Zappa, Not In It For The Money
(par Benjamin Bailleux).
Le but de l’article qui va suivre n’est pas de présenter
un récit complet de la carrière de Zappa, un livre entier n’y suffirait pas. En
quelques années, Zappa à construit une œuvre d’une richesse
exceptionnelle, fonctionnant par cycles. Cet article propose quelques-uns de ces
cycles, durant lesquels la petite histoire du génial moustachu a rejoint la
grande histoire de la Pop.
Zappa , et l’Amerique parfaite
Dans la petite maison familiale, Zappa trompe son ennui
en feuilletant un magazine musical laissé là par ses parents. Au bout de
quelques pages, il tombe sur une chronique incendiaire de Ionisation, une œuvre du compositeur contemporain Edgard Varese. Le chroniqueur termine sont article en affirmant que
« cette musique est inécoutable », affirmation qui suscite l’intérêt
de ce jeune homme farouchement anti conformiste. Les disques de Varèse
l’amèneront à apprendre à composer, alors qu’il passe ses heures de cours à
satisfaire son autre grande passion : le rythm n blues.
Johnny Guitar Watson rejoint ainsi Varèse dans l’univers
musical de Zappa, qui commence à composer en 1958. Il s’agissait alors d’une BO
pour le film Run Home Slow, un western qui ne verra jamais le
jour. L’événement est tout de même important dans la carrière de Zappa, qui
recevait sa première commande, un premier signe de reconnaissance qui lui vaut
le respect de ses proches.
Il quitte rapidement le domicile familiale, pour vivre
une vit de bohème, qui l’oblige souvent à enchainer les petits boulots pour
payer les factures. Après une interpellation pour obscénité, le compositeur
ayant réalisé un enregistrement de « bruit érotiques » pour un client
lubrique, le cinéma l’appel de nouveau.
Cette fois ci, c’est Tim Carrey qui demande ses services,
pour son film The Word Greatest Sinner. Ce film est une violente
critique de la pudibonderie américaine, dont Zappa ne recevra les Royalties que
plusieurs mois après sa réalisation. Allié au fruit de son travail pour une émission de télévision,
les bénéfices lui permettent de racheter un studio à l’abandon, et du matériel
d’enregistrement. Dans ce studio, il enregistre quelques morceaux de Rythm 'n Blues,
qu’il part vendre à quelques maisons de production Hollywoodienne.
C’est lors d’un de ces voyages que, en 1964, il
rencontre les musiciens avec qui il forme sontt groupe. D’abord nommée les Soul
Giant, la formation se renomme les Mothers Of Invention lors de la fête des mères, et part
jouer un Rythm 'n Blues loufoque dans les bars d’Hollywood.
C’est entre ces concerts que Zappa compose les premiers
titres des Mother, comme "Hungry Freak Daddy". Un rock corrosif qui
sera finalisé sur le premier album. Lors du passage du groupe au
Whisky A Gogo, ils sont repérés par Tom Wilson. Producteur reconnu, l’homme a
notamment travaillé avec Bob Dylan.
Nous sommes alors en plein renouveau du rock, et toute
une génération de jeunes blancs accèdent aux sommets des ventes en reprenant les
formules de Muddy Waters et autres Howling Wolf. Les Rolling Stones sont en pleine
ascension, le Paul Butterfield Blues Band pose les bases du blues rock…
Lorsqu’il entend la prestation des Mothers, Tom Wilson
croit avoir repéré un autre représentant Rythm 'n Blues blanc, et emmène
rapidement ces Freaks en studio pour enregistrer leur premier album. Perfectionniste
à l’extrême, Frank Zappa écrit des partitions complexes, qu’il fait répéter à
ses musiciens jusqu'à atteindre la perfection.
Lorsqu’il entre en Studio, Zappa ne se sert presque
pas de sa guitare, préférant diriger son groupe, tel un chef d’orchestre
partant dans des expérimentations soigneusement élaborées. Lorsqu’il assiste à
ce spectacle surréaliste, Tom Wilson court prévenir ses patrons. Finalement ce
disque ne sera pas tout à fait un album de Rythm 'n Blues.
Cela n’empêche pas le label de laisser une liberté totale
à son nouveau protégé, qui invite une légion de Freaks à improviser des
percussions, avant de bricoler les bandes d’enregistrements. Le moustachu
profite alors des possibilités offertes par les studios pour accélérer
certaines bandes, quand il n’agrémentait pas ses compositions de gémissements
loufoques et autre bruitages.
Freak out sort en 1966 et entre
immédiatement dans l’histoire. Les ventes sont médiocres, le public ne
comprenant pas le sens d’un tel bazar sonore, mais McCartney avoue que les
folles inventions de cet album l’ont inspiré lors des sessions d’enregistrement
de Sergent Pepper.
La réponse de Zappa ne se fait pas attendre
« contrairement à eux je ne suis pas la que pour le pognon ».Cette phrase ne tardera pas à devenir le titre d’un album lorsque, après un Absolutely Free plus rock, Zappa se mit en tête de montrer le ridicule du mouvement hippie. Absolutely Free était plus rock, et s’en prenait aux mœurs d’une société américaine aliénée à grand coups de télévision, de morale religieuse et sociale, et de consumérisme boulimique. On connaissait le Zappa compositeur, voila qu’il se présentait à nous comme un guitariste exceptionnel, avec les superbes lignes de guitares de "Call Any Vegetable / Invocation And Ritual Dance Of The Pumpkins".
Absolutely Free ressemble à une version
musicale des spectacle de Lenny Bruce, avec qui Zappa a collaboré plusieurs
fois. Et le fait que Terry Gillian se cache dans certains cœurs ne fait
qu’ajouter au charme de cette attaque de l’American Way Of Life.
Sorti quelques mois plus tard, We’re Only In It For The Money est plus ciblé sur les excès d’une culture Pop
triomphante. Dès la pochette, Zappa s’en prend au plus grand symbole de cette
hystérie populaire, les Beatles. Paul McCartney négociera d’ailleurs avec lui pour
que la sortie de l’album soit repoussée, afin de ne pas nuire au monument Pop
qu’est tout de même Sergent Pepper.
Les Beatles ne sont pourtant pas au cœur des
compositions de ce disque, qui reprend le format des Pop Song à la mode, pour
mieux les détourner. We’re Only In It For The Money se débarrasse
des références classiques trop visibles, pour partir dans une Pop accessible au
public visé par ses textes.
A tous ces hippies adeptes d’une révolte qu’il juge
artificielle, Zappa prévoit un avenir conformiste digne du vide existentielle
de leurs « parent plastique ». Pour lui
«[...] la partie la plus laide de leurs corps est leurs âmes », pollué par une mode éphémère. Le disque ne rendra pas encore les Mothers riches, mais sa Pop corrosive et intemporelle est à inscrire à la suite des grands délires des années 60.
L’odeur du jazz
En 1969, Zappa retrouve Captain Beefheart exsangue, sa
maison de disque a finit par le lâcher après des mois de galère. Ayant fondé
son propre Label, Zappa récupère alors le groupe de son vieil ami, et vient
enregistrer son prochain album dans la communauté où il règne en tyran.
Tous les musiciens sont contraints à rester dans le
studio pendant la durée de l’enregistrement, et travaillent des heures pour
aider leur leader à donner vie à ses idées folles. L’homme se voit comme un
artiste, qui manipule les sons comme un peintre réparti ses couleurs. Il ne
sait pas composer, et a appris le piano en autodidacte, le groupe doit donc
être capable de suivre ses indications sommaires.
Cela ne l’empêche pas d’avoir une idée très précise du Blues déstructuré qu’il veut obtenir. Dans la tradition du Jazz , le Magic Band jam donc jusqu'à trouver la formule parfaite, qui est mise en boite par Zappa
sans retouches.
Il participe ainsi à l’élaboration d’un chef d’œuvre qui
ne sera reconnu que des années après sa sortie. Mais surtout, Zappa se remet à
partager ses coup de cœurs musicaux avec son vieil ami, et redécouvre le jazz.
Cette redécouverte est le point de départ d’un nouveau
cycle discographique, et le voila qui affirme sur scène
« le Jazz n’est pas mort il a juste une drôle d’odeur ».Cette même année 1969, Zappa travail donc sur la bande son de Uncle Meat, un film qu’il souhaite réaliser.
Le film ne verra malheureusement jamais le jour, mais la bande
son devient le nouvel album solo de Zappa. La mutation de la musique est flagrante. Les textes revendicatifs ou ironiques sont remplacés par de longs délires
instrumentaux, et une plus grande liberté est laissée aux musiciens.
Inspiré par les leçons de Coltrane et autres Miles Davis, Frank Zappa ne cherche plus à tout contrôler, ce qui n’empêche pas ses instrumentaux
d’être soigneusement travaillés en studio. De même, le compositeur continue d’expérimenter,
retravaillant les bandes afin d’obtenir les instrumentaux foutraque qu’il
imagine. Cette liberté laissée aux musiciens, alliée à son amour des compositions
complexes, et à son perfectionnisme, font d’Uncle Meat son œuvre la plus
aboutie, et la préférée de bien des fans.
