1968 : Après un premier album brillant , le velvet
underground est enfin libéré de l’influence d’Andy Warhol , et sa potiche
allemande est partie aérer sa voix léthargique en solo. Si cette démission de l’artiste
annonce le début d’une longue déchéance, celle-ci sera émaillée de chefs d’œuvres.
Warhol ne croyait pas au charisme de Lou Reed , et rien
que pour ça, son rôle dans la légende du velvet devrait être relativisé. Quand
il a imposé Nico , il pensait que sa présence masquerait le coté résolument
froid et expérimental du groupe , mais elle ne fut qu’un poids mal acceptée par
les musiciens.
Seule la voix androgyne de Sunday morning , et le
nostalgique tomorows parties , lui permettaient de justifier sa présence. Et
encore , ces titres auraient aussi bien sonné si Lou Reed avait pu y poser sa
voix nonchalante, l’homme n’ayant pas besoin d’une ex top-model pour donner
vie à sa prose. Mais surtout, le velvet n’aurait jamais pu produire white light
white heat si la chanteuse avait imposé sa voix pompeuse sur quelques titres.
Le velvet s’est toujours affirmé comme un chroniqueur de
la violence et de la décadence new yorkaise, alors que le timbre nostalgique de
sa chanteuse semblait encore draguer les hippies. Avec elle , c’est un reste d’utopie
chaleureuse et de douceur naïves qui disparaissent, pour laisser le groupe
produire son œuvre la plus radicale.
Et c’est pour ça que white light white heat est aussi
essentiel que son prédécesseur. Alors que Dylan devient un barde country, après
avoir été le porte parole de cette génération rêveuse , le velvet sent le vent
tourner. Ce déluge de riffs n’est pas seulement un grand défouloir expérimental,
il représente le brasier corrosif que ses successeurs ne cesseront de nourrir.
La scène de Détroit est née de cette immense boucherie
sonore , sans que les stooges et autres MC5 ne parviennent à égaler le niveau de puissance de ce white light white heat. Les riffs réduits à leurs plus
simples expressions percutent les tympans de l’auditeur avec une rigueur
froide et robotique, quand la guitare ne se contente pas d’envoyer ses
distorsions comme des ogives vous explosant dans le cortex cérébral.
La pression monte crescendo, pour atteindre son sommet
destructeur sur le merveilleusement assourdissant sister ray. Et puis les mots
sont au diapason, le morceau titre ne se contentant pas de raconter le blues du
toxico attendant sa dose , mais bien l’état comateux que peut provoquer une
injection trop généreuse.
Il se dégage de ce grand défouloir une poésie radicale, un
peu repoussante au premier abord, avant de dévoiler progressivement ses finesses
aux mélomanes courageux. On a l’impression d’être face à une version musicale de « panique
à needle park » , chaque titre étant produit pour nous secouer , jusqu'à l’apothéose
finale. D’ailleurs, on aurait presque rêvé de voir la longue descente de Pacino
illustrée par les riffs défoncés du groupe, la poésie de Lou Reed semblant
faite pour donner vie à ce genre de récits tragiques.
Il ressort même de ce disque un groove déglingué et
futuriste, un proto punk qui réussissait déjà tout ce que la plupart des
crétins à crêtes ne sauront même pas parodier, c'est-à-dire être original sans partir dans
les égarements prétentieux de certains groupes des sixties.
La formule mourra avec l’échec commercial de ce white
light white heat , John Cale claquant la porte quelques jours plus tard. En son
absence, le velvet flirte de plus en plus avec la pop , jusqu’à se renier complètement
après le départ de Lou Reed.
Résultat, ce disque est une réussite aussi unique qu’incomprise,
le sommet d’un groupe qui fut libre de dire merde à tous les impératifs
commerciaux pour donner une nouvelle définition de la radicalité musicale.
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