Rubriques

Affichage des articles dont le libellé est #Signé Nio. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est #Signé Nio. Afficher tous les articles

samedi 16 octobre 2021

Petit orchestre pour maxi son : Yes - Time and a word (1970)

 



« L'alternative consistant à recourir au mellotron n'ayant pas été jugée convaincante, il est décidé d'enregistrer Time And A Word avec le renfort d'un orchestre. L'idée est en vogue sur la scène progressive depuis le « Days of future passed » des Moody Blues, suivi d'expériences inégalement convaincantes de Deep Purple, The Nice, Procol Harum et bientôt Barclay James Harvest ou Pink Floyd. YES n'ignore cependant pas qu'à moins d'un succès phénoménal, la possibilité de se produire sur scène en configuration orchestrale se limitera à un concert exceptionnel dans une salle londonienne. »


(Yes, Aymeric Leroy, éditions Le mot et le reste, p.33,34)


Encore un album dénigré dans la discographie de YES que je ne découvre qu'à rebours et il est flamboyant ma parole ce disque ! Dites les fans, il se passe quoi dans vos têtes, parfois ? ...Dit lui-même un fan qui avait d'ailleurs jamais vraiment eu le temps de se pencher sur le disque. Ahlàlà... :)

YES avec un orchestre symphonique, quelle bonne idée !
Non franchement, je le dis sans ironie, appréciant d'autant plus l'album « Magnification » de 2001 où le groupe se remettait à l'exercice du rock prog plus ou moins symphonique avec un certain bonheur et la fabuleuse et passionnante tournée live qui suivit (les fans comprendront si je leur dis que « Gates of delirium » avec un orchestre de musique classique... mamma mia. Érection, quoi).

Ici, toutes les potentialités envisagées ne sont pas forcément obtenues, l'orchestre ne faisant pas forcément pleinement corps avec le groupe (disparaissant parfois sur 2,3 morceaux ou apparaissant à intervalles sur d'autres) mais, et c'est tout aussi intéressant, souligne les notes et construit régulièrement une ambiance.

On est donc à la fois dans un travail d'arrangement qui charpente de solides mélodies (chose qu'on a alors plutôt dans la pop baroque) mais également la prise en compte d'un univers sonore dont cette fois YES prend pleinement conscience et choisit de commencer à pousser de plus en plus dans les registres élevés de son potentiel.

Et ici, chaque composition a constamment un petit quelque chose qui dénote les progrès d'un groupe qui a choisi de constamment revoir sa copie et ne pas s’asseoir simplement sur des lauriers qu'il n'a d'ailleurs pas encore. Oui, en plus du prétexte de l'orchestre symphonique, YES expérimente, s'amuse sur chaque piste avec un bonheur plus que palpable. Pas de coup de mou au milieu d'album ici et le groupe (1) semble uni pour parer au mieux un exercice d'emblée casse-gueule qui à l'époque devait passer crème mais qu'on juge avec plus de recul aujourd'hui, disposant sur chaque compositions de petites trouvailles sonores, d'agencements de notes, d'idées à foison...

Sacré mélanges jouissifs.

De l'ouverture à l'orgue comme un bruit de réacteur au décollage suivi de l'attaque des violons d'emblée sur « No opportunity necessary, no experience required » (avec cette basse fabuleuse de Squire qui zigzague majestueusement déjà comme un serpent) au rock aux influences hard-rock (écoutez bien, l'orgue de Kaye sonne presque comme issu de Deep Purple) de « Then » qui, dès que les violons surgissent semble se changer en ballade pop survitaminée. L'ouverture magique et planante de « Everydays » avec ses petites notes de cordes de violons pincées en suspension comme les ailes d'un papillon (2) avant qu'un riff violent ne déboule pied au plancher à 2mn25 (3) et change la donne. Les petits bruits de percussion sur « Sweet dreams » vers la fin de la chanson. Le développement en progression à l'orgue avec les violons qui ouvre « The prophet » et ses changements de tempos qui augurent des grands titres épiques à venir qui changeront régulièrement de climats sans oublier les cuivres délicieux qui l'ornent...

Comme sur l'album précédent, on retrouve deux reprises ici (4), faisant partie des meilleurs titres de l'album sans cette fois que les autres compositions n'aient particulièrement à en rougir. Cela souligne la qualité et l’homogénéisation obtenue par un groupe qui, tout en se cherchant, choisit cette fois d'aller clairement de l'avant, bien conscient de leur potentiel monstrueux à explorer de bout en bout. Sans compter le petit hit bien senti qui sera l'un des deux singles (5) et qui donne son titre à l'album, « Time and a word ».

« Comme le souligne à juste titre Bill Bruford à sa sortie, Time and a Word constitue « un grand pas en avant » pour Yes. Les progrès sont conséquents sur plusieurs points. L'assise rythmique gagne en puissance et en précision, et n'a plus à rougir de la comparaison avec celle de King Crimson. L'ampleur symphonique à laquelle aspirait Yes trouve une incarnation tangible, à défaut d'être tout à fait la bonne. Enfin, Jon Anderson assume de mieux en mieux son identité vocale aux antipodes de la virilité obligée du rock. Malgré la concurrence de l'orchestre, Peter Banks et Tony Kaye ne déméritent pas forcément quand on les laisse s'exprimer, mais rétrospectivement, ils constituent bien une entrave au plein épanouissement de Yes et à la concrétisation des rêves formulés par Anderson et Chris Squire au moment de leur rencontre. »

(Yes, Aymeric Leroy, éditions Le mot et le reste, p.39)

Que ne serait l'histoire d'un groupe si elle ne contenait pas à chaque fois ses moments de tempête cela dit ?

Yes n'échappe pas à la règle, bien évidemment et il me semble opportun d'en parler un peu sans toutefois qu'il y ait besoin de trop s'étaler.

Il semblerait visiblement qu'en premier lieu le manque d'implication et d'envie de Peter Banks dans la fabrication de « Time and a word » lui ait coûté un peu préjudice. Son caractère visiblement de cochon aussi même si l'anecdote serait à prendre avec des pincettes : Au producteur Tony Colton lui demandant de jouer plus puissant et bourrin, je cite « comme Jimmy Page » (6), Banks n'appréciant visiblement pas des masses la musique de Led Zeppelin, lui aurait balancé sa guitare électrique en pleine gueule. Bonjour l'ambiance. Un Banks qui se serait plaint constamment d'être sous-mixé face aux cordes des étudiants du Royal College of Music de l'orchestre alors que c'est plus ou moins grâce au même Colton que Squire finit par trouver son « son de basse » qui sera sa marque principale.

Jon Anderson, plus pragmatique, avouera (et c'est en soit d'après Aymeric la réponse la plus convaincante même si je suppose de mon côté aussi que comme indiqué précédemment, Banks ne devait parfois pas être facile à vivre, et ça, ça joue au sein d'un groupe) que le guitariste était d'une autre école, « de l'école Pete Townshend », ne rejouant jamais deux fois les mêmes notes au sein des morceaux en live. Ce qui en l'état pouvait satisfaire Yes sur plusieurs titres mais pas forcément la nouvelle configuration de morceaux plus longs et plus complexes qui se dessinait (7). Or Yes va se mettre à rechercher un guitariste capable et désireux de rejouer les mêmes notes, souvent avec une parfaite exactitude, sans problème.

