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samedi 5 juin 2021

Neil Young 1

 


  « Tu veux que je prenne le volant ? »

Neil Young roulait depuis plusieurs heures, il était temps qu’un de ces musiciens se décide enfin à mettre fin à son supplice. Le bienfaiteur n’avait pas son permis, mais ce n’était pas nécessaire pour conduire une telle poubelle. Neil Young avait acheté le corbillard dans lequel sont entassés musiciens et matériel avec les 5000 dollars que lui offrit sa mère. A ce prix, il ne fallait pas s’attendre à du grand luxe, ce corbillard étant d’ailleurs le seul véhicule de cette taille qu’il put s’offrir. Le vendeur était un vieux croque mort, qui se débarrassait de cette antiquité de peur de se retrouver un jour bloqué en pleine campagne avec un de ses macchabées.

Désormais assis sur le siège passager, Neil ne pouvait s’empêcher d’écouter le ronronnement du moteur avec angoisse. Si on ne le poussait pas trop, le moteur de ce vieux monsieur ronronnait comme un gros chat. Mais combien de fois, pour un petit kilomètre heure au-dessus de 80, cette vieille carne s’était mise à siffler comme une cocotte-minute sous pression. Un jour, de la fumée s’était même échappée de son capot. Depuis, Neil refuse de pousser cette antiquité au-dessus de ses limites. Il ne sait pas comment ce truc a pu tenir pendant si longtemps, toujours est-il qu’il a mené Neil Young et ses Squire sur plusieurs scènes miteuses. Lors de ce périple, le moindre toussotement trop prononcé du corbillard, la moindre baisse de régime lors d’un concert, tous ces détails étaient susceptibles de déclencher chez Neil des crises d’épilepsie plus ou moins fortes.

Il avait ce problème depuis que, alors qu’il avait à peine atteint l’âge de raison , la poliomyélite faillit le tuer. Cette cochonnerie était très répandue dans la ville où il a grandi, au point de faire faire des cauchemars à tous les jeunes parents. Neil eut la chance d’en réchapper, mais la garce lui laissa ces crises d'épilepsie en souvenir. Ce fut un parcours particulièrement misérable que celui qu’il parcourut jusqu’à aujourd’hui, les cachets étant juste assez élevés pour acheter de quoi survivre. Dans cette route infernale, il fit la connaissance de Stephen Still , guitariste émérite avec qui le courant passa immédiatement. Les deux hommes ayant leur groupe, Still eut juste le temps de donner son adresse à son nouvel ami. Ils avaient alors promis de se retrouver plus tard, mais une année de galère les maintint séparés.

Aujourd’hui, Neil est convaincu que ce type est la pièce manquante au puzzle qui doit le mener vers la gloire. Malheureusement, il n’était pas chez lui, ce qui décida Neil à reprendre la route en direction de San Francisco. La ville est le nouveau paradis d’une jeunesse utopiste, une telle effervescence ne pouvant qu’attirer l’homme qu’il cherchait et lui apporter le succès après lequel il courrait. Le flower power n’avait pas encore accouché d’une scène psychédelique locale, mais on sentait déjà que quelque chose se préparait.

Dans les rues , des dizaines de clochards célestes tentaient de devenir le nouveau Bob Dylan. Le corbillard avait atteint San Francisco depuis quelques minutes, alors que  Neil n’en pouvait déjà plus de ces « the time they are changin », miaulés avec plus ou moins de conviction par des hippies crasseux. Dylan avait saisi l’époque avec une incroyable lucidité, son titre était psalmodié par des nuées de troubadours unis comme une seule âme, l’âme des sixties. La circulation s’étant ralentie , Neil eut alors tout le temps de maudire le plus grand poète que le folk ait connu. 

Sous l’effet de l’épuisement, il s’était enfin assoupi, quand quelqu’un se mit à tambouriner à la porte du véhicule. C’était Stephen Still et sa bonne bouille de yankee. Heureux de retrouver son vieil ami , Stephen accepta de rejoindre les Squire, mais il fallait marquer ce nouveau départ en changeant de nom. Sur le véhicule posté devant le corbillard, une plaque arborait fièrement le titre « Buffalo Springfield ». Les musiciens ne savaient pas si il s’agissait d’un restaurant, mais ça faisait un très bon nom de groupe.

