New York , Babylone du 21e siècle , Byzance
des privilégiés et enfer des sans grades. Ton seul véritable mérite aura été d’inspirer
la prose d’un des plus grands poètes américains.
Pour bien te comprendre,
et voir à quel point tes moeurs hypocrites sont en train de contaminer le monde
, il faudrait d’abord relire « le bûcher des vanités » , chef d’œuvre
littéraire d’un ancien journaliste qui a si bien décrit tes contradictions.
On y découvrait alors, caché sous la grandeur de tes gratte-ciels tapageurs , une ville pourrie par les conflits raciaux , dirigée par une
bande de cochons de wall street érigés au rang de maître d’un monde malade. Si
Lou Reed a commencé par diriger ses
sarcasmes contre la niaiserie hippie, c’est toujours tes décors rances qui lui
inspirèrent ses récits de dealers et de déviances sado maso.
Tu me diras que tu ne fus pas la première, que la
grandeur des villes symboliques n’a toujours bénéficié qu’à une poignée de privilégiée , laissant les autres trimer pour survivre , tout en remerciant leurs geôliers
de la chance qu’ils leur offraient. Napoléon III , Thatcher, Reagan , ces gens
faisaient partie de la même race d’affameurs, la modernité ayant rendu la
barbarie plus aseptisée, sans la rendre plus supportable aux damnés de ta terre
que l’on dit ultra moderne.
Pourtant , j’écris ces lignes pour te remercier , car tu
as ressuscité la verve de ton enfant terrible. On croyait Lou Reed fini, perdu entre sa rébellion suicidaire et ce besoin de reconnaissance à jamais blessé
par le bide du grandiose Berlin. Et puis la mort des eighties lui fit
redécouvrir le rock dépouillé dont il fut toujours l’égérie, alors que tes
moeurs hypocrites ressuscitaient sa verve.
Sous sa plume , Romeo and juliette devient une fable sur la
vie que tu réserves aux habitants de quartiers portoricains transformés en ghetto.
« Je mettrai Manhattan dans un sac poubelle avec ces mots écrit en latin :
Difficile d’en avoir quelque chose à foutre aujourd’hui ».
J’aurais encore un petit faible pour « Dirty blvd »
, qui décrit ton monde inégalitaire à travers les yeux d’un jeune pauvre qui,
de sa fenêtre, voit les stars de cinéma arriver en ville, pendant que « les
ruelles sordides sont toujours plongées dans le noir ». Car dans l’immeuble
sans vitres où vit Pedro, « personne ne rêve de devenir docteur » .
Dans son « sale boulevard » , on a plutôt tendance à devenir dealer,
mais ne croit pas que ce récit pathétique est livré avec les larmes du bon
musicien compatissant.
Ces pavés verbaux , où Reed préfère souvent parler que
chanter , sont lancés sur un ton sarcastique, ton monde brûle et Lou Reed danse
au milieu de la fournaise. La musique n’est pas en reste , les riffs claquent
comme aux grandes heures du rock , et une énergie révolutionnaire se dégage de
ses mélodies flamboyantes. Au bout du compte , Reed sera toujours le punk ultime
, ce qui est venu après n’est qu’un frelaté de sa grandeur rebelle.
Même quand il parle de relations père fils , c’est toi qui
semble visé par la métaphore. Et quand il dit que les névroses du père se
transmettent souvent au fils , on ne peut s’empêcher de voir l’image de tes
rejetons européens développant les mêmes tendances inégalitaires , la même
violence , et les mêmes tensions ethniques. La conclusion est plus terre à terre
quand le narrateur lâche « En fait ils sont plus heureux quand ils souffrent.
En fait c’est pour ça qu’ils sont mariés ». C’est tout de même ta poésie
beat qui influence ce qui restera la plus belle mélodie de Reed depuis des
années, mais ce sera le seul compliment que tu obtiendras dans cette chronique.
Ah si , tu as quand même réussi à provoquer la réunion de
deux ex Velvet , qui crachent à la figure de ta bigoterie, à travers le récit abracadabrantesque
de the great américain whale. Dans le couloir de la mort , un indien ayant tué
un maire raciste attend sa dernière heure. Pendant ce temps, sa tribu initie
un rite ancestral et parvient à invoquer les esprits, qui envoient une baleine
géante purifier la saloperie New Yorkaise. C’était sans compter sur la puissance
de ta méprisable NRA , qui explose la fiole du cétacé à grand coup de bazooka.
Inutile de préciser quelles dérives le récit pointe du
doigt …
Tu finis même par lui inspiré une vision sarcastique de
la parenté, qu’il résume parfaitement dans ces vers :
« ça serait cool d’avoir un petit enfant à qui filer
des coups de pied au cul .
Une petite miniature à remplir de mes pensées.
Un petit moi , un petit gars ou une petite nana à qui
refiler mes rêves.
Histoire de dire que la vie n’est pas du gâchis. »
Voilà une profession de foi contre la reproduction
pleine d’humour, et qui serait peut-être la seule solution pour ralentir l’inexorable
avancée de ta bêtise. En fin de compte, l’acte le plus rebelle qu’on puisse
envisager face à un monde malade est de ne pas se reproduire, on condamne ainsi
symboliquement ce bourbier à la mort.
Lou Reed continue son œuvre sur une note d’optimisme. « busload
of faith » nous invitant à ne croire personne, il faut remplacé la foi en
l’homme par une foi supérieure. Selon ses propres dires , chacun est libre d’y
ajouter la sienne.
Puis vient une nouvelle suite de récits décadents ou « on
ne vend plus de choux parce qu’ils ont retrouvé des seringues dedans ». Livré
sur un air country western sur « hold on » , ces histoires renouent
avec une verve crue qui rappelle le tranchant du premier velvet. Aujourd’hui on
se rend compte que le bon salarié du tertiaire a parfois tendance à se piquer
pour supporter la platitude de son existence. Tu vois grosse pomme, tu rodes
encore entre ces vers.
Passons ensuite à une catégorie qu’on ne se lasse pas d’attaquer,
les politiciens étant rarement autre chose que de nouveaux curés ayant remplacé
Jésus par Marx ou Maurras. Et ça les mène parfois à commettre les pires
horreurs , comme ce cher Mr Waldheim qui se vit rappeler son passé nazi. Le
récit de sa déchéance dans « Good
evening mr Waldheim » pourrait presque passer pour une version musicale de
« les dieux ont soif », livre où Anatole France montrait déjà que si
l’idéologie devenait un dogme, elle ne pouvait mener qu’au massacre.
De politique, il en est encore question sur les titres
suivant, Reed en profitant pour dédier une mélodie à des vétérans vietnamiens
qui resteront les pires victimes de l’injustice américaine. Le système libéral si bien représenté par tes « maîtres du monde* » de wall street en
prend encore un coup, Lou Reed faisant une nouvelle fois remarquer l’évidence :
Comment une minorité privilégiée peut-elle encore se gaver sur le dos d’une masse
de miséreux.
La conclusion quitte tes déviances new yorkaise, pour
reprendre à son compte la morale rédemptrice de « la passion du christ ».
L’ex martyr punk a mûri , et annonce cette nouvelle maturité dans un final
aussi majestueux que mystique. La musique est magnifique, le texte plein de
regrets et d’humilité . En fin de compte la seule chose que tu partages avec celui
que tu as inspiré sur ce disque qui porte ton nom , c’est une philosophie
contradictoire.
*Tom Wolf :le bûcher des vanités
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