Rocket to russia
Seul contre tous , voilà comment on peut encore résumer
le statut des ramones lors de la sortie de ce disque. Les critiques qualifient
leur musique de « son de dix milles chasses d’eau » , les radios
refusent de passer leurs titres , et les disques ne se vendent pas.
Ceux-là n’ont pas encore compris que le génie des ramones
est progressif, le groupe monte en puissance par paliers, comme un missile en
plein décollage. Rocket to russia est justement le titre de ce dernier
manifeste en trois accords, et le chemin parcouru en un an est encore une fois
impressionnant.
A l’époque , le groupe tourne encore sans discontinuer et
, si la cadence infernale qu’il s’inflige lui permet de progresser rapidement ,
elle met les nerfs des musiciens à rude épreuve. Quant Joey chante « I
wanna be well » , il exprime autant ses propres névroses que les tensions
qui commence à frapper son groupe.
Celles-ci nourrissent encore des riffs qui n’ont jamais
été aussi incisifs que sur cretin hop et rockaway beach, alors que le groupe
commence paradoxalement à révéler une certaine finesse minimaliste. Des embryons
de mélodies commencent à pointer timidement leur nez , comme sur locket love
et I don’t care , et leurs mélodies qui s’impriment dans notre mémoire comme
des parodies de slogans révolutionnaires.
Et puis il y’a « surfin bird » et « we’re
an happy family » , rock cartonneuse qui semblent joués par des
personnages de tex avery. Encore une fois, le disque ne se vend pas, et la
critique ira jusqu’à prendre ce gang de dadaiste punk pour des fafs , après les
avoir entendu chanter « je suis un béret vert au vietnam ».
« Nous étions trop innocents » déclarera Joey ,
on lui répondra que c’est bien là que se situe leur grandeur. La politique,
les ramones s’en foutent comme de leurs premiers diabolos menthe. Leur truc
c’est le rock, le vrai , celui qui sera toujours le cri rageur de ceux « qui
ont la fureur de vivre, de parler, qui veulent jouir de tout, qui jamais ne
baillent ni ne disent une banalité, mais qui brûlent, brûlent, brûlent, comme
une chandelle dans la nuit."*
Et pour eux, la vie est un combat dont les ramones ont
fourni la bande son.
Road to ruin
Des morceaux de plus de trois minutes , des solos certes
minimalistes mais bien présents, le tout sur un album dépassant allégrement la demie-heure
syndicale. Road to ruin est clairement l’album qui marque une nouvelle ère pour
les ramones.
En amélioration constante depuis son premier brouillon
libérateur, la fausse fratrie new yorkaise livre ici son disque le plus
équilibré. Fini les riffs sonnants comme des tronçonneuses prêtes à
déchiqueter toute notion de virtuosité rock , Johnny développe désormais son
propre feeling. Et réussit désormais à varier les registres.
I just want to have somethin to do sonne comme une
version punk des premiers led zeppelin , le guitariste ayant appris à laisser
respirer ses décharges rythmiques, afin d'en décupler l’effet. On trouve
toujours notre lot de rythmiques foudroyantes, comme bad brain ,ou i’m against
it, mais la production ample s’éloigne du son tranchant des premiers disques.
Road to ruin n’est plus un pavé primitif, c’est un
véritable album varié et travaillé. Le groupe réclame une reconnaissance qui
tarde à venir, la ballade acoustique « don’t come close » s’alliant à
la classieuse reprise de « needles and pins », et à la mélodie
réconfortante de « questionengly », pour tenter d’imposer les ramones
au sommet des ventes. Ajoutez à cela les progrès vocaux d’un Joey Ramones qui
ne se contente plus de crier dans le micro, et vous obtenez le disque le plus
abouti des marginaux américains.
Road to ruin est le plus parfait équilibre entre les
ambitions commerciales du quartet , et sa rage juvénile, leur sergent pepper
en quelque sorte. Mais, malheureusement, le succès ne sera toujours pas au rendez-vous,
obligeant le groupe à poursuivre le rythme infernal de ses tournées.
Lassé de cette cadence, Tommy Ramones jette l’éponge à la
fin des sessions d’enregistrement. Pour le remplacer, les ramones recrutent
Marc Bells , qui est surtout connu pour avoir participé à l’enregistrement de
blank generation des vodoids.
Une page se tourne, mais la prochaine n’est pas moins passionnante.
End of the century
Parler de End of the century ,
c’est rejouer l’éternel combat entre les pros et les antis Spectors. Si son
Wall of sound a inspiré Springsteen lors de l’élaboration du lumineux born to
run , le boss ne devait sa réussite qu’à un équilibre que le cinglé pop serait
bien incapable de reproduire.
Ancêtre de la compression, qui
transforme toute musique en glaviot informe, sa technique d’enregistrement se
résume à une fange sirupeuse qui engloutit même le génie des beatles. Pourtant, l’incompréhension autour de cet
album est autant lié à l’erreur de jugement des rares fans des ramones qu’aux
bourdes Spectoriennes.
