Rien ne se passa comme prévu et, victime du mal de mer ,
Kurt Vile fut bien incapable de monter sur scène à l’heure prévue. Le temps passait,
et le public demandait son dû en scandant « we want more ».Dans ce
décor, son cri était aussi impressionnant que celui d’une armée de spartiates
prête à l’assaut.
Eric n’eut pas le loisir de réfléchir très longtemps, et
les frères O Keeffe foncèrent rapidement vers la scène. Notre organisateur ne
s’en effraya pas plus que ça, les amplis de Vile était assez puissant pour
supporter les charges des Australiens , et ce soir ils allaient être poussés au
maximum. A l’arrivée de ce groupe, autant adoré par un public heavy métal de
plus en plus important , que part les restes du public classique rock , les
cris décuplèrent . Ces barbares voulaient du saignant, et ils allaient être servis.
Disciple de la formule primitive d’ACDC, Airbourne entame
son set par raise the flag , leurs roadies se précipitant, pour obéir à cet
ordre en hissant un drapeau où le groupe apparaît en compagnie du groupe
d’Angus Young. Si il voulait rendre sa jeunesse au rock, Eric ne pouvait
imaginer meilleur emblème que cette bande de fous furieux, dont les riffs à la
gloire des plus bas instincts étaient au rock ce que la littérature fut longtemps
pour le cinéma , une source d’inspiration inépuisable.
Les riffs de O Keeffe ne cherchent nullement à vous
émerveiller, leur beauté n’est pas celle des « intellos pop » , et
le groupe se fout bien des expérimentations qui faillirent souvent mener le
rock à sa perte. Ses boogies en trois accords viennent directement chatouiller
le cerveau reptilien de ses milliers de spectateurs, et quand des milliers de
personnes semblent revenir à l’âge de pierre, cela crée un effet
formidable. Secouant la tête comme des damnés,
hurlant les refrains comme des incitations au combat , la foule est une armée
formidable redonnant un sens au mot rock n roll.
Elle transmet aussi son énergie à un lutin guitariste
déjà surchauffé, et le voilà qui laisse son groupe jammer sur trois accords
pendant qu’il décide d’escalader le mat ! Dieu Bénisse l’homme qui a
inventé la guitare sans fil ! Une fois en haut, il se dresse à côté de son
drapeau , glorieux corsaire du rock prêt à une nouvelle salve mortelle. Et
cette salve n’est autre qu’une reprise de « let there be rock »
envoyé sur un rythme hallucinant. Assis au milieu de son solo, voilà notre
soliste qui se laisse baller en arrière , et termine son solo la tête en bas ,
dans la position d’un acrobate de cirque.
Redescendu pendant les dernières notes de la jam du
groupe , O Keefe termine la performance sur un dernier riff explosif. Loin
d’être rassasié par une telle prestation , le public est désormais chauffé à
blanc . Pour succéder à une telle explosion, impossible d’envoyer ce cher Kurt
Vile , cette fosse aux lions le dévorerait en moins de deux . Mais personne ne
voulait prendre la suite ! Les australiens ont transformé le public en
ogre affamé, et personne ne veux servir d’offrande.
Personne, sauf Buckcherry , groupe devant son nom au
grand Chuck , et bien décidé à montrer qu’il est le véritable maître du hard
boogie blues. Pourtant, il entre bien avec une reprise, Josh Todd hurlant le
fameux « kick out the jams motherfucker », pour dompter la bête
sauvage qui hurle fasse à lui. Le chanteur a cette sorte de charisme théâtral
qu’on ne trouvait plus depuis la disparition de Bon Scott. Il ne chante pas ses
textes , il les incarne.
Un peu plus complexe que les bombes d’airbourne , sa
musique à mi-chemin entre la spontanéité du père Angus et le brio mélodique de
Slash est idéale pour faire redescendre le public, sans faire retomber la
tension. Les américains n’ont jamais été très doués pour les ballades , elles
plombaient le plus souvent leurs albums , aussi eurent t’ils la bonne idée de
ne garder que leurs morceaux les plus saignants.
Une prestation de Buckcherry , c’est simplement cinq mecs
tenant une salle de la même façon qu’ils imposeraient le respect aux tauliers
du bar le plus glauque du bronx. Le feeling impressionnant de Keith Nelson est
d’ailleurs un des rares dignes héritiers de Hendrix , une puissance qui sait se
faire heavy sans tomber dans les clichés niais du hard rock/ heavy metal. Et, là
encore , la foule aura son lot d’hymnes à répéter en chœur en secouant la tête .
« porno star » , « glutonny » ou « time bomb »
ne sont rien de moins que les lointains descendants de cette matière
vitale, contenue dans « Johnny Be Good ».
Les derniers riffs s’éteignent dans le crépuscule et , en
voyant le public vidé de son énergie primaire , Eric pense qu’il est enfin
temps de lui envoyer un Kurt Vile remis de son mal. Comme seul soutien, un
projecteur est placé sur le coté, de manière à ce que sa lumière tamisée éclaire
le nouveau loner, comme Neil Young à la fin d’un concert de CSNY.
Voir cette foule, sortant à peine de sa transe féroce,
revenir à un état d’attente passionée relevant presque de la communion, cela
redonne fois en la curiosité humaine. Installé sur son haut tabouret, dans une
position rappelant Dylan à Newport, Kurt Vile n’allait pas usurper sa réputation
underground.
Certes, sa prose est plus personnelle que celle de ses héros,
et sa poésie ne cherche pas à être universelle, c’est au contraire son côté
désuet qui séduit. Chef d’œuvre de folk moderne, wakin on a pretty day est
porteur de cette ambiance rêveuse qui fit la beauté des grands disques de Neil Young,
et les violators sont en quelque sorte son crazy horse.
Contrairement au groupe de Neil Young , les violators ne s’embarquent
jamais dans de grandes chevauchées hargneuses , leurs mélodies sont de petits
êtres fragiles qu’ils évitent de brusquer. Et pourtant, les riffs sont bien présents
, mais ils semblent ne jamais s’emporter. KV crime illustre bien ce procédé, c’est
un boogie nuageux, Keith Richard perdu dans les rêveries brumeuses de pink
floyd.
Sachant aussi se moquer gentiment de lui-même , il
annonce pretty pimping en lâchant « Je me suis peut être inspiré d’un
petit groupe de Jacksonville pour le riff », et le voilà qui nous envoie
le riff de sweet home alabama, avant de revenir à la retenue de son titre.
Ce soir, les spectateurs son transportés sur un canoë ,
échoués en pleine mer, avec Kurt et ses violators pour rythmer le balancement
des vagues. Ce concert, mélodique et beau, comme a pu l’être Dylan ou Neil
Young, en acoustique ne fait que confirmer ce qu’Eric savait déjà : Kurt
Vile est une nouvelle étape dans la somptueuse odyssée du folk rock.
La lumière s’éteint après les accords byrdsien issus du
disque que Vile a enregistré en duo avec Courtney Barnett, et il est déjà temps
de réfléchir au planning du lendemain.
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