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vendredi 8 février 2019

Chronique - Bob Dylan : Tempest


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Lorsqu’on commence à se pencher sur Dylan une question reste sans réponse : Qui est-il ? Doit-on se rappeler de lui comme d’un vagabond qui, après avoir vu la lumière dans les écrits de Jack Kerouac, s’est échappé d’on ne sait où pour rendre visite à un Woody Guthrie mourrant ? Est-ce plutôt le prophète folk chantant les réponses qui soufflent dans le vent, et criant la peur que lui inspirent les maitres de guerre ? On raconterait alors la triste histoire de Suze Rotolo, activiste de gauche qui lui inspira ses premières protestsongs, de Joan Baez, qui l’accueillit à son retour d’Angleterre, comme un roi démarrant un glorieux règne sur la scène folk. On s’attarderait alors sur les concerts que Dylan et Baez firent en commun. Suze l’avait aidé à se faire connaitre, Baez en faisait une icône, avant d’être lourdé avec la même âpreté.

Non,celui-là il la renié, dégouté par le fanatisme béat d’une bande de jouvenceaux paumés.  Don’t follow the leader , la phrase visait autant les hystériques de la beatlesmania que son propre public. Elle représentait aussi le début d’une période où, après l’avoir idolâtré, les folkeux allaient crucifier leurs héro sur l’autel du conservatisme musicale. « Judas » hurlèrent-ils, Dylan leur répondra par un méprisant « je ne vous crois pas ». 

Les plus grandes réussites naissant des plus grandes controverses,  Bring It All Back Home ,  Higway 61 Revisited , et  Blonde On Blonde  sont ses disques les plus célébrés. Mais, alors que nous nous délections encore de ces mélodies électriques, alors que les Byrds, le Buffalo Springfield et Crosby Still et Nash commençaient juste à assimiler ses leçons de folk électriques, le voilà qu’il part chanter de la country.

Le barde voulait s’amuser, mais même quand il se contente d’envoyer un message vindicatif à ses managers, le titre entre dans la légende grâce aux riffs spatiaux de Jimi Hendrix. Entre ses mains divines, le titre prenait un tout autre sens, et la déclaration d’émancipation du Zim devenait un hymne anti guerre du Vietnam,comme si tout ce que Dylan faisait dans les années 60 devait entrer dans la légende. 

Mais l’homme semblait étouffer sous le poidsde sa propre légende. Alors il a poursuivi dans une country légère, chantant avec Johnny Cash une sympathique chanson bucolique. Attention, ne me faitespas dire ce que je n’ai pas dit,  Nashville Skyline  est un très bon album, mais c’était aussi la première déclaration d’un Dylan qui ne voulait plus être en première ligne. Poète d’une génération, il l’a déjà été pendant six ans, il était temps de prendre un peu de distance. Woodstock fut tout de même organisé pour lui, à quelques mètres de sa résidence, mais qu’on ne compte pas sur lui pour venir se faire mousser aux milieux de hippies à moitié défoncés. L’accident de moto qu’il eut en 1966 semblait l’avoir changé, et il aspirait désormais au calme d’une vie de famille épanouie.                                                      
Dernier sursaut,  Blood On The Track  l’a replacé au premier plan, presque malgré lui. L’homme était dans une période sombre et, encore aujourd’hui, il se demande comment on peut aimer un tel Hama de douleurs. Ce n’était plus l’amoureux transit de   Sade Eyes Lady Of The Lawland  mais un homme blessé et déçu, tirant douloureusement sur une relation forte. 

Le problème, même s’il ne veut l’admettre, c’est que l’homme blessé tirant le bilan d’une relation morte s’exprimait avec autant de force que le jeune attaché à sa belle. Les vers ci-dessus  ne sont qu’un bien maigre échantillon des perles mélancoliques de  Blood On the Track , disque dont la sobriété presque acoustique renouait avec la force de ses premières chansons folks. Le reste de la vie des Dylanophile consistera à chercher cette verve poétique dans ses disques suivants. 

Autant dire qu’il ne la trouvera pas dans Self Portrait , horrible musée des horreurs, où Dylan semblait dynamiter son mythe à grand coups de mélodies foireuses. Et puis le petit poète juif a voulu renouer avec ses racines chrétiennes. La révélation fut d’abord discrète sur  Street Legal , disque sympathique, où il semblait parfois singer Tom Petty. Personne n’avait envie de voir celui qui avait tout inventé se mettre au niveau de sa descendance, aussi brillante fut-elle. Mais le disque fut tout de même une parenthèse sympathique avant une série lourdingue. On pourra toujours dire que son talent poétique n’a pas totalement disparu de ses disque tels que Slow Train Coming , mais ses prêches de premiers communiant, sur fond de cuivres bavards, et soutenue par un Knopfer assommant, lui vaudront les railleries de Lennon et de nombres de ses ex-admirateurs collègues et soutiens. 
Alors on s’en tiendra à quelques chansons émergentes comme les braises d’un feu pas encore tout à fait éteint.

