Pour comprendre le phénomène Dylan, il faut remonter en
1958. Plus précisément au triste jour où l’avion de Buddy Holly s’écrasa ,
emportant dans sa chute les trois plus grands rockers du premier Age d’or. Buddy
Holly, Big Bopper, Ritchie Valens apparaissent sur la couverture des journaux
avec ce sombre constat : « the day the music died ».
Le rock n roll a connu sa première mort, et les journaux
commencent déjà à rouler le macchabée dans la boue. On découvre que des DJ
furent payés pour passer les grands succès de ses illustres accidentés, le tout
s’imbriquant dans un gigantesque plan aliénant, qu’on nomme aujourd’hui show
business.
Oui , mais cette génération-là n’est pas aussi docile que
la nôtre , elle a soif d’authenticité et se tourne naturellement vers le folk.
C’est là que s’impose la première image de Dylan, prolo bouffi chantant sa « chanson
pour woody » en imitant son accent.
Ce sera le seul acte traditionaliste de Dylan , qui
explose sur un second disque beaucoup plus personnel. Loin de moi l’idée de
remettre en cause le statut de chef d’œuvre de « the freewheeling Bob
Dylan », mais je pense qu’il n’est pas l’aboutissement que tout le monde
semble voir.
Dylan n’est pas seulement un amoureux de folk, c’est
aussi un rocker qui a roulé sa bosse dans divers formations, avant de sentir le
vent tourner. C’est d’ailleurs en première partie de John Lee Hoocker qu’il
effectue un de ses premiers concerts. Le bluesman, tapant du pied pour ponctuer
ses paroles, lui apprend le sens du rythme. Il constate alors que , sans une
bonne rythmique , aucune magie n’est possible.
Orson Wells avait d’ailleurs l’habitude de se retourner
lors des tournages, afin de ce concentrer uniquement sur cette ponctuation
vitale. Le rythme est la matière hypnotique qui embarque l’auditeur, capte son
attention pour mieux le fasciner, mais les grands producteurs ont tendance à en émousser
le tranchant.
Sur « freewheelin.. » John Hammond a arrondi
le son au maximum, jouant tout sur les mélodies et les vers de ce poète
révolté. Heureusement, la plume de Dylan était à son zénith , et la mélancolie
des textes de « blowin in the wind », ou la révolte de « master
of war » se suffisent presque à elle-même.
Heureusement, le manager de Dylan ne l’entendait pas de
cette oreille. C’est lui qui conseille à son poulain de se faire produire par un
homme en pleine ascension :Tom Wilson. Son parcours a probablement aidé
Dylan à accepter cette proposition. Militant contre la ségrégation au parti
républicain, il a tenu une émission de radio avant de créer son propre label
basé à New York. C’est là que Columbia le repère, et il devient le premier
producteur noir de la maison de disque.
Sa vie entre en résonance avec les préoccupations d’un
Dylan révolté par les préjugés d’une Amérique attachée à sa ségrégation raciale,
comme une mouche trônant sur une bouse fraîche. Il en sort deux titres, « Only
pawn their game » et « the lonesome death of Hattie Carrol »,
deux protest songs qui font écho aux vers rageurs de master of war.
William Zatzinger , le meurtrier du barman noir Hattie
Carrol , ne sera condamné qu’à 125 euros d’amende, le jugement est rendu le
jour où Luther King prononce son fameux discours lors de la marche vers
Washington. Sur « The Lonesome death of hattie Carrol », Dylan se contente
de conter les faits, ses arpèges claquant comme pour souligner sa honte de voir
une telle scène se dérouler dans son pays.
On est quelque part entre le talkin blues et le folk
contestataire de Guthrie, le mélange de ces deux influences étant déjà un symbole
que « les temps sont en train de changer ».
La bêtise de quelques individus conformistes ne s’exerce
pas seulement contre la population afro-américaine, et Dylan en fait l’expérience
lorsque son look de Beatnick lui vaut d’être snobé par le réceptionniste d’un hôtel.
La colère lui inspire les mots de « when the ships comes in », ces métaphores
bibliques étant allégées par une guitare sautillante et un rythme presque
festif. Au milieu de ses lamentations, une complainte vient bientôt donner à sa
révolte une dimension universelle : « Oh le temps viendra quand les
vents s’arrêteront et la brise s’arrêtera de souffler. Comme le vent se calme
avant le début de l’ouragan à l’heure où le bateau arrive. »
Impossible de ne pas voir ici un parallèle avec le récit
de l’arche de Noé, la première prière demandant à un déluge salvateur de
balayer les vieilles tares. Ces textes ne sont pas moins percutants que ceux de
l’album précèdent, leur musique a même tendance à leur donner plus de force,
la musique étant désormais aussi authentique que les textes.
« With god on your side » boucle la diatribe révolutionnaire
par une remise en cause de l’histoire américaine sur un air inspiré par un
chant de l’IRA, the patriot game. Le voilà donc qui s’en prend à la religion,
argument vicieux qui est souvent cité pour justifier les pires abominations :
« La cavalerie chargea – les indiens moururent - oh le pays était jeune – avec dieu de leur
coté ».
Mais voilà , « the time they are changing » ne
fera pas date , il est d’ailleurs à peine cité parmi les grandes œuvres du
barde.
Peut-être est-ce dû à cette pochette, présentant un Dylan
rachitique et sévère, dans un cliché en noir et blanc qui n’est pas sans rappeler
son maître Woody. Pourtant, « the time they are changing » est encore
un grand pas en avant.
Seul le morceau
titre deviendra un classique incontournable de Dylan. C’est une ballade pleine
d’espoir, englobant toutes les révoltes pour crier son envie de voir un jour
meilleur se lever. Elle représente l’apothéose de toutes les protest songs de
ce disque. Et on ne peut qu’en conclure que « the time they are a changing »
mérite mieux qu’un astérisque dans les nombreuses biographies du grand Bob.
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