Né dans un quartier de la Nouvelle Orleans , Malcolm Mac
Rebbennack commence son initiation en suivant son père , qui passe son temps à
réparer de vieux transistors. Au cours de ces séances de récupération , le
jeune homme découvre une poignée de 33 tours bizarres , remplis de rythm n blues
paillards , qui forgeront la base de sa culture musicale.
Dès les années 50 , on le croise en compagnie de quelques
formations , juste après que fat domino lui ait enseigné les rudiments de ce
cri primaire qu’on appelle blues. Dans les bars où il se produit , le jeune
Rebbennack découvre les drogues , et
devient le leader de son premier groupe. Il est alors un guitariste apprécié
dans la région, jusqu’au jour où un mari jaloux lui tire sur le doigt.
Handicapé par cette amputation, Mac abandonne la guitare
pour le piano, et devient un musicien de studio très demandé. En parallèle, il se renomme Dr John en référence à une vieille légende locale, et se nourrit de l’histoire
musicale de sa Nouvelle Orleans natale.
En compagnie de ceux qu’il a nommés les night trippers,
Dr John confronte le blues aux voodoo, baigne le rythm n blues dans une version
locale du jazz, et saupoudre le tout de rythmes funk. Il se dégage de ces
prestations une musique de plus en plus délirante, dont le coté hypnotique est
bientôt rehaussé par l’influence du psychédélisme ambiant.
Quand Dr John commence à développer cette musique, nous
sommes au milieux des années 60, et le psychédélisme vient juste de naître. La
formule va macérer dans son esprit, promue sur scène par un chanteur grimé en
indien d’Amérique, avant que le bon docteur John et ses Nighttripper ne décident
enfin de fixer cette matière sonore sur disque en 1969.
Nous sommes désormais en plein âge d’or psychédélique,
chaque musicien essayant de tirer de ses trips sous acide la matière musicale
la plus fulgurante, innovante ou unique. Danses voodoo portées par des percussions
tribales, « gris gris » ferait passer quicksilver messenger service
pour un poussiéreux groupe de blues, et le grateful dead pour une bande de
folkeux attardés.
Gris gris ressemble aux disques d’un homme qui se serait
enfermé dans une grotte, s’imprégnant d’une tradition musicale ancestrale,
avant d’en ressortir pour dévoiler ses enseignements aux junkies hippies.
Il faut dire que Gris Gris est un disque fauché, Ahmet
Ertegun refusant de mettre trop de moyen dans ce qu’il voit comme un délire
mystique. Heureusement, cette limite est aussi la grande force de ce disque, Dr
John mettant de cotés les claviers et autres joujoux électroniques , pour tout
miser sur ses échos tribales , ses rythmes cajuns , et une guitare lancinante,
dont les notes dansent comme un shaman en plein rite.
Sans aucune promotion , « gris gris » se vend
bien grâce au bouche à oreille, le tourbillon hypnotique de gris gris gumbo y
aya ouvrant une procession qui ne manquera pas de séduire les enfants de Ken
Kesey et ses merry prankers.
Et puis le disque contient aussi « I walk on glitter
spinter », un chant mystique qui sera bientôt repris dans une version beaucoup
plus musclée par Humble Pie, avant que Tonton Macoute ne ramène le titre à ses
racines blues.
Le fait qu’un disque aussi riche et original ait pu
marquer son temps est un miracle qui n’aurait pu se dérouler que dans les
années 60. Il faut dire que son auteur lui-même ne reproduira plus jamais ce
niveau de ferveur mystique, et préférera se tourner vers une musique plus épurée
et accessible.
Gris gris restera ainsi une grotte dont les merveilles ne
seront plus jamais exploitées, et dont le pouvoir de fascination reste intacte
50 ans après son édification.
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