Nous sommes à Jacksonville , dans un de ses bars miteux
qui ont vus les débuts de tous les grands noms de ce rock sudiste. Le temps
ayant accompli son œuvre destructrice, les fringants rockers de l’époque sont
devenus de respectables hommes mures, et trois d’entre eux parlent de la
musique locale avec la même fièvre qu’ils avaient à vingt ans.
Le premier, le
ventre arrondi par la convivialité des bars locaux , a pris les mêmes traits
que ses musiciens préférés. Le second, avec son visage tiré et sa carrure rachitique,
ressemble à Clint Eastwood avec une barbe à la ZZ top. Entre ces deux cow boys fatigués,
un des derniers descendants des cherokees marque les esprits grâce à son air sévère,
le temps semblant lui avoir donné une aura fascinante proche de celle des vieux
shamans.
Pour une meilleur compréhension de notre récit, chacun
sera appelé par son sobriquet, nous avons donc dans l’ordre : John Wayne ,
le clodo du texas , et Geronimo.
JW : De toute façon notre putain de scène est morte
le jour où l’avion de Lynyrd s’est écrasé.
LCDT : Toi et ton traditionalisme niais ! Molly
et point blank ont entretenu la flamme, même si ton équipe de vendus pompait
toute la lumière.
G : Dis donc les mecs, je sais bien que vous avez
massacré les autochtones en arrivant, mais c’est pas une raison pour oublier
Blackfoot.
JW : Qu’est-ce que ça peut foutre que leur
guitariste soit un cherokee ! Hendrix lui-même en était un. Le fait de le
souligner c’était juste une façon de faire oublier qu’ils jouaient une sorte de
hard rock enfantin. Même Status Quo passait pour des virtuoses à côté de ces
pignoufs.
G : Quand ton groupe avait besoin d’un guitariste, t’étais
bien content de voir arriver un pignouf pour jouer « sweet home alabama »
pendant des années.
LCDT : Vous n’allez pas remettre le couvert avec
Blackfoot ! Surtout que vous avez raison sur un point, il ne se passe plus
grand-chose ici depuis des années.
G : Les black crowes tiennent encore le coup.
JW : Des putains d’angliches ouaip !
LCDT : Arrête de déconner ils sont texans. Niveau
américains profonds on ne fait pas beaucoup mieux.
JW : Mais je ne te parle pas de ça ! Les crowes
ont pompé leur son sur Jimmy Page et Keith Richard, j’ai rien contre led zepp
et les stones mais je ne les range pas dans le même sac que Lynyrd.
G : De toute façon leur dernier album est déjà moins
bon que les deux premiers, et il parait qu’ils prévoient une tournée avec Jimmy
Page. S’ils commencent déjà à réciter leur led zepp c’est que ça ne va pas
tarder à partir en cacahouète.
D’un seul coup la discussion se suspend , un jeune groupe
vient de prendre place sur scène , et le visage de son leader est bien connu.
Warren Hayne : Salut Jacksonville , certains me
connaissent peut être depuis que je suis passé avec les allman brothers, je
suis ravi de revenir dans cette ville historique.
JW au milieu des applaudissements: Tu parles si on s’en
souvient ! Tout le bar planait totalement c’était un pied monumental.
Warren Hayne : Aujourd’hui je viens vous présenter
mon nouveau groupe, formé avec un autre ex Allman. Merci de faire un triomphe à
gov’t mule ! Nous allons jouer notre premier album qui vient de sortir.
La dessus Warren Hayne entame un talkin blues qui ravit
ces amoureux de musique américaine . On a presque l’impression d’entendre muddy
watter , ou Bo Diddley, marchant dans les rues, en prononçant les complaintes
du peuple afro américain.
Puis le groupe entre dans la danse, puissant et virtuose,
rallongeant ses titres de grandes improvisations où brille le doigté de Hayne.
C’est du allman brother plombé, le jazz forniquant avec le blues dans de
langoureux solos, grâce à la puissance fascinante de trois musiciens se livrant
sans filet.
Et que dire quand l’harmonica s’énerve au milieu du déluge,
comme pour accentuer la puissance de cette cérémonie puisant dans les racines
de l’histoire musicale américaine. Il ne manquait plus que le folk, qui
introduit Dolphineus sur quelques notes de guitare acoustique , avant que
quelques notes graves ne fassent progressivement monter la pression.
On n’aura pas encore droit à une montée en puissance
faisant écho à freebird, mais plutôt à une mélodie réconfortante débouchant sur
un refrain porté par un riff irrésistible. Et , si la force de ces refrains
fait parfois penser à Lynyrd , c’est parce que les deux groupes mâtinent leurs
mélodies bluesys des mêmes influences anglaises.
Le Mr Big qu’il livre ce soir-là est d’ailleurs le plus
vibrant hommage jamais rendu à free, les guitares renouant avec le feeling
savoureux du groupe de Paul Kossof, tout en prolongeant la force de son hard
blues pendant quelques minutes que l’on voudrait éternelles.
Après cette déflagration, le rideau se referme, et les
trois hommes courent au disquaire le plus proche voir si ce disque est si impressionnant
que ce qu’ils entendirent ce soir-là. Lorsque l’aiguille se pose sur le sillon,
le choc est encore plus grand : Les tacherons avaient joué l’album à la
note près !
Un sourire s’impriment alors sur ces visages aigris, et
nous laisseront le mot de la fin à ce chèr Geronimo : « La terre ne
fait pas que porter les hommes, elle les définit. Si notre musique est
immortelle, c’est parce qu’elle se nourrit de la grandiose culture de notre Amérique
profonde et éternelle. »
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