Il faut dire que, de 1969 au milieu des années 70, le Jazz va fortement marquer la culture Rock, à travers la Pop Progressive de Soft Machine. Celle-ci donnera naissance à toute une scène Jazz-Rock Canterburienne
, et Miles Davis ce joindra à la danse après avoir découvert le génie Hendrix.
Le cheminement qui va mener Zappa à Uncle Meat, puis à Hot Rats, avant de terminer par le superbe Grand Wazoo, est d’ailleurs
le même que celui suivit par Soft Machine à partir de son second album.
L’homme démarre par une musique expérimentale, où le Jazz apporte
ses notes chaleureuses et ses instrumentaux décomplexés, avant de lentement
glisser vers une musique de plus en plus virtuose. Le Jazz, qui était au départ
une coloration, devient progressivement l’ingrédient essentiel d’une musique
qui cherche à s’approprier sa virtuosité.
Beaucoup de guitaristes seront d’ailleurs scotchés par la complexité
de certains solos contenus dans Hot Rats, alors que Waka / Jawaka mêlera cette virtuosité à des compositios beaucoup plus complexes. Enfin, The Grand Wazoo brille surtout grâce à la somptuosité d’instrumentaux qui n’ont
plus grand-chose à envier à Miles Davis.
Il faut dire que l’homme s’en été donné les moyens, en s’entourant
d’un véritable orchestre, constitué de pointures issuent du Jazz. Le nombre de
musiciens devra ensuite être diminué pour des raisons budgétaires mais, selon
Zappa, ce groupe restera le meilleur qu’il ait jamais eu.
Pour boucler ce cycle , Zappa reprendra ce groupe diminué
pour enregistrer Apostrophe et Overnight Sensation,
deux disques où il reprend le format de la chanson Pop, sans perdre la chaleur
et l’exigence musicale du Jazz. Jazz qu’il
quitte après la glorieuse célébration contenue sur le Live Roxy & Elsewhere.
Rock 'n Roll Again
Concluant le cycle Jazz, Overnight Sensation et Apostrophe, sortis en 1973 et 1974, montraient clairement une
envie de séduire le grand public sans trahir l’identité musicale de Zappa. Le
coup sera relativement réussit avec Apostrophe, un album certifié
disque d’Or, mais dont les ventes sont loin d’égaler celle des géants de l’époque.
Zoot Allure, paru en 1976 montre alors un
musicien bien décidé à descendre dans l’arène du Rock-à-Guitares, pour imposer
son image dans un paysage Mainstream qui n’a jamais vraiment voulu de lui.
Cette ambition est claire, le groupe reprenant la
structure simple et efficace du Hard-Rock, alors que son leader montre qu’il
peut bien rivaliser avec Led Zeppelin et autres héros de la guitare hurlante.
L’efficacité est au rendez vous, bien que l’on puisse regretter
que la singularité des Mother ait été largement sacrifiée sur l’hôtel du Rock sur-amplifié. Alors qu’il représente une initiation idéale pour ceux qui ne
connaitrait pas encore Zappa, le succès n’est toujours pas au rendez vous,
comme si le grand public avait définitivement banni Zappa du paysage Mainstream.
Quatre ans plus tard, en 1979, il revient à la charge
avec le plus original Sheik Yerboutit. Certes, le disque se
conforme largement à des règles de production qui domineront durant les années
80, avec un son propre et l’intervention de synthés modernes. Mais
paradoxalement, sa musique retrouve une certaine singularité.
Le ton plus
sarcastique, des délires musicaux est aussi farfelu que les premiers méfaits
des Mothers, et on retrouve ce soucis de mêler musique travaillée et passages
humoristiques. Zappa en profite pour désacraliser Dylan avec l’imitation bouffante
de "Flakes", alors que les hurlements de sa guitare semblent dire aux Hardos qu’ils n’ont pas le monopole de la puissance.
Le disque obtiendra un succès respectable, sans atteindre
les sommets auxquels Zappa semble aspirer. Semblant prendre conscience qu’il ne
sera jamais « aussi gros » que les Stones et autres Led Zeppelin, il
continue de complexifier son Rock.
L’Opéra-Rock Joe’s Garage sort la même
année et voit Zappa trouver le parfait équilibre entre le Rock efficace qu’il
souhaite désormais produire, ses ambitions artistiques, et un ton sarcastique
qui n’a jamais totalement quitté son œuvre.
L’histoire, qui nous plonge dans un monde dystopique, où
jouer du Rock est interdit, lui permet de déverser sa verve sur le Show Business, et la société américaine. Le funk vient s’ajouter à sa palette d’influences,
mais c’est bien le Rock qui domine ce pavé de trois vinyles, qui reste pour
beaucoup la dernière grande œuvre de Frank Zappa.
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