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mercredi 22 mai 2019

Can : Tago Mago


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Le groupe le plus punk était il allemand ? Quand on observe le parcours et la philosophie de Can la question se pose. Attention, je ne parle pas de punk au sens musical du terme, mais d’idéologie punk.

Pour comprendre cette interrogation, partons à Cologne, où les membres de Can suivent une initiation qui est loin de les prédestiner aux rythmes primaires du rock. Holder Czukay et Irmin Shmidt ont effectué de brillantes études de musique, avant d’enseigner leur savoir, quand le premier ne dirige pas des orchestres symphoniques. Pour eux , la révelation viendra lors de l’écoute du premier album du velvet. Malgré la simplicité de son instrumentation, il se dégage de ce disque une poésie et une inventivité digne de la grande musique qu’ils enseignent.

Il s’adjoignent alors les services de David C Johnson , un compositeur qui a fait ses armes dans l’électro naissante , et du batteur free jazz Jackie Liebezeit. Ensemble, ils s’enferment de longues heures pour jammer , en essayant de perdre tous les automatismes virtuoses acquis lors de leurs brillants parcours. Une fois ce désapprentissage effectué, il leur faut trouver un chanteur. La femme de Czukay leur présente alors Malcolm Mooney , un artiste qu’elle a rencontré lors d’un voyage à Paris.

Ayant surtout consacré sa vie à la sculpture, l’homme est le chanteur qui convient parfaitement au projet du groupe. De cette formation naitra deux albums délirants , monster movie et soundtrack, où la simplicité retrouvée par les musiciens leur permet de créer un univers hypnotique et dérangeant. Mais ces rythmes hypnotiques joués à un volume indécent finissent par affecter le chanteur, qui quitte la formation après que son psy lui ait annoncé que cette musique nuisait à sa santé mentale.

Ce départ n’affecte pas le groupe, convaincu d’avoir ouvert une voie novatrice, qui mérite d’être explorée. Il recrute donc Kendji Suzuki , qui augmente le coté hypnotique de leur musique en chantant en Japonais, obligeant ainsi les spectateur à oublier les paroles pour se concentrer sur les rythmes hypnotiques et les ambiances planantes tricotées par les musiciens.

Sortie en 1971, « tago mago » est le meilleur représentant de cette musique hors norme.

Les influences Jazz et electro des musiciens sont dynamitées dans une grande messe expérimentale, où la musique s’empare de votre cerveau progressivement pour vous emmener dans des territoires inconnus. La première face peut paraitre plus « conformiste ». La guitare est présente, et même si les rythmes sont répétitifs, l’auditeur peut encore trouver quelques éléments auxquels s’accrocher dans ce dédale de sons étranges. Les influences Jazz câlinent ses oreilles , avant de s’effacer progressivement.

Ainsi les quatre premiers morceaux sont portés par une rythmique implacable, à laquelle l’auditeur pourra s’accrocher pour ne pas sombrer dans ce déluge hallucinogène.

Mais ces morceaux n’étaient qu’une préparation pour la partie la plus hallucinée de l’album.

Des lors toute trace de mélodie sera systématiquement détruite, et on ne peut s’empêcher d’être fasciné par l’ambiance malsaine qui se dégage de cet enchainement de sons.

Le fond electro dresse un décor paranoïaque , la voix lance un râle inquiétant de mariashi démoniaque , embarquant le bien nommé « halleluhwah » dans un mysticisme décadent. La musique de Can apparait alors dans toute son excentricité, une excentricité telle qu’elle semble aussi dangereuse pour les cerveaux qu’une overdose de LSD. On pourrait y voir un pont entre la froideur électronique de tangerine dream et autres neu , et le psychédélisme délirant d’Amon Dull et Guru Guru. Comme si le meilleur de l’expérimental allemand s’était allié dans un délire paranoïaque. Du Velvet , le groupe a gardé une certaine simplicité instrumentale , ce focalisant sur les sons sans se préoccuper de la technique. Et c’est bien cet apparent amateurisme qui rend ce disque aussi fascinant, leur imagination s’exprimant ainsi directement et sans barrières.

Ecoutez encore cette batterie sur la fin de « halleluhwah », elle semble frapper sans cesse le même rythme avec une frénésie angoissée, pour partir dans une succession de beats binaires et convulsifs. Après un déluge spatial pareil, « Aumg » repose un décor plus calme, l’électro peignant un paysage sonore fascinant, à faire rougir le groupe d’Edgard Froese. Puis l’instrumental s’en mêle, réinventant les règles du jazz rock sur une succession de rythmes délicieusements répétitifs. Et les repères disparaissent de nouveaux , nous propulsant dans un musique inédite , où les sons ne sont que des couleurs composant un tableau surréaliste. Et puis le vaisseau Can redécolle, nous emmenant dans d’autres contrées space rock.

Cette contrée, c’est la mélodie hypnotique ouvrant « peking O » qui semble la décrire. Le titre donnerait presque une idée de ce qu’aurait pu produire Miles Davis , si il  s’était adjoint les services d’un groupe d’electro ambient. Là, les notes ne courent plus sur un rythme infernal, elles semblent au contraire s’enchainer dans un plan déstabilisant mais implacable. Ce feeling presque mélodieux représente un groove d’un genre nouveau, et dont la formule non écrite ne sera jamais reproduite.

Bring me coffee tea enfonce ce sillon majestueux, comme pour terminer le délire dans une apothéose fascinante.

Can avait finit par trouver se qu’il cherchait , une nouvelle forme d’expression artistique. Pendant des années, une poignée d’artistes viendront chercher l’inspiration dans ces contrées expérimentales, piochant quelques éléments de la grandeur de Tago Mago sans parvenir à l’égaler. Et dire que cet exploit fut réalisé par une bande de virtuoses qui s’acharna à retrouver la simplicité d’ados jouant dans leur garage.  

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