Le lendemain, Alain avait l’impression d’avoir passé la nuit la tête sous une enclume. La boisson de Ted était si forte, qu’il ne se rappelait plus comment il était rentré dans cet appartement. Il n’était plus revenu ici depuis la fin de la tournée des Stooges , et eut même du mal à trouver le lavabo. Après s’être plongé la tête dans l’eau froide, histoire de soigner une gueule de bois carabinée, Alain fit un tour des lieux.
En passant dans le couloir, il remarqua que la porte avait été enfoncée. Il se rappelait avoir laissé tourner le premier album des Stooges en partant. Irrités par la sauvagerie géniale de ce rock destroy, les voisins durent appeler la police pour mettre fin à ce boucan. Les types avaient sans doute frappé plusieurs fois avant d’enfoncer la porte. Ces abrutis n’ont même pas regardé si la porte était fermée à clef, ce qui n’était bien sûr pas le cas. Les flics ne sont qu’une petite milice minable, qui donne à la population une mentalité de collabo que n’aurait pas renié Vichy.
Il faut bien remarquer que, plus les états sont faibles , plus leur police en arrive à ce genre de surveillance du quotidien. Ce qu’ils appellent le citoyen est alors flatté dans ses plus bas instincts, on le caresse dans le sens du poil pour le rendre fier de sa veulerie et de sa servitude. En appelant les flics, monsieur moyen se sent important, il s’imagine en agent du bien luttant contre le manque de civisme de la société. Le type qui dénonce ses voisins pour des motifs aussi bas qu’un disque joué un peu trop fort ne vaut pas mieux qu’un agent stalinien. Et puis, si gardien de la paix était une tache aussi sacrée, si ce métier était si essentiel à la société, on ne le réserverait pas systématiquement aux personnes les plus stupides.
Alain n’était pas au bout de ses surprises. Sur le tourne disque, quelques feuilles étaient posées négligemment. La première lui annonçait que son album des Stooges était gardé comme « pièce à conviction »… Il se rappelait encore que son départ s’était fait à 11 h, donc en pleine journée, et que le « crime » dont on l’accuse n’a dû durer que 15 minutes. Avec cette première déclaration, les forces du désordre avaient laissé trois amendes. La première était justifiée par des « cris enragés troublant la quiétude du voisinage » , la seconde pour « martèlement portant atteintes à la santé mentale du voisinage » et la troisième pour « pollution sonore provoquée par un bruit amplifié ». Ce n’était pas une amende mais une chronique d’album ! Et tout ça pour coller trois prunes pour le même motif !
Dans leur logique, Alain serait venu hurler à la porte de ses voisins, aurait envoyé un disque encore plus violent, bref il aurait justifié l’existence des farces de l’ordre par quelques enfantillages ridicules. Les flics ne prospèrent que de ce genre de petites bêtises, elle leur permet de se sentir utile à quelque chose. Ce n’est pas pour rien que l’on a envoyé l’armée réprimer la grande révolte de Détroit, en plus de manquer de réflexion les flics ne se risqueront jamais à réellement faire leur travail. C’est tellement plus facile de se pointer dans un quartier à peu près tranquille , de constater un délit imaginaire , et de maintenir les derniers hommes libres et droits dans la peur de la répression.
Pour flatter les flics il
suffit de s’avilir , de montrer sa peur de la sanction et d’insister sur sa souffrance
de pauvre homme moyen frustré par la preuve de vie de son voisin. La plupart
des conflits de voisinage sont d’une laideur écœurante, on appelle jamais les
cognes pour rétablir la justice mais pour soulager sa jalousie.
