Ils sont tous là pour rendre hommage au plus grand poète
du rock. Dans les coulisses du Madison Square Garden, on croise ce qu’il reste
du Band, Tom Petty , Lou Reed , Eric Clapton et autres gloires des sixties
seventies. Le temps a quelques peu terni leurs légendes. Roger Mcguin ne s’est
jamais remis de la fin des Byrds , alors que Clapton s’est définitivement
enfermé dans son traditionalisme blues. Lou Reed a encore quelques fulgurances
, comme les grandioses New York et Song for Drella , mais il n’est plus cet
animal rock n roll qui fit rougir les soldats du heavy blues.
Parmi cette assemblée venue rendre hommage au grand Bob,
seul Neil Young semble avoir gardé l’enthousiasme de ses jeunes années. Une
bonne partie du public s’est d’ailleurs déplacé pour saluer « le père
spirituel de Kurt Cobain ». Dernière grande icône du rock, Kurt Cobain n’a
jamais caché son admiration pour le loner. Le blondinet est le John Lennon de
la nouvelle génération, celui qui réunit toute une jeunesse autour de ses
hurlements désespérés. Si Smell like teen spirit fut le titre à travers lequel
toute une jeunesse exorcisa son mal être, c’est aussi le tube qui poussa son
auteur vers l’abime.
Plaçant son intégrité artistique au-dessus de tout, Kurt
Cobain supportait mal cette notoriété démesurée. Il tenait à sa liberté d’artiste
maudit, il se sentait plus proche des Melvins que des grandes machines
commerciales de son époque. Pour retrouver sa tranquillité, il enregistra le
très rugueux In utero. Malheureusement pour lui, son génie permettait à
certains de ces titres agressifs de devenir des tubes, et ce qui devait éloigner
de lui ce grand public qu’il ne supportait plus ne fit que le rendre encore
plus accro.
Alors que Cobain s’enfonçait dans une dépression de plus
en plus profonde, la popularité de son groupe ruisselait sur son modèle. Les
enfants du grunge ne regrettèrent pas leur passage au Madison Square Garden,
Neil leur montrant d’où venait la puissance de leur musique torturée. Dans ce contexte,
sa version de All Along the watchtower devint la célébration de la rencontre
entre deux générations , un moment aussi historique que la reprise du grand
Hendrix.
Pendant quelques mois, on crut encore que le rock venait
enfin de renaitre de ses cendres, que le grunge n’était que la première vague d’une
déferlante durable et mondiale. Des groupes aussi prometteurs que Stone temple
pilot ou Pearl Jam s’engouffrèrent dans la brèche ouverte par Nirvana. Neil
Young ne manqua pas de soutenir ce renouveau en invitant ces deux groupes à
faire sa première partie, la fête fut malheureusement de courte durée. Il a suffit
d’un tir de carabine pour éteindre une flamme que l’on croyait déjà immortelle.
En se suicidant, Kurt Cobain mit fin au grunge, le mouvement ne pouvait
survivre à la mort d’un leader aussi emblématique.
Bizarrement, ce furent d’abord les vieux briscards qui se pressèrent pour rendre hommage à l’ange blond du grunge. Iggy Pop avoua son admiration
pour celui qui s’est tant inspiré de la fureur stoogieene, Patti Smith l’intégra
aux fantômes habitant les titres de son excellent Gone again , alors que Neil
Young immortalisa le deuil de son fils spirituel sur l’album Sleep with angel.
Comme Tonight the night avant lui, Sleep with angel est un album sombre, une œuvre
où la nostalgie partage le devant de la scène avec la culpabilité. Neil tenta
de contacter Kurt Cobain quelques jours avant sa mort, il était persuadé de
pouvoir le sauver de ses démons.
Si la tristesse se fait largement entendre à travers ses mélodies, Sleep with angel est tout de même un album moins étouffant que Tonight the
night. Ce qui émerveille, sur des ballades comme my heart , c’est cet équilibre
entre l’acoustique et l’électrique , la nostalgie vis-à-vis de ce qui fut et la
tristesse vis-à-vis de ce qui n’est plus. Alors le loner hurle comme un vieux
loup un soir de pleine lune, chuchote presque sous une pluie d’accords
cristallins. Vient ensuite le superbe blues Appache dream of life , son riff
tout en retenu portant un mojo à mi-chemin entre Redbones et les Stones.
Cette mélancolie tendre, ce feeling nonchalant sans être apathique,
tout cela annonce les ballades engagées qu’il écrira bientôt en compagnie du
groupe Promise of the real. Driveby poursuit cette promenade mélancolique sur
une mélodie plus folk. Dylan fut le barde posant ses mots sur les troubles des sixties,
Neil Young donne un son à cette époque de mort du rock. La guitare gémit timidement derrière un piano majestueux, les chœurs rappellent la beauté éternelle de « Déjà vu ».
Après la tristesse vient la colère contre la violence du
destin , Neil ressortant sa bonne vieille old black pour raviver la puissance d’un
grunge déjà condamné à mort. La batterie résonne comme le gargouillement d’une
machine infernale, la guitare gronde comme un monstre en pleine agonie. Dans ce
décor Dantesque, les chœurs rappellent le refrain de Smell like teen spirit,
tube qui fit naître un espoir trop vite disparu. Sur Western hero , ce qui
était un grondement colérique devient un gémissement au milieu d’un requiem
country.
Les grands hommes comme les grandes œuvres sont souvent
le produit de circonstances tragiques, c’est l’époque qui les façonne comme une
lueur d’espoir au milieu des ténèbres. Avec Sleep with angel , Neil Young n’a
pas seulement enregistré un de ses plus
grands albums , il a pansé les plaies d’une génération meurtrie.
Après la mort de Kurt Cobain, la presse ne cessera de se demander
s’il fut « le dernier rocker ». Il y aura encore quelques gloires éphémères comme Jack White, Green Day ou les Libertines. Mais aucun ne parviendra à
inventer un nouveau son entrainant toute une scène derrière lui , une musique
fascinant toute une génération.
Neil Young ne retrouvera d’ailleurs que rarement le génie
de ce Sleep with angel, le rock entre dans l’underground et il se terre
progressivement dans le même trou.