San Francisco, ville à la créativité
foisonnante, fut l'épicentre de la contre-culture américaine et de
la Beat Generation durant les années 50, avant de devenir le fief de
la musique psychédélique, des hippies et des freaks au milieu des
sixties.
En 1967, la ville devient un berceau de
l'art pop, avec sa communauté d'artistes autogérée d'Haight
Ashbury, son dessinateur psyché Rick Griffin, les groupes folk-rock,
Jefferson Airplane, Big Brother and the Holding Company, Grateful
Dead... L'émergence d'un mouvement axé sur l'amour et la paix,
donne lieu aux plus grands rassemblements vus jusqu'ici autour de la
musique, avec le mythique Summer Flower de 1967. Alors grimpez dans
le Combi, et comme le conseille Scott McKenzie dans son hymne hippie
San Francisco, surtout n'oubliez pas de mettre des fleurs dans
vos cheveux...
Surrealistic Pillow (JEFFERSON
AIRPLANE)
En 1966, après avoir assisté à un
concert des Byrds, Marty Balin, guitariste-interprète décide de
monter son propre groupe : Jefferson Airplane. Un hommage au
blues-man Blind Lemon Jefferson mais aussi une référence à un
avion de conception uniquement américaine ( en opposition à la
vague britonne de l'époque). Enfin, selon certains freaks de
l'époque, l'expression désignerait une allumette usagée servant à
tenir un joint de marijuana devenu trop court... Une chose est
certaine, comme c'est le cas à la même période, du côté de Los
Angeles avec les Doors et Love, l'idée de planer le plus haut
possible prédomine.
Marty Balin s'entoure d'une chanteuse
Signe Anderson, un banjoïste Paul Kantner, un virtuose de la guitare
classique Jorma Kaukonen, et Skip Spence recruté d'avantage pour son
état d'esprit et son look que pour ses talents de batteur... Le
groupe est un pur produit de l'esprit contestataire qui règne à
cette époque sur la ville de San Francisco.
Balin rachète une ancienne pizzeria,
le Matrix, qu'il transforme en ballroom psychédélique, afin
d'offrir une visibilité à son groupe. En août 1966, ils
enregistrent un premier disque, Takes off, plaisant mais
manquant cruellement de relief. La chanteuse Signe Anderson quitte
alors le groupe, et Skip Spence à qui l'on reproche ses abus de LSD
est remercié. Ce dernier est vite remplacé par le batteur de jazz
Spencer Dryden qui posera sa griffe sur l'œuvre du groupe. Mais les
deux apports majeurs sont l'arrivée du bassiste Jack Casady, qu'on
surnommera bientôt « le Hendrix de la basse », et la
chanteuse Grace Slick, qui ne tardera pas à devenir une grande
figure de la scène locale, et l'égérie du mouvement hippie.
L'envol de l'Aiplane s'effectue lors de
la sortie du deuxième album, Surrealistic Pillow en février
1967. En plus des nombreuses pilules qu'absorbe le groupe, Grace
Slick transporte dans sa valise magique, deux titres écrits avec son
ancienne formation (The Great Society)...
Le premier, Somebody to love est
un véritable hymne. Il est l’œuvre de Darby Slick (son frère) et
marquera profondément les esprits quelques mois plus tard, au
Festival de Monterey, notamment grâce au charisme magnétique de la
chanteuse.
Le deuxième titre, White Rabbit,
avec son faux-air du Boléro de Ravel où se mêlent des paroles
étranges et l'univers de Lewis Carroll (Alice au pays des
merveilles) n'est en fait qu'un prétexte pour une ode aux
psychotropes. Sans refrain, ni couplets, ce crescendo halluciné
échappe à la censure et va vite devenir un standard du rock psyché.
She has funny car et Plastic
Fantastic Lover mettent en avant les qualités des musiciens
Casady et Kaukonen, et le côté très professionnel de la formation.
Tandis que le leader, Marty Balin,
éclipsé par l'aura de Grace Slick, offre en bon troubadour, deux
superbes ballades, douces, presque sucrées, Comin' back to me,
et Today...
A sa sortie, l'album grimpe très vite
dans les charts, et les concerts du Jefferson deviennent de grandes
messes psychédéliques célèbres dans toute la Californie.
Cheap Thrills (BIG BROTHER AND
THE HOLDING COMPANY)
La plus part de ceux qui ont eu la
chance de voir Janis Joplin sur scène sont d'accord sur un point :
si les sixties ont vu naître bien des joyaux, c'était sans doute
Janis le plus éclatant.