Le voisin a une plus grosse voiture, s’habille bizarrement, ou aime juste écouter de la musique le week end, tous les prétextes sont bons pour justifier la médiocrité du délateur moyen. De leur côté, les miliciens modernes adorent ce genre de délateur, qui les accueillent souvent avec un respect qui va jusqu’à la flatterie outrancière. Les policiers n’existent que pour ce genre de cirque lamentable, leur existence ne peut qu’engendrer la révolte des derniers hommes libres. A l’heure actuelle, les hommes libres sont assez nombreux pour leur faire avaler leurs képis lors de révoltes aussi grandioses que celle de Détroit. Mais viendra bientôt le jour où monsieur moyen imposera sa bassesse à tous… Quand on parvient à des méthodes pareilles on peut imaginer que ces milices en viennent à empêcher les gens de sortir , de travailler , de vivre. On rassurera monsieur moyen en lui disant, si c’est à cause d’une maladie, qu’il sauve des vies. Cette phrase, ressassée comme un mantra par des médias aussi pourris que leur gouvernement, sera comme la caresse donnée à un chien obéissant.
Et puis l’état subventionnera la soumission de monsieur moyen, débloquant des indemnisations pour réaliser son rêve de vivre dans l’oisiveté la plus totale. Dans ce système, les policiers auront un rôle essentiel, maintenir les gens dans la prison qu’est devenue leur logement. Oh ces minables ne ce pointeront pas dans les coins chauds ! On inventera bien une justification pour les en dispenser, à moins que la télé n’en parle tout simplement pas. Le flic ne fera peur qu’à monsieur moyen, il le remettra à sa place quand celui-ci essaiera de sortir de son confinement. Alain imaginait déjà les amendes de 130 dollars … 6 fois plus que pour un trafiquant de drogues ! Mais ces divagations n’étaient sans doute que le résultat d’une colère légitime provoquée par une bavure insupportable. Le jour où un pays libre en arrivera à de telles extrémités, on pourra vraiment dire que l’humanité a touché le fond.
Pour oublier tout ça, notre chroniqueur courut vers le concert de Ted Nugent. Arrivé là-bas, il ne fut pas surpris par le public. La plupart de ces hommes étaient des ouvriers, certains n’avaient même pas pris le temps de retirer leur bleu de travail. Pour Alain cette assistance était de bon augure, elle allait dans le sens d’un rock ayant pris le relais du blues. Musique des noirs américains par excellence, le blues était l’expression de la vie du peuple noir, le mojo représentait ses peines, ses joie , son génie. Le rock lui, devenait désormais le blues du prolétariat blanc, celui qui se tue 8 heures par jour à l’usine pour sortir un salaire qui lui permet à peine de vivre.
Nugent arrivait enfin sur scène, sa gibson ayant l’air énorme devant son corps rachitique. Le concert démarre par un motor city madhouse qui semble vouloir faire exploser les usines de la ville. Ted est à la guitare ce qu’Iggy Pop est au chant, un gladiateur sauvage et indomptable. Aussi imposante soit elle, sa guitare est martelée, griffée, secouée avec une violence sans nom. Quand il joue, Ted Nugent donne l’impression de refroidir un ours à main nue, chaque accord est un hurlement qu’il arrache à sa guitare aux prix d’efforts surhumains. Et puis il y’a ce feeling, cette série de détonations d’autant plus impressionnantes qu’elles ne s’égarent pas dans des gimmicks pompeux.
Ted a juste décuplé la violence du rock n roll originel, ses accords sont une mitraille tuant Hendrix pour la seconde fois. Chaque concert de rock devrait être un meurtre, le meurtre de tout ce qui existe et à existé, le premier accord doit être le génocide de tous les autres. A ce jeu , Nugent fait table rase du guitar hero hendrixien , il montre une voie plus primitive et violente. Ce jeu rythmique en diable, ces solos assez courts pour rattraper le train infernal de la rythmique, c’est tout ce que le hard blues devrait toujours être. Nous pouvons refermer le périple d’Alain sur cette prestation incendiaire, elle constitue un dernier point d’orgue à sa quête. Malgré leur fin brutale , le MC5 et les Stooges ont enclenché un incendie qui allait bientôt s’étendre en dehors de Détroit. Du spectacle macabre d’Alice Cooper au punk de New york , la rage des groupes croisés dans le parcours de notre chroniqueur va vite revitaliser le rock américain. Mais c’est encore une autre histoire, que nous ne manquerons pas d’explorer bientôt.
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