« John Sinclair ! »
Après plusieurs minutes de poursuite, Alain avait enfin rattrapé son gourou trotskiste.
JS : - Désolé mais je ne fais confiance qu’à mes fournisseurs. Depuis qu’un flic m’a coffré pour possession d’une poignée de shit qu’il venait lui-même de me vendre, je me méfie de tout le monde.
A : Je ne te poursuis pas du tout pour ça . Je suis juste un ancien journaliste de cream qui pense avoir trouvé la révélation qu’il est venu chercher.
Après cette phrase , Sinclair devint bien plus sympathique avec notre héros. Comme tout bon communiste, il considérait la culture comme un formidable outil de propagande.
JS : Excuse-moi pour
cette méprise camarade, depuis que j’ai J Edgard Hoover aux fesses je me méfie
de tout. »
A ces mots, John eu un sourire carnassier digne de ces dessins de 40, où Staline apparaissait avec un grand couteau entre les dents.
JS : Le MC5 l’est sans doute, mais suis moi puisque je t’intéresse tant.
Les deux hommes marchèrent pendant de longues minutes, Alain se contentant d’observer les rues pour ne pas perturber la réflexion de son guide. Au bout d’une bonne demi-heure de marche, les deux hommes atteignirent un hôtel sordide où une pancarte précisait « Hôtel réservé aux noirs ».
Voyant Alain continuer naturellement son chemin , John lui secoua l’épaule en lui disant : « Nous y sommes ! Tu ne sais donc pas que je suis noir à l’intérieur ! » Voyant la surprise de son hôte, John expliqua sur un ton amusé comment il était arrivé ici. « Tu sais, les noirs sont plus accueillants envers les blancs que certains beaufs du coin le sont avec les noirs. Un leader des black panthers m’a proposé cette chambre, il disait que je ne pouvais pas militer pour les opprimés sans avoir mis les pieds dans un de ces taudis. »
Sur un
ton sarcastique, il commenta chaque étage que le duo passait :
« Là c’est les toilettes … Ils sont lavés une fois par an . Au point que chaque utilisateur finit par le faire lui-même après son passage. Les canalisations sont si pourries que ça se bouche régulièrement. Quand personne n’a le temps de s’en occuper l’odeur devient vite intenable. »
Il remarquait que , à
plusieurs étages , des types le regardaient passer avec un air menaçant. « Ne
leur renvoie surtout pas leur regard, beaucoup de types ici arrondissent leur fin de mois en vendant de la drogue ou le corps de leurs poules, alors le
moindre nouveau visage est vu comme une taupe potentielle. Le seul moment
où ce pays montre un peu de respect pour les noirs, c’est pour les envoyer se
faire trouer la peau au Vietnam… Et encore ! Et en plus, si ils tentent de se débrouiller sans les métiers qu’on refuse de leur donner, ils
finissent en taule. »
Arrivé dans la chambre de John , le tarzan rouge fonça chercher un article de journal, et le tendit à son invité.
Sur la couverture, on
pouvait lire en grand « Des policiers agressés dans un bar noir ».
JS : Les journalistes sont des chiens du pouvoir, toujours prêt à aboyer les conneries qui feront plaisir à leurs maitres beaufs et racistes. Je te résume rapidement les faits : Un vétéran du Viêtnam venait tranquillement fêter son retour dans ce bar, quand les cognes décidèrent de faire une descente pour vérifier si le taulier avait son autorisation de vendre de l’alcool. Dans la pièce , 82 noirs buvaient joyeusement pour fêter le retour de leur ami , ce qui suffit à ces gros beaufs pour décider de coffrer tout le monde.
Alors , excédé , le taulier
a allumé la première étincelle de la révolte , en envoyant un verre à bière sur
la tête pleine d’eau d’un milicien hydrocéphale . Mec, ce verre eut à ce moment-là
une aura sacrée, un verre à boisson aussi symbolique que le vase de Soissons.
Unis autour de ses éclats , les hordes opprimées boutèrent les flics hors de ce qui était devenu l’épicentre de la révolution. Car oui, les cinq jours de révolte que Détroit a vécu il y’a trois ans furent enclenchés par le harcèlement stupide d’une bande de poulets prêt à rôtir.