Ce qui n'est visiblement pas le cas de Banks.

Première victime collatérale d'un groupe qui recherche un certain idéal musical. Et il y en aura d'autres dans la longue histoire du groupe, quitte à ce que ses fondateurs se perdent en chemin et leur musique avec eux.

Cela mis à part le constat est plus que positif et l'on peut reconnaître sans mal que « Time and a word » en plus d'être un excellent disque de rock (et aussi rock prog) est aussi également le premier grand disque de YES. Son utilisation de l'orchestre utilisée non constamment mais dans ses arrangements saillants et parfois minimalistes à quelque chose de moderne en fin de compte puisque cela s'est redécouvert aussi d'une certaine manière avec le trip-hop à la fin des années 90 (réécoutez le travail de Craig Armstrong (8) sur les passages orchestraux ajoutés avec modération sur l'album « Protection » de Massive Attack) et même le renouveau du rock psyché et pop des années 2010 (je pense au premier album de Temples en 2014 par exemple). Bref, de nos jours on redécouvre « Time and a word » avec un certain œil ébahi devant tous ses trésors mélodiques et ce n'est que justice. 

Du temps et un mot (traduction très littérale du titre je vous l'accorde) ? 

Le premier a certainement joué à la longue sur le second au final et c'est pas plus mal.


==========


(1) Dans sa première mouture alors, rappelons le : Jon Anderson au chant, Chris Squire à la basse, Bill Bruford à la batterie, Peter Banks à la guitare et Tony Kaye à l'orgue.

(2) Celui qui ornerai cette jolie madame nue qu'on voit sur la pochette ?

(3) Un brin adouci ici. Dans la version de démo qu'on peut entendre dans les bonus de l'édition « remasterised & expended » du premier album juste avant, « Everydays » cogne alors méchamment dur comme du hard rock U.S qui se serait avalé toute une armée de viets sévèrement burnés (YES ayant parlé justement un peu de la guerre dans les paroles un brin gentillettes d' « Harold Land » peu avant sans être encore dans la fureur d'un « Gates of delirium »). Ce travail vers une version définitive de la composition qui inclus la place de l'orchestre montre bien que YES a pleinement conscience de sa dimension bourrine (qu'il développe également en concert) mais oriente de plus en plus son travail vers une dimension prog et une écriture bien plus stylisée et ça c'est remarquable.

(4) «  No opportunity necessary, no experience required » est initialement écrite par Richie Havens tandis que «  Everydays » est de Stephen Stills et issue du second album du légendaire Buffalo Springfield. Une nouvelle fois je ne peux que saluer le bon goût de YES ainsi que leur intelligence dans l'art de la reprise. Il suffit d'écouter les versions originales et ce que le groupe en fait, retravaillant tout en gardant l'essence du titre de base. Monstrueusement bluffant.

(5) L'autre étant « Sweet dreams » avec en face B l'inédit (et excellent) « Dear Father » que l'on peut dorénavant écouter sans problème sur le net ou dans les éditions « remasterised & expended ». A noter qu'il existe en deux versions bonus sur les albums « remasterised & expended », à la fois sur le premier album de YES comme version de travail démo et sur la version « complète » de « Time and a word » où quelques violons se font timidement sentir. Visiblement que ce soit sur le premier ou second disque, ce titre n'aura jamais véritablement trouvé sa place, peut-être parce qu'à chaque fois le groupe ne le jugeait pas dans le climat d'ensemble ? A tort car c'est une des nombreuses pépites cachées que YES nous laisse avec le recul.

(6) Page 44 du livre d'Aymeric Leroy.

(7) Au passage si l'on remarque bien, il y a deux morceaux longs de 6 et 6mn30 sur le premier album déjà et ici 3 morceaux de 6 à presque 7mn (« Astral Traveller »). Discrètement, YES fait sa mue pour se préparer à mieux sauter.

(8) Qui reprendra d'ailleurs du King Crimson au passage. Si ça c'est pas un travail de passeur/passionné nourri d'influences quand même hein.



jeudi 14 octobre 2021

Au commencement... : Yes - Yes (1969)

 



« Le choix de « I see you » des Byrds (issu de l'album Fifth Dimension) apparaît en revanche des plus pertinents, et peut prétendre au titre de sommet de l'album. Les qualités de l'original (harmonies vocales en tête) se voient transcendées par un arrangement inspiré, tant dans sa composition chantée (les « la la la, la la la » qui répondent aux « I see you », absents de la version des américains) que dans les développements instrumentaux qui lui ont été adjoints. Yes se pare d'accents jazz, de la batterie tout en cymbales de Bill Bruford au jeu fluide et délié de Peter Banks, bien plus attrayant avec un son clair qu'affublé d'une saturation mal maîtrisée, et leur improvisation en duo dans la partie centrale (souvent portée en concert à plus de dix minutes) est d'une grande intensité, en même temps qu'elle montre que les horizons de Yes ne se limitent pas qu'au rock. »

(Yes, Aymeric Leroy, éditions Le mot et le reste, p.31)


Il faut toujours se méfier des préjugés : La majeure partie du temps, en plus d'être tenaces ils se révèlent étonnamment faux. Ou erronés suivant la subjectivité de chacun.

Où avais-je lu que le tout premier album de YES ne valait pas le coup ?
Sur le net, et parfois plus qu'abondamment.

Or, l'écoute tardive de ce premier album (1) permet de volatiliser un peu pas mal de faux jugements à l'emporte-pièce. Si on resitue dans le contexte de toute la discographie à venir du groupe, certes on pourra trouver cet album mineur. Et pourtant il contient déjà tous les germes embryonnaires du style de la bande à Jon Anderson, pas encore stabilisés. Mais, à mon grand étonnement, la patte YES est déjà là, et de fort belle manière.

Même si le groupe ne décolle pas avec de longues pièces épiques d'emblée à la différence de King Crimson qui sort également son premier album la même année 69, quelques mois après (2), on dénote d'emblée deux pistes longues de 6mn qui sortent déjà un peu des carcans.
Sans surprise, elles s'avèrent les meilleures de l'album dans un registre « proto-prog » ou « pré-prog » avant l'heure.

Dans l'une, « I see you », une reprise des Byrds où la différence fait tout (3) et où sous l'impulsion d'un Bruford passionné de jazz mais ne pouvant pas encore donner pleinement cours à ses envies (4), on assiste à un premier petit mariage de raison entre rock pur (déjà la fameuse « basse qui claque » de Chris Squire même si « le son Squire » n'est pas encore trouvé – il le sera au prochain album) et improvisation jazzistique (batterie qui donne le rythme tandis que Peter Banks est à la guitare). Et dès le début, sous la tutelle de Jon Anderson, le mélange d'harmonies des voix hérité du folk-rock comme de la pop (5) et peu pratiqué dans le rock et encore moins le rock progressif qui va suivre dans les premiers temps s'avère un très bon choix qui distingue déjà un peu le groupe de la masse.