En 1963, la « perle »du
Texas revient pourtant bredouille, et accro à l’héroïne de son
premier périple à San Francisco. Son ami Chet Helms qui organise
des concerts au Fillmore avec le fameux Bill Graham, manage un groupe
texan nommé The Big Brother and the Holding Company. Il arrache de
justesse la chanteuse prête à s'engager avec les 13th
Floor Elevators.
En juin 1966, Janis participe à une
répétition avec le Big Brother. Elle interprète deux titres qui
n'impressionnent pas le groupe, mais l'esprit communautaire prévaut.
La chanteuse est adoptée.
En réalité Cheap Thrills
(Plaisirs faciles) qui devait s'appeler « Sexe, Dope & Cheap
Thrills », n'est pas le premier album du groupe car le Live au
Fillmore aurait été enregistré en studio. Sa pochette façon bande
dessinée, œuvre de Robert Crumb, n'était pas non plus le premier
choix du combo texan. Mais peu importe, le résultat de la fusion du
rock psyché du Big Brother et de cette screameuse blues fait de
leurs prestations un spectacle hors norme.
Enregistré entre mars et mai 1968, il
concrétise deux ans de travail et une multitude de concerts, et
caracole en tête du Billboard dés sa sortie. Même s'ils sont tous
de musiciens chevronnés, chacun sait parfaitement d'où émane la
lumière. Joplin est l'atout majeur de cette formation. Elle apporte
avec Peter Albin, le bassiste, quelques compositions comme Roadblock,
ou Turtles blues...
Les deux guitaristes Sam Andrews et
James Gurley, tissent des arabesques soniques pour la sirène
cosmique, sur des reprises comme Ball and Chain ( Big Mama
Thornton). Ce titre permet notamment à Janis et au groupe de
s'imposer dans le reste du pays grâce à une prestation d'anthologie
au Festival de Monterey...
Bien sûr, le point d'orgue de Cheap
Thrills reste cette sublime et éternelle version de Summertime (
Georges Gershwin). Cette berceuse gospel était déjà devenue un
standard du Jazz ( Coltrane, Parker...etc...) Janis déploie alors
tout son talent pour une envolée unique, réussissant au passage,
l'exploit de s'approprier ce standard, la faisant du même coup,
entrer dans l'histoire aux côtés des prestigieuses Billie Holiday,
Ella Fitzgerald, et Nina Simone...
Piece of my heart, seul single
extrait de l'album, déjà popularisé par Erma Franklyn ( grande
sœur d'Aretha) en 1967, explose littéralement dans les charts et
propulse Janis au rang de star. Un poster dévoilant un bout de téton
de la chanteuse finira d'en faire une icône pour les hordes de
hippies peuplant les rues de San Francisco. Inévitablement, cela
entraînera la dissolution du Big Brother and The Holding Company.
Janis Joplin poursuivra sa carrière avec le Kosmic Blues Band et le
Full Tilt Boogie Band.
Au delà de sa renommée
internationale, Janis reste une figure emblématique de la mouvance
de San Francisco à la fin des sixties. Partageant une demeure au
sein des maisons victoriennes avec le chanteur engagé Country Joe Mc
Donald, elle fut un membre actif de la communauté « beat »
de Haight Ashbury. La reine des Freaks a donc plus que sa place dans
cette chronique.
Electric Music for the body and the mind (COUNTRY JOE AND THE FISH)
Dans la mouvance San Franciscaine de
1967 qui prenait parfois des airs de « Révolution
Américaine », un groupe se détachait par son engagement
politique : Country Joe and the Fish. Oser associer le surnom de
Joseph Staline ( Country Joe) et une référence à Mao Zedong (Fish)
au pays de l'Oncle Sam durant les sixties, avait quelque chose de
suicidaire, ou de diablement téméraire, au choix... Dans tous les
cas, ce fut sans doute le groupe le plus actif d'outre-atlantique, et
le plus impliqué pour la cause pacifiste, et si j'ose dire, son
cheval de bataille : mettre un terme à la Guerre du Vietnam.
Formé autour du chanteur charismatique
Country Joe Mc Donald, compagnon de Janis et véritable pendant de
cette dernière, il est lui aussi un membre actif de Haight Ashbury,
multipliant à l'instar des Grateful Dead, les concerts pour la cause
communautaire. Mais Mc Donald possède aussi la panoplie d'un
musicien accompli ayant digéré le blues, le folk, et son émulsion
rock. Il compose la quasi totalité des morceaux du groupe, certains
très représentatifs du mouvement de San Francisco, comme
Superbird...
