Ils contribuent au WebZine

mardi 6 juillet 2021

Neil Young : Comes a time

 


Les Clash levèrent des barricades en trois accords , les Jam annoncèrent  le règne de la new wave , les Stranglers atteignirent  le sommet de leur grandeur nihiliste, alors que les Ramones enchainèrent  les concerts à un rythme infernal. Le punk tint ses promesses, ce météore balaya littéralement les virtuoses prétentieux du rock progressif, et rendit obsolète la partie la plus pompeuse du hard rock. Les dinosaures des sixties et du début des seventies s’éteignirent brutalement, noyés sous une vague nihiliste et primitive . Paradoxalement, cette révolte sera vite domptée par l’ogre capitaliste, qui comprit vite que le manque de virtuosité de ces brutes était un formidable moyen de standardiser la musique. Il lui suffit d’accentuer la présence des claviers pour gommer cette violence sauvage, tout en gardant le format court et les refrains primitifs chers aux hordes punkoïdes.

On transforma ainsi le punk, mouvement réactionnaire réclamant le retour à un rock plus sauvage et primitif, en une pop synthétique et polie nommée new wave. Le foisonnement créatif des années précédentes fut abattu, le rock redéfinit comme un vulgaire produit standardisé, la dégénérescence new wave  fut prête à le vider de sa substance. En ces temps de décadence, Neil Young prit la route en compagnie de quelques musiciens de Moby grape. Le loner se produisit dans quelques petites salles, retrouvant ainsi la joie de jouer pour le plaisir et de discuter autour d’une bière après le concert. Il put ainsi fuir le succès le temps de quelques soirées, mais les nouvelles vont malheureusement vite. Quelques jours à peine après le lancement de cette tournée secrète , des comptes rendus paraissent dans les journaux , obligeant Neil Young à interrompre son bain de jouvence.

De retour en studio , Neil rappelle les musiciens du Crazy horse , Nicolette Larson et JJ Cale , pour enregistrer Comes a time. Le folk rock de ce disque est un véritable sanctuaire paisible dans une époque troublée. Auteur du classique naturally , le guitariste JJ Cale illumine ces comptines folk de sa classe rythmique. Sur les titres les plus mélodieux, il ponctue la mélodie avec rigueur, drape la voix charmeuse de Nicolette Larson dans les gémissements de sa guitare slide ou la somptuosité de ses arpèges. Derrière lui , le Crazy horse trotte paisiblement , retient sa fougue pour éviter de briser un si beau carrosse. Les violons chantent avec une douceur rappelant Harvest , Neil fredonne ses refrains avec sérénité.

Quand ce groupe n’est plus retenu par la douceur de ce country rock apaisant , motorcycle mama lui permet de swinguer comme les bluesmen de Chicago. Sur ce titre, JJ Cale s’affirme comme le guitariste renouant avec une sobriété perdue depuis les débuts d’Eric Clapton. Deux ou trois accords et un rythme, le mojo n’a besoin de rien d’autre pour fasciner. Les guitaristes s’accrochent aux rythmes comme des morpions à leurs testicules, de cette étreinte dépend la vie du grand mojo , s’éloigner de la rythmique c’est le laisser mourir. Vous pouvez augmenter ou diminuer les espaces entre les notes, appuyer les accords ou caresser les cordes, mais pour jouer du blues votre jeu doit rester rythmique.  Keith Richards l’avait bien compris, lui qui considérait les solos comme de la « branlette ».

Reprendre les choses à leurs racines, se ressourcer aux eaux toujours fraiches de la musique traditionnelle américaine, voilà ce que fait Neil Young sur comes a time. Ce disque est comme un vieux livre de Dumas caché entre les fausses révoltes de Virginie Despente. Et c’est bien pour ça que Neil fut épargné par le nihilisme punk et les caprices de l’époque, il ne se conformait à aucun courant. Aussi léger soit-il , comes a time est sans doute une des plus grandes déclarations d’insoumission de son époque , un disque si anachronique qu’il en devient attachant. Ce mellotron faisant couler sa mélodie telle une rivière paisible, cette voix revenue de tout et se contentant de chanter sa joie de vivre, c’est un oasis de beauté et de douceur dans une époque qui s’enlaidit et s’ensauvage.                              

Il y a des moments où il parait urgent de célébrer la beauté et la sincérité artistique avant que ces notions ne soient détruites par la bêtise moderniste. Alors oui, comes a time nous refait le coup que nous fit Dylan sur Nashville Skyline , il s’exile à la campagne à une époque où tout s’agite en ville.

Et si c’était précisément de cette légèreté que l’époque avait besoin ?  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire