Notre époque manque de passeurs, ces artistes capables de
faire entrer la tradition dans l’ère moderne. Et c’est précisément ce que fut
gov’t mule dès ses débuts, un power trio venu mettre un grand coup de pompe
dans l’héritage des seventies , histoire de voir quel visage il aurait après
ce vivifiant outrage. Je ne vais pas m’étaler une nouvelle fois sur les albums studios,
qui donnèrent un vent de fraîcheur au rock du sud-américain, ceux-ci ne sont rien comparés à ses prestations
scéniques.
Là, devant un public qui ne sait à quoi s’attendre, gov’t
mule arbore un nouveau visage, émaillant ses prestation de reprises qui sont
autant de réappropriation d’un glorieux répertoire. Enregistrer ce groupe le
jours du nouvel an était plus qu’une coïncidence, c’était l’affirmation que le
rock survivrait à ce nouveau millénaire.
Paraphrasant le MC5 , Warren Hayne déclare fièrement :
« it’s time to choose if you want to be part of the problem or if you want
to be part of the solution ». La dessus, le riff de bad little doggie
déboule de manière tonitruante. Ce n’est pas une simple ouverture, c’est le
cri d’un groupe qui fait sa nouvelle mue, les guitares déchirant son feeling
hard blues dans des saillies sonores dignes des grandes heures du rock de
Détroit.
Même sur la power ballad « blind man in the dark »
, il plane une tension orgiaque , comme si le groupe savait qu’il vivait un
moment fort de sa brillante carrière. On se prend littéralement cette rythmique
lourde en pleine figure , Matt Abts martelant ses fûts avec une violence que n’aurait
pas renié John Bonham. Le titre est aussi l’occasion pour Hayne de placer un
solo déchirant au milieu de la tempête, solo qu’il fait durer pendant quelques
vivifiantes minutes, son groupe restant concentré sur son feeling , comme un équilibriste
sur sa corde.
Cette fascination qu’engendre les longues envolées
instrumentales est intemporelle , c’est la lutte du musicien pour garder sa
justesse, dans un moment qui ne lui laissera pas de seconde chance. A ce jeu-là
, gov’t mule se distingue toujours , même si il a remplacé le coté méditatif
des frères Allman par une puissance plus proche de sa génération.
Si on est envoûté par l’ouverture tout en finesse de « life
before insanity », c’est parce qu’elle renforce la virulence du riff binaire qu’elle introduit. Cette façon
de souffler le chaud et le froid au sein d’un même morceau n’est d’ailleurs pas
sans rappeler led zeppelin , inspiration que le groupe revendique à travers une
vibrante version de dazed and confused.
Le talent de Warren Hayne , comme celui de Page à sa
grande époque , c’est d’avoir su flirter avec des rythmes moins simples , des
mélodies plus raffinées , sans perdre cette excitation liée à la musique la plus
basique. Son groupe a beau multiplier les cassures rythmiques , partir dans des
jams à rallonge comme si il lançait le moteur d’une puissante machine , on a
toujours l’impression que le voyage se termine trop tôt.
C’est que Hayne sait trousser une mélodie, qui revient
entre les instrumentaux, comme une apothéose, avant de s’effacer de nouveau
derrière une nouvelle charge bluesy. Ce bon vieux Warren joue de la guitare
comme Coltrane joue du sax , ces improvisations lui permettant d’oublier toute
mesure. Là où les autres auraient enchaîné trois notes, il en case le double, ne se
reposant que quand il se recentre sur des mélodies toujours dotées d’une chaleur
jazzy.
Lointain descendant de Mick Bloomfield, il sait se faire
discret et sobre sur les lamentations enivrantes de towering fool , avant de se
lâcher sur une countdown jam qui ressemble à un manifeste.
Nous voilà près pour un voyage en forme d’inventaire, la
pression orgiaque ne redescendant que le temps de l’intervention de Little
Milton , venu célébrer le chicago blues à l’heure du nouveau millénaire.
Les reprises s’enchaînent comme autant de dépoussiérages.
Sans surprise , c’est « 21st century schizoid man » qui suit le
décompte annonçant le début des années 2000. Le titre était déjà le plus
virulent épisode de l’histoire du rock progressif, la mule en fait un blues
zeppelinien, corrosif et irrésistible. Le manifeste paranoïaque du roi cramoisi
n’a jamais était aussi vibrant, Hayne dressant un monument à la gloire du hard
blues , le temps d’un solo massif comme un obélisque dressé en l’honneur de ce
nouvel âge.
Helter Skelter n’a
jamais été aussi puissant, we’re not gonna take it place le rythm n blues à un
autre niveau d’énergie rythm n blues, et les frères allman sont célébrés à
travers une version accélérée de end of the line. On redescend ensuite dans les
terres country folk du band , comme si les sudistes avaient besoin de
retrouver leurs racines le temps d’une reprise respectueuse de « I Shall be
released ».
Cette ballade prépare le terrain à une reprise de simple
man, qui voit le groupe troquer sa violence rythmique contre un lyrisme allant
crescendo jusqu’aux fameux refrains. Voilà où se situe la grandeur de gov’t
mule , ses reprises se glissent dans son répertoire naturellement , elles puisent
aux mêmes sources et brillent du même éclat.
A l’image d’un Dylan, le groupe n’a plus qu’à interpréter
ses titres au gré de ses lubies, accélérant ou ralentissant ses tempos, et
transformant la mélodie le temps d’un concert. Le musicien est alors un mage
qui manipule ses formules devant un public médusé. Cette fascination n’a pas d’âge,
elle s’affranchit des époques, montrant ainsi que le rock, comme la musique de
gov’t mule, est éternel.
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