La seconde, « Survival » avec son petit climax d'introduction dynamique puis le fondu enchaîné vers une ambiance plus posée, magique, délicate et mystique qui monte lentement en progression s’avérera typique de certaines compositions à venir de YES et il n'est pas interdit d'y voir quelque part la préfiguration d'une structure qui sera plus ou moins reprise sur un « I've seen all good people » (album "The Yes Album"). Quand je vous dis que « la patte YES » est déjà là.

Dans les autres compositions aussi même si l'on navigue entre le bon et le moins bon.

Intelligemment, YES a disposé ses titres les plus longs en début et fin du vinyle, procédé que le groupe resserrera dans les albums à venir (j'adore personnellement le fait de placer un titre long en début, au milieu et à la fin sur « Fragile », exercice d'autant plus ardu qu'il faut changer de face sur un vinyle...) et attaque d'emblée avec un titre purement rock parfait pour l'ouverture, « Beyond and before ». Là aussi YES surprend d'emblée puisque dans le paysage rock d'alors, la basse n'était encore pratiquement jamais autant mise en avant et plus considéré comme un instrument propre à asseoir la section rythmique au même titre que la batterie. Cela tient autant au style YES que l'envie évidente d'un Squire d'en démontrer évidemment (il ira plus loin par la suite on s'en doute, se réécouter « Roundabout » par exemple sur l'album « Fragile » à nouveau).

Avec « Yersterday and today » on est dans la petite sucrerie pop, la ballade magique que YES parsèmera avec un égal bonheur par petites touches sans jamais se renier dans pas mal d'albums à venir (« A venture » sur The Yes Album ; « Wonderous stories » sur Going for the one, « Madrigal » et « Circus of heaven » sur Tormato...). Et si sur le plan des paroles comme Aymeric Leroy l'indique, ça passe moyen (On portera ça sur le compte de la naïveté et la jeunesse de son interprète –qui fera heureusement bien mieux par la suite-- tout comme de l'époque vu que c'est assez misogyne), sur le plan musical c'est que du bonheur. Une respiration évidente et bienvenue où tout le groupe joue en acoustique et où même Bruford troque sa batterie contre un délicieux vibraphone (6) alors que Tony Kaye abandonne momentanément son orgue pour le piano.

« Sweetness » qui sera le premier single du groupe (7) suit le même chemin (paroles très bof bof où la femme n'est que le repos du guerrier, en revanche musicalement et mélodiquement on marque des points). Un titre agréable en soi mais peu représentatif du Yes qui se cherche encore et empruntera très vite le chemin du prog. Surtout ça donne l'impression d'entendre un énième (bon) groupe dans la mouvance rock-psychédélique alors que YES revendique d'emblée dans ses intentions, d'aller musicalement très loin.

En effet, comme le raconte Leroy dans son ouvrage, le noyau dur formé avant tout des jeunes Jon Anderson au chant (25 ans) et Chris Squire à la basse (21 ans) a une même vision commune : celle de créer « une musique qui serait complexe, virtuose et puissante » et dedans, une « dimension vocale très affirmée, avec des harmonies à la Simon & Garfunkel » (p.18). Le recrutement par la suite de Peter Banks (guitare), William Bruford, alias Bill Bruford (batterie) et Tony Kaye (à l'orgue hammond) va permettre de faire émerger une formation certes mouvante comme on le verra par la suite avec les départs de Banks et Kaye mais qui servira de premier tremplin aux ambitions d'un YES qui ne demande qu'à se tailler sa part du gâteau.

Pour l'instant toutefois YES n'a pas encore les moyens de ses ambitions et doit ronger son frein, avec une certaine élégance cependant : en concert, faute d'avoir suffisamment de compositions développées à leur répertoire, les reprises seront légion. Un exercice que YES n'abandonnera d'ailleurs pas tout à fait, en témoigne d'ailleurs l'inédite reprise du « America » de Simon & Garfunkel de près de 10mn sur la compilation « Yersterdays » de 74 parue peu après « Relayer » pour faire patienter un peu leur public de fans alors que les membres du groupe entament peu après leurs tournée, la publication de leurs albums en solo et donc également le « solo tour ».

« Yersterdays » étant une compilation regroupant à la fois des titres de ce premier album et de « Time and a word » qui le suit, il n'est pas interdit de penser que cette composition-reprise vient d'ailleurs de ces années là. On y décèle pour preuve non pas les petits moogs chers à Wakeman mais de l'orgue, instrument principal d'un Kaye qui d'ailleurs se fera éjecter prochainement pour son manque d'enthousiasme à vouloir faire évoluer un peu sa musique, mais nous n'en sommes pas encore là, je ne vais pas spoiler...

Quand à ce premier disque évidemment, même si YES ne le reniera pas officiellement, quasiment aucun titre ne sera pourtant joué par la suite en concert dans les décennies qui vont suivre, c'est un signe assez évident au final (j'aurais pas dit non moi à « I see you » en live cela dit). Pas étonnant non plus puisque certaines compositions restent un peu bancales (« Harold Land » au milieu ça me fait à chaque fois un gros coup de mou, pas vous?) mais l'impression de fraîcheur pour le fan comme celui qui voudrait s'initier au groupe est toutefois franchement prenante, ce qui donne à ce premier disque un charme indéniable.

Bref YES compense son professionnalisme à venir (sur un peu tous les plans) par un disque rock honorable et franchement bien foutu pour ce qui s'agit d'être une première œuvre. Et s'il y a encore du chemin à parcourir, le saut de géant va s'effectuer justement au prochain album...


========


(1) A l'occasion de la lecture et relecture du livre de Aymeric Leroy consacré au groupe (que je chronique également ici), autant vous prévenir d'ailleurs qu'il y aura pas mal de chroniques de YES sur RiP suite aux nombreuses réécoutes passionnées.

(2) Yes sort son premier album le 25 juillet 1969 contre le 10 octobre de cette même année pour le roi pourpre de Robert Fripp.

(3) Le morceau de base, folk-rock, est déjà très bien : https://www.youtube.com/watch?v=MuSsXlNw7TA … En le reprenant, YES fait preuve non seulement d'un grand respect de la structure de base tout en essayant de l'emmener dans une direction inattendue et fort plaisante également : https://www.youtube.com/watch?v=LPKp4lLLMu4 )

(4) Il se consolera plus tard où libéré tant de YES que King Crimson, il fondera son groupe de jazz-rock pour un résultat franchement assez sympa d'ailleurs.

(5) La reprise donc d'un titre du groupe de David Crosby et McGuinn est dès lors plus qu'évidente. De même pour celle d'un titre des Beatles sur ce même disque.

(6) Instrument d'ailleurs un peu plus utilisé dans le Jazz. Bobby Hutcherson et Milt Jackson y firent des merveilles.

(7) Très mauvais choix stratégique d'emblée puisque ce fut un flop intégral.



dimanche 10 octobre 2021

La parade enchantée : William Sheller - Les machines absurdes (2000)

 



J'ai un rapport assez personnel avec ce disque.
Ce fut mon premier William Sheller et dans une période de ma vie où je n'étais pas forcément au mieux. Autant dire qu'il est arrivé d'un coup sans crier gare, comme un ami très cher.

