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mercredi 28 août 2019

Bob Dylan : Shot Of Love


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Après la sortie du décrié « street Legal » , Dylan s’était mis à dos le grand public et la critique. Autrefois vénéré comme un demi dieu , le voilà considéré comme un has been erratique , les observateurs attentifs consentant tout juste à saluer une ou deux réussites par album. Lors de la sortie de «  slow train coming » , premier volet de ce qui deviendra sa trilogie chrétienne , le Zimm fut lapider par ceux qui le vénérèrent quelques années plus tôt.

Le voilà donc accusé d’avoir trahi les idéaux de sa génération, pour faire la promotion d’un dogme que seul la peur du pléonasme m’empêche de qualifier d’étriqué. Dylan était passé dans le camp des valeurs poussiéreuses, et tous le crucifièrent avec complaisance. Ajoutez à cela la participation d’un Mark Knopfer en pleine gloire, et vous comprenez pourquoi tous crachèrent sur ce qu’ils voyaient comme l’alliance du conservatisme et de la facilité commerciale.

Pourtant , là où Street Legal était presque un disque de pur gospel , slow train flirtait avec les accords chaleureux du blues , Knopfer en profitant pour retrouver un son plus rustique. Le second volet de cette trilogie honnie, « saved », commençait déjà à toucher les rivages du rock , qui sont explorés sur son successeur , le séduisant « shot of love ».  

Faire la chronique de ce disque, c’est d’abord mettre fin aux préjugés qui firent de cette trilogie chrétienne une période décriée de la carrière de Dylan. D’ailleurs,  Dylan enverra lui-même la plus belle des réponses à ces intégristes pseudos libertaires : « le but de la musique est d’élever et inspirer l’esprit ». La musique fut toujours porteuse d’une certaine spiritualité, qu’elle s’exprime via les plaintes des travailleurs de cotons, ou à travers les discours humanistes de Guthrie.

Quant aux textes de ce « shot of love » , ils ne peuvent déranger les esprits athées que si ceux si considèrent l’athéisme comme un dogme. Celui qui refuse d’écouter un album de Dylan à cause de ces lettres d’amours envoyées au petit Jesus est aussi buté que les grenouilles de bénitiers, qui regardent les non croyants avec un mélange de pitié et de dégoût.

Pour l’esprit libre, les églises sont des bâtiments comme les autres. Alors pourquoi s’insurger de voir Dylan crier sa foi ? Le mythe Dylanien se nourrit autant de sa poésie Rimbaldienne que de ses brusques changements de philosophie.

Surtout qu’en cette année 1980  le barde doute, et son shot of love naitra d’un éprouvant parcours du combattant qui le verra tester de nombreux studios, le tout entre deux dates de tournée. Le résultat n’est pas dénué de défauts , à l’image de cette ouverture où les instruments semblent noyer dans le mix . « shot of love » est pourtant porteur de cette magie qui ne naît que dans les grandes œuvres , la voie passionnée de la choriste venant transformer ce qui ressemblait d’abord à une tentative maladroite en rock habité aux refrains irrésistibles.

Comme une nouvelle provocation, Dylan qualifiera ce texte inspiré d’un récit biblique comme « l’une des meilleurs chansons que j’ai écrite ».

« J’aurais beau avoir être prophète, avoir toute la science des mystères et toute la connaissance de dieu, j’aurais beau avoir la foi jusqu’à transporter des montagnes , si il me manque l’amour je ne suis rien » Lettre de Saint Paul aux Corinthiens.

Voilà dans quelle source puise « shot of love » , le titre transformant cette déclaration prophétique en récit où l’on sent pointer la colère de Dylan pour les journalistes. On peut d’ailleurs imaginer que c’est d’eux qu’il parle quand il se demande « qui a tatoué ses enfants avec un stylo empoisonné ».

On entre déjà dans l’ambiance d’un disque foncièrement pessimiste, Dylan semblant s’inspirer des paroles bibliques pour exprimer ses propres douleurs. Le titre suivant continue le prêche sur une note plus sombre.

« Le cœur est tortueux par-dessus tout, et il est méchant : qui peut le connaitre » Livre de Jeremie chapitre XVII.

 « heart of mine » fait de cette citation un acte d’auto flagellation qui n’aurait pas fait tache au milieu des spleens sentimentaux de « blood on the track ». Pour donner un peu de légèreté à l’ensemble , Ringo Starr et Ron Wood lancent le prêche sur un rythme funk rock que n’aurait pas renié Sly et sa famille stone.

Et puis on entre dans ce que tout le monde prendra pour un hymne d’intégriste chrétien , le titre de « property of Jesus » annonçant déjà la couleur. Pourtant, les mécréants décriés dans ses vers ne sont pas ceux pour qui l’église n’est qu’un décor au milieu des paysages américains et français, mais les zombies hypnotisés par le consumérisme.

Là encore , la production est brouillonne , les instrument se marchant dessus dans une espèce de boogie bancale. Pourtant, encore une fois , la sauce prend sans qu’on ne puisse expliquer pourquoi , et le refrain tue notre rationalité pour mieux nous faire adhérer à cette déclaration de foi.

Puis vient un des titres qui justifieraient presque à lui seul l’écoute de ce disque. Il est vrai que la figure de Lenny Bruce avait déjà quelque chose de christique, l’homme ayant subi la haine d’un establishment qui n’acceptait pas qu’un humoriste lui mette le nez dans son hypocrisie.  A la mort de Lenny Bruce, Lennon aura ce trait d’esprit « il a fait une overdose de police », sa plus belle oraison funèbre est donc logiquement écrite par un Dylan désormais crucifié par une philosophie qui n’est qu’une nouvelle forme de bien-pensance.  On ajoutera que l’orchestration plus sobre du titre lui permet de renouer avec le lyrisme sans fioriture qui fait la force de ses plus belles œuvres.

Suit une série de réflexions spirituelles, où il semble regretter l’homme qu’il fut avant sa conversion, un être perdu et incapable de distinguer le bien du mal. On pense parfois à Tom Petty, quand la guitare vient poser ses notes mélodiques sur des nappes de synthés harmonieuses.

Et puis vient le monument Dylanien que tous cherchent dans chacun de ses albums , le titre qui fera dire aux esprits les plus fermés que Dylan aura au moins réussi un morceau sur « shot of love ».

« Voir le monde dans un grain de sable/ Et le paradis dans une fleur sauvage/ Tenir l’infini dans le creux de sa main/ Et l’éternité dans une heure. »

 Ces vers, qui inspirèrent « every grain of sand » ne sont pas issus de la bible , mais d’un poème de William Blake. Bien sûr, la spiritualité transpire dans ce texte racontant le désarroi d’un homme dans l’attente du jugement dernier. Se sentant au bord du précipice, l’homme n’est plus «  qu’un grain de sable entre les mains du maitre ».

Là encore, l’instrumentation se fait moins bavarde, des arpèges se contentant de souligner l’atmosphère doucereuse mise en place par le clavier. Un journaliste de mojo affirmera que ce titre « transcende toutes les religions pour exprimer des préoccupations universelles », celle-ci n’étant qu’une façon de rassurer l’homme conscient de la fragilité de son existence.

Le titre ne fait que confirmer ce que personne ne voulut voir : pour Dylan la religion fut surtout un moyen de trouver des réponses aux questions qu’il se pose depuis le début de sa carrière. Son génie ne s’était pas noyé dans la bible, il avait juste changé de visage.  
  
          


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