contraire
un disque lumineux et réconfortant.
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