Après le semi-ratage (ou semi-réussite, ça dépend si l'on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide) que fut Albion, son unique disque studio des 90's qui alternait paroles en français et en anglais, il fallait se ressaisir. Ce que l'ami William fit en prenant son temps. A partir de Albion et Les machines, les livraisons studio vont se faire d'ailleurs de plus en plus réfléchies et espacées dans le temps, l'auteur prenant du recul pour ciseler une oeuvre de plus en plus maîtrisée.

Comme je le disais en ouverture, Les machines absurdes est le disque par lequel j'ai découvert l'univers de Sheller avant de partir explorer tranquillement par la suite son univers (1), je ne pouvais rêver mieux tant il est splendide de bout en bout.

Je m'en rappelle comme si c'était hier, j'étais au lycée et je devais prendre le train de banlieue direction Paris chaque matin puis ensuite à ma guise soit marcher dans une ville de Paris se réveillant péniblement, soit prendre le métro (mais pour une poignée de stations avant d'atteindre le lycée, fallait-il que je sois dans un jour vraiment flemmard). A l'arrivée dans la gare de Montparnasse, au rez de chaussée trônait l'immanquable et regretté petit Virgin megastore de la gare (2) prêt à accueillir les lèves-tôt de tous poils (et à 8h il n'y en a toujours pas des masses de magasins ouverts dans Paris) et ses petits bacs avec des disques frais à écouter au casque sur les présentoirs, côté gauche. Quand on a une journée incessante et quasi-non stop de cours, ça motive un peu quelque part.

La pochette m'attire, un mec basique qui manque de cheveux (moi dans le futur quoi) sous une lumière bleue avec des visuels qui figurent une sorte de cycle lunaire abstrait. Allez je tente.

Dès la première piste, « Parade (le bel adieu) », je me suis pris une bonne baffe.
Coup de foudre.
Le mec est bon, il chante bien, il ne gueule pas, les arrangements sont magnifiques, les textes d'une poésie étonnante. Le reste du disque ne sera pas forcément du même niveau mais une chose est sûre, ce type sent l'élégance à mille kilomètres à la ronde. « Indies » et ses guitares rock corrige agréablement le tir d'Albion. « Moondawn », c'est mon second coup de foudre du disque. Une chanson lunatique, une chanson de Bretagne, de rêves brumeux, de magie. « Sunfool » marche sur les pas d'Indies avec classe. « Athis » et « Les machines absurdes » voient Sheller mêler son art à la musique électronique par petites touches tandis que « Misses Wan » est un saut vers l'Asie. « Chamberwood » qui clôt un disque presque parfait retrouve la grâce de la première piste, dans une dimension plus champêtre et baroque qui rappelle un peu l'album Ailleurs, en plus pop toutefois.

Bref, Sheller venait d'entrer brillamment dans le nouveau siècle avec un son remis à jour et utilisant avec parcimonie et maîtrise les nouvelles technologies. Un disque qu'il est beau et qu'il fait du bien.

Et dans mon cas le début d'une passion pour l'artiste qui continue encore aujourd'hui.


======


(1) Sans mauvais jeu de mot fallacieux quand on sait qu'un des disques de Sheller porte ce titre et que je l'ai d'ailleurs brièvement chroniqué plus tôt.


(2) "Adieu peti ange disparu tro vite, snif..."



samedi 9 octobre 2021

L'Automne à ta porte : William Sheller - Ailleurs (1990)

 



Univers a été bien reçu.
Près de 300000 exemplaires vendus pour un disque d'or.

La confirmation qu'il y a un public qui peut suivre le musicien et valider des créations encore plus exigeantes qui sortent des sentiers battus. Sheller se sent du coup pousser des ailes et confirme la direction prise en allant encore plus loin. Ailleurs sera un album épuré avec juste sa voix, un piano si il y a besoin, une guitare... parfois. Et surtout un quatuor de cordes aux arrangements magnifiques. Comme le titre l'indique ouvertement, l'artiste choisit d'orienter tout l'album vers un certain "ailleurs", assez fascinant au final.

Les musiques s'étirent (les 8mn du « Témoin magnifique » et de « La Sumidagawa »), une bonne partie des autres titres font généralement 6mn), l'artiste prend le temps de poser sa voix, n'apparaissant en poète chantant qu'au bout d'un moment, préférant laisser l'ambiance s'installer lentement. On le repère ainsi à 3mn50 sur « Le témoin magnifique » quand à « La Sumidagawa », il ne prend son chant qu'à 3mn10. 

Et à chaque fois l'artiste construit de véritables paysages sonores. Certes ce n'est pas un album cette fois avec un hit possible d'amadouer le public comme parfois certaines de ses précédentes œuvres, on est même ici dans l'anti-commercial revendiqué. Sobre et intimiste. Ailleurs, donc. Mais même si c'est épuré, ça n'est en fait jamais austère. Et quand bien même il y a des compositions à nouveau où il nous épate à fond.

Déjà appeler une chanson « Excalibur », il faut l'assumer.

Mais le pire c'est justement qu'il le fait. 

Cors, hautbois, bruits de chevaux, rythme énergique, chœurs exaltés et texte à résonance chrétienne qu'on jurerait écrit au Ve ou VIe siècle et remanié juste ce qu'il faut au XXe siècle pour laisser planer une légère note d'ironie ou de critique.

"Il a fallu tant de terre
Pour y creuser tant de lits
Que des montagnes entières
Ne nous ont pas suffi,
Parce qu'il vous fallait tant de pierres
Pour faire des églises jolies
Où l'on chantait votre lumière
Où nous nous sentions si petits..."

Une vraie prouesse lyrique de bout en bout avec à l'époque même un clip signé par le dessinateur Philippe Druillet. C'est dire la démarche poussée très loin dans sa logique de nous emmener véritablement ailleurs... Et quand on connaît le style "science-fiction apocalyptique" de celui qui signe les épopées space-opéra complètement rock de Lone Sloane tout comme une adaptation "Heavy-metal" du Salammbô de Flaubert, ça déménage, assurément. Un ovni clairement de plus dans la carrière de Sheller donc (1).

« La sumidagawa » n'est pas en reste non plus avec sa fresque aux influences orientales. Ni les autres titres en fait. Un album important dans la chanson française, qui prend toute sa force dans les moments mélancoliques, à l'hiver ou à l'automne de par ses tons mélodiques gris-beige et ocre...


======


(1) Matez-moi ça ici pour être dans une hallucination pas possible : https://www.youtube.com/watch?v=b6sWcUZh-zc



vendredi 8 octobre 2021

Déploiement de la magie : William Sheller - Univers (1987)

 




Une bonne partie de sa vie, William Sheller fut un musicien frustré : doté d'une culture musicale impressionnante et d'un talent non moins fabuleux mais souvent sous-utilisé ou rabaissé dans ses prétentions. 

