Le groupe le plus punk était il allemand ? Quand on
observe le parcours et la philosophie de Can la question se pose. Attention, je
ne parle pas de punk au sens musical du terme, mais d’idéologie punk.
Pour comprendre cette interrogation, partons à Cologne,
où les membres de Can suivent une initiation qui est loin de les prédestiner
aux rythmes primaires du rock. Holder Czukay et Irmin Shmidt ont effectué de
brillantes études de musique, avant d’enseigner leur savoir, quand le premier
ne dirige pas des orchestres symphoniques. Pour eux , la révelation viendra
lors de l’écoute du premier album du velvet. Malgré la simplicité de son instrumentation,
il se dégage de ce disque une poésie et une inventivité digne de la grande
musique qu’ils enseignent.
Il s’adjoignent alors les services de David C Johnson ,
un compositeur qui a fait ses armes dans l’électro naissante , et du batteur
free jazz Jackie Liebezeit. Ensemble, ils s’enferment de longues heures pour
jammer , en essayant de perdre tous les automatismes virtuoses acquis lors de
leurs brillants parcours. Une fois ce désapprentissage effectué, il leur faut
trouver un chanteur. La femme de Czukay leur présente alors Malcolm Mooney , un
artiste qu’elle a rencontré lors d’un voyage à Paris.
Ayant surtout consacré sa vie à la sculpture, l’homme est
le chanteur qui convient parfaitement au projet du groupe. De cette formation
naitra deux albums délirants , monster movie et soundtrack, où la simplicité retrouvée
par les musiciens leur permet de créer un univers hypnotique et dérangeant.
Mais ces rythmes hypnotiques joués à un volume indécent finissent par affecter
le chanteur, qui quitte la formation après que son psy lui ait annoncé que
cette musique nuisait à sa santé mentale.
Ce départ n’affecte pas le groupe, convaincu d’avoir
ouvert une voie novatrice, qui mérite d’être explorée. Il recrute donc Kendji
Suzuki , qui augmente le coté hypnotique de leur musique en chantant en Japonais,
obligeant ainsi les spectateur à oublier les paroles pour se concentrer sur les
rythmes hypnotiques et les ambiances planantes tricotées par les musiciens.
Sortie en 1971, « tago mago » est le meilleur
représentant de cette musique hors norme.
Les influences Jazz et electro des musiciens sont
dynamitées dans une grande messe expérimentale, où la musique s’empare de votre
cerveau progressivement pour vous emmener dans des territoires inconnus. La
première face peut paraitre plus « conformiste ». La guitare est
présente, et même si les rythmes sont répétitifs, l’auditeur peut encore trouver
quelques éléments auxquels s’accrocher dans ce dédale de sons étranges. Les
influences Jazz câlinent ses oreilles , avant de s’effacer progressivement.
Ainsi les quatre premiers morceaux sont portés par une
rythmique implacable, à laquelle l’auditeur pourra s’accrocher pour ne pas sombrer
dans ce déluge hallucinogène.
Mais ces morceaux n’étaient qu’une préparation pour la
partie la plus hallucinée de l’album.
Des lors toute trace de mélodie sera systématiquement
détruite, et on ne peut s’empêcher d’être fasciné par l’ambiance malsaine qui
se dégage de cet enchainement de sons.
Le fond electro dresse un décor paranoïaque , la voix
lance un râle inquiétant de mariashi démoniaque , embarquant le bien nommé « halleluhwah »
dans un mysticisme décadent. La musique de Can apparait alors dans toute son excentricité,
une excentricité telle qu’elle semble aussi dangereuse pour les cerveaux qu’une
overdose de LSD. On pourrait y voir un pont entre la froideur électronique de
tangerine dream et autres neu , et le psychédélisme délirant d’Amon Dull et Guru
Guru. Comme si le meilleur de l’expérimental allemand s’était allié dans un
délire paranoïaque. Du Velvet , le groupe a gardé une certaine simplicité
instrumentale , ce focalisant sur les sons sans se préoccuper de la technique.
Et c’est bien cet apparent amateurisme qui rend ce disque aussi fascinant, leur
imagination s’exprimant ainsi directement et sans barrières.
Ecoutez encore
cette batterie sur la fin de « halleluhwah », elle semble frapper
sans cesse le même rythme avec une frénésie angoissée, pour partir dans une succession
de beats binaires et convulsifs. Après un déluge spatial pareil, « Aumg »
repose un décor plus calme, l’électro peignant un paysage sonore fascinant, à
faire rougir le groupe d’Edgard Froese. Puis l’instrumental s’en mêle,
réinventant les règles du jazz rock sur une succession de rythmes délicieusements
répétitifs. Et les repères disparaissent de nouveaux , nous propulsant dans un
musique inédite , où les sons ne sont que des couleurs composant un tableau surréaliste.
Et puis le vaisseau Can redécolle, nous emmenant dans d’autres contrées space
rock.
Cette contrée, c’est la mélodie hypnotique ouvrant « peking
O » qui semble la décrire. Le titre donnerait presque une idée de ce qu’aurait
pu produire Miles Davis , si il s’était
adjoint les services d’un groupe d’electro ambient. Là, les notes ne courent
plus sur un rythme infernal, elles semblent au contraire s’enchainer dans un
plan déstabilisant mais implacable. Ce feeling presque mélodieux représente un
groove d’un genre nouveau, et dont la formule non écrite ne sera jamais
reproduite.
Bring me coffee tea enfonce ce sillon majestueux, comme
pour terminer le délire dans une apothéose fascinante.
Can avait finit par trouver se qu’il cherchait , une
nouvelle forme d’expression artistique. Pendant des années, une poignée d’artistes
viendront chercher l’inspiration dans ces contrées expérimentales, piochant
quelques éléments de la grandeur de Tago Mago sans parvenir à l’égaler. Et dire
que cet exploit fut réalisé par une bande de virtuoses qui s’acharna à retrouver
la simplicité d’ados jouant dans leur garage.
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