Après
le succès de You really got me , les Kinks sont rapidement entrés dans le
panthéon de la pop anglaise. Creusant le sillon du rythm’n’blues speedé sur
leurs trois premiers albums, ils sont vite devenus les coqueluches du swinging
london et, quand les Who sortent My generation, Ray Davis ne peut
s’empêcher de le considérer comme un plagiat du tube des Kinks. Pete Townshend
ne tardera pas à avouer qu’il voulait produire un titre « dans l’esprit des
Kinks », ce qui montre le statut acquis par ceux qui commencent rapidement à
dynamiter ce succès.
Il
faut dire que, face à un public particulièrement infidèle, et cernés par une
concurrence féroce, les groupes sont contraints de tourner à un rythme effréné.
Il faut rester dans la mémoire courte d’un public avide de nouveautés, mais les
Kinks montrent vite leur inconscience, annulant des concerts pour des motifs
parfois futiles. Comme ce jour, où le groupe arrive largement en retard à un
concert, pour ne jouer qu’une dizaine de minutes, préférant mettre en péril sa
carrière pour visionner le match de foot opposant l’Angleterre à l’Allemagne.
Sous la pression de son management, les Kinks achèvent tout de même Face to
face qui marque un virage artistique important.
Il
faut dire que les choses ont bien changé en seulement deux ans. Dans les traces
des Beatles, tous les groupes se sont mis à composer leurs propres titres, et à
ce jeu les deux groupes ont renforcé leur suprématie. D’un coté, le duo
Jagger/Richard est née, et partage le sommet des charts avec les indépassables
Lennon/Mccartney. Pourtant, les Beatles étaient déjà ailleurs, et quittaient le
format single dès la sortie de Rubber soul, album où le placement des titres
est soigneusement choisi pour constituer une œuvre destinée à marquer la
culture occidentale. Ils faisaient ainsi passer le rock dans son « age adutle
», remplaçant le culte de l’éphémère par une célébration de l’originalité
anglaise, comme si cette musique était devenue une magnifique œuvre qu’il
fallait faire avancer à chaque album.
Les
Stones répondront avec Aftermath, où le duo Jagger/Richard prend
définitivement le contrôle, au détriment d’un Brian Jones qui commence son
irrémédiable déchéance. Dans ce contexte, Face to face creuse le sillon
d’une pop plus fouillé, sans perdre totalement la gaieté énergique qui a fait
le succès des disques précédents. Revolver est sorti quelques semaines plus tôt
et, pour lui faire concurrence, les Kinks voulaient relier les titres de leur
album grâce à quelques bruitages pops. Les studios modernes rendaient cette
idée possible, mais les Kinks ne sont pas les Beatles, et l’idée est vite
abandonnée. Il en reste néanmoins quelques traces, comme cette sonnerie de téléphone
sur Party line, et quelques petites excentricités sonores sur Rainy day
in june et Holiday in Waikiki.
Les
Kinks ont surtout abandonné les rives du rythm’n’blues bourru, pour une pop
mélodique et hédoniste. Si la pochette fut imposée par la maison de disques,
alors que le groupe aurait préféré une simple photo en noir et blanc, on ne
peut que donner raison à l’autoritarisme du label. Très colorée, elle encre
l’oeuvre en tête de file d’une série de chefs-d’œuvre mélodiques, tel que Odeyssey
and oracle des zombies, le premier disque de The move , ou Ogdens’ Nut
Gone Flake des Small faces.
Placé
en fin d’album, Sunny afternoon avait déjà séduit les charts lors de sa
sortie en 45 tours, et représentait bien un disque mélangeant mélancolie,
légèreté et entrain, dans une formule qui fit la grandeur de la pop anglaise
des années 60. Ce disque aurait dû obtenir un succès monstrueux, tant il est le
plus proche de la beauté flamboyante de Revolver des Beatles, en 1966 les
Kinks étaient sans doute le plus grand danger pour le groupe de Paul Mccartney.
Mais
Vogue, qui est chargé de la distribution de l’album, considère encore la
formation comme un groupe à single. Peu motivé par cette appréciation, il se
permet de sortir différentes versions du disque, inversant l’ordre des morceaux
sur les pressages de certains pays. Il est remarquable de constater que, malgré
cette erreur, les observateurs saluent la cohérence de l’album, montrant ainsi
la solidité des compositions des frères Davis. Cette faute aurait peut-être pu
passer, si le label n’avait pas aussi proposé plusieurs pochettes, certains
pays ayant droit à une photo vieille de deux ans pour illustrer le LP.
Parallèlement,
leur label sort des compilations majoritairement composées d’anciens succès,
comme si le passage des Kinks à une musique plus travaillée devait
s’accompagner d’un déclin commercial. Rétrospectivement, on peut affirmer que
ces contretemps ont contribué à faire des Kinks un éternel second couteau du
rock anglais, derrière les Beatles, les Stones , et les Who qu’ils ont pourtant
influencés.
Les
singles des Kinks continuaient à atteindre le sommet des classements, mais le
groupe ne réussissait pas à imposer ses disques, comme si le public souhaitait
aussi les cantonner à ce rôle de groupe à single.
Ensuite,
les disques plus complexes des Kinks tueront leurs succès en partant dans des
concepts alambiqués. Faisant de Face to face un des derniers témoins de
leurs âges d’or commercial, alors que les choses sérieuses ne faisaient que
commencer.
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