L’histoire qui vous est raconté ici est celle d’un producteur comme on en fait plus , d’un guitariste au parcours météorique , le tout sur fond de musique mal aimée.
On décrit souvent Bill Graham comme « l’inventeur du rock business », cette affirmation n’est juste que si l’on a une vision idéalisée de celui-ci. Le rock business, c’est celui qui a multiplié par 100 le prix d’une place de concert en quelques années, nous rappelant au passage que les rockers pouvaient voir un Springsteen en pleine gloire pour une bouchée de pain dans les années 60-70.
Bill Graham était l’inverse de ces business men, pour qui la loi du marché prime sur le plaisir. De l’argent il en faisait, et pas qu’un peu, mais il le faisait en offrant une expérience unique à ses spectateurs. Tapis dans l’ombre, c’est lui qui permettait aux groupes invités de bénéficier de la meilleure sonorisation , et qui n’hésitait pas à injurier les artistes refusant de faire un rappel.
Issu du milieu théatral , il voyait le rock comme un nouveau moyen de faire rêver les gens , et se mettait entièrement au service des artistes et du public. Toujours à l’affut, Graham réussit même à faire venir dans son fillmore un Otis Reading en pleine gloire, qui donna un concert bouillant.
A force d’efforts , sa salle est devenue une institution , et un lieu privilégié pour les concerts des frères allman, ce qui est déjà beaucoup. Lorsque Hendrix foule la scène de cet endroit, où les jeunes viennent découvrir la musique de demain, il n’est déjà plus aussi unanimement salué.
Les origines de ce passage à vide remontent en 1965 lorsque , en plus de son contrat pour l’experience , Hendrix signe un contrat avec PPX entreprise , la société du producteur Ed Chaplin. Naïf , Hendrix pensait que ce contrat ne pourrait concerner que ses œuvres solo, et, quand son groupe devient culte , Chaplin vient lui rappeler ses obligations ainsi que la clause d’exclusivité de son contrat.
Alléché par le succès acquis par le vodoo child, il menace de le poursuivre devant les tribunaux si celui-ci ne répare pas le « dommage » que constituent ses trois albums produits par EMI. Soucieux d’éviter une procédure longue et couteuse, surtout au moment où ses gains partent en grande partie dans la construction de son studio « electric ladyland », Hendrix accepte de céder tous les droits de son prochain album , qui sera publié par la société de Chaplin.
Démotivé par ces méthodes de mafieux, Hendrix ne trouve plus l’inspiration, et semble sans cesse repousser la date de sortie d’un disque qui devient vite un boulet. Pourtant, il souhaite retourner sur scène , et le fera avec Buddy Miles.
Agé d’une vingtaine d’années, Miles fait partie de ces batteurs dont la légende oublie trop souvent le nom. En compagnie de Mike Bloomfield, génie du blues traditionnel, devenu le père du psychédélisme grâce au second album du Paul Butterfield Blues Band, il produit le premier album de l’electric flag.
Considéré comme un des disques les plus importants de l’histoire du blues rock , il montre un batteur dont les racines baignent dans la culture musicale afro américaine. Le blues rencontrait la rythmique groovy du funk, dans un brasier d’autant plus unique que le groupe se décomposera après sa production.
Il est aussi présent sur certains titres d’electric ladyland , l’album qui imposa définitivement Hendrix comme le dieu d’un nouveau culte du guitariste soliste. Le duo s’adjoint les services de Billy Cox , et les black panthers voient dans cette formation 100% afro Américaine un signe de ralliement à leur cause.
Hendrix démentira. Bien qu’il partage certaines idées du mouvement, il ne mélange pas musique et politique. Cette histoire, le public la connait déjà, et la critique s’empresse de fustiger le héros qu’elle a tant adoré. Pour elle, ce groupe neo funk n’est rien d’autre qu’une bande de fonctionnaires chargés de maintenir une idole vacillante. Les critiques seront encore plus violentes lors de la sortie du live « band of gypsys », chef d’œuvre massacré parce qu’il servait aussi, et surtout, à libérer Hendrix de la pression mise en place par Chaplin.
Et oui, ce disque était un chef d’œuvre, le véritable dernier album d’un guitar hero cosmique qui ne tardera pas à tirer sa révérence. Son parcours est d’ailleurs annonciateur de celui de Deep Purple et Led Zeppelin, deux groupes qui concrétiseront la déflagration sonore qu’il initia. Le plan d’attaque était simple , partir du blues pour l’atomiser , avant de visiter les territoires funks dans une grande danse sauvage.
Vous trouvez cette comparaison fantaisiste ? Alors démontrez moi que Led Zeppelin I et In Rock ne sont pas les lointains échos de are you experience, et que les rythmes dansants de house of the holy et burn ne sont pas nourris par les vibrations du band of gypsys.
Hendrix avait montré la voie, et le live band of gypsys était aussi essentiel que les œuvres l’ayant précédés. Voilà pourquoi ce coffret , regroupant tous les concerts donnés lors de ce réveillon historique de 1970, est une relique que tout rocker un peu sérieux se doit de vénérer.
Dans la salle emblématique du San Francisco sound , l’ange Hendrix est libéré par la rythmique irrésistible de Buddy Miles. L’homme s’apparente à John Bonham lâché au milieu de la célébration dansante de Sly and the family Stones , le groove incarné par une frappe autoritaire et métronomique.
Dans ce cadre, power of soul, qui ouvre le premier concert, est une véritable célébration orgiaque. Sachant se faire discret malgré leur brio rythmique, Cox et Miles laissent Hendrix emmener son public au cœur de cette énergie blues soul. Il redevient ainsi le pyrotechnicien mystique qu’il fut à ses débuts, ses solos sonnant de nouveau comme des éruptions grandioses.
Il réinvente ses plus grandes créations, soumettant « foxy lady » ou « stone free » à une rythmique plus carrée, comme si cette rigueur bluesy sublimait les brûlots funk « eazy rider » et autres « burning desire ». Et puis il y’a « changes » , le moment de gloire d’un Miles qui en profite pour tester un futur classique de son prochain disque.
Mais bien sûr, on retiendra surtout cette guitare électrique lançant des torrents de notes, qui coulent avec la limpidité d’un fleuve lumineux, rapprochant le voodoo child de James Brown. Plus qu’un retour du guitariste auprès de ses racines afro américaines , ce coffret montre un explorateur musical s’aventurant sans filet sur des chemins que suivront encore une hordes d’artistes jusqu’à nos jours.
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