On a toujours vu Mellenchamp comme le Springsteen du
pauvre. Il faut dire que l’homme n’arrive dans le paysage musical qu’en 1975 ,
alors que Petty et Springsteen sont en pleine gloire. Affublé du titre de « future
du rock », Bruce construit l’image de héros romantique qui fera sa renommée,
alors que Mellechamp sort tous juste de sa campagne, et commence à attirer l’attention
de Tonie De Frie.
Le manager de Bowie lui permet de signer un contrat avec
MCA , l’ex bucheron de l’Indianna se transformant ainsi en icône pop enchainant
les singles. L’explosion vient soudainement, quand Pat Benatar reprend « I
need a lover » , donnant à Mellenchamp l’image d’un chanteur pop proche de
Tom Petty , qui est alors sur le point de sortir damn the torpedoes.
C’est ce son folk mais entêtant, traditionnel mais poli,
qui fera le succès d’album comme Lonesome Jubilee , scarecrow , et plus tard le
génial whenever we wanted. Nous étions alors fin 70 début 80 , et les
productions commençaient à se standardiser , tout en permettant à des artistes
aussi divers que Petty , Mellenchamp ou Fleetwood Mac d’affirmer une
personnalité très forte.
Ce n’était plus Dylan passant de l’acoutique à l’électrique,
avant de réinventer la country pour soutenir ses images bibliques, la
production devait être propre et moderne. Mais on pouvait encore trouver dans
cette modernité une diversité et une inventivité qui régalaient les auditeurs les
plus attentifs. Les autres se sont contentés de la forme, mettant John Cougar
dans le même panier que Petty, et le condamnant ainsi au second rôle sur la
scène folk rock.
Derrière la
production policée, on trouvait sur lonesome jubilee des notes de banjos et
violons sentant bon le bluegrass terreux.
Mellenchamp était en réalité un représentant de l’Americana,
style revendiquant l’influence des grandes traditions musicales américaines,
pour lutter contre la standardisation enclenchée dans la pop. Fils de Dylan, il
dirigera sa plume contre Reagan, et affirmera sa compassion pour ces
travailleurs de la terre qu’il connait bien (notamment sur scarecrow). L’homme, contrairement à Petty , n’était pas
là pour célébrer l’amour et la légèreté de son temps , mais plutôt pour dénoncer
la fin de l’américan dream , et réclamer un retour à une musique plus
significative.
Dans ce cadre, American Jubilee et scarecrow resteront
ses disques les plus inoubliables, même si le chanteur se laissait aller à
quelques compromis avec son époque. Aujourd’hui,
les modes musicales ont disparu, le déclin de l’industrie ayant
paradoxalement laissé une plus grande liberté aux artistes déjà établis.
Sans cet effondrement, je ne sais pas si Johnny Cash
aurait produit sa dernière série d’albums de la même façon. Et ce même si les
années 90 cherchaient encore une nouvelle poule aux œufs d’or, les maisons de
disques voyaient déjà l’iceberg s’approcher.
Mellenchamp suivra son exemple en 1999, en sortant le
très roots rought harvest , et en transformant
le tube « love and happiness » en chant de campagnards. Il reprendra
ces sonorités bluegrass en 2014 , son live at town hall étant encore meilleur
que le live in dublin de Springsteen , qui exprimait les mêmes influences
rustiques.
Sorti en 2017 , sad clown and hibbilie reprend les
choses là où rought harvest les avaient laissées. Et c’est encore le vrai
Mellenchamp qui apparait à travers ses mélodies Steinbeckiennes , les larmoiements
de violons rappelant l’histoire tragique de milliers d’américains lancés sur
les routes lors de la grande dépression.
Pour ce nouveau retour à la terre, John s’est entouré de
Carlène Carter , fille de June , dont les chants bercèrent la jeunesse d’un
certain Johnny Cash, avant qu’il ne l’épouse. Elle lui offre « indigo
sunset » , douce ballade country que n’aurait pas renié ses illustres
parents. La voix de Carlène se marie parfaitement avec celle de Mellenchamp, le
disque ressemblant parfois à une revue d’artistes itinérants, alors qu’on
verrait bien Tom Joad déclamer les vers des ballades les plus poignantes.
Même quand il revient à un son plus électrique, renouant
avec le rock via le riff presque stonien de Grandview, ce rock-là a la patine des
grands titres de Chuck Berry. Puis vient l’harmonica qui ramène cette rythmique
urbaine dans les champs du sud-américain.
Puis le rocker se fait de nouveau barde , narrant une
nouvelle histoire de petites gens, qui fait encore briller la voix de sa
chanteuse. Requiem for the american dream , voilà comment aurait pu s’appeler
ce disque , l’affection de Mellenchamp pour l’Amérique des travailleurs suintant
à chaque note. La folk comme la country est la musique du peuple, et celle des
grands espaces qu’il met si bien en musique sur « mobile blues ».
Le titre était au départ un vieux blues, qui ressemble ici
à une chevauchée au milieu du far west , les décors des grands films de
Peckinpah se rappellent alors à nous.
Et c’est peut-être
pour ça que l’histoire a moins retenu Mellenchamp que ses illustres
contemporains, ses influences poussiéreuses et sa verve Dylannienne étaient à des
années lumières des tendances de son époque.
Aujourd’hui , on ne peut que s’en réjouir , tant « sad
clown and hibillies » est un disque classieux et envoûtant.
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