Il est épaulé par Barry Melton (alias
The Fish), jeune guitariste de 18 ans aux idées contestataires
constituant l'autre moitié du cerveau de la bête. Possédant comme
son comparse une bonne maîtrise des musiques américaines, il est
aussi un adepte du rock psyché naissant, et apporte une couleur
significative aux œuvres du groupe. Le clavier David Cohen
représente également un atout non négligeable, tissant sur
certains titres, un tapis sonore mystérieux et envoûtant.
L'album Electric Music for the body
and the mind est un véritable manifeste hippie, témoignage
authentique d'une époque où la musique semble plus diversifiée, et
plus libre que jamais. Tout est dans le titre. Ce disque est une
œuvre thérapeutique, une invitation au voyage intérieur, (avec
stupéfiants souhaités), mais en toute sérénité, évitant presque
toujours le piège du chaos psychédélique. Dans le genre, il
devance le groupe Sweet Smoke (Just a poke) de quelques
années.
Cet
album voit le jour au tout début de l'année 1967, mais sur les
titres Section 43, Love, et Bass strings on sent
bien l'influence des Doors, voisins de Los Angeles ayant pris tout le
monde de vitesse à la fin de l'année 1966 avec l'enregistrement de leur
premier album. En effet, l'omniprésence de l'orgue, l'atmosphère
hallucinée et le chant parfois mystique de Country Joe qui tente de
nous entraîner dans le désert et ses mystères chamaniques,
évoquent inévitablement les paradis artificiels et les messes
noires du quatuor de Venice Beach...
Même
si je m'efforce d'en extraire l'essence, cet opus a tout du premier
album concept, cinq mois avant la sortie du référentiel « Sergent
Pepper » des Beatles. D'ailleurs Porpoise Mouth,
titre que j'affectionne, a de faux airs des Fab Four en devenir... (
ou alors des Kinks, à vous de voir...)
Electric
Music for the body and the mind est un voyage à faire d'une
seule traite, sans halte, ni détour. Et comme disait Maître Yoda
vous y trouverez, ce que vous y apporterez...
Grateful Dead (GRATEFUL DEAD)
On
pense souvent que le Summer of Love de 1967 n'a duré que deux ou
trois mois. En réalité, on considère que le point de départ de
cette période fleurie est le Human Be-in au Golden Gate Park de San
Francisco, le 14 janvier 1967, et que le Summer of Love s'est éteint
à l'automne, un mois après le festival de Monterey. A cette
occasion, certains membres de la communauté d'Haight Ashbury
brûlèrent d'ailleurs de manière symbolique, un cercueil rempli de
fleurs.
S'il
est un groupe qu'on ne peut dissocier de cette période, de cette
communauté, et de cette ville, c'est bien le Grateful Dead. Ses
trois membres fondateurs, Jerry Garcia, Paul Weir, et Ron Pigpen
Mc Kernan furent initiés très tôt à la philosophie beat par le
légendaire Neal Cassady ( ami de Jack
Aux
prémices du Flower Power, Jerry Garcia et sa bande ont déjà un
temps d'avance sur leurs homologues Big Brother et Jefferson
Airplane. Depuis trois ans, leur répertoire est presque
exclusivement composé de classiques blues et de reprises de Dylan et
Chuck Berry. Même s'il manque une grande voix au sein du groupe,
leur maîtrise des musiques américaines ne fait aucun doute...
Good
Morning Little School Girl
( Sonny Boy Williamson) : https://www.youtube.com/watch?v=XMUxM4CAAFU
Sitting
on top of the world :
https://www.youtube.com/watch?v=TLyNOVDIKyI
Cream
Puff War :
https://www.youtube.com/watch?v=j6oIOI9-r5I
Au
grand dam de ses membres fondateurs, l'album est enregistré en
quatre jours, plusieurs titres étant écartés par la production,
d'autres seulement écourtés. A l'instar de leur mode de vie
beatnik, libre et dévolu à la quête du plaisir, le groupe souhaite
s'émanciper des barrières et du formatage de la production. Car le
Grateful Dead n'explore déjà plus, il improvise. Très inspirés
par les morceaux étirés de John Coltrane, leurs longues
improvisations instrumentales en concert, souvent prétextes aux
solos tourbillonnants de Jerry Garcia, deviennent leur marque de
fabrique...
