Les Doors ne sont rien sans Jim Morrison, et Morrison n’aurait
jamais pu diffuser sa poésie sombre sans eux. Parfois lumineux, le chanteur est devenu le
boulet d’un groupe sous tension. C’est que, en cette année 1968, le poète a des
rêves de gloire cinématographique et de reconnaissance littéraire.
Ses absences étirent les séances de « the soft
parade » , qui devient rapidement le disque le plus cher que le
groupe ait produit. Après un premier essai lumineux, le groupe n’a jamais su
retrouver le même niveau, la formule de ses transes poétiques s’étant éteinte
en même temps que les dernières notes de « the end ». Le second
essai est encore valide , mais ressemble plus à un lointain écho de son prédécesseur
qu’à un second séisme psychédélique . Je ne parle même pas de « waiting
for the sun » , triste bourbier sonore produit par un groupe sous tension.
Alors , pour réunir une formation de plus en plus
abandonnée par son leader, Paul Rotshild entraine les doors dans ses délires jazzys /
symphoniques. Il faut dire que l’élitisme est à la mode , les beatles ayant
définitivement imposé la pop comme une musique sérieuse avec le grandiose « a
day in the life ».
Il n’en fallait pas plus pour que, quelques mois plus
tard , toute une scène anglaise se mette en tête de faire copuler rock , jazz
et musique classique. Mais les doors ne sortent pas du même moule que procol
harum ou le mashavishnu orchestra, leur musique est un cri orgiaque et
primitif, leur finesse se situant dans la prose mystique de Morrison. Les
faire entrer dans le même moule que les géants progressifs ne pouvait que leur nuire,
et donner naissance à un exercice de style soporifique.
Les ventes sont tout de même au beau fixe, mais le groupe
ne trouve pas sa nouvelle identité, laissant Morrison entretenir sa réputation
à coup de prestations scandaleuses. Les tournées ne sont pas toutes plus
encourageantes , comme celle qui verra le groupe jouer au Mexique devant un
parterre de notables, ou le fameux chaos de Miami.
Fasciné par « la psychologie des foules » de
Gustave Le Bon , Jim décida de pousser le public de Miami dans ses derniers
retranchements. L’incident est superbement raconté dans le biopic d’Oliver
Stone, où un James Carradine habité par son rôle entre littéralement dans la
peau du roi lézard.
Le cinéaste donne toutefois une image idéalisée du leader
des doors, gommant ainsi ce côté pathétique qui fait aussi sa légende. Si les
doors furent grandiose pendant quelques fascinantes minutes, c’est aussi grâce
à la folie de ce lutin dionysiaque , qui les poussait dans leurs derniers
retranchements , et les obligeait à improviser pour masquer ses provocations et
délires éthyliques.
C’est donc sur scène que les doors entretenaient leur
mythologie, on comprend ainsi pourquoi ce live est tout simplement leur
meilleur disque depuis le premier voyage « de l’autre coté ». Là, « the
celebration of the lizard » devient la transe mystique que Jim rêvait de
graver sur disque, un poème hypnotique où le chanteur devient mage.
Il faut dire que, quand ce live est enregistré , en 1969
, l’apollon décadent est devenu un musicien appliqué , assis sur sa chaise
haute dans un accoutrement de clochard céleste. C’est comme si, d’un seul coup
, les doors avaient réussi à maitriser la splendeur mystique qu’ils atteignaient
autrefois par intermittence, et la restituait dans une grande communion sonore.
Le point d’orgue est atteint sur ce « the music is
over », longue transe de plus de dix minutes, pendant lesquelles la voix de
Morrison se marie au clavier solennel de Manzarek, dans une mélodie hypnotique.
Et on retrouve enfin ses monument de violence larvée, tendue comme des soupapes
au bord d’une implosion qui n’arrivera jamais.
Mais surtout, on entend beaucoup mieux les riffs de
Densmore , qui annoncent le virage bluesy que les doors ne tarderont pas à
prendre sur le fabuleux « LA Woman ». Son feeling déchire la danse
voodoo installée par le clavier de break on through , et redéfinit les codes du
rock épuré sur five to one.
Nous sommes en 1969 et les doors ont retrouvé leur mojo.
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