Après la sortie du décrié « street Legal » ,
Dylan s’était mis à dos le grand public et la critique. Autrefois vénéré
comme un demi dieu , le voilà considéré comme un has been erratique , les
observateurs attentifs consentant tout juste à saluer une ou deux réussites par
album. Lors de la sortie de « slow train coming » , premier volet de
ce qui deviendra sa trilogie chrétienne , le Zimm fut lapider par ceux qui le
vénérèrent quelques années plus tôt.
Le voilà donc accusé d’avoir trahi les idéaux de sa génération,
pour faire la promotion d’un dogme que seul la peur du pléonasme m’empêche de
qualifier d’étriqué. Dylan était passé dans le camp des valeurs poussiéreuses,
et tous le crucifièrent avec complaisance. Ajoutez à cela la participation d’un
Mark Knopfer en pleine gloire, et vous comprenez pourquoi tous crachèrent sur
ce qu’ils voyaient comme l’alliance du conservatisme et de la facilité
commerciale.
Pourtant , là où Street Legal était presque un disque de
pur gospel , slow train flirtait avec les accords chaleureux du blues ,
Knopfer en profitant pour retrouver un son plus rustique. Le second volet de
cette trilogie honnie, « saved », commençait déjà à toucher les
rivages du rock , qui sont explorés sur son successeur , le séduisant « shot
of love ».
Faire la chronique de ce disque, c’est d’abord mettre fin
aux préjugés qui firent de cette trilogie chrétienne une période décriée de la
carrière de Dylan. D’ailleurs, Dylan
enverra lui-même la plus belle des réponses à ces intégristes pseudos libertaires :
« le but de la musique est d’élever et inspirer l’esprit ». La
musique fut toujours porteuse d’une certaine spiritualité, qu’elle s’exprime
via les plaintes des travailleurs de cotons, ou à travers les discours
humanistes de Guthrie.
Quant aux textes de ce « shot of love » , ils
ne peuvent déranger les esprits athées que si ceux si considèrent l’athéisme
comme un dogme. Celui qui refuse d’écouter un album de Dylan à cause de ces
lettres d’amours envoyées au petit Jesus est aussi buté que les grenouilles de
bénitiers, qui regardent les non croyants avec un mélange de pitié et de dégoût.
Pour l’esprit libre, les églises sont des bâtiments comme
les autres. Alors pourquoi s’insurger de voir Dylan crier sa foi ? Le
mythe Dylanien se nourrit autant de sa poésie Rimbaldienne que de ses brusques
changements de philosophie.
Surtout qu’en cette année 1980 le barde doute, et son shot of love naitra d’un
éprouvant parcours du combattant qui le verra tester de nombreux studios, le
tout entre deux dates de tournée. Le résultat n’est pas dénué de défauts , à l’image
de cette ouverture où les instruments semblent noyer dans le mix . « shot
of love » est pourtant porteur de cette magie qui ne naît que dans les
grandes œuvres , la voie passionnée de la choriste venant transformer ce qui
ressemblait d’abord à une tentative maladroite en rock habité aux refrains
irrésistibles.
Comme une nouvelle provocation, Dylan qualifiera ce texte
inspiré d’un récit biblique comme « l’une des meilleurs chansons que j’ai
écrite ».
« J’aurais beau avoir être prophète, avoir toute la
science des mystères et toute la connaissance de dieu, j’aurais beau avoir la
foi jusqu’à transporter des montagnes , si il me manque l’amour je ne suis rien »
Lettre de Saint Paul aux Corinthiens.
Voilà dans quelle source puise « shot of love »
, le titre transformant cette déclaration prophétique en récit où l’on sent
pointer la colère de Dylan pour les journalistes. On peut d’ailleurs imaginer
que c’est d’eux qu’il parle quand il se demande « qui a tatoué ses enfants
avec un stylo empoisonné ».
On entre déjà dans l’ambiance d’un disque foncièrement pessimiste,
Dylan semblant s’inspirer des paroles bibliques pour exprimer ses propres
douleurs. Le titre suivant continue le prêche sur une note plus sombre.
« Le cœur est tortueux par-dessus tout, et il est
méchant : qui peut le connaitre » Livre de Jeremie chapitre XVII.
« heart of
mine » fait de cette citation un acte d’auto flagellation qui n’aurait pas
fait tache au milieu des spleens sentimentaux de « blood on the track ».
Pour donner un peu de légèreté à l’ensemble , Ringo Starr et Ron Wood lancent
le prêche sur un rythme funk rock que n’aurait pas renié Sly et sa famille
stone.
Et puis on entre dans ce que tout le monde prendra pour
un hymne d’intégriste chrétien , le titre de « property of Jesus »
annonçant déjà la couleur. Pourtant, les mécréants décriés dans ses vers ne
sont pas ceux pour qui l’église n’est qu’un décor au milieu des paysages
américains et français, mais les zombies hypnotisés par le consumérisme.
Là encore , la production est brouillonne , les
instrument se marchant dessus dans une espèce de boogie bancale. Pourtant,
encore une fois , la sauce prend sans qu’on ne puisse expliquer pourquoi , et
le refrain tue notre rationalité pour mieux nous faire adhérer à cette
déclaration de foi.
Puis vient un des titres qui justifieraient presque à lui
seul l’écoute de ce disque. Il est vrai que la figure de Lenny Bruce avait déjà
quelque chose de christique, l’homme ayant subi la haine d’un establishment qui
n’acceptait pas qu’un humoriste lui mette le nez dans son hypocrisie. A la mort de Lenny Bruce, Lennon aura ce trait
d’esprit « il a fait une overdose de police », sa plus belle oraison funèbre
est donc logiquement écrite par un Dylan désormais crucifié par une philosophie
qui n’est qu’une nouvelle forme de bien-pensance. On ajoutera que l’orchestration plus sobre du
titre lui permet de renouer avec le lyrisme sans fioriture qui fait la force de
ses plus belles œuvres.
Suit une série de réflexions spirituelles, où il semble regretter
l’homme qu’il fut avant sa conversion, un être perdu et incapable de
distinguer le bien du mal. On pense parfois à Tom Petty, quand la guitare vient
poser ses notes mélodiques sur des nappes de synthés harmonieuses.
Et puis vient le monument Dylanien que tous cherchent dans
chacun de ses albums , le titre qui fera dire aux esprits les plus fermés que
Dylan aura au moins réussi un morceau sur « shot of love ».
« Voir le monde dans un grain de sable/ Et le
paradis dans une fleur sauvage/ Tenir l’infini dans le creux de sa main/ Et l’éternité
dans une heure. »
Ces vers, qui inspirèrent
« every grain of sand » ne sont pas issus de la bible , mais d’un
poème de William Blake. Bien sûr, la spiritualité transpire dans ce texte racontant
le désarroi d’un homme dans l’attente du jugement dernier. Se sentant au bord
du précipice, l’homme n’est plus « qu’un grain de sable entre les mains
du maitre ».
Là encore, l’instrumentation se fait moins bavarde, des arpèges
se contentant de souligner l’atmosphère doucereuse mise en place par le
clavier. Un journaliste de mojo affirmera que ce titre « transcende toutes
les religions pour exprimer des préoccupations universelles », celle-ci n’étant
qu’une façon de rassurer l’homme conscient de la fragilité de son existence.
Le titre ne fait que confirmer ce que personne ne voulut
voir : pour Dylan la religion fut surtout un moyen de trouver des réponses
aux questions qu’il se pose depuis le début de sa carrière. Son génie ne s’était
pas noyé dans la bible, il avait juste changé de visage.
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