1987 le voit pourtant commencer à faire les choses en grand, à tel point que sa musique mute véritablement, se pare de plus de couleurs qu'elle n'en avait avant. Il faut dire qu'auparavant, le musicien a pu expérimenter un peu en solo au piano mais aussi avec un quatuor à cordes belge, le quatuor Halvenaf et avec Univers il est fin prêt, le grand tournant Shellerien est en marche.

Oh bien sûr il y avait bien eu avant cela des compositions écrites pour quatuor en 85 où côté arrangements, l'ami William laisse sortir sans problème sa verve lyrique pour se faire la main mais inutile de dire que c'est le genre de chose qui passe assez inaperçu du côté du grand public.

C'est Univers donc, puis Ailleurs ensuite, qui officialisent le virage.
Ici l'artiste ose un mélange de pop et de rock avec des influences symphoniques. Par petites touches ça et là, plus concentré à d'autres moments. « Encore une heure, encore une fois », « les miroirs dans la boue », l'instrumental mélancolique « Chamber music », « Cuir de Russie » (un titre que j'ai souvent écouté plus que de raison)...

Et puis surtout deux compositions géniales et d'une verve lyrique sans pareil à écouter fort.

« Le nouveau monde » où Sheller s'engage par moments sur le terrain d'arrangements dignes d'un Vivaldi avec une fougue qui ne démérite pas et des paroles fabuleuses où sur un pied d'égalité, le cinéma et la littérature fusionnent.

« Vous...
Qui restez si bien de glace,
Souffrez que mes mots n'dépassent,
Le peu de raison que je tienne,
Quand vous laissez ma peine ...en disgrâce... »

Et puis il y a « L'empire de Toholl ».

9 minutes où William s'adonne au rock progressif à travers une fresque d'Héroïc-Fantasy qu'on jurerait issue d'un film. On passe par tous les climats sans que le morceau ne perde trop son énergie. On ne comprend d'ailleurs pas forcément tout, merci le mixage à la française (celui qui me fait toujours monter le son sur les voix des films français récent parce que bordel, on comprend rien ou bien les acteurs AR-TI-CU-LENT pas assez) mais ça fout quand même bien la patate. On comprend pas forcément où il veut en venir, ça semble presque une composition après coup crée pour se rôder sur ce qu'il va pousser encore plus loin sur l'album d'après, Ailleurs, mais ça reste un ovni plus que bienvenu. Osni, plutôt. Ce que sera l'entièreté de l'album suivant, caprice fabuleux de poésie dans une musique française souvent plus frigide.

A noter qu'on est en plein dans les années 80 et pourtant, merci William, on échappe à une production synthétique et froide qui gangrène à pas mal de niveau la musique de cette décennie. Rien que pour ça, tope-là.



jeudi 7 octobre 2021

Rabattre les cartes : Steve Hackett - Voyage of the Acolyte (1975)

 



Etrange année 1975.

Cette année là, Peter Gabriel quitte le navire Genesis, éreinté par des (dé)pressions de toutes sortes, notamment du point de vue personnel où il faillit perdre sa fille et que l'on peut voir l'énorme et fabuleux (c'est mon point de vue perso) double album The Lamb lies down on Broadway comme une sorte d'exutoire personnel de l'archange noir de la Génèse. C'est aussi cette année alors qu'on ne donne plus trop cher de la bande à Gabriel & Cie que paraît le premier album de Steve Hackett, artisan consciencieux du son du groupe qu'on a alors à l'époque souvent oublié ou relégué aux oubliettes.

Pourtant Steve compose. 

Il a souvent composé, depuis qu'il est arrivé dans le groupe sur le second album, Nursery Cryme (1971 - En fait le troisième mais bon, le premier album de Genesis est franchement inexistant et oubliable, un faux départ on dira). Et quand bien même, on lui doit un son de guitare qui à ce moment là donne une sacrée fougue au groupe. Ah The return of the giant Hogweed. Mais surtout le solo fabuleux d'un Firth of Fifth sur Selling England by the pound (1973), mamma mia. Et à côté donc de ce travail mélodique comme je l'écrivais, Steve compose de petites bricoles pleines de chaleur et de mélancolie mêlées qui reflètent tout aussi bien l'âme de la Génèse que celle de son créateur guitariste : Horizons (sur Foxtrot - 1972), After the ordeal (sur Selling...)....

Le hic c'est qu'à l'époque, à l'instar de Gabriel, Hackett se sent déjà à l'étroit. Tony Banks a alors commencé sa mainmise sur le groupe pendant plusieurs albums. Ce qui en soit n'est pas forcément une mauvaise chose tant ces derniers s'avéreront faire coïncider pleinement le besoin de poésie musicale en dehors de l'esthétique jugée par trop théâtrale de Peter Gabriel par les critiques. Exit donc les costumes compliqués, place à quelque chose de plus simple et proche du public avec un Phil Collins jovial qui raconte des contes en musiques un poil moins alambiqués mais tous aussi passionnants.

Inutile de refaire la Génèse donc, d'autres théologiens de la musique s'en sont déjà bien donné à coeur joie. On remarquera toutefois que A Trick of the Tail et Wind and Wuthering (tous deux de 1976, c'est ce qui s'appelle battre le fer pendant qu'il est chaud) dans leur genre n'ont nullement à rougir face aux albums de la période Gabriel. Genesis accepte pleinement sa mutation face à une époque qui change trop vite (et s'empressera de la nommer chef de file des "dinosaures du prog", mais ça c'est une autre histoire). Je considère même personnellement Wind and Wuthering comme le second grand disque du groupe après The Lamb..., c'est vous dire.

Et puis il y a le premier disque solo de Steve Hackett donc, au moment où le groupe séparé de son chanteur initial rentre dans son cocon pour muer. Si on devait nommer une trilogie de cette période, voilà le chaînon manquant qu'on oublie régulièrement, le troisième album qui n'a lui aussi pas à rougir face à A trick et Wind and... mais aussi face aux albums de Genesis qui lui ont précédé.

Pourquoi ? Parce que tout bonnement Hackett s'y livre pleinement avec une sincérité et un savoir-faire touchant qui en font plus que le simple "album solo d'un guitariste". Et si certaines pistes sortent du lot et s'avèrent des expérimentations avant-gardistes plus ou moins sympathiques, le reste est dans la droite lignée de ce son éthéré de guitare, ce romantisme noir vénéneux déjà développé et infusé avec Genesis. 

D'ailleurs, histoire de le rattacher encore plus à la Génèse, Phil Collins et Mike Rutherford, pas chiens, viennent jouer dessus, basse, batterie et un peu de chant pour le Phil. On notera qu'il n'y a pas Tony Banks, le même Banks qui écartait un peu les compositions du guitariste au profit des siennes ou du travail collectif du groupe. Petite vengeance donc.

La pochette peinte par Kim Poor (alors compagne de Hackett) à l'aquarelle est une invitation au voyage, de même pour les titres des compositions qui s'inspirent quasiment toutes des cartes du tarot de Rider-Waite (à la fois proche et différent du Tarot de Marseille car ici les cartes des arcanes mineures sont beaucoup moins abstraites à décrypter). 

