(par Benjamin Bailleux)
1969, dans la maison du créateur
de Winnie l’Ourson, Brian Jones vient de mettre fin à sa longue
déchéance. Noyé dans sa piscine, le bassiste est salué une dernière fois par
ses comparses, lors d’un concert à Hyde Park. Pour conclure la performance, Mick
Jagger libère une nuée de papillons blancs devant une foule de hippies, qui
ne se doute pas qu’elle vit les dernières heures de son mouvement.
Quelques mois plus tard, à cause
des conseils mal avisés des musiciens de Grateful Dead, les Stones
embauchent les hells angell, pour assurer la sécurité du concert gratuit qu’il
donne à Altamont. Pour assurer une distance de sécurité, les anges de l’enfer
placent leurs bécanes devant la scène. Prudent, le public évite soigneusement
de toucher les précieux véhicules, ce qui n’empêchera pas la fête de mal
tourner.
Payé en bière, les angels
commencent à en tenir une couche lorsque, au milieu du public, un spectateur
fait un geste qui les interpelles. Pour leur défense, les gangsters affirmeront
toujours que ce jeune homme visait Mick Jagger avec une arme, mais cette
thèse ne sera jamais confirmée.
L’homme se fait poignarder en
pleins milieu du concert et, malgré la peur, les Stones continuent à
jouer pour éviter l’émeute. Le groupe ne sait pas que l’homme a été
mortellement blessé, et l’ambiance sulfureuse qui règne dans la foule promet le
pire si le groupe interrompt son concert.
Pour beaucoup, cette date
sanglante signe la fin de l’idéal hippie, elle ajoute en tous cas à l’image
sulfureuse qui entoure les Stones. On les a vu harcelés par la police, Keith
Richard a d’ailleurs failli se retrouver en prison, après s’être fait
chopper avec quelques gramme de drogue. Et voilà que les cadavres s’accumulent
autour d’eux.
C’est cette ambiance sulfureuse
qui donne naissance à Sticky Finger, premier album enregistré avec Mick
Taylord. Sorti sous une pochette signée Andy Warhol, il confirme le
retour aux sources entamé avec « Beggard banquet ».
Sauf que, bien aidé par un Mick
Taylord issu du groupe de John Mayall, les Stones jouent un
blues-rock plus corrosif et torturé. Les rocks accentuent un certains
durcissement du blues. Johnny Thunder l’avait initié avec ses deux
premiers albums en 1969, ZZ Top a sorti son premier album la même année
que ce Sticky Finger (1971), et les premiers albums d’Aerosmith
semblent largement issues des rocks hargneux que les Stones balancent
ici.
On peut aussi voir dans cet
album, une réponse à une époque qui abandonne les fleurs, le pacifisme et
l’amour pour des décors plus crus, fait de dope et de violence. Le Velvet
Underground a sorti son iconique premier album en 1967 et, du côté de la
subversion, les Stones n’ont rien à leur envier.
En ouverture d’album, « Brown
Suggar » fait autant référence à la cocaïne qu’aux souvenirs lubriques
de Mick Jagger. « Sister Morphine » est une ode à la
défonce, et « Bitch » n’a rien à envier aux passages les plus scabreux
de certains romans de Buckowsky.
De Peace & Love, la culture
rock est passée à la sainte trinité Sex, Drugs et surtout Rock'n Roll. Et là
aussi, les cailloux ont encore de quoi faire oublier la concurrence. Dès les
premières notes de saxophone de Bobby Keys sur « Brown Suggar »,
l’album balance un groove imparable.
Il faut dire que, encouragé par
la venue de Mick Taylord, Keith Richard c’est mis en tête de
composer des titres où la jeune recrue pourrait briller. On imagine sa
jubilation quand, touché par la grâce, Keith Richard vint lui proposer
de claquer son solo sur « Can You Hear Me Knocking ». On sait déjà
que l’homme n’est pas fan des envolées en solitaire, il se rattrape en balançant
un riff hargneux digne de sa réputation.
Et puis il y a « Moonlight
Miles », une bluette bluesy entièrement écrite par Mick Jagger,
et les accords réconfortant de « Wild Horses », une des plus
belles ballades Stonniene.
Après le glorieux « Let It
Bleed », on aurait pu croire que les Stones n’iraient jamais
plus loin. C’est pourtant « Sticky Finger » qui sera le plus
reconnu des albums du groupe. Son groove prolonge encore un peu un Âge d’Or qui
semble éternel et, lorsque les Beatles annoncent leur séparation, les Stones
deviennent les Rois du Monde.
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