Lorsqu’on commence à se pencher sur Dylan une question reste sans réponse : Qui est-il ? Doit-on se rappeler de lui comme d’un vagabond qui, après avoir vu la lumière dans les écrits de Jack Kerouac, s’est échappé d’on ne sait où pour rendre visite à un Woody Guthrie mourrant ? Est-ce plutôt le prophète folk chantant les réponses qui soufflent dans le vent, et criant la peur que lui inspirent les maitres de guerre ? On raconterait alors la triste histoire de Suze Rotolo, activiste de gauche qui lui inspira ses premières protestsongs, de Joan Baez, qui l’accueillit à son retour d’Angleterre, comme un roi démarrant un glorieux règne sur la scène folk. On s’attarderait alors sur les concerts que Dylan et Baez firent en commun. Suze l’avait aidé à se faire connaitre, Baez en faisait une icône, avant d’être lourdé avec la même âpreté.
Non,celui-là il la renié, dégouté par le
fanatisme béat d’une bande de jouvenceaux paumés. Don’t follow the leader , la phrase visait autant les
hystériques de la beatlesmania que son propre public. Elle représentait aussi
le début d’une période où, après l’avoir idolâtré, les folkeux allaient
crucifier leurs héro sur l’autel du conservatisme musicale. « Judas »
hurlèrent-ils, Dylan leur répondra par un méprisant « je ne vous crois
pas ».
Les plus grandes réussites naissant des
plus grandes controverses, Bring
It All Back Home , Higway
61 Revisited , et Blonde
On Blonde sont ses disques les plus célébrés. Mais, alors que nous
nous délections encore de ces mélodies électriques, alors que les Byrds, le Buffalo Springfield et Crosby
Still et Nash commençaient juste à assimiler ses leçons de folk
électriques, le voilà qu’il part chanter de la country.
Le barde voulait s’amuser, mais même
quand il se contente d’envoyer un message vindicatif à ses managers, le titre
entre dans la légende grâce aux riffs spatiaux de Jimi Hendrix. Entre ses mains
divines, le titre prenait un tout autre sens, et la déclaration d’émancipation
du Zim devenait un hymne anti guerre du Vietnam,comme si tout ce que Dylan
faisait dans les années 60 devait entrer dans la légende.
Mais l’homme semblait étouffer sous le
poidsde sa propre légende. Alors il a poursuivi dans une country légère,
chantant avec Johnny Cash une sympathique chanson bucolique. Attention, ne me
faitespas dire ce que je n’ai pas dit, Nashville Skyline est un très bon album, mais c’était aussi
la première déclaration d’un Dylan
qui ne voulait plus être en première ligne. Poète d’une génération, il l’a déjà
été pendant six ans, il était temps de prendre un peu de distance. Woodstock
fut tout de même organisé pour lui, à quelques mètres de sa résidence, mais
qu’on ne compte pas sur lui pour venir se faire mousser aux milieux de hippies
à moitié défoncés. L’accident de moto qu’il eut en 1966 semblait l’avoir
changé, et il aspirait désormais au calme d’une vie de famille épanouie.
Dernier sursaut, Blood On The Track l’a replacé au
premier plan, presque malgré lui. L’homme était dans une période sombre et,
encore aujourd’hui, il se demande comment on peut aimer un tel Hama de
douleurs. Ce n’était plus l’amoureux transit de Sade Eyes Lady Of The Lawland mais un homme blessé et déçu,
tirant douloureusement sur une relation forte.
Le problème, même s’il ne
veut l’admettre, c’est que l’homme blessé tirant le bilan d’une relation morte
s’exprimait avec autant de force que le jeune attaché à sa belle. Les vers
ci-dessus ne sont qu’un bien maigre
échantillon des perles mélancoliques de Blood On the Track , disque dont la sobriété presque
acoustique renouait avec la force de ses premières chansons folks. Le reste de
la vie des Dylanophile consistera à chercher cette verve poétique dans ses
disques suivants.
Autant dire qu’il ne la trouvera
pas dans Self Portrait , horrible musée des horreurs, où Dylan semblait dynamiter son mythe à
grand coups de mélodies foireuses. Et puis le petit poète juif a voulu renouer
avec ses racines chrétiennes. La révélation fut d’abord discrète sur Street Legal ,
disque sympathique, où il semblait parfois singer Tom Petty. Personne n’avait envie de voir celui qui avait tout
inventé se mettre au niveau de sa descendance, aussi brillante fut-elle. Mais
le disque fut tout de même une parenthèse sympathique avant une série
lourdingue. On pourra toujours dire que son talent poétique n’a pas totalement
disparu de ses disque tels que Slow Train
Coming , mais ses prêches de premiers communiant, sur fond de cuivres bavards,
et soutenue par un Knopfer
assommant, lui vaudront les railleries de Lennon et de nombres de ses ex-admirateurs
collègues et soutiens.