Desire n’était pas un album exceptionnel, loin de là, mais ces quelques vers faisant renaitre le protest singer sauvait la mise. Des exemples comme celui-ci, les Dylanophile pourraient en ressortir pour chaque époque de sa brillante carrière, et ils auront régulièrement de quoi se consoler sur les disques passables ou honorables que leurs servira Dylan par la suite. Entre-temps, comme un dernier coup d’éclat, l’homme au caractère légendaire aura volé les bandes de ses concerts en compagnie du grand Gratefull Dead. Après avoir sélectionné quelques titres, il rend la sélection que la maison de disque publie sans hésiter. Résultat, un bourbier écœurant, Dylan avait volontairement sélectionné les pires prises. Par cet acte immoral, il affirmait une nouvelle fois son désir de ne pas être enfermé dans une époque,  Desire   qui est peut-être le véritable fil rouge de toute sa carrière.

On peut aussi citer cette série de concert en compagnie de Tom Petty et ses Heartbreakeren 1986, tant elle est symptomatique d’un autre complexe de l’artiste. Depuis sa période électrique, il aurait voulu être un rocker, et pouvoir se lâcher dans de grandes célébrations amplifiées. Mais il n’avait pas le charisme d’un Elvis, et son jeu basique l’a toujours obligé à faire appel à des guitaristes plus expérimentés. En fin de comptes Mark Knopfer, Mike Bloomfield, Tom Petty, et Robbie Robertson, qui ont pendant un instant aider le poète à mettre en musique ces brillantes visions, étaient peut-être les idoles d’un homme incapable d’atteindre leurs statuts. 

On allait voir Dylan pour entendre un poète, pas pour se vider la tête devant un groupe déchainé, et alors que nous croyions qu’il faisait partie du passé, il parvenait encore à nous surprendre. Discret pendant les années 90, insignifiant pendant les années 2000, Dylan à scotché tous le monde en 2012 , avec la sortie de Tempest . Les mélodies étaient redevenues séduisantes, les vers rythmés les titres comme de douces harmonies, et Dylan avait repris le rôle de conteur qui lui allait si bien jadis. 

Les histoires s’enchainaient, celle du hors la loi  Duquesne Whisle , du proxénète pathétique de AfterMidnight ,de l’homme cherchant son foyer sur les rythmes country de  Narrow Way . Car il faut aussi en parler de cette musique, country rock mélodieux ou plus énervé. On appréciera particulièrement Early Roman Kings , où ses paroles rythment un country folk à la façon d’un Muddy Water embarqué dans le rythme entrainant de HoochieCoochie Man. D’ailleurs, on profitera de ce titre pour interdire toute remarque sur la voix du poète. Dylan n’a jamais eu une belle voix, mais il a toujours compensé ce défaut par cette façon de la placer exactement à l’endroit où elle aura le meilleur impact. C’était déjà vrai sur ses albumsprécédents, et ça l’est encore sur celui-ci, quandDylan ne décide pas de partir dans un chant de crooner digne de Sinatra, qui avait aussi cette façon de rythmer ses morceaux avec son chant.

Comme pour  Blonde On Blonde , Dylan s’est même remis à l’exercice de la longue pièce maitresse sur une face. Sauf que, là où Sad Eyes Lady of the Lawland était une ode à la femme aimée, Tempest le voit garder ce costume de vieux conteur qui lui réussit tant. On a donc droit à l’épopée du Titanic, racontée à la façon d’un Homère folk rock. Le tout se termine sur un hommage très classe à John Lennon :

« From the Liverpool docks to the red-light Hamburg streets
Down in the quarry with the Quarry men
Playing to the big crowds, playing to the cheap seats
Another day in the life on your way to your journey's end
Shine your light
Movin' on
You burned so bright
Roll on, John »
Oui  ShineYour Light  Dylan, celle-ci a rarement brillé aussi fort et avec une telle classe. Et dire que l’histoire avait commencé « sur la route », pour le voir terminer la course sur des récits de vieux sages poétiques. Si Tempest devait être son épitaphe artistique, on ne pourrait que s’agenouiller devant un tel coup d’éclat. 


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