Qu’un live pareil puisse sortir dans une telle
indifférence ne peut que m’étonner. Juste promu sur le site du magazine
soulbag , cette prodigieuse relique n’a même pas donné envie à rock et folk de
replonger dans les effluves hypnotiques de la salle de Bill Graham.
Les frères Allman sont pourtant un maillon indispensable
de la mythologie rock , un groupe lançant toute cette vague dite sudiste. Autant
bercés par le rock anglais que par le blues , les enfants de Lynyrd n’atteindront
jamais cette pureté ancestrale , que les allman ont forgée lors d’années passées
comme musiciens de studio et sur scène.
A leur début, ils furent les extraterrestres plongeant
dans un monde qui n’était pas le leur. Dans un soucis de séduire un public
bercé par les douceurs pop , les frères Allman forment leurs premiers groupes ,
et balancent une pop bancale en première partie de buffalo springfield , moby
grape , jefferson airplane ou le grateful dead. San Francisco s’épanouit sous
les refrains fascinants de ses enfants psychédéliques, mais Duane Allman ne se
sent pas à sa place au milieu de ces délires sous LSD.
Sa vocation, il l’aura lors d’un concert de Taj Mahal,
grande figure de Harlem venu promouvoir le blues le plus pur. Là accompagné
de Ry Cooder et Jesse Ed Davies , Mahal livre un stratesboro blues venu des
rives du missisipi , l’expression la plus rustique de cette puissance lyrique,
qui fait la force du vrai blues.
C’est donc ici , dans cette petite salle où résonne le
blues originel , que nait la vocation de Duane Allman , vocation qui engendre
la naissance de l’allman brother band. A ce titre, le premier album du groupe
est un véritable manifeste, Gregg Allman inscrivant ses râles dans la longue
tradition de Muddy Waters et autres Bo Diddley, pendant que la main de Duane s’approprie
leur feeling rustique, avec un groove cotonneux capable d’incérer ce son dans
cette époque de révolutions sonores.
Les débuts sont discrets, le groupe effectuant la
première partie du Velvet Underground, dont le son est loin d’attirer les
foules. Encore une fois, le décalage entre les allman brother et le groupe qu’ils
soutiennent est saisissant. Le Velvet est un gang clairement avant gardiste ,
où les instrumentaux minimalistes créent un contraste fascinant avec les textes
fouillés écrits par Lou Reed. Le Velvet était un phare au milieu du désert, il
annonçait l’avenir alors que tout le monde commençaient à peine à savourer les
splendeurs contemporaines, et les textes de Lou parlaient de déchéance alors que
tous aspiraient à une transcendance mystique.
Les Allman aussi étaient en décalage, mais dans le sens inverse,
leur musique prônant un certain retour à la terre, alors que leurs contemporains
n’étaient pas prêts à redescendre de leurs sommets mystiques. Et pourtant, les
ventes du second album décollent et atteignent le top 40 Américain, permettant
ainsi au groupe de fouler la scène du Fillmore.
On a assez parlé de leur passage au Filmore East ,
immortalisé par un album dantesque , véritable relique à la gloire de cette
grandiose tradition musicale américaine. Et bien, au risque de détruire tout suspense,
ce live at fillmore west est au moins aussi bon que son grand frère, sorti
plus de trente ans avant lui.
Si la set list reste quasiment la même sur les trois show
que propose le coffret, le groupe fait de chaque interprétation un moment
unique. Pour les frères Allman , le blues est un vaisseau fascinant, qu’ils
prennent sans savoir où ils vont le mener.
Les jams à rallonge célèbrent le doigté somptueux de
celui que beaucoup commencent à appeler « skydog » , pour décrire
cette capacité à planer lors de jams qui sont autant de rampes de lancement pour
ses solos blues/jazz.
Sur Stratesboro blues , la slide chaleureuse de Duane le
ramène dans cette salle, où Taj Mahal lui a révélé sa vocation. Vocation qu’il
se plait désormais à étirer , rallongeant ses solos comme pour en extraire la
musique la plus pure , le parfait mélange de tout ce que la musique Américaine
à produit de grandiose.
Malgré le rythme infernal des tournées , malgré une vie
menée à 100 à l’heure et son addiction aux drogues dures , Duane est ici plus
flamboyant que jamais , comme si c’était son âme plus que sa faible carcasse
qui s’exprimait à travers ses notes flamboyantes.
Quelques mois après ces concerts , alors qu’il ignore les
limitations de vitesses au volant de sa Harley, l’un des plus grands guitaristes que cette terre ait porté trouve la mort sur la route. Si l’allman brother band
connaîtra une seconde partie de carrière plus qu’honorable, il n’atteindra plus
jamais la pureté traditionnelle contenue sur cette archive, et que son guitariste
a emporté avec lui.
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