Alors on s’en tiendra à
quelques chansons émergentes comme les braises d’un feu pas encore tout à fait
éteint.
Desire n’était
pas un album exceptionnel, loin de là, mais ces quelques vers faisant renaitre
le protest singer sauvait la mise. Des exemples comme celui-ci, les Dylanophile
pourraient en ressortir pour chaque époque de sa brillante carrière, et ils
auront régulièrement de quoi se consoler sur les disques passables ou
honorables que leurs servira Dylan par la suite. Entre-temps, comme un dernier
coup d’éclat, l’homme au caractère légendaire aura volé les bandes de ses concerts
en compagnie du grand Gratefull Dead.
Après avoir sélectionné quelques titres, il rend la sélection que la maison de
disque publie sans hésiter. Résultat, un bourbier écœurant, Dylan avait volontairement sélectionné
les pires prises. Par cet acte immoral, il affirmait une nouvelle fois son
désir de ne pas être enfermé dans une époque, Desire qui est peut-être
le véritable fil rouge de toute sa carrière.
On peut aussi citer cette
série de concert en compagnie de Tom Petty et ses Heartbreakeren 1986, tant
elle est symptomatique d’un autre complexe de l’artiste. Depuis sa période
électrique, il aurait voulu être un rocker, et pouvoir se lâcher dans de
grandes célébrations amplifiées. Mais il n’avait pas le charisme d’un Elvis, et
son jeu basique l’a toujours obligé à faire appel à des guitaristes plus
expérimentés. En fin de comptes Mark
Knopfer, Mike Bloomfield, Tom Petty, et Robbie Robertson, qui ont pendant
un instant aider le poète à mettre en musique ces brillantes visions, étaient
peut-être les idoles d’un homme incapable d’atteindre leurs statuts.
On allait voir Dylan pour entendre un poète, pas pour
se vider la tête devant un groupe déchainé, et alors que nous croyions qu’il
faisait partie du passé, il parvenait encore à nous surprendre. Discret pendant
les années 90, insignifiant pendant les années 2000, Dylan à scotché tous le monde en 2012 , avec la sortie de Tempest . Les mélodies étaient
redevenues séduisantes, les vers rythmés les titres comme de douces harmonies,
et Dylan avait repris le rôle de conteur qui lui allait si bien jadis.
Les histoires s’enchainaient,
celle du hors la loi Duquesne Whisle , du proxénète pathétique de AfterMidnight ,de l’homme cherchant son foyer
sur les rythmes country de Narrow Way . Car il faut aussi en parler de cette musique, country rock
mélodieux ou plus énervé. On appréciera particulièrement Early Roman Kings ,
où ses paroles rythment un country folk à la façon d’un Muddy Water embarqué dans le rythme entrainant de HoochieCoochie Man. D’ailleurs, on
profitera de ce titre pour interdire toute remarque sur la voix du poète. Dylan
n’a jamais eu une belle voix, mais il a toujours compensé ce défaut par cette
façon de la placer exactement à l’endroit où elle aura le meilleur impact. C’était
déjà vrai sur ses albumsprécédents, et ça l’est encore sur celui-ci, quandDylan
ne décide pas de partir dans un chant de crooner digne de Sinatra, qui avait
aussi cette façon de rythmer ses morceaux avec son chant.
Comme pour Blonde On Blonde ,
Dylan s’est même remis à l’exercice de la longue pièce maitresse sur une face.
Sauf que, là où Sad Eyes Lady of the Lawland était une ode à la femme aimée, Tempest le voit garder ce costume de vieux conteur qui lui réussit tant.
On a donc droit à l’épopée du Titanic, racontée à la façon d’un Homère folk rock.
Le tout se termine sur un hommage très classe à John Lennon :
« From the Liverpool docks to the red-light Hamburg streets
Down in the quarry with the Quarry men
Playing to the big crowds, playing to the cheap seats
Another day in the life on your way to your journey's end
Down in the quarry with the Quarry men
Playing to the big crowds, playing to the cheap seats
Another day in the life on your way to your journey's end
Shine your light
Movin' on
You burned so bright
Roll on, John »
Movin' on
You burned so bright
Roll on, John »
Oui ShineYour Light Dylan, celle-ci a rarement brillé aussi
fort et avec une telle classe. Et dire que l’histoire avait commencé « sur
la route », pour le voir terminer la course sur des récits de vieux sages
poétiques. Si Tempest devait être son épitaphe artistique, on ne
pourrait que s’agenouiller devant un tel coup d’éclat.
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