Petite parenthèse pour ceux qui ne connaissent pas le tarot, il s'agit d'un jeu de 78 cartes spécifiques avec 22 cartes surnommées Arcanes Majeures et 56 cartes de différentes "couleurs" nommées Arcanes Mineures (qui n'en sont pas moins aussi importantes que les arcanes majeures à mon sens). 

Ce qu'on appelle "couleurs" peut s'apparenter aux figures classiques des cartes telles que le trèfle, coeur, carreau et pique. Sauf qu'en fait les cartes sont illustrées tout comme les Majeures par des personnages et situations (des archétypes) qui correspondent à quelque chose sur plusieurs plans et que les symboles sont différents. La coupe se substitue au coeur mais lui est en fait similaire car elle parle des sentiments. L'épée se substitue à la pique et symbolise la raison (qui peut parfois piquer, voire éviter tout sentimentalisme pour littéralement trancher donc), le carreau est remplacé par le denier ou pentacle qui symbolise l'aspect matériel. Enfin le trèfle est remplacé par le bâton et symbolise le désir et la créativité. 

Les arcanes mineures évoquent le rapport du "consultant" (celui qui vient pour qu'on lui tire les cartes, donc qui consulte) face au monde là où les arcanes majeures parlent de psyché et d'intériorisation. Les 22 cartes "majeures" bout à bout peuvent d'ailleurs prendre la forme narrative d'un profond voyage tandis que les 56 cartes "mineures" peuvent clarifier le parcours en lui-même. Cette idée de voyage intérieur est toujours au fond ce qui sous-tend l'utilisation du tarot, qu'il soit utilisé à des fins divinatoires ou méditatives pour le bien-être (on doit à Alejandro Jodorowsky l'utilisation du "Tarot psychologique" comme méthode de développement personnel depuis une vingtaine d'années même si ce dernier ne se base que sur le tarot de Marseille).

Si on se penche sur le disque de Steve Hackett et qu'on transpose le tarot à ses compositions, cela donne ça:


  • L'Ermite (the hermit) carte 9 des Arcanes Majeurs, ici piste 5 du disque. 
  • La Tour (A tower stuck down) Référence évidente à la carte 16 des Arcanes Majeurs du Tarot donc, ici piste 3. 
  • Les Amants (The lovers. "L'amoureux" ou "Les amants"), carte 6, piste 7.... 


Plus tôt j'avais évoqué l'idée de voyage. Eh bien, quel beau voyage musical du coup !

Ace of wands (L'as de bâton ! Ici la carte du tarot, symbolise le puissant potentiel en germe de la créativité. Une bonne métaphore d'une longue carrière assez intéressante et ce n'est donc pas étonnant que comme un as, cette composition soit placée en tout début) en ouverture frappe d'emblée au recul par le fait qu'il n'est pas dans la même tonalité que le reste de l'album. Le titre s'avère une synthèse de tout ce que peut faire Hackett à la guitare, en mode "Jeff Beck". Le titre varie à chaque fois constamment les aller-retours, les changements de style mais reste intriguant et passionnant.

Hands of the priestress (La prêtresse dans les arcanes majeurs du tarot) introduit pleinement cette mélancolie tenace qui va cumuler sur tout l'album, notamment deux sommets que sont le poignant The Hermit et le "bipolaire" Star of Sirius. Sur ce dernier c'est Phil Collins qui chante tandis que la chanson plane entre la joie pure et une certaine inquiétude théâtrale (vers 3mn) avant de redécouvrir la féerie et la joie. Sacrés bijoux !

Et puis il y a les 11mn de Shadow of the Hierophant (le Hierophant correspondant au Pape dans le tarot, carte 5 en Arcane Majeur), pièce rock-prog purement majestueuse où Sally Oldfield (soeur de vous savez-qui...) est invitée au chant dans un premier temps alors que lentement la tempête gronde et menace. Un morceau magique comme aurait pu l'écrire le King Crimson des débuts, assurément.

Au final un album fin, sensible et facile d'accès que n'importe qui peut écouter et apprécier sans problème, même les réfractaires au rock progressif, c'est vous dire.



dimanche 3 octobre 2021

Parce que nous sommes du soleil : "YES" par Aymeric Leroy

 



« Au delà de l'originalité que constitue l'abandon total des carcans pop au profit de formes systématiquement longues, « Close to the edge » se singularise, musicalement, par l'utilisation et l'appropriation d'éléments de vocabulaire encore largement inusités en rock à l'époque, principalement apportés par Steve Howe et Rick Wakeman ».
(p.110)

Né en 73, Aymeric Leroy s'est très vite penché sur le rock progressif. On pourra même dire qu'il est tombé dedans à l'instar d'Obélix dans la marmite de potion (rock) magique. Auteur de nombreux écrits chez l'éditeur Le mot et le reste, il est également reconnu comme un spécialiste de ce qu'on a appelé « L'école de Canterbury » (à tel point d'avoir crée un site de référence malheureusement plus mis à jour) soit une des plus raffinées franges du rock progressif britannique qui emprunte également aux influences jazz et à l'avant-garde et dont un certain Robert Wyatt, légende vivante, fait partie.

Notre auteur se penche ici sur le groupe de rock progressif anglais, YES.
Et pour le fan du groupe que je suis, autant dire que c'est à proprement parler un vrai régal. Toutefois sachons faire preuve d'objectivité un peu : si le livre se révèle véritablement passionnant et riche de bout en bout il n'est pas parfait. Bien sûr on chipotera toujours sur des détails ça et là mais bon, autant dévoiler le tout franco non ? Surtout qu'ici il y a très nettement plus de positif que de négatif au point que je recommande d'emblée l'ouvrage à tous passionné du groupe avant même que la chronique ait débuté !

Déjà la richesse de l'ouvrage surprend agréablement.

Leroy s'est plus que documenté, cite ses sources, allant même jusqu'à interviewer longuement en 2009, Jon Anderson le mythique chanteur de l'entité bicéphale aux multiples batailles d'égos, batailles que l'écrivain, humblement et sans juger ni blâmer évoque régulièrement au sein des 347 pages que compte ce gros ouvrage. 

Car oui, l'histoire de YES n'a pas été à proprement parler un long fleuve tranquille et n'importe quel fan un peu au courant vous en parlera, ça se ressent même depuis la genèse et l'écoute finale d'une bonne poignée d'albums. YES ça aurait pu s'appeler par moment « LOVE & HATE », voire même « NO » pour reprendre la boutade initiale d'un Anderson qui créera le temps d'un album avec d'anciens membres du groupe alors, le « Anderson Bruford Wakeman Howe » en 1989, entité crée en réaction avec le YES du moment des 80's (où Anderson était d'ailleurs lui-même dedans 2 albums avant!). Album que Leroy n'oublie nullement de même que la tournée des disques solos de chacun des membres en 75 après l'indépassable météore de granite noir taillé façon monolithe insurpassable Kubrickien qu'est l'album « Relayer », sorti en novembre 74.