Après cette rencontre, le groupe se fait héberger chez Barry Friedman , qui propose de devenir leur manager. Dans la foulée, les musiciens organisent des auditions pour trouver un nouveau batteur. L’heureux élu sera Dewey Martin, dont le principal fait d’armes est d’avoir joué pour Roy Orbinson. Nous sommes alors au milieu des sixties, et un autre groupe atteint le sommet de sa carrière.

Les Byrds marquèrent la légende lorsqu’ils enregistrèrent leur version de Mr Tambourine man. Dylan travaillait alors dans la pièce voisine, les échos de cette reprise lui parvenant à travers le mur. Sous l’influence des grands groupes anglais , le Zim pensait déjà à quitter les berges du folk pour une pop plus électrique. Cette reprise sera pour lui une révélation, qui le pousse à enregistrer lui aussi une version électrique de son classique des sixties. De leur côté, ralentis par un label qui croit peu en eux, les Byrds ne sortiront leur premier album que plusieurs mois après bring it all back home , le disque de Dylan qu’ils ont en partie inspiré.

Si la presse salue alors le Zim comme l’inventeur de ce nouveau courant que l’on nomme folk rock, ce sont bien les Byrds qui vont en définir la sonorité. Presque flatté de s’être fait doublé par le grand Bob, le groupe de David Crosby obtient un succès fulgurant dès que son premier essai sort enfin. C’est pendant cette période de gloire que les oiseaux rencontrent le Buffalo Springfield. Impressionné par ce qu’il voit, le bassiste Chris Hilman décide d’user de toute son influence pour obtenir que le groupe puisse jouer au Whisky à go go.

Ouvert il y a deux ans, ce club est le lieu où il faut briller pour marquer l’histoire. Les Doors et Frank Zappa y ont notamment livré des prestations mémorables. Là, entre les strip-teaseuses et les piliers de comptoir, le Buffalo Springfield livre une prestation qui lui attire les faveurs de la presse locale. Qualifié de « meilleur groupe depuis les Beatles », les musiciens gagnent enfin des cachets assez élevés pour s’offrir un logement digne de ce nom. Dans cette maison défilent l’habituel balai des parasites accrochés aux stars montantes, ce qui pousse Neil Young a vite fuir ce cirque. Il se réfugie alors dans une cabane en bois située près de Laurel Canyon.

Quand il rejoint le groupe sur scène, la pression qu’il subit provoque des crises d’épilepsie de plus en plus fréquentes. Il faut dire que la tension autour du groupe n’a jamais été aussi forte, les musiciens ayant signé leur premier contrat, alors qu’une rivalité nait entre Stephen Still et Neil Young. Dès les premiers jours, les producteurs conseillent au canadien de se tenir loin du micro, ce qui ne l’empêche pas d’écrire 5 des douze chansons qui composent le premier album. Alors que ce premier essai offre à ses auteurs une renommée mondiale, la tension entre Neil Young et Stephen Still est sur le point de tout détruire.

Stephen n’hésite pas à dire que les crises de Neil mettent en danger l’avenir du groupe. Sorti en 1967  Buffallo Springfield again sera en quelque sorte l’album blanc du Buffalo Springfield. Plus un conglomérat de compositions individuelles qu’un véritable travail de groupe, l’album se distingue surtout grâce à Mr Soul, où Neil Young déploie un riff stonien de toute beauté. Toujours est-il que ce second album se vend très bien et place ses auteurs au même niveau que les Byrds. C’est pourtant à ce moment que Neil claque la porte pour entamer sa carrière solo. Pour honorer leur contrat d’enregistrement, les autres musiciens bricoleront un dernier album sans intérêt.

Le monde croit alors que ces jeunes prodiges arrivent déjà à la fin de leur âge d’or, le parcours du loner ne fait pourtant que commencer.                               

                                                                                                                                                                           

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