Avant d’être des punk, les ramones
étaient de grands fans des beatles et de la pop de la grande époque . Leurs
racines sont là , dans ses refrains innocents et légers qui firent le succès des
premiers titres des grands groupes de pop anglaise. C’est d’ailleurs pour cela
que Spector choisit de commettre son prochain forfait sur les new yorkais, il
avait compris que gabba gabba hey était l’équivalent moderne de « da doo
ron ron ». Et, contre toute attente, la sauce va en partie prendre, end of
the century s’affirmant comme un des rares disques du producteur qui ne donne
pas envie de balancer sa platine par la fenêtre.
L’enregistrement , lui , fut un
enfer , le producteur se conduisant comme un véritable dictateur , usant de
tous les moyens pour faire répéter le groupe, jusqu’à trouver la formule
collant à ses idées foireuses. Ne se promenant jamais sans son arme, le docteur
Jekyll des studios va jusqu’à pointer son pétard sur Dee Dee, pour l’obliger à
recommencer ses parties de basse.
A la fin, l’expérience ne
laissera de bons souvenirs à personne, et donnera naissance à un disque étonnant
sans être brillant. Même si la rencontre entre le wall of sound et le wall of
noise produit son lot de moments d’anthologie.
Les Ramones semblent
transportés au milieu des sixties , l’annonce ouvrant l’album semble d’ailleurs
tout droit sortie d’un vieux transistor. Voilà donc nos ramones balançant leurs
refrains punks dans un décor vintage, Joey chantant « it’s the end of the
seventies , it’s the end of the century » au milieu d’une production
grandiloquente que n’aurait pas renié les groupes les plus raffinés.
Cette première partie n’est
pas une compromission, c’est une révélation, les ramones renaissent grâce à ce
son ample et plein d’écho qui fit le bonheur de John Lennon. Les premiers
titres sont des réussites, les ramones se contentant de poursuivre les progrès
effectués sur road to ruin, pendant que Spector ne fait qu’en souligner la
simplicité pop. Classique du groupe de Dee Dee Ramone , Chinese rock montre un
Spector qui a enfin compris qu’il n’était qu’un humble artisan chargé de mettre
en valeur ses nouveaux protégés.
Et puis l’égo de l’escroc
Spector reprend le dessus, et l’incite à répéter sur « baby i love you »
le crime qu’il avait déjà commis sur « the long and winding road »,
les violons effectuant un travail de sape écœurant.
Le reste de la seconde face
est du même niveau, montrant ainsi que le mur du son et le mur du bruit ne
cohabitent pas, ils se succèdent. Spector s’est réservé la seconde face,
détruisant ainsi tout ce que le groupe avait réussi sur la première , et si les
ramones parviennent à reprendre la main sur « rock n roll higt school »,
c’est sans doute grâce à une négligence de ce terroriste du son.
Au final , on obtient une
demie réussite , un disque frustrant et massacré par le plus grand tartuffe de
l’histoire du rock.
Pleasant dreams
D’une certaine façon, Spector a tenu ses promesses avec
end of the century. Sans doute boosté par la réputation surfaite du producteur,
le disque devient vite le plus vendu du groupe. Les chiffres restent toutefois
modestes, et couvrent à peine les frais d’enregistrement. Mais surtout, les
fans de la première heure voient d’un mauvais œil cette main tendue au grand
public, et sa participation à un ridicule film de série B.
Pendant ce temps, le punk commence déjà à s’essouffler.
Avec Sandinista , les clash ont signé leur arrêt de mort , en produisant un
triple album cacophonique et inécoutable en une fois. Vulgairement appelé new
wave , les restes du punk survivent difficilement à travers les quelques
pépites d’Elvis Costello et des Jam, pendant que blondie , Patti Smith , et
les stranglers se noient dans les méandres de la pop synthétique.
Pleasant dreams sort donc au milieu de ce vide, et
obtiendra le même mépris que ses prédécesseurs. Pour les fans , Spector a tué
les ramones , et la production très pop de pleasant dreams ne fait que confirmer
leur sentiment. L’homme était pourtant une étape logique dans le parcours d’un
groupe qui n’a cessé de s’affiner, mais les ramones resteront toujours
prisonnier de l’image de gentils sauvages qu’on leur a collé.
Si il durcit le ton , la critique fustige sa violence
primaire , alors que toute touche pop est vue comme une trahison par les fans,
laissant le groupe coincé entre le marteau et l’enclume. Pleasant dreams est
pourtant un bouillonant manifeste pop punk , we want the airwave s’affirmant
comme le nouvel hymne rageur d’un groupe qui s’est toujours vu comme le
sauveur du rock. Et d’hymnes , ce disque n’en manque pas. The KKK took my baby
away botte le cul de la pop , pendant que le groupe pose des bases que les punk
rockers ne feront que copier sur « sitting in my room » , « this
business is killing me » , et autres perles juvéniles.
Au final , si les ramones ont sans doute accentué leur coté
pop, pour échapper à la déchéance de la vague punk , ils sont les seuls à le
faire en gardant une telle énergie. Non, Spector n’a pas tué les ramones , le
groupe a juste digéré ses enseignements, pour les soumettre à grands coups d’hymnes
punk rock .
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