Presque tout est évoqué : l'avant YES par le biais des parcours et de la rencontre de ses deux créateurs initiaux, Chris Squire (basse) et Jon Anderson (chant) ainsi que leur vision musicale ; l'intégralité de la discographie jusqu'à une date très récente (« Heaven and Earth » (2014) est ainsi cité et l'on évoque même la version « alternative » de « Fly from here » (2011) à paraître en 2016 dans le livre et qui ne sortira finalement en fait qu'en 2018) avec à chaque fois donc plusieurs pages sur la création de chaque album sans oublier les périodes de parenthèses du groupe et même un chapitre final sur les albums live que ce soit purement audio ou visuel, des compléments annexes, un récapitulatif chronologique des diverses périodes. Et comme souvent avec les livres de cet éditeur, de belles photos des pochettes et des photos des membres du groupe à telle et telle période.

Sans compter que les paroles (qu'on a souvent jugées purement ésotériques) de Jon sont amplement décortiquées, de même que l'aspect purement technique de la musique, et ce, en restant toujours clair et sans jamais perdre son lecteur dans un jargon trop compliqué (surtout pour la grande majorité de passionnés non musiciens qui liront l'ouvrage), bref, on touche tout bonnement au sublime et je ne peux que saluer une nouvelle fois tout le travail de Leroy, véritablement « roy » en ce royaume (1).

Bon, évidemment la perfection n'existe pas en ce bas monde (2).

Et s'il est évident que Leroy se concentre grandement sur l'âge d'or du groupe, les années 70 bien sûr, il est un peu dommageable que passé cette décennie magique, on ait l'impression que l'auteur ne veut pas forcément s'attarder sur pas mal d'albums qui viennent, réduisant et l'analyse, et les anecdotes musicales. 

Qu'un « Fragile » ou « Close to the edge » (reconnu comme l'un des meilleurs albums de rock progressif, à juste titre) aient 10 et 12 pages recto-verso (soit 20 à 24 pages), c'est normal bien sûr. Vu la richesse inépuisable de ces disques et leur inscription à ce titre plus qu'historique dans le paysage rock de l'époque comme d'aujourd'hui, c'est bien sûr même essentiel je pense. Que l'auteur ne laisse que 2 pauvres pages sur « The Ladder » (1999) et « Magnification » (2001) me semble bien triste. Non pas qu'il faille juger dans la qualité de rendement du nombre de pages par rapport à tel ou tel disque attention, mais plus dans le statut accordé finalement au ressenti de tels disques surtout quand Leroy juge avec sincérité ce dernier, je cite, « l'un des meilleurs albums réalisés par Yes après son âge d'or » (p. 310). Ce que j'approuve également personnellement.

Alors bon ? Oui, cela pourrait passer pour un brin de chipotage à première vue. Cela l'est moins si l'on resitue le contexte de la subjectivité qui nous est tous propre. Pour ma part, je n'ai ni grandi dans les 50's, 60's ou 70's et j'appartiens à une décennie de plus de celle de Leroy. J'ai grandi dans les 90's avec non seulement l'apport culturel de l'époque mais aussi celui que m'a apporté mon popa (Pink Floyd, c'est lui qui m'a fait découvrir). J'ai donc découvert YES aussi bien dans leurs 70's que leur dernière période, le tout côte à côte alors que naissait l'Internet et ses fantastiques possibilités de liberté (du moins à l'époque, et ce même si les premiers modems étaient franchement limités). Et de même que j'allais pas mal emprunter en médiathèque (aussi bien en disque qu'en films ou BDs), j'en profitais aussi avec le net (3).

J'ai donc pu découvrir YES de chaque côté selon une même chronologie étalée et mise à plat et non dans une évolution assidue et suivie où j'aurais par exemple acheté chaque vinyle le jour de sa sortie. Du coup bien sûr avec le recul j'ai bien vu que les albums des 80's et surtout 90's et 2000/2010 de YES n'avaient bien évidemment pas tout le potentiel des 70's, leurs auteurs eux-même ont changé, vieilli, se sont adapté ou pas. C'est normal d'ailleurs. Mais quand même. Il est donc dommage après coup de voir la portion de qualité rédactionnelle de l'auteur se limiter à ce stade sous prétexte que la musique aurait moins de force dans ces périodes (le comparatif entre l'âge d'or de Yes et ce qui a suivi est évident, pas besoin d'avoir fait bac+15, merci) quand bien même on y trouve pourtant de fort belles choses qu'il serait bête de passer à côté.

Un autre détail qui a son importance, la restitution des critiques de l'époque, c'est à dire l'approche des journalistes musicaux et parfois du public de tel ou tel album au moment de sa sortie (ce que l'on peut judicieusement apercevoir dans les livrets des éditions deluxe des remastérisations des albums de King Crimson tiens). Cela est parfois mentionné vite fait (surtout pour des albums qui peuvent par exemple être "problématiques" (notez les guillemets) au sein des 70's dorés comme « Tormato » et « Tales from topographic oceans »), le reste du temps on en sait pas plus si ce n'est par le biais des charts musicaux US et UK. 

Or je n'aurais pas dit non de temps en temps à un retour du Melody maker (4) sur « Close to the edge », à celui de Best ou Rock & Folk (5) sur un « Going for the one », voire du NME (4) sur « 90125 ». Je demande pas grand chose hein, une petite coupure de presse, une citation de quelques lignes... la somme de travail de l'auteur est déjà énorme et passionnante comme ça hein, mais on aime bien toujours en avoir plus à ce stade.

Voilà, voilà, quelques points de détails qui ne changent pas vraiment la donne, à savoir que cet ouvrage se lit comme un roman et s'avère donc indispensable pour tout fana du groupe.

Amis lecteurs intéressés, vous savez ce qu'il vous reste à faire...


======

(1) Oui bon, j'ai pas pu m'en empêcher, pardon.

(2) Si, si. Toi là au fond d'ailleurs, range moi cet énième « Hot Rats » ou « Dark side of the moon » qui dépasse de ton sac, même si nous savons qu'ils sont parfaits. :)

(3) Mais qui ne l'a pas fait à vrai dire ? Et qui ne le fait pas encore aujourd'hui hein ?

(4) Magasines musicaux de la sainte Albion. Le NME exista de 1952 à mars 2018 pour sa version papier. Le site internet existe encore aussi. Plus ancien, le Melody Maker exista de 1926 à 2000, signant par sa fin également la fin d'une certaine époque musicale notamment une partie des mouvements musicaux nés dans les années 90 qui ne passèrent pas vraiment les années 2000 comme le grunge et la britpop (qui ont survécu plus ou moins d'une certaine manière) et surtout le shoegaze qui a toute mon affection. Une partie des journalistes du MM trouva cependant refuge chez le NME.

(5) Magasines musicaux français du coup. Best exista de 68 à 2000. Rock & Folk, lancé en 66 est toujours parmi nous.


vendredi 1 octobre 2021

Un petit goût de jazz : David Crosby - Skytrails (2017)

 



Dès les premières notes de synthé, on sent qu'il va être bien cet dernier et inédit final album de Steely Dan.

Il fallait bien ça alors pour se consoler de la perte de Walter Becker, co-fondateur avec Donald Fagen d'un des meilleurs groupes de jazz-rock qui soit.

