L’accident de moto est il vrai ? Ou a-t-on affaire à
une manœuvre du poète le plus célébré de sa génération ? C’est vrai que
depuis quelques années l’homme semble encore plus renfrogné que d’habitude. Il
faut dire qu’il porte sa croix pour avoir osé électrifier la folk, et doit
effectuer ses concerts sous les insultes les plus fleuries. Derrière lui, the
hawks forge sa légende de plus grand groupe de rock de sa génération, et soutient
un porte parole devenu la cible à abattre. Le grand public adore détruire
les artistes qu’il a lui-même sacralisé, la nature humaine est parfois
affreusement mesquine.
Dans ce contexte, on peut comprendre que l’homme ait
voulu prendre du recul, inventant ainsi un débat aussi ridicule que les
rumeurs autour de la mort de Mccartney. Accident ou pas , lorsqu’il s’enferme
avec le band dans une demeure nommée big pink , il écrit une nouvelle fois l’histoire.
L’alliance du band et de Dylan, c’est le mariage de la guitare et de la plume,
de l’énergie rock et du souffle poétique.
On a beaucoup attaqué Dylan sur sa voix nasillarde, elle
était pourtant parfaite pour sa prose nostalgique. Même sans les comprendre ,
il se dégage de ses mots un sens universel, une mélodie particulière à la
saveur immédiatement reconnaissable. De son coté, le band né réellement lors de
ces sessions souterraines. Les concerts précédents , dont la légendaire
prestation au fillmore fut dévoilée en CD dans les années 90, montrait un
groupe trop « basique » , se contentant d’accompagner sagement le Zim.
Mais , quand il rentre dans la cave de big pink , le band
devient la bande d’amis d’un Dylan décidé à évacuer la pression. Il leur
transmet son amour de la folk , avant que le groupe ne l’emmène sur le territoire
du blues. L’ambiance est bon enfant et, tout en s’amusant, la fine équipe
remplit des tonnes de bande. Dans ces enregistrements, on trouve aussi bien des
reprises de standards de John Lee Hocker , que de nouvelles compositions
expérimentées par Dylan.
Ces titres ne sont pas destinés à sortir , mais même à
cette époque où internet n’existait pas , il est bien dur de garder un tel
secret. C’est ainsi que plusieurs de ces enregistrements se retrouvent sur un
album pirate , et la rumeur enfle. Les copies s’échangent sous le manteau, et
les trafiquants d’enregistrements illégaux en vendent tant, que ces casettes
deviennent l’enregistrement pirate le plus populaire de l’époque. Dylan se voit
donc obligé de publier une version officiellle pour mettre fin à cette mascarade.
Réuni en studio , le band sélectionne huit pistes censées représenter sa partie
, alors que Dylan dispose du reste de ce qui deviendra un double album.
« the basement tapes » sort donc en 1975, soit
près de dix ans après les sessions effectuées à Big Pink. Entre temps , Dylan
aura participé à l’élaboration du premier album du band, offrant trois chansons
dont « I shall be released ». Le disque montre un groupe qui est à la
musique américaine ce que Steinbeck est à sa littérature : Un symbole.
Sur la pochette des basement tapes, une caisse montre le
nom de l’album écrit modestement sur un carton , alors que Dylan apparait de
profil , le visage à moitié caché par son chapeau. Le band en revanche , trône fièrement
derrière l’auteur de « like a rolling stones ». Si la pochette ne
contient ni nom ni titre, la tranche proclame fièrement « Bob Dylan and
the band » , montrant ainsi que les musiciens collaborent désormais de
manière égale.
Résultat, alors que les hippies s’apprêtent à lui rendre hommage,
Dylan fait seul ce qu’ils feront à plusieurs milliers à Woodstock : immortaliser
un symbole de la grandeur de la culture des sixties. La première partie
représente le début de la légende du band , qui dirige la cérémonie sur huit
titres qui sentent bon l’Amérique insouciante racontée dans tortilla flat*.
Et les musiciens n’ont pas retenu leur inspiration, léguant
à Dylan le sommet d’une musique inspirée par ce que l’Amérique a de plus grand ,
un festin de mélodies à la croisée du blues , de la folk , de la country et du
rock. Le band est tout ça et bien plus encore, ils sont plus authentiques que
les stones , ils sont plus percutants que les byrds et leurs douceureux
sweatheart of the rodeo , ils sont la tradition et le progrès. Car cette musique,
il la jouait déjà avant que la mode n’incite le dead, ou d’ex membres de
groupes psychédéliques, à la réciter avec plus ou moins de succès. Les huit
titres qu’ils jouent ici valent bien les « workingsman dead » , « hot
tuna » , et autres pépites terreuses sorties par des hippies en
reconversion. Ces disques ne sont pas mauvais, loin de là, mais ils ne sont pas
dotés de cette insouciance irrésistible. Le band touche au sublime sans réellement
en être conscient , et c’est ça qui fait la magie de titres comme this Wheels
on fire ou tears of rage.
De son coté , Dylan brille dans une ambiance américana
séduisante , quant les passages les plus folk rock ne semblent pas annoncer
blonde on blonde , le grand disque enregistré après ces sessions mais sorti des
années avant.
D’ailleurs, je ne suis pas loin de penser que le
véritable double album parfait de Dylan est en fait celui-ci, sa spontanéité
valant bien les sommets de lyrisme de « blonde on blonde ». Et puis ,
encore une fois , la réunion de Dylan et du band est une des meilleurs choses
qui ait pu arriver au rock. Et , si il était sorti à la fin des sixties , the
basement tapes aurait sans doute été célébré comme son plus beau chant du
cygne.
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