
On le croyait perdu,
déchiré par les fils spirituels d’Hendrix, écartelés par les riffs mitrailleurs
du heavy metal. Le blues, ce vieil hôtel qui survécut même aux piteuses eighties,
se mourrait. Jack White était bon, mais son amour des stooges l’éloignait des
grands anciens.
Chercher le blues, le vrai, celui qui soigne l’âme
et sonne comme un puissant cri du cœur, est devenu une mission complexe. Bloomfield
était plus grand que Hendrix, mais les solos grandiloquents du second furent
plus séduisants que la classe un peu austère du premier. Nous sommes donc les
héritiers d’une culture falsifiée , d’un mauvais choix lourd de conséquence, et
qui conditionne encore le son de la plupart des groupes actuels.
On ne parle plus de rock n
roll, mais de rock. Keith Richard lui-même sentait que ce changement de terme
était lourd de sens, et regrettait de ne plus retrouver « ce putain de
roll ». Aujourd’hui, on sait ce qu’il est devenu, il a disparu quand une
violence féconde est venue noyer le feeling des origines. Le résultat de ce
basculement était parfois brillant, mais laissait tous les puristes, ceux pour
qui une note pleine d’émotion vaut tous les solos du monde, orphelins.
Quand la tempête créative
est passée, elle a laissé le blues et le rock tiraillés entre deux chapelles.
Hendrix et Bloomfield sont toujours les dieux à l’origine de ces chapelles, les
icônes incarnant l’affrontement entre le théâtral et le traditionnel, les
tripes et l’esprit.
Bonamassa , mieux que tout
autre , incarne parfaitement ce tiraillement. Passé du hard rock tapageur de
black country communion, au purisme de redemption , c’est un bluesmen amoureux
du rock anglais. Tel un mari infidèle, il fait parfois quelques escapades dans
l’univers de led zepp et black sabbath , avant de revenir humblement consoler
sa muse abandonnée.
Et il ne l’honore jamais
mieux, que quand il rend hommage à ceux qui firent l’histoire du blues. Son
respect du matériel original l’incite alors à plus de sobriété, et chacune de
ses notes semble contenir tout une partie de lui-même.
Invitée à célébrer cet
héritage avec lui, Beth Hart sublime le tout d’une voix qui s’apparente au
fruit d’un mélange entre la puissance grasse d’un Muddy Water , et le charisme
spirituel de Janis Joplin. Sur « your heart is black has night » ou « i’d
rather go blind » , sa voix atteint des sommets émotionnels oubliés,
depuis que Plant a chanté « le plus beau blues chanté par des blancs »
(since I’ve been lovin you ).
Son guitariste ménage ses effet,
sa guitare devient le prolongement de son esprit, un objet sacré qu’il laisse s’exprimer.
Même quand il lâche un peu prise, comme sur le boogie « something get a
hold on me », la rigueur reste de mise.
Le jeu est rythmique, presque
Richardien, et les riffs, s’épanouissent dans de grands silences, qui laissent
résonner les notes. Les pédales d’effet sont rares, les solos au service des mélodies,
et la voix mesurée n’a pas besoin de crier pour transmettre son émotion.
Ce n’est pas seulement une
certaine idée du blues qui ressuscite ici , c’est une certaine idée de la
musique.