Et puis s'élève la voix de David Crosby. 

76 ans au compteur cette année-là et pourtant toujours ce timbre doux, fluet et presque chuchoté.

Oops ! Ce n'est donc pas un album de Steely Dan.

Mais le premier titre, She's got to be somewhere est trompeur. De fait c'est un peu tout l'album qui sera ça et là sous le signe du jazz, le vieux sage reprenant même le Amelia de Joni Mitchell (un hommage à l'aviatrice Amelia Earhart), originellement issu d'Hejira dans une configuration apaisée et minimaliste (voix, piano, une petite guitare en fond, c'est tout et c'est efficace). Joni, l'amie de tous ces trajets et chemins musicaux qui a souvent croisé la route de David Crosby comme de Graham Nash et Neil Young (pour la minute people du jour, elle est sortie d'ailleurs avec les deux premiers, voilà on peut refermer la page ragots). Il n'y avait que Crosby pour lui rendre si bien hommage (même si l'album River, the joni letters d'Herbie Hancock en 2008 s'avère là aussi une superbe oeuvre).

Du reste, on a du bon folk-rock et du folk tout court, bien mené, parfois sans surprises ou pas autant qu'on aurait espéré comme sur le retour, Croz en 2014. Cela dit, qui peut encore se vanter, passé les soixante-dix ans de faire encore de la musique élégante, soignée et classe là où beaucoup ont baissé les bras ? Depuis 2014, des gens comme Linda Perhacs et David Crosby démontrent que les miracles existent encore (Oui Neil Young, on sait, on ne t'oublie pas mais c'est différent, toi tu as toujours été là, et heureusement d'ailleurs).

Et puis il y a Capitol sur ce disque, presque 7mn où le vieux lion se réveille pour pousser une gueulante vis à vis de la politique américaine et du fait que le vote ne sert finalement à rien quand on voit le résultat avec Trump. Charge jouissivement salée et méchamment réjouissante.


(...) They come for the power for power they stay

And they will do anything to keep it that way
They will ignore the constitution
And hide behind the scenes
Anything to stay a part of the machine
And you think to yourself
This is where it happens
They run the whole damned thing from here
Money to burn
Filling up their pockets
Where no one can see
And no one can hear
And the votes are just pieces of paper
And they sneer at the people who voted
And they laugh as the votes were not counted
And the will of people was noted
And completely ignored (...)


Depuis son retour en grâce en 2014, l'artiste a livré des disques à doses régulières (là où auparavant on devait attendre un disque par décennie suivant l'état physique du musicien) et surtout de bons disques qui, s'ils ne sont pas des révolutions sonores en l'état, font plaisir du point de vue mélodique, témoignant d'une créativité plus que florissante. Et Skytrails ne démérite pas, il fait lui aussi plaisir.

mercredi 29 septembre 2021

Un retour inespéré : David Crosby - CROZ (2014)

 


En 2014, il nous revenait de loin le père Crosby.

A 73 ans alors, il aura donc quasiment tout connu dans sa vie.
La perte de proches, une addiction à la cocaïne, un fils abandonné et placé en orphelinat qu'il ne retrouvera que bien plus tard dans les années 90... Citons aussi pour celui qui fut l'un des amants de Joni Mitchell et un musicien exemplaire avec Stephen Stills, Graham Nash et Neil Young (d'où Crosby, Stills and Nash -- CSN-- ainsi que la seconde mouture Crosby, Stills, Nash and Young, --CSNY), un diabète dangereux ainsi qu'une passion trop prononcée pour les armes à feu à un moment de sa vie qui l'emmènera directement passer quelques années en prison.

En 2014, David Crosby, "Croz" pour les intimes est donc un vieux sage qui se faisait plaisir et nous sortait un album venu de nul part au moment où on ne l'attendait plus.

Et quand je dis qu'on ne l'attendait plus, c'est bien parce que visiblement plus personne ne misait sur le vieux cheval, public comme producteurs et musiciens. Mais l'avantage d'avoir sa vie derrière soi c'est qu'en plus de l'expérience, on a plus rien à perdre. Alors David Crosby qui a toujours sa voix d'ange (sans doute moins puissante qu'hier, elle semble chuchoter, apportant une magie qui ne s'est jamais perdue en cours de route) prend sa guitare, et se met à composer avec ce fils retrouvé qui a maintenant une femme et une fille. Une expérience intimiste en famille qui prend encore plus de sens vu que c'est Django Crosby, un autre rejeton de l'honorable sage qui s'occupe des photos (la pochette et une dans le volet dépliant du cd). Et même composé avec les moyens du bord (guitare et pro-tools) on peut toutefois compter sur un coup de main de Mark Knopfler (Dire Straits) ainsi que Wynston Marsalis pour enrober le tout de notes plus que gracieuses.

Et la magie opère.
Si je vous dis qu'il s'agissait pour moi de l'un des plus beaux et meilleurs albums de 2014, me croyez-vous ?

Avec Croz, on est de retour dans les 70's, presque.
Certes, ce n'est plus le chef d'oeuvre de folk-rock de 1971, If I could only remember my name (dans mes albums préférés et indispensables...) mais c'est quand même d'un bon niveau.
Très bon niveau même puisque presque rien n'est à jeter. Tout au plus aurais-je un peu de mal avec la composition un peu "rock-fm", "dangerous night" mais c'est de qualité.

De quoi parle Croz ? 

Du temps qui passe et de ce qu'on a vu filer sans y faire attention dans What's broken. Du fait que les gens vous oublient mais que la vie continue avec Holding on to nothing où Marsalis glisse quelques notes merveilleuses en clair-obscur. Du fait que plus que jamais la radio (d'où le titre éponyme enlevé et énergique, Radio) permet aux gens de découvrir de belles choses.

Slice of time (probablement mon titre préféré de l'album) revient sur ce temps qui s'enfuit et où parfois les photos peuvent être les rares preuves de "ce qui a été". Set that baggage down nous ramène directement au temps de Crosby, Stills, Nash & Young, semi-rock basé tant sur les arpèges de guitares que le mélange harmonieux des voix propre aux 70's avec cette touche qui rappelle aussi le premier album de Crosby. Dire qu'en 71, le musicien contemplait les dernières illusions hippies brûler sur fond de coucher de soleil en se demandant quel était son nom, état des lieux plus que paumé. Son nom, dorénavant il l'a retrouvé, il peut le prononcer ici. 

If she called raconte l'histoire de cette prostituée que Crosby, alors en voyage en Belgique en hiver, aperçoit en face de l'autre côté du café où il est, dans la rue. Les paroles décrivent très bien cette attente qui tourne au vide, le fait que personne ne passe, la brûlure du froid qui s'impose, un bus qui passe et éclabousse un homme là-bas et la jeune fille qui un instant sourit. Pas besoin d'en faire des masses, Crosby chante juste accompagné de sa guitare et d'un autre guitariste et comme l'ensemble du disque, c'est beau, mélancolique mais jamais déprimant car résolument tourné vers une énergie intérieure et le besoin d'aller de l'avant.

Un disque que l'on réécoute régulièrement comme on cultiverait son petit jardin secret...