Comme essoufflé par son récit, John Sinclair partit vers le tourne disque situé au fond de la pièce. Ce qui permis à son hôte d’en placer une.
A : Et c’est pour ça que fut créé le MC5 ?
JS : En partie, leur musique est nourri par la colère des hommes ayant lutté ce jour-là. Mais il ne faut pas oublier que, même si les blancs du coin les voient comme des sauvages, ce sont bien les noirs qui furent les premiers à répondre à l’oppression de notre état fasciste. Les flics ne tenaient plus rien, le chaos s’installait tout doucement, on était à deux doigts de faire de Détroit la première anarchie américaine. Et puis Johnson a envoyé les chars et tout le monde a préféré arrêter les frais.
A : « A t’entendre, on dirait que tu vois la culture comme un moyen d’achever ce que Détroit a commencé il y’a trois ans. Comme si la culture n’était qu’un moyen de propagande. »
JS : « Elle l’a toujours été ! Même si elle ne se résume pas à ça. »
A ce moment, le tourne disque envoya un magma cuivré hallucinant, un ultra free jazz qu’Alain connaissait bien. Avant que notre ex critique ne puisse réagir, Sinclair lâcha sur un ton soulagé.
JS : Ouf l’électricité passe aujourd’hui. Ecoute moi ça ! Pour moi tu as ici la musique la plus puissante, la plus ambitieuse, et la plus trippante que la terre ait porté. Je suis avant tout un amateur de jazz, je l’ai toujours été , et Sun Ra fait partie de mes dieux.
Là-dessus Alain et John parlèrent longuement de Sun Ra qui, comme Mahomet, s’était construit deux personnalités distinctes. Il y’eut d’abord le Sun Ra de Chicago, bebopper se laissant progressivement influencer par la musique africaine. C’était l’époque de Jazz by Sun Ra, et surtout du somptueux « Jazz in silhouette ». On pourrait écrire des livres entiers sur l’introduction de saxophone que John Gilmore effectue pour ce disque. Son souffle, limpide comme l’eau du Nil abreuvant les premiers hommes, amène le bop au berceau de l’humanité.
Alain avait découvert ce disque grâce à Lester Bang , qui avait pour habitude de récupérer les albums que les disquaires ne parvenaient pas à vendre. Ne pouvant écouter que du rock, le critique laissait les quelques jazzeries qu’il repêchait à Alain , qui avait ainsi pu suivre passionnément la carrière de Sun Ra.
Après ses années à Chicago, le grand Ra a rejoint New York, sa Mecque à lui, où il est devenu le seul défenseur d’un free jazz cosmique. Sorti en 1965, the héliocentrique word of sun ra faisait passer Ornett Colemann pour un bebopper austère. Les percutions raisonnaient sur un tempo mystique, déchirées par les gloussements sanguinaires de cuivres en rut.
John Sinclair lui fit ensuite un laïus fulgurant sur le Free Jazz , dont la liberté était autant musicale que politique. Largement improvisée et percussive, c’était une musique cent pour cent noir, un black power musical largement revendiqué, entre autres, par Archie Sheep. Musicalement, le free s’évadait des structures austères des dieux du bop , que seul Miles Davis semblait encore représenter.
JS : Tu vois, le free jazz , c’est le rock des noirs . Des types comme Sun Ra expriment la révolte d’un peuple qui ne veut plus que sa couleur de peau l’oblige à fréquenter les hôtels les plus crasseux, subir le mépris le plus virulent, et le harcèlement de policiers bas des képis.
A : Et le MC5 fait le
lien entre la révolte exprimée par le free et celle exprimée par le rock .
JS : Tu commences à piger ! La révolte doit d’abord se faire dans les esprits , et le MC5 y contribue. Le jour où l’ouvrier suant 8 heures par jour sur une chaine d’usine et le noir réduit au chômage comprendront qu’ils subissent la même oppression, un vrai changement sera possible. »
Sur ces mots , Sinclair incitât
gentiment son hôte à sortir.
« Le concert du MC5 approche. Il est temps que tu ailles trouver ce que tu es venu chercher. »
Après ces belles paroles Alain courut assister à la naissance du rock de Détroit.
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