Viola
Lee Blues : https://www.youtube.com/watch?v=Osrb3SqpP90
Le
Dead est un groupe 100% freak, qui se nourrit autant de Dylan, que de
Coltrane ou des Rolling Stones, et puise même quelques fondements
dans la musique contemporaine de Edgard Varèse. En dépit d'une
œuvre peu vendeuse auprès du grand public, ils demeurent la
formation mythique de cette période révolue, le groupe le plus
libre, le plus psychédélique, et le plus dingue ! Comme en
témoignent leurs albums suivant, Anthem of the sun,
Aoxomoxoa ou le célèbre Live/Dead.
Leurs
multiples concerts à travers le monde sont légendaires, qu'ils
soient édités comme le set de Woodstock et son titre de 40
minutes... Ou plus officieux sur des bandes pirates, comme celui du
Château d'Hérouville.
Les
membres du Dead ont longtemps habité ensemble, dans une grande ferme
à la campagne, loin de l'agitation de San Francisco, mais n'ont pas
hésité à s'investir dans le quartier de Haight Ashbury, donnant de
nombreux concerts afin de financer nourritures et soins pour les
membres de la communauté. Ils ont souvent pointé du doigt les
dérives de la surconsommation, et les dangers de la promotion
artistique à outrance, notamment par l'intermédiaire de leur leader
Jerry Garcia. Quelques raisons qui font que le Grateful Dead reste le
chouchou des nostalgiques de la Beat Generation...
Happy
Trails (QUICKSILVER MESSENGER SERVICE)
Pur
produit du San Francisco des sixties, ce groupe au sein duquel
évoluait le guitar-hero John Cipollina, et le chanteur et
compositeur Gary Duncan, a connu bien des changements dans sa
formation. Dino Valente, membre fondateur, dut temporairement quitter
le groupe, en raison de problèmes judiciaires (marijuana) pour y
revenir durant les seventies et devenir le principal compositeur du
groupe. Jim Murray (autre membre fondateur) ne parvenant pas à
supporter la pression liée à la célébrité, renonça à une
carrière professionnel dés l'approche du premier album.
Ayant
en commun un intérêt pour l'astrologie, le nom du groupe
Quicksilver Messenger Service est choisi en référence à la planète
Mercure, présente dans chacun de leur thème astral. Mercure étant
le Dieu Messager dans la mythologie romaine mais également un métal
nommé parfois vif-argent (quicksilver). QMS est donc un collectif
variable, qui a vu le jour à San Francisco durant la fameuse année
67, à travers une série de concerts épiques, même si son premier
disque n'émerge que l'année suivante.
L'album
« Happy Trails » sorti en 1969, fera de Quicksilver
Messenger Service un groupe majeur de la scène psychédélique San
Franciscaine, avec notamment deux adaptations détonantes du pionnier
du rock'n'roll, Bo Diddley...
Happy
Trail Full Album : https://www.youtube.com/watch?v=Wi0e7brHdMQ&t=215s
It's
a beautiful day (IT'S A BEAUTIFUL DAY)
Pas
d'erreur, il s'agit bien là du nom d'un groupe. C'est aussi le titre
de leur premier album paru en 1969, bien que la formation ait vu le
jour elle aussi, lors de l'année 1967.
It's
a beautiful day est un sextet conduit par David Laflamme, violoniste
virtuose et chanteur. Ce dernier, après avoir officié comme soliste
dans un orchestre symphonique de l'Utah, s'initie au rock psyché
dans le San Francisco des sixties en partageant la scène avec Jerry
Garcia et Janis Joplin, avant de former son propre groupe « It's
a beautiful day » aux côtés de son épouse Linda avec
laquelle il compose la majorité des morceaux. Comme pour le
Jefferson Airplane, les voix combinés de David Laflamme et de la
chanteuse Pattie Santos font de leurs concerts, des messes hippies
chaleureuses, très élaborées sur le plan musical et vocal.
Sublimes
mélodies, harmonies cotonneuses et arrangements célestes, font de
ce groupe sans doute le plus doué et le plus inventif de la vague
San Franciscaine. Il rateront Woodstock de peu ( au profit de Carlos
Santana tiré au sort pour effectuer la première partie du Grateful Dead)
ce qui peut expliquer en partie leur manque de notoriété en Europe.
Le groupe sera dissout en 1974.
Je
vous laisse apprécier deux des joyaux composant le premier album, White Bird leur plus gros succès, et Bombay
Calling titre ayant fortement inspiré le célèbre Child in
Time de Deep Purple...
White
Bird